« C’est par principe d’humanité que je purge la terre de la liberté de ces monstres »
Jacques Léonard Goyre-Laplanche (1755-1817)
Ventôse de l’An II est un moment de l’Histoire qui a marqué la Révolution française. Si ce n’est pas le tournant majeur de la période 1793-1794, les évènements auxquels il renvoie sont la marque d’un pouvoir gouvernemental qui tente en vain de terminer 1789 tout en essayant de s’imposer par la force mais qui par là même ne fit que démontrer toute la fragilité de son fondement. Héritiers de la révolution bourgeoise et de tous les principes qui y sont attachés, les Jacobins ne parvenaient pas à endiguer la crise sociale. Il faut dire que depuis l’arrestation des Girondins (au cours des journées des 31 mai et 2 juin 1793) suivie de leur exécution en fin d’année (31 octobre), ils demeuraient seuls aux commandes. A l’instigation de Louis-Antoine Saint Just, la Convention nationale devait adopter les « décrets de ventôse » (26 février-3 mars 1794) pensant mettre un terme à l’indigence présente un peu partout dans les rues de la capitale ainsi que dans le reste de la France. Pour ce faire, le dispositif imaginé consistait à mettre en place un système de recensement national de manière à pouvoir dresser une liste permettant d’identifier les personnes dans le besoin. Une fois que cette tâche eut été accomplie, tous les biens des suspects (au sens de la loi du 17 septembre 1793) et émigrés mis sous séquestre seraient transférés « aux patriotes indigents ». Véritable système de redistribution des richesses, même si la méthode est pour le moins abrupt puisque tout repose sur la confiscation des biens des « ennemis de la République », l’opinion publique accueillit la mesure très favorablement. Cantonnée à un pâle commencement d’exécution, elle devait cependant disparaitre très rapidement après la chute de Robespierre en juillet 1794. Ajoutons à cela une situation militaire pour le moins inédite car non contente de guerroyer avec les puissances étrangères lesquelles étaient hostiles aux idées révolutionnaires et inquiètes face à leur effet contagieux, la République avait affaire à une véritable guerre de l’intérieur. En effet, d’importants soulèvements eurent lieu dans l’Ouest de la France et notamment dans le département de la Vendée. Pour en venir à bout, la levée en masse fut décrétée pour répondre aux assauts du dehors tandis qu’en interne, des moyens sauvages ont été utilisés. Pour qualifier la barbarie avec laquelle les conventionnels expédièrent à la mort des milliers d’insurgés et leurs familles, Gracchus Babeuf, l’initiateur de la « Conjuration des Égaux » (mai 1796) employa la notion, nouvelle à l’époque, de « populicide » ; préfiguration de ce que nous entendons aujourd’hui par le concept de « génocide ». Peu connu du grand public parce qu’il s’agit sans doute de l’une de ces parts d’ombre que l’on préfère occulter, pour des raisons multiples d’ailleurs, cet épisode mérite néanmoins qu’on s’y attarde un instant. Cela permettra de comprendre pourquoi « Ventôse de l’An II » constitue l’un des carrefours de la Terreur, moment où l’on hésite encore entre l’assouplissement d’une politique qui ne tient qu’avec l’aide de la violence et de la crainte et son pendant, l’escalade de la répression ; car comme le dit Robespierre à travers l’un de ses discours : « La Vertu sans la Terreur est impuissante ». La loi de Prairial (10 juin 1794) manifeste le choix pour la seconde alternative avec l’issue que l’on connait.
I – Les origines du soulèvement vendéen
Si l’un des objectifs que s’étaient fixé les philosophes des Lumières était bien la lutte contre l’obscurantisme dans une France pourtant très pieuse, trop nombreux étaient encore les paysans qui vivaient au rythme de la religion catholique. Parmi ceux-ci, dans une région largement rurale, les Vendéens ne faisaient pas figure d’exception. En effet, en bien des endroits à l’Ouest du pays, on croit en une religion propitiatoire visant à l’abondance des récoltes, à la fécondité du bétail, à la réussite d’un mariage ou à la guérison d’une maladie. Pour certains, la carrière ecclésiastique est aussi la promesse d’une ascension sociale dans une société qui destine les individus à demeurer chacun dans son ordre et où les premiers et les meilleurs (meliores et majores) sont ceux qui ont, par chance, bénéficié d’une bonne naissance.
