Le Conseil d’Etat a rendu le 12 novembre 2012 un avis sur les modalités d’engagement de la responsabilité de l’OFRPA, lorsque cette autorité administrative a rejeté une demande d’asile ensuite admise par la Cour nationale du droit d’asile (CE, Avis, 12 novembre 2012, OFPRA, requête numéro 355134).
Le juge du référé provision de la CAA de Bordeaux était saisi d’un appel contre une ordonnance du juge du référé du TA de Limoges accordant une provision à un requérant auquel l’OFPRA avait refusé la qualité de réfugiém décision ensuite annulée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Deux questions étaient posées au Conseil d’Etat par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, au moyen de la procédure de « l’avis contentieux » de l’article L.113-1 CJA. Chacune de ces questions a un intérêt propre, et apporte des réponses de principe d’une grande portée.
La première question tendait à savoir quelle juridiction, au sein de l’ordre de juridiction administratif, était compétente pour connaître des recours indemnitaire à l’encontre de l’OFPRA : son juge d’attribution qui est la CNDA, ou le juge administratif de droit commun ? (1)
La seconde question était de savoir si l’annulation par la CNDA d’une décision de l’OFPRA était de nature à engager la responsabilité de ce dernier (2).
1) Seul le juge administratif de droit commun est compétent pour connaître des actions indmnitaires à l’encontre des les autorités administratives
Le Conseil d’Etat rappelle que la CNDA est une juridiction administrative spécialisée, bénéficiant d’une compétence d’attribution pour connaître des décisions de l’OFPRA. Il ne relève pas de cette compétence de connaître des conséquences indemnitaires tirées de l’illégalité d’une décision de l’OFRPA :
« […] la Cour nationale du droit d’asile est une juridiction administrative spécialisée, dont la compétence d’attribution ne porte que sur les recours dirigés contre les décisions de l’OFPRA. Il appartient en conséquence au tribunal administratif, juge de droit commun du contentieux administratif, de connaître d’une action en indemnité introduite à la suite de l’annulation d’une décision de l’OFPRA ».
L’appréciation portée sur la CNDA et l’OFPRA est très certainement transposable à l’ensemble des juridictions administratives spécialisées : en l’absence d’attribution spécifique de compétences à leur bénéfice, la réparation des préjudice causés par l’activité administrative relève des juridictions de droit commun.
Dans un tout autre registre, le Conseil d’Etat avait on s’en souvient rappelé que toute justice est rendue au nom de l’Etat. C’est le patrimoine de l’Etat qui est engagé lorsqu’une victime souhaite mettre en cause la responsabilité des juridictions disciplinaires universitaires, juridictions administratives spécialisées (CE 27 février 2004, Madame Popin, requête numéro 217257, publié au recueil Lebon). L’on peut inférer de l’avis du Conseil d’Etat du 12 novembre 2012 que c’est devant les juridictions administratives de droit commun qu’il peut engager cette responsabilité, sauf si une juridiction d’appel spécialisées en reçu une compétence expresse pour connaître des actions en responsabilité.
Ce qui semble fonder l’analyse du Conseil d’Etat n’est pas en effet la nature de la mission accomplie par l’organe, mais l’étendue des compétences de la juridiction spécialisée : une compétence d’attribution pour l’annulation ou la réformation d’une décision administrative n’implique pas par elle-même une compétence pour connaître des conséquences indemnitaires de l’illégalité de cette décision.
Il en ira certainement autrement lorsque la compétence d’attribution concerne les juridictions de l’ordre judiciaire .
Dans ce cas on le sait le Conseil d’Etat puis le Tribunal des conflits ont opté pour la théorie du bloc de compétence. C’est donc devant les juridictions juridiciaires que peut être engagée la responsabilité de l’Etat pour illégalité des décisions de la Commission des opérations de bourse (CE, 6 juillet 1990, Compagnie diamantaire d’Anvers, requête numéro 62716, requête numéro 77723, requête numéro 84309, publié au recueil Lebon).
TC, 22 juillet 1992, Compagnie diamentaire d’Anvers, affaire numéro 02671 :
« Considérant qu’aux termes de l’article 12 de l’ordonnance du 28 septembre 1967, dans sa rédaction issue des dispositions de l’article 9 de la loi du 2 août 1989 : « L’examen des recours contre les décisions de la Commission des opérations de bourse autres que celles qui ont un caractère réglementaire ou qui sont relatives à l’agrément des organismes de placement collectif en valeurs mobilières ou des gérants de portefeuille relève de la compétence du juge judiciaire … » ; que le législateur a ainsi entendu donner compétence aux juridictions de l’ordre judiciaire pour connaître de toute contestation relative aux décisions de la Commission des opérations de bourse visées à l’article 12 précité de l’ordonnance du 28 septembre 1967, y compris les demandes d’indemnité fondées sur l’illégalité dont seraient entachées ces décisions ; »
Mais il est vrai que la Cour d’appel de Paris, juridiction judiciaire compétente pour connaître des décisions non réglementaires de la COB (devenue AMF), n’est pas une juridiction spécialisée ni a fortiori une juridiction administrative spécialisée.
