Le 23 janvier 2013, une circulaire est adressée par la garde des Sceaux, Madame Taubira, aux tribunaux pour leur demander de ne plus refuser la délivrance des certificats de nationalité française (CNF) pour des enfants nés à l’étranger, au seul motif qu’ils concernent des enfants issus d’une gestation pour autrui (Circ. N° NOR JUSC1301528C, 25 janv. 2013 ; J-R. Binet, Circulaire Taubira. Ne pas se plaindre des conséquences dont on chérit les causes, JCP n° 7 11 févr. 2013. 161I ; I. Corpart, La controversée délivrance de certificats de nationalité aux enfants nés à l’étranger après une gestation pour autrui, RJPF mars 2013, à paraître ; N. Mathey, Entre illusions et contradictions, JCP n° 7, 11 févr. 2013.162).
Cette circulaire d’application immédiate a été fort critiquée en ce qu’elle conduirait à une reconnaissance déguisée de la procréation ou gestation pour le compte d’autrui. Avant de se projeter sur l’avenir, il importe d’analyser les avancées auxquelles elle conduit et ce, après avoir précisé quelle est la situation vécue par ces enfants.
I – Etat des lieux
Avec la circulaire, la question de la gestation pour autrui se trouve une nouvelle fois propulsée sur le devant de la scène. On le sait, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a interdit dès 1991 toutes conventions portant atteinte à l’ordre public et contraires à l’indisponibilité de l’état des personnes (Cass. ass. plén. 31 mai 1991, Bull. ass. Plén. 1991, n° 4 ; JCP 1991, II, 21752, concl. Dontenwille, note F. Terré ; D. 1991, p. 417, rapp. Y. Charrier, note D. Thouvenin ; RTD civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller). C’est ensuite le législateur qui a posé en principe que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle », cette disposition étant d’ordre public (C. civ. art 16-7 et 16-9, issus de la première loi dite bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994). Persistant dans cette voie, la Cour de cassation a refusé la transcription sur les registres de l’état civil français d’actes pourtant valablement passés à l’étranger, décisions fondées sur la contrariété à l’ordre public international français et au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes (Cass. 1re civ., 6 avr. 2011 no 09-66.486, Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, no 10-19.053 et Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, no 09-17.130, D. 2011, p. 1064, obs. X. Labbée ; D. 2011, p. 1522, note D. Berthiau et L. Brunet ; D. 2011, p. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; JCP G 2011, no 441, obs. F. Vialla et M. Reynier ; RJPF-2011-6/12, obs. M.-C. Le Boursicot ; RTD civ. 2011, p. 340, obs. J. Hauser).
Malgré cet interdit, des couples se tournent pourtant vers l’étranger lorsque leurs demandes ne peuvent pas aboutir en France. Ainsi, des couples hétérosexuels font des démarches pour trouver une « mère porteuse » dans un pays qui valide la gestation pour autrui lorsque la femme est stérile ou dépourvue d’utérus et des hommes homosexuels se rendent à l’étranger pour devenir pères. Leur désir d’enfant est tel qu’ils enfreignent pertinemment la loi française, la critiquant car elle serait trop attentatoire à leur vie privée et familiale, et ils recherchent à l’étranger une femme qui portera leur enfant.
Les enfants nés dans le cadre de la gestation pour autrui sont inscrits dans un acte de naissance étranger et ils ne sont donc pas « fantômes de la République », contrairement à une expression galvaudée. Ils conservent leur état civil originaire (selon le cas, californien, Cass. 1ère civ. 6 avril 2011, préc., indien, CA Rennes, 21 févr. 2012, n° RG : 11/02758, RJPF 2012-3/28, obs. I. Corpart, D. 2012, 878, note A. Mirkovic, AJ famille 2012, p. 226, obs. C. Siffrein-Blanc, ou ukrainien, CA Rennes, 8 janv. 2013, n° RG 12/01538, RJPF 2013-3 à paraître, obs. I. Corpart). Il est plus délicat toutefois de les inscrire dans un registre d’état civil français et dans le livret de famille de leurs parents car la jurisprudence est, sauf exception, hostile à la transcription des actes de naissance étrangers, en raison de la prohibition de la gestation pour autrui.
S’agissant de la question de la nationalité abordée par la circulaire, deux cas peuvent se présenter. Dès lors qu’un lien de filiation est établi entre l’enfant et l’un de ses parents (en principe son père biologique), l’enfant peut se prévaloir de la nationalité française car « est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français » (C. civ., art. 18). Il peut également avoir la nationalité du pays dans lequel il est né lorsque la législation locale fait jouer les règles du droit du sol (ainsi pour les enfants nés de « mères porteuses » californiennes). Pour les autres, la question est effectivement délicate car ils sont apatrides, faute de pouvoir être rattachés à l’une ou l’autre législation. Leur sort est peu enviable, néanmoins, ce n’est pas cette catégorie d’enfants que vise la circulaire. Elle s’attache seulement aux difficultés que rencontrent des familles qui ont un enfant né à l’étranger, confrontées à des difficultés administratives alors qu’un lien de filiation est établi.