Ceci vient également corroborer l’idée que ce ne sont pas l’attachement à l’Ancien Régime ou encore le lien qui les unissait à Louis XVI qui furent à l’origine des soulèvements en Vendée. L’abolition des privilèges de même que l’exécution du Roi n’ont pas été les signes d’un mécontentement latent dans cette partie de la France. Ce sont davantage les mesures en matière de déchristianisation et la conscription qui provoquent les premiers évènements de février 1793.
Après avoir décidé de « nationaliser » les biens du Clergé (2 novembre 1789), les choses vont s’emballer de plus belle car la Constituante va chercher à accroitre son contrôle sur l’Église et à appliquer concrètement les principes issus de la Révolution française à la société ecclésiastique. Suppression des ordres religieux et des vœux monastiques dès février 1790, l’idée germe dans l’esprit de nos révolutionnaires de créer une Église nationale. Le 12 juillet 1790, ils adoptent la Constitution civile du Clergé qui fait de ses membres de véritables fonctionnaires élus. Face à son insuccès, l’Assemblée nationale décrète l’obligation d’une prestation de serment en novembre de la même année ; mesure qui va véritablement diviser la société en deux puisque les soutiens iront respectivement en faveur soit des prêtres assermentés soit de ceux que l’on dénommera bientôt les « réfractaires ».
Des adversaires et des partisans de la mesure, on en retrouvera également à l’Ouest avec une préférence tout de même pour les insermentés laquelle s’explique sans doute par le retentissement en Vendée des brefs pontificaux condamnant sévèrement la Constitution civile du Clergé. De bonne foi, la Constituante permettra malgré tout aux réfractaires d’exercer leur culte à partir de mai 1791. Mais ceci ne suffira pas à apaiser les tensions ; au contraire, nombreux seront ceux qui protesteront contre cette mesure et notamment les assermentés lesquels se trouvent directement en concurrence avec ce « nouveau culte ». En novembre 1791, on revient sur cette liberté du culte qui n’aura finalement été que de courte durée et le 27 mai 1792, un décret ouvre le droit à vingt citoyens de demander la déportation du prêtre récalcitrant. Proscrits, ils trouveront refuge en Vendée où le Clergé est majoritairement composé de non jureurs lesquels seront d’ailleurs sous la protection des femmes lesquelles organiseront tout particulièrement des messes clandestines.
Consciente de cette situation, la Convention nationale succédant à la Législative ne sera pas tendre avec les Vendéens. La politique intérieure et extérieure se dégrade aussi considérablement entre 1790 et 1792 car d’une part, on ne parvient pas à surmonter les aléas qui s’imposent à la Constitution française du 3 septembre 1791 mais force est d’admettre que d’autre part la crise institutionnelle se dédouble d’une crise sociale ce qui favorise la « jacquerie ».
Principalement bourgeoise, la Révolution aura très vite fait d’instaurer une liberté du commerce ce qui n’est pas du goût des Français les plus pauvres qui ne parviennent plus à se nourrir en raison de la hausse des prix du pain. Malgré des revendications sur l’adoption du « maximum des prix », aucune mesure ne sera prise en ce sens car cela consisterait à nier la liberté économique proclamée par les révolutionnaires.
Par ailleurs, en guerre depuis le 20 avril 1792, la France achoppe encore sur une impasse à laquelle elle-même a consenti : le véto royal. En effet, utilisé contre les décrets portant sur les émigrés et les prêtres réfractaires, le comportement de de Louis XVI paraît farouchement opposé aux principes de la Révolution française. Les défaites militaires des mois de juin, juillet et août notamment à Verdun, dernier bastion avant Paris, ne feront qu’amplifier les tensions au sein du pays.
