C’est probablement pour faire un rappel de la jurisprudence la mieux établie que ce jugement du Tribunal des conflits sera publié au recueil.
Un agent de la commune de Ventradet ayant fait l’objet de harcèlement, la commune avait engagé un action pénale contre le maire. Dans le souci de se protéger, le maire avait négocié le silence de la directrice générale des services.
Cette dernière ayant porté plainte contre le maire, ce dernier était condamné par le Tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence. Le juge pénal se déclarait cependant incompétent pour connaître de l’action civile. Le Tribunal administratif de Montpellier ayant été à son tour saisi, c’est par une simple ordonnance que le président de sa septième chambre déclarait la juridiction administrative incompétente pour en connaître.
L’on ne peut qu’être surpris de ce conflit négatif de compétence négative sur une question qui semble, dans son principe, réglée avec une particulière clarté par le Tribunal des conflits. Il est possible, le jugement ne permet pas de le savoir, que les deux ordres de juridictions aient eu une appréciation différente, non seulement sur la qualification juridique des faits, mais également sur le faits. Cette divergence portant sur les faits peut aboutir dans des cas très rares à un véritable déni de justice (TC, 8 mai 1933, Rosay : Rec. p. 1236 ; DH 1933, p. 336 ; S. 1933, III, p.117). Cependant en l’espèce, le juge pénal étant intervenu il ne devrait pas exister de divergence sur les faits.
Il semble plus probable que le juge pénal se soit déclaré incompétent pour connaître de l’action civile en raison du fait que la personne en cause était une autorité administrative, et que le juge administratif avait pris en compte la condamnation pénale pour considérer que la faute ne pouvait être une faute de service.
C’est donc probablement sur la qualification juridique des faits que les deux ordres de juridiction se sont tour à tour déclarés incompétents. Le jugement du Tribunal des conflits, très didactique, a pour objet de rappeler aux juridictions en cause, et à toutes les autres, la base des règles de répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Le jugement sera publié au recueil, malgré le fait, ou en raison du fait qu’il n’apporte rien mais ne fait que rappeler une jurisprudence bien établie.
1. En premier lieu, le Tribunal rappelle qu’une faute pénale n’est pas nécessairement une faute personnelle (Tribunal des conflits,14 janvier 1935, Thépaz, requête numéro 00820, rec.p.1224). C’est ce qui ressort implicitement mais nécessairement du fait que le Tribunal cherche ici à qualifier la faute du maire, sans se retrancher derrière la qualification donnée par le juge pénal et la condamnation prononcée.
La faute, « eu égard à sa gravité et aux objectifs purement personnels poursuivis par son auteur, la […] doit être regardée comme une faute personnelle détachable du service« . On retrouve ici un énoncé classique, par lequel le juge sans toujours donner les clefs de son analyse, indique prendre en compte non seulement la gravité des faits, mais leurs objectifs purement personnels.
L’extrême gravité de la faute peut suffire à identifier une faute personnelle, même lorsque celle-ci est commise dans le cadre du service. Ainsi en va-t-il d’un tir à balles réelles organisé par un gradé (Conseil d’Etat, SSR., 17 décembre 1999, Moine, requête numéro 199598, publié au recueil).
Le plus souvent cependant le juge prendra en compte l’intention de l’auteur, et l’éventuel but personnel. Ainsi, bien qu’une faute soit grave, elle ne constitue pas une faute personnelle dès lors qu’elle n’a pas été commise « à des fins personnelles » (CE, SSR., 20 avril 2011, Bertrand, requête numéro 332255, : AJDA 2011, p. 1441, note Lagrange).
2. Après avoir qualifié la faute de faute personnelle, le Tribunal des conflits rappelle que la faute commise par le maire « à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, n’est pas, alors même qu’elle a fait l’objet d’une condamnation par le juge pénal, dépourvue de tout lien avec le service« .
Depuis les trois décisions d’assemblée du Conseil d’Etat du 18 novembre 1949, Mimeur, Defaux et Bethelsemer (Rec. p.492 ; D. 1950 p.667, note J.G. ; JCP 1950, 5286, concl. Gazier ; RDP 1950, p.183, note Waline) l’on sait que la plupart des fautes personnelles ne peuvent être considérées comme dépourvues de tout lien avec le service, constituant ainsi un cas spécifique de cumul de responsabilités (Conseil d’Etat, Section, 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier, requête numéro 49595, rec.p.761).
Le lien avec le service peut être matériel, comme dans la décision Mimeur (v. aussi le lien réalisé par une arme de service : Conseil d’Etat, Assemblée, 26 octobre 1973, Sadoudi, requête numéro 81977, rec.p.603). Il peut également être fonctionnel : les nombreux et graves méfaits commis par un gendarme ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service en raison du fait qu’ils avaient eu lieu dans la circonscription même où l’auteur exerçait ses fonctions, qu’il participait aux enquêtes et que son appartenance à la gendarmerie avait contribué à lui permettre d’échapper aux recherches (Conseil d’Etat, SSR., 18 novembre 1988, Ministre de la Défense c. Epoux R., requête numéro 74952, publié au recueil).
La victime, et c’est classique, a donc le choix entre saisir la juridiction judiciaire, notamment le juge pénal sur intérêts civils, et le juge administratif. Le Tribunal des conflits précise cependant, dans un considérant reprenant en substance la prévention de l’arrêt Lemonnier (Conseil d’Etat, Section, 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier, requête numéro 49595, rec.p.761) « qu’il appartiendra seulement à la juridiction judiciaire et à la juridiction administrative, si elles estiment devoir allouer une indemnité à Mme B…en réparation du préjudice dont elle se prévaut, de veiller à ce que l’intéressée n’obtienne pas une réparation supérieure à la valeur du préjudice subi du fait de la faute commise« .
Ajoutons pour être complet, bien que le tribunal ne le précise pas, que chacune des parties qui aurait été condamnée (le maire à raison de sa faute personnelle devant le juge juridiciaire, la commune devant le juge administratif à raison de la faute de service) peut exercer une action récursoire pour se voir rembourser des sommes au paiement desquelles elle estimera avoir été injustement condamnée. Cette action récursoire s’exercera devant le juge administratif (Conseil d’Etat, Assemblée, 28 juillet 1951, Laruelle, requête numéro 01074, rec. p.464).