Il ne faut donc pas conférer à l’avis plus de portée qu’il n’en a : les recours indemnitaires découlant de l’illégalité des décisions des autorités administratives relèvent des juridictions administratives de droit commun; il en ira autrement si un texte législatif attribue une compétence expresse pour en connaître à une juridiction adminisrtrative spécialisée, ou crée un bloc de compétence au profit de l’ordre judiciaire.
2) L’annulation d’une décision par le juge du plein contentieux ne révèle pas nécessairement une faute
Il est des adages, même portés par le juge adminitif, qui révèlent chaque jour leur inexactitude, ou du moins le trésor de précautions dont doit être entouré leur usage. Il en est ainsi du prétendu principe de parallélisme des formes. Il en va de même du principe, tiré peut-être abusivement de la fameuse décision du Conseil d’Etat Driancourt (CE Section, 26 janvier 1973, Driancourt, requête numéro 84768, recueil p. 77), selon lequel « toute illégalité est fautive ».
Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une illégalité. Une décision administrative peut être annulée sans qu’elle ait constitué, au moment de son édiction, un acte illégal. Il relève en effet de l’office du juge de plein contentieux de se placer au moment où il rend sa décision juridictionnelle pour apprécier les éléments de droit et de fait. Une décision de l’OFPRA aura été rendu en fonction d’en cadre juridique particulier, et d’éléments de fait portés à sa connaissance.
Une telle décision de l’OFPRA pourra cependant être annulée par la CNDA, non pas en raison d’une mauvaise appréciation des faits ou une mauvaise application du droit au moment où la décision de l’OFPRA est adoptée, mais en raison du droit et du fait tels qu’ils sont pris en compte par la CNDA.
Bien qu’étant annulée, la décision de l’OFPRA révèle-t-elle une illégalité ? Il est impossible de dire le contraire. Mais cette illégalité n’existe pas nécessairement ab originem.
Dans ce cas, l’OFPRA n’engage pas nécessairement la responsabilité de l’Etat du seul fait que sa décision a été annulée.
Il en irait autrement si la CNDA agissait comme un simple juge de l’excès de pouvoir, appréciant le droit et le fait au moment où l’autorité administrative s’est prononcée.
6. Saisie à la suite d’une décision de rejet de l’OFPRA, la Cour nationale du droit d’asile se prononce, en qualité de juge de plein contentieux, sur la reconnaissance à l’intéressé de la qualité de réfugié. Elle apprécie les faits à la date à laquelle elle statue, au vu du dossier qui lui est présenté et compte-tenu des débats qui se déroulent à l’audience organisée devant elle. Il en résulte que la décision par laquelle elle reconnaît la qualité de réfugié à une personne à laquelle l’OFPRA avait opposé un refus n’implique d’aucune manière que la décision prise par cet établissement, au vu du dossier dont il disposait, aurait constitué une faute de nature à ouvrir droit à réparation.
Il appartient donc au juge saisi de la requête indemnitaire de rechercher une faute, un lien de causalité et un préjudice. La faute ne peut découler du seul fait que la décision de l’OFPRA (et par extension de toute autorité administrative) a été annulée par le juge du plein contentieux.
Une autre conséquence découle de cette appréciation: la demande indemnitaire devant le juge du référé provision ne peut pas simplement s’appuyer sur le fait que la décision ait été annulée pour justifier de l’existence d’une faute.
8. Il résulte de ce qui précède que, par elle-même, la reconnaissance par la Cour nationale du droit d’asile de la qualité de réfugié ne permet pas à l’intéressé de se prévaloir devant le juge du référé provision d’une créance qui ne serait pas sérieusement contestable
Celà ne remet pas en cause l’office du juge du référé provision. Il est possible de prouver l’existence d’une créance non sérieusement contestable devant le juge du référé, mais cette démonstration doit s’appuyer sur des éléments tendant à démontrer l’erreur de droit ou de fait commise par l’autorité au moment où elle a adopté sa décision. La Cour avait au demeurant pris le soin de le préciser dans sa question en soulignant :
dans l’hypothèse où la juridiction administrative de droit commun serait compétente pour connaître d’une telle action, si le fait que la Cour nationale du droit d’asile a annulé une décision de l’OFPRA rejetant comme infondée une demande d’asile et a reconnu au demandeur la qualité de réfugié révèle, en l’absence de tout élément permettant de penser que les données soumises à l’appréciation de cette juridiction étaient différentes de celles soumises à l’appréciation de l’OFPRA, une erreur d’appréciation de la part de cet établissement public de nature à engager sa responsabilité