La journée du 10 août 1792 verra la chute de la Monarchie et sera annonciatrice des douloureux évènements de septembre car la population, encline à croire en la théorie du « coup de poignard », décidera de s’occuper des traitres de l’intérieur avant d’en venir à bout des ennemis de l’extérieur. Les individus peuplant les prisons seront massacrés dans des conditions les plus atroces tandis que dans les rues, les prêtres qui persistent à s’opposer au serment feront l’objet d’une véritable chasse à l’homme laquelle se terminera évidemment dans le sang.
Bien sûr, la Vendée ne resta pas insensible au traitement infligé par la capitale à une partie des membres constituant le Clergé d’autant que le 20 septembre, le Général Dumouriez triomphait à Valmy contre une armée prussienne stupéfaite par une telle supériorité.
« D’aujourd’hui et de ce lieu date une ère nouvelle dans l’histoire du monde »
Johann Wolfgang von Goethe sur la Bataille de Valmy (1822)
Dans un regain de confiance, on proclamait l’abolition de la royauté le 21 septembre et à partir du 22, tous les documents officiels seraient datés de l’An I de la République. Pour anticiper sur les victoires à venir, la Convention nationale devait réfléchir au sort à réserver aux territoires conquis et envisager de gonfler ses rangs en recrutant des hommes de troupe.
Le 23 février 1793 on décrétait la levée de 300 000 hommes ce qui devait définitivement consommer l’insurrection vendéenne. Le 3 mars, la première émeute a lieu à Cholet où les jeunes gens du canton, réunis en district, après avoir manifesté leur refus de partir pour l’armée, s’attaquèrent aux gardes nationaux lesquelles devaient répliquer par le feu.
Bientôt les noms de Charette de La Contrie, Ripault de La Cathelinière et Louis Guérin vont raisonner à travers les multiples soulèvements que l’on dénombre un peu partout dans l’Ouest de la France. A dire vrai, tout le pays s’insurge mais les agitations seront assez rapidement réprimées par l’armée régulière (dans les villes de Nantes, Rennes ou encore en Alsace). Ce qui distingue la Vendée c’est que les insurgés parviennent à s’organiser rapidement en « armée catholique et royale » pour prendre l’avantage sur les troupes républicaines. Les Vendéens eux-mêmes ne furent pas exsangues de toute responsabilité et perpétrèrent à leur tour, à compter du 11 mars, des massacres de bourgeois, administrateurs et marchands à Noirmoutier et Machecoul.
Fin mars, on parle déjà d’une « Vendée militaire » même si cette armée d’insurgés n’est pas centralisée et demeure mal équipée. Si des hommes de l’armée républicaine rejoignent l’insurrection, comme ce fut le cas pour Charette, il s’agit souvent de soldats dont la tactique et les insuccès attisent la méfiance auprès des Vendéens. De peu d’autorité dans un premier temps, ils parviendront à s’imposer une fois que les victoires se succèderont notamment lorsque le soutien financier de nobles et bourgeois déserteurs permettra la constitution d’une cavalerie d’élite. Le petit peuple des campagnes jouera également un rôle essentiel auprès des insurgés. On en aura la preuve à travers la technique du « moulin vendéen » laquelle permet, grâce au positionnement des ailes, de prévenir les troupes d’un mouvement de l’armée républicaine.
Une véritable logistique se met progressivement en place. Après la prise de Fontenay le 26 mai 1793, l’armée vendéenne met en place une instance suprême qui prend également des décisions civiles : le Conseil supérieur d’administration de la Vendée. Il interdira entre autres l’assignat le 8 juin et annulera la vente des biens nationaux le 11 juillet.
