Le dossier du numéro 13 de Recherches Familiales, à paraître en janvier 2016, est consacré au thème « Famille et migration ».
La migration comme pratique
La pratique de la migration peut être analysée sous divers aspects. Tout d’abord, l’observation peut porter sur le mouvement de migration. Il prend alors plusieurs formes : dans le cadre des migrations internationales et en prenant comme référence un territoire donné, il s’agit d’émigration (partir du territoire de référence) ou d’immigration (arriver dans le territoire de référence) ; dans le cadre de migrations nationales, les migrants demeurent dans les frontières du pays, dans le périmètre national. Dans tous les cas, la migration traduit un projet de vie plus durable que la simple mobilité, puisqu’elle implique un établissement sédentarisé plus ou moins long.
Ensuite, le regard peut se concentrer sur le contexte de la migration, sur le plan juridique, social, économique, politique, démographique… tant dans la société de départ que dans la société d’accueil. Dans le pays ou la région d’origine, la migration peut advenir dans un contexte de conflit, de crise économique et sociale et/ou de discrimination liée à la « race », aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses, à l’orientation sexuelle…
Enfin, il convient de porter l’analyse sur les acteurs de la migration. Ils sont multiples : la migration peut concerner l’ensemble d’une unité familiale ou uniquement l’un de ses membres. Dans ce second cas, même si ce n’est pas de la même manière, elle marque tout autant le vécu de l’ensemble de la famille. Par la migration, le statut et la place de la famille dans un cadre social plus large, la société de départ ou la société d’accueil, sont modifiés. En outre, la place de chacun des membres au sein de la famille évolue. La migration entraîne de facto une restructuration familiale, au moins sur le plan symbolique.
Une première série d’articles peut porter sur cette pratique de la migration en lien avec la vie familiale : qui migre, dans quelle proportion, pour quelles raisons, dans quel cadre juridique ? Qu’induit cette migration sur la structure familiale, sur le plan social, économique, démographique, psychologique… ? Qui part, qui reste ? Le point de vue peut être micro, portant sur des unités familiales singulièrement observées, ou macro, portant sur l’ensemble d’une population migrante.
La migration dans le roman familial : la construction de l’identité
Les migrations marquent également fortement l’histoire familiale, non seulement au moment où elles ont lieu, mais aussi en amont et surtout en aval. Le projet de migration par exemple, qu’il concerne l’ensemble de la famille ou seulement l’un de ses membres, influence déjà la structure familiale (ex : projet d’union, d’enfants…), ainsi que la place que chacun occupe au sein de la famille. Un projet est en soi une projection selon laquelle chacun se positionne.
Les migrations vécues par des générations antérieures marquent également fortement l’identité de la famille et de chacun de ses membres. Outre la culture d’origine, la pratique migratoire en soi devient un élément constitutif de l’identité. Un exemple est celui de la diaspora juive. Nous pouvons également citer la migration massive des Arméniens dès la fin du XIXe siècle. Dans beaucoup de cas, le lien entre migrations des générations antérieures et identité actuelle peut être observé. Des descendants d’émigrés connaissent les raisons et les espoirs qui ont conduit leur(s) parents ou leur(s) ancêtre(s) à émigrer, mais aussi les conditions du voyage, l’accueil et les possibilités d’une nouvelle existence dans le pays qui les a reçus. Ces informations, transmises de génération en génération, deviennent progressivement des légendes, recomposées ou réinventées selon les références et les besoins du moment, mobilisées pour se construire au présent sa propre identité individuelle. Elle peut alors devenir une référence pour les pratiques et les engagements, notamment sur le plan politique.
Il est également possible d’aborder le plan psychique : les traumatismes qui ont conduit à la migration (liés à un conflit ou à une forte discrimination) ou ceux induits par la migration (notamment les discriminations vécues dans le territoire d’ « accueil », le déracinement, la rupture familiale et sociale), ont de forts impacts pour les individus qui connaissent cette migration mais aussi, par effet de ricochet, par la transmission de craintes, de répulsion, de plaisir ou d’espoirs par exemple, pour leurs proches, notamment leurs descendants. Les articles proposés aborderont dans ce cas le thème de l’empreinte d’une migration dans l’identité individuelle, familiale, sociale, voire nationale.
Migration et territoire
Interroger la migration, c’est observer la place que prend un territoire, parfois idéalisé, dans une identité familiale ou personnelle. Pour illustrer cette assertion, autant les grandes migrations internationales que les « simples » migrations nationales nous le rappellent. En France par exemple, les premières discussions lors d’une rencontre conviviale entre des personnes qui font connaissance, portent souvent sur la région ou le pays d’origine. Même si l’on habite Paris depuis l’enfance, l’on se définit couramment comme « Breton », « Basque » ou « Savoyard »… Ce lien au territoire est réactivé lors des rencontres de famille ou durant les vacances, quand la maison de famille, dans la région considérée comme d’origine, est conservée. Elle inscrit l’identité familiale dans un territoire, et une culture qui y est associée. Les articles proposés pourront ainsi traiter de ce lien entre famille, migration et inscription territoriale.