II – Avancées de la circulaire
L’intérêt de la circulaire est de donner aux enfants qui ont la nationalité française, en raison du lien de filiation qui les unit à leur parent, la possibilité de la voir reconnaître. Ils pourront obtenir un certificat de nationalité française (CNF) et attester ainsi de leurs droits. Ils seront français à part entière et pourront se prévaloir de toutes les prérogatives qui sont attachées à la nationalité, notamment demander un passeport ou déposer une candidature dans la fonction publique. Les familles ne se heurteront plus aux réticences de certains tribunaux qui, malgré la démonstration du lien de filiation, refusaient de délivrer les CNF à la lecture d’un dossier qui laissait apparaître que les enfants étaient nés à l’étranger d’une « mère porteuse ». En effet, pour mettre fin aux disparités géographiques, la circulaire du 25 janvier 2013 enjoint aux tribunaux de faire droit aux demandes faites par les familles, indépendamment de l’existence de conventions de gestation pour autrui. Elle précise que « le seul soupçon du recours à une telle convention conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF ». La circulaire entend seulement clarifier les pratiques et sécuriser la situation des enfants nés à l’étranger dans des circonstances dont ils ne sont pas maîtres, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant prévu à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Encore faut-il toutefois que les conditions de mise en œuvre de la circulaire soient remplies. Ce point mérite réflexion car de nombreux enfants ne seront pas concernés. En premier lieu, tous ceux qui ne bénéficient pas d’un tel lien de filiation, le père ne souhaitant pas faire de démarche pour ne pas attirer l’attention du ministère public sur le dossier. On peut même se demander si l’établissement d’un lien de filiation ne serait pas frauduleux dès lors que l’enfant est né d’un projet parental interdit par la loi française (le ministère public pourrait remettre en cause une reconnaissance pour fraude sur le fondement de l’article 336 du Code civil). En second lieu, pour servir de base à la demande, il est nécessaire que l’acte fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays ne soit pas « irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » (C. civ., art. 47). Ainsi, il ne sera pas possible d’utiliser un acte dans lequel une mère « commanditaire » aurait été mentionnée comme étant la mère de l’enfant puisqu’elle n’aura pas accouché (problème pour les pays qui mentionne dans l’acte de naissance l’identité de la « mère d’intention », cf affaire Mennesson, Cass. 1ère civ., 6 avril 3011, n° 10-19053, préc.). Surtout la circulaire est loin de régler tous les problèmes.
III – Interrogations autour de la circulaire
La circulaire du 25 janvier 2013 est controversée car on soupçonne la chancellerie de s’acheminer vers la reconnaissance de la gestation pour autrui. Elle serait en quelque sorte la première étape vers une abrogation de l’article 16-7 du Code civil inscrit dans le Code civil en 1994. Depuis lors, la question de la gestation pour autrui n’a cessé d’agiter les esprits et, encore récemment, elle a été invoquée lors des débats relatifs au projet de loi « Mariage pour tous » pour exclure les couples de même sexe de l’accès à la procréation médicalement assistée.
A l’annonce de ce nouveau texte, la communauté scientifique s’est demandée si les pratiques toujours illicites n’étaient pas admises, voire encouragées, dès lors que, malgré une convention de gestation pour autrui, des demandes de CNF pourront être accueillies par les tribunaux. Certes la délivrance de ces certificats ne fait pas autre chose que reconnaître des droits aux enfants nés de parents français, mais elle intervient sur un terrain sensible. En outre, le ton impératif de la circulaire pourrait amener les tribunaux à assouplir leur jurisprudence dans le cadre d’autres demandes, notamment pour transcrire des actes de naissance étrangers dans les registres d’état civil français.
Telle n’est pas l’ambition affichée de la circulaire. Elle ne reconnaît nullement la filiation de ces enfants mais si la filiation est établie, elle en tire des droits pour les intéressés. En jurisprudence, il a déjà été admis que l’entrée en France des enfants nés de « mères porteuses » étrangères pouvait être facilitée par la délivrance de titres de voyage (CE, 4 mai 2011, n° 348778, RJPF 2011-11/36, obs. I. Corpart, Dr. famille 2011, comm. 99, obs. C. Neirinck ; pour un refus en raison des incertitudes quant au lien maternel : CE, 8 juillet 2011, n° 350486, RJPF 2011-11/36, obs. I. Corpart). Là non plus cela n’a pas eu pour effet de modifier le droit.
Les conventions relatives à la maternité et à la gestation pour autrui demeurent interdites par la loi civile et sanctionnées par la loi pénale (C.pén., art. 227-12). La reconnaissance du tourisme procréatif n’est pas pour demain (C. Kleitz, Les effets du tourisme procréatif en gestation, Gaz. Pal. 2011, no 132, p. 3 ; J.-J. Lemouland, Le tourisme procréatif, LPA 2001, n° 62, p. 24), mais on le voit bien, il devient urgent de reprendre le dossier de la gestation pour autrui et plus généralement de l’accès à la procréation médicalement assistée, ces questions n’ayant pas été modifiées lors des récentes réformes en matière de bioéthique (loi n° 2004-800 du 6 août 2004 et loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011). En aucun cas, la circulaire ne pourra conduire à la légalisation de la gestation pour autrui, néanmoins elle annonce sans doute une évolution. Avant de revoir la prohibition du procédé, c’est sans doute sur le terrain de la transcription des actes étrangers que la question évoluera, la ministre de la Justice ayant déclaré lors de l’examen par la commission des lois du texte sur le « Mariage pour tous » : « Je fais étudier les procédures possibles de façon à ce qu’éventuellement soit à 16 ou à 18 ans (…) nous puissions faire procéder, peut-être automatiquement ou par une procédure allégée, à la transcription de l’acte de naissance sur le registre d’état civil ». Il est dommage toutefois de renouveler ces bricolages en passant à côté de vrais débats : la gestation pour autrui doit-elle être réformée ?
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