II – Les « Blancs » contre les « Bleus »
Les premières opérations seront un franc succès pour les insurgés qu’on appelle maintenant les « Blancs » en oppositions aux « Bleus » pour désigner l’armée gouvernementale. Cette dernière est même forcée de reculer et laisser parfois des dépôts entiers de munitions ou de prisonniers. Certaines batailles demeureront célèbres comme celle de Thouars en mai 1793 à la suite de laquelle les Vendéens feront plusieurs prisonniers mettront la main sur nombre de fusils et un trésor de près de 500 000 livres.
Saumur sera prise en juin et la démoralisation qui traversera l’armée républicaine sera alors tellement intense que les Vendéens prendront certaines positions sans même engager le combat. C’est le cas de Chinon ou encore de Loudun. Arrivés à Pont-Saint-Père la route vers Nantes est ouverte et les insurgés ne tergiverseront pas longtemps avant de s’y engouffrer.
Les 28 et 29 juin, les Vendéens échoueront malgré tout à prendre la ville car sommés de l’évacuer, les Nantais organisent la résistance et prêtent main forte aux armées républicaines. Si une colonne parvient toutefois à pénétrer les obstacles, les pertes essuyées sont considérables tant quantitativement que qualitativement car Jacques Cathelineau, généralissime des armées vendéennes, surnommé le « Saint de l’Anjou » trouvera la mort ce qui aura pour conséquence d’accabler les insurgés.
Les succès de l’armée vendéenne continuent malgré tout de se multiplier. Apeurée par l’effet de contagion, la Convention nationale destitue la plupart de ses généraux en place, considérés majoritairement comme agissant médiocrement, et fera appel à la garnison de Mayence menée entre autres par le célèbre Kleber.
Obligés de reculer en raison des victoires arrachées par les Mayençais, les insurgés quittent le Marais breton pour rejoindre l’Anjou début septembre. Certes, les Républicains auront de la peine à s’imposer et auront encore des échecs (bataille de Tiffauges le 19 septembre) mais in fine, supérieurs en nombre et mieux équipés, ils parviendront à repousser les Vendéens jusqu’au point de départ des émeutes : Cholet.
La déroute suivie de l’anéantissement de l’« armée royale et catholique » auront lieu après les batailles du Mans (13 décembre) et de Savenay (23 décembre). Si certains chefs des insurgés réussissent à en réchapper (Charette), les autres seront exécutés sur place alors même qu’on leur avait promis de les laisser en vie. L’exécution du généralissime Jean-Baptiste Eblé, remplaçant de Cathelineau tombé plus tôt, a même inspiré le peintre Julien Le Blant en 1878
III – La politique répressive
Le décret portant levée de 300 000 hommes en février 1793 prévoyait également l’envoie sur place d’agents chargés de vérifier sa bonne application. Après les émeutes de Cholet, ceux-ci envoyèrent évidemment à la Convention des notes dans lesquelles ils décrivaient les situations auxquelles ils se trouvaient confrontés. La plupart exagéraient même les évènements en réclamant quelques « largesses » afin de réprimer les quelques velléités. Une fois que le mécontentement fut général et innerva une bonne partie de l’Ouest, le Gouvernement cherchait davantage à pallier les problèmes militaires plutôt que de se concentrer sur la répression proprement dite.
En revanche, à partir du moment où l’armée républicaine reprit la main, la politique la Terreur trouvait son siège dans les villes conquises. Les représentants en mission mirent très vite en place des commissions militaires révolutionnaires avec pour tâche de juger les prisonniers ainsi que certains civiles suspectés de complicité. S’il en est un qu’il faut malheureusement connaitre parmi tous les représentants en mission, c’est bien Jean-Baptiste Carrier lequel fut envoyé par la Convention nationale dès le 1er octobre 1793 juste après avoir appelé en renfort l’armée de Mayence.
Ayant effectué des missions en août 1793 dans les départements, il s’installera ensuite à Nantes conformément à son ordre d’affectation. Administrateur sanguinaire, il prendra très vite le contrôle du tribunal révolutionnaire créé par ses prédécesseurs pour en faciliter la procédure et mener devant lui un nombre plus conséquent de personnes suspectes lesquelles finira toutes, comme on peut sans douter, sur l’échafaud. Il se chargera également des vivres et du ravitaillement des troupes en ordonnant des réquisitions de blé pour nourrir le petit peuple nantais. Enfin, à son instigation, sera mise en place une police occulte pour enquêter et opérer un grand nombre d’arrestations.