Migration et relations familiales
La migration affecte les relations familiales. Elle contraint ceux qui restent à imaginer la vie de ceux qui sont partis et demande aux partants de se souvenir de leurs vies d’avant. Cette « double absence », pour reprendre l’expression d’Abdelmalek Sayad, modifie les relations familiales à jamais. Lors des migrations de main-d’œuvre vers l’Europe de l’Après-guerre, les hommes partaient, alors que leurs femmes et leurs enfants restaient au pays d’origine. Aujourd’hui la migration se diversifie, de plus en plus de femmes émigrent seules, laissant souvent leurs enfants aux grands-parents, pour subvenir aux besoins de leur famille. Dans le pays d’immigration, la migration affecte aussi les relations intergénérationnelles, les enfants nés dans le pays d’immigration ne comprenant pas toujours la nostalgie ou les normes et attentes de leurs parents. Malgré l’apparente unité familiale des références culturelles ou des priorités différentes peuvent animer les deux générations. Ainsi, la migration peut créer des séparations entre conjoints ou entre parents et enfants, mais elle peut aussi être source de nouvelles rencontres donnant lieu à des couples mixtes et des familles interculturelles. Cet aspect pourra faire l’objet d’articles.
Migration et droit
La migration est également une question de droit : droit de l’immigration, du séjour et de l’asile politique, droit des immigrés à vivre en famille, droit de la nationalité pour ce qui est de la procédure de naturalisation, droits à prestations (droits sociaux).
Le droit de la famille est sans cesse sollicité en matière de migration. En ce qui concerne l’union par exemple, il est question de regroupement familial ou de mariage « mixte ». Par ailleurs, le législateur, puis les autorités judiciaires, peuvent vouloir empêcher les mariages dits « de complaisance » ou mariages « blancs ». En matière de filiation, il est possible d’évoquer le regroupement familial, l’adoption, la kafala… En dehors de toute union ou de filiation, il est possible d’évoquer la situation des mineurs isolés étrangers qui arrivent sur le territoire national, sans qu’aucun détenteur de l’autorité parentale n’y soit présent.
Par ailleurs, la migration peut induire un changement identitaire qui s’inscrit dans le droit en tant que changement d’identité juridique. En France, par exemple, l’installation sur le territoire national peut avoir des effets sur les noms ou les prénoms. Il est possible de demander à acquérir la nationalité française et en ce cas de « franciser » son nom et/ou son prénom. Le garde des sceaux accueille d’ailleurs assez volontiers les demandes qui consistent à alléger un nom de famille et lui enlever des séries de consonnes « imprononçables » en français. Si un père le fait, cela s’applique aux enfants mineurs… et à venir ; à l’inverse si l’enfant majeur ne fait pas aussi une démarche, il y a une rupture dans la continuité du nom de famille. Certes, il n’y aucune obligation à « franciser ». L’on peut garder une référence à ses racines via son nom. Toutefois, que l’on fasse ou non la démarche, l’acte dénote une « projection identitaire », à l’origine ou qui découle de la migration.
Ainsi, la migration, pratique sociale de mobilité, question socio-anthropologique en lien avec la construction identitaire, est souvent aussi, en complément, une question juridique ou judiciaire. Cette approche juridique peut être le sujet d’articles. Dans tous les cas, tant le droit structure les conditions de la migration, dans des articles non spécifiquement juridiques, les aspects juridiques méritent sans doute d’être abordés de manière transversale.
Ainsi, « Famille et migration » ne signifie pas exclusivement que l‘attention se porte sur l’acte de migration à un instant précis. C’est surtout ce que la migration d’une unité familiale ou de l’un de ses membres, lorsque la migration est un projet, une pratique ou une mémoire, construit comme pratiques familiales, comme mémoire ou « roman familial », comme identité familiale et individuelle, comme relation familiale, voire comme identité sociale ou « nationale », comme acte juridique. Toutefois, dans le cadre de notre dossier thématique de Recherches Familiales, quelle que soit l’approche choisie, l’analyse proposée doit aborder le sujet sous l’angle de la famille.
Les articles entièrement rédigés sont à proposer au Comité de lecture de Recherches Familiales avant le 15 mai 2015. La revue paraîtra en janvier 2016.
Pour consulter le règlement intérieur
Indications techniques :
1- Article : 40 000 caractères, notes de bas de page et espaces compris. L’article doit être accompagné d’un résumé de 700 à 900 caractères, espaces compris.
2- Références : Ne pas utiliser le système américain (nom de l’auteur et page entre parenthèses), mais le système « français » de référence intégrale en note de bas de page.
3- Notes de bas de page : Utiliser ce système de renvoi de note de bas de page (Tout article ne respectant pas ces indications devra être modifié par l’auteur) :
Jacques COMMAILLE, François de SINGLY (dir.), The EuropeanFamily. The Family Question in the EuropeanCommunity, Londres, Springer, 1997.
Pierre COURTIOUX, Olivier THEVENON, « Les politiques familiales dans l’Union européenne et la Stratégie de Lisbonne : quelques enseignements de l’expérience française », Horizons stratégiques, n° 4, pp. 176-195, 2007, p. 180.
Gösta ESPING-ANDERSEN (dir.), Why we Need a New Welfare State, Oxford, Oxford University Press, 2002.
Les articles sont soumis au comité de lecture et discuté en comité de rédaction.
Nous vous rappelons également que vous pouvez nous proposer des articles « hors thème » (40 000 signes) pour la partie « Travaux », ainsi que des notes de lecture « Vient de paraître » ou des notes de lecture croisées, portant sur un même ouvrage, dans la partie « Discussion » (8 000 signes). Pour ces notes de lecture publiées dans cette dernière partie, nous demanderons une réponse à l’auteur de l’ouvrage.
Envoyer votre article (fichier en format word ou rtf) par courrier électronique conjointement à recherches.familiales@unaf.fr. Date limite d’envoi : 15 mai 2015. Un accusé de réception vous sera envoyé.
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