La débâcle vendéenne en décembre 1793 aura pour conséquence pour les Républicains de faire beaucoup de prisonniers. Transférés à Nantes, ils seront entassés dans des entrepôts et laissés dans des conditions d’hygiènes atroces. Pour s’en débarrasser, Carrier usera sans parcimonie des fusillades et d’une pratique portant honteusement le nom de « baptême républicain » pour désigner ni plus ni moins que des noyades par centaine. Ses exactions dénoncées auprès du Comité de Salut public, il sera rappelé en février 1794.
A Angers, la répression n’y est pas moins féroce et on pourrait même ajouter que parmi les prisonniers et personnes suspectées de complicité, ce furent véritablement les femmes qui en pâtirent le plus. Les enfants n’échappèrent pas aux massacres perpétrés à l’Ouest.
Outre Carrier, une autre figure de la Révolution française version 1793 fut associée aux plus pires actes de barbarie de cette époque, Louis-Marie Turreau. Général à la tête de l’armée de l’Ouest depuis décembre 1793, il sera chargé de contenir et de réprimer les actions des insurgés. Pour ce faire, Turreau proposer la création d’une vingtaine de colonnes mobiles, rebaptisées plus tard « colonnes infernales », chargées de dévaster et pratiquer la politique de la terre brûlée dans les territoires insurgés. Si le plan fut accepté par la Convention en février 1794, Turreau versa rapidement dans les excès incendiant villes et villages sans distinguer entre ceux qui furent les plus patriotes et ceux qui ne l’étaient pas. Dénoncé devant la Convention, il présenta par deux fois sa démission laquelle fut à chaque refusée. On lui adjoint même d’autres représentant en mission parmi lesquels Francastel, Garau ou encore Hentz.
A ce moment, on est sûr d’une chose, il n’y a pas d’autre alternative à la situation telle qu’elle se présente. La liberté de la France devra s’accomplir dans le sang même si celui qui est versé a coulé dans les propres veines de Français.
« Il n’y a de moyen de ramener le calme dans ce pays qu’en en faisant sortir tout ce qui n’est pas coupable et acharné, en en exterminant le reste et en le repeuplant le plus tôt possible de républicains ».
Marie Pierre Adrien Francastel (1761-1831)
Presque toutes les colonnes se livrent aux pillages, massacrent la population civile, violant et torturant, tuant femmes et enfants, souvent à l’arme blanche pour ne pas gaspiller la poudre, brûlant des villages entiers, saisissants ou détruisant les récoltes et le bétail. Des femmes enceintes sont écrasées sous des pressoirs, des nouveau-nés sont empalés au bout des baïonnettes. D’après des témoignages de soldats ou d’agents républicains, des femmes et des enfants sont coupés vifs en morceaux ou jetés vivants dans des fours à pain. Les troupes commandées par des hommes comme Cordellier, Grignon, Huché et Amey se distinguent par leurs violences, au point d’exterminer des populations entières, massacrant indistinctement royalistes et patriotes.
« Il faut exterminer tous les hommes qui ont pris les armes, et frapper avec eux leurs pères, leurs femmes, leurs sœurs et leurs enfants. La Vendée doit n’être qu’un grand cimetière national ; il faut expulser de son territoire les Royalistes non armés, les Patriotes tièdes, etc., et couvrir ce pays du plus pur de la Nation. Repeuplez-le de bons Sans-Culottes ».
Louis-Marie Turreau
Les colonnes infernales seront néanmoins un échec car cela n’a fait que contribuer davantage à déconsidérer la politique du Comité de Salut public auprès de l’opinion publique. De même, les Vendéens en garderont toujours un goût amer de cet épisode où l’on vit un pays, comptant pourtant parmi les plus civilisés, s’en prendre aux éléments de son propre corps social. Turreau sera finalement destitué en mai 1794 mais la mesure fut trop tardive et les victimes nombreuses. On estime entre 20 000 et 50 000 Vendéens décimés par les colonnes infernales.
Les massacres de Ventôse An II
Le 27 février 1794, l’armée républicaine, sous le commandement du Général Jean-Baptiste Huché, fit plus d’une centaine de morts dans la commune de La Gaubretière. Le lendemain, 28 février, eut lieu l’un des massacres les plus importants de cette guerre vendéenne. Dans la commune des Lucs-sur-Boulogne, les colonnes des généraux Cordellier et Crouzat feront près de six cent victimes civiles, parmi lesquelles on ne trouvait majoritairement que femmes, vieillards et enfants dont la moyenne d’âge n’atteignit pas sept ans.
Apeurés par l’arrivée des troupes régulières, les villageois se réfugièrent dans l’Eglise des Lucs pensant parvenir à se barricader et bénéficier de la protection de Dieu. Ils n’y trouvèrent que la mort car les Républicains, plus odieux que jamais, mirent le feu à l’édifice.
Nous connaissons la version moderne d’une telle exaction dans le massacre d’Oradour-sur-Glane avec une différence de taille puisque la responsabilité ne relève pas de soldats étrangers pour la Vendée mais bien des armées républicaines.
S’il y a beaucoup de controverses à ce sujet dans le milieu des historiens, il n’en demeure pas moins que les faits, étayés par les rapports, documents et autres lettres écrites de la main même des soldats qui commirent de tels méfaits, suffisent à qualifier cet évènement comme étant l’un des plus abjects de l’Histoire de France.
IV – Les aspects juridiques
La guerre de Vendée et les évènements qui la jalonnèrent ne sont pas étrangers au monde juridique car contrairement à ce que l’on pourrait penser, la folie n’était pas la seule cause des crimes perpétrés par les généraux envoyés par la Convention nationale. En effet, aucune mesure ne fut prise ex nihilo et sans en référer au Comité de Salut public.
De même, plusieurs décrets ont été adoptés par les conventionnels au cours de la période. On peut citer les trois plus importants qui sont celui tout d’abord du 1er août 1793 portant sur la déportation des femmes et enfants ainsi que sur la destruction du territoire vendéen puis, le décret du 1er octobre 1793 ordonnant l’extermination de tous les « brigands » (avec une marge de manœuvre conséquente s’agissant de l’interprétation du terme « brigands ») et enfin, le décret du 7 novembre 1793 lequel rebaptise le département de Vendée en « Vengé ».
Le plan d’anéantissement proposé par Turreau début 1794 ne s’inspire d’ailleurs que de ces textes.
La première guerre de Vendée devait trouver une issue suite à la signature du Traité de La Jaunaye le 17 février 1795 près de Nantes. Mais ce qui semblait être l’esquisse d’une paix n’était en réalité qu’une trêve laquelle fut d’ailleurs de courte durée.
Les combats devaient reprendre assez rapidement, en réalité dès le mois de juin suivant. Il faudra attendre le Directoire puis bien plus tard l’Empire pour parvenir à stabiliser la situation dans l’Ouest de la France.
Sur le Traité de La Jaunaye, voir la chronique consacrée sur la page Les Révolutions de France et de Brabant
Bibliographie :
BLUCHE (F) RIALS (S) TULARD (J) La Révolution française, Ed. PUF, Collection Que sais-je ?, 2003, p. 124
SECHER (R) La Vendée-Vengé, Ed. Perrin, 2006, p. 360
BABEUF (G) La guerre de la Vendée et le système de dépopulation, Ed. Cerf, 2008, p. 236
SECHER (R) Vendée : du génocide au mémoricide : Mécanique d’un crime légal contre l’humanité, Ed. Cerf, octobre 2011, p. 444
TULARD (J) La Contre-Révolution : Origines, histoires et postérité,Ed. CNRS, 2013, p. 527