Les bibliothèques des tribunaux administratifs disposent probablement de tous les ouvrages nécessaires en droit administratif. Les manuels de droit constitutionnel première année font peut-être en revanche défaut.
C’est pourquoi le Conseil d’Etat a décidé de publier au recueil la décision du 30 janvier 2015 Elections municipales de Hautefort (requête numéro 382627) qui n’a en soi aucun intérêt car la solution apportée a déjà été tranchée par une décision publiée du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, SSR., 29 juillet 2002, Philippe X., requête numéro 239569, publié au recueil). Mais un rappel ne fait jamais de mal.
La commune d’Hautefort est une riante bourgade de Dordogne peuplée de 1078 habitants (recensement 2012). Située à l’est du département de la Dordogne et arrosée au nord sur environ six kilomètres par la Lourde, un affluent de l’Auvézère, la commune d’Hautefort regroupe deux bourgs distincts : Saint-Agnan dans la vallée et Hautefort sur la colline dominée par le château, dont la présence explique probablement son nom.
Le Tribunal administratif de Bordeaux était saisi d’un recours contre le résultat de l’élection municipale qui s’était jouée le 23 mars 2014, au premier tour, par la victoire de la liste « Tous unis pour l’Avenir » (ci-dessous « Tous unis ») contre la liste « Hautefort Espoir et Renaissance » (ci-dessous « Renaissance »).
Les faits de l’espèce sont d’une grande simplicité et les chiffres fournis permettent de créer un véritable « cas pratique » aux fins de s’entraîner au calcul des sièges à pourvoir au scrutin proportionnel à la plus forte moyenne.
C’est dans cet exercice que le Tribunal administratif a failli. Plus exactement, le TA de Bordeaux a mal articulé le calcul de la plus forte moyenne avec la règle de la prime majoritaire (qui, c’est un classique, atténue grandement le caractère proportionnel du scrutin municipal, voire le réduit à néant), mécanisme prévu par l’article L. 262 du code électoral pour l’élection municipale dans les communes de plus de 1000 habitants.
La prime majoritaire consiste à attribuer à la liste ayant obtenu la majorité absolue au premier tour ou la majorité relative au second, la moitié des sièges à pourvoir puis à répartir les sièges restants au scrutin proportionnel à la plus forte moyenne. Dans ce système le caractère proportionnel est fortement altéré.
Les deux opérations sont autonomes et la répartition des sièges à la proportionnelle ne prend pas en compte la répartition des sièges précédemment effectuée selon le principe majoritaire.
Nous donnerons les chiffres et les règles juridiques applicables (1), puis nous citerons la règle de calcul du scrutin proportionnel à la plus forte moyenne présentée par un manuel de droit constitutionnel « quelconque » (nous tendons le bras et saisissons Favoreu et autres, Droit constitutionnel, Dalloz, 2015, 18ème edition [nota : c’est une figure de style; notre bureau est tout de même assez large pour nous permettre de placer les bibliothèques à plus d’une longueur de bras]) (2). Nous verrons le calcul réalisé par le Tribunal et expliquerons en quoi il est erroné (3). Enfin, nous présenterons la solution numériquement exacte proposée par le Conseil d’Etat (4) avant de conclure sur quelques props critiques attendus, qui équilibreront l’exercice purement numérique auquel nous aurons procédé (5).
1) Les données de l’espèce
Aux termes de l’article 262 du code électoral applicable aux communes de plus de 1 000 habitants :
« Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l’entier supérieur lorsqu’il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l’entier inférieur lorsqu’il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l’application des dispositions du troisième alinéa ci-après (…). Les listes qui n’ont pas obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés ne sont pas admises à répartition des sièges. Les sièges sont attribués aux candidats dans l’ordre de présentation sur chaque liste. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages ; En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus. »
Le système décrit par l’article 262 du code électoral est celui du scrutin de liste proportionnel à la plus forte moyenne, avec prime majoritaire.
Aussi étrange que celà puisse paraître, le code électoral ne contient pas, sauf erreur de notre part, de définition de ce mécanisme. Si la prime majoritaire est décrite, le système de la répartition des sièges « à la plus forte moyenne » n’est pas définie par le législateur.
Les données chiffrées du problème sont en l’espèce fournies par le Tribunal aussi bien que par le Conseil d’Etat :
Nombre de suffrages exprimés : 550
Sièges à pourvoir : 15
Suffrages obtenus par la liste « Tous unis » : 362
Suffrages obtenus par la liste « Renaissance » : 188
2) La méthode de calcul
La première opération est simple. Elle consiste à accorder la prime majoritaire à la liste ayant, au premier ou au second tour, obtenu la majorité des suffrages.
En l’espèce, seules deux listes s’affrontant, la liste « Tous unis » remporte l’élection et obtentient la prime majoritaire : 50% des sièges soit 7,5 sièges arrondis, le roi Salomon n’étant plus de ce monde et le sysème devant aboutir à attribuer une majorité absolue, à 8 sièges. Notons que le chiffre doit être arrondi à l’entier inférieur uniquement lorsqu’il y a moins de 4 sièges à pourvoir (article L.162 code électoral cité ci-dessus).
Restent donc 7 sièges à pouvoir, au scrutin proportionnel à la plus forte moyenne.
Pour attribuer les sièges au scrutin proportionnel, il convient de calculer le « quotient électoral ».
Le scrutin à la représentation proportionnelle est le système par lequel chaque liste obtient un nombre de sièges proportionnel au nombre de suffrages qu’elle a obtenus. Cette répartition se fait à partir du calcul du quotient électoral qui est le rapport entre le nombre de suffrages exprimés et le nombre de sièges à pourvoir. Chaque liste se voit alors attribuer autant de sièges que son nombre de suffrages contient de fois le quotient électoral. Mais le plus souvent cette opération entraîne des restes dont la répartition peut se faire selon deux procédés principaux : celui du plus fort reste et celui de la plus forte moyenne. C’est ce dernier procédé qui s’est appliqué en France en 1986.
Favoreu e. a., Droit constitutionnel, Dalloz, 2015, 18ème édition, § 853
Après le calcul du quotient électoral et l’attribution des sièges à la proportionnelle, l’attribution des restes à la plus forte moyenne doit respecter le principe suivant :
Après la répartition au quotient, il s’agit d’attribuer les sièges restant les uns après les autres aux listes ayant obtenu la plus forte moyenne c’est-à-dire la division du nombre de leurs suffrages par le nombre de sièges qu’elles ont déjà obtenu auquel on ajoute un siège fictif.
Favoreu e. a., Droit constitutionnel, Dalloz, 2015, 18ème édition, § 855
La première opération est aisée.
Le nombre de suffrages exprimés est de 550 et le nombre de sièges restant à pourvoir est de 7. Le quotient électoral est donc de 78,57.
Notons, et c’est un fait essentiel, qu’en raison de l’existence de la prime majoritaire, le quotient électoral ne se calcule pas par référence aux 15 sièges à pourvoir en tout, mais que le quotient électoral se calcule sur les sièges restant à pourvoir après attribution de la prime majoritaire comme le Conseil d’Etat le rappelle à la fin de son 4ème considérant : » [le quotient familial] s’obtient en divisant le nombre de suffrages exprimés par le nombre de sièges restant à pourvoir ».
La liste « Tous unis » ayant obtenu 362 suffrages, elle se voit attribuer 4 sièges supplémentaires au scrutin proportionnel car 362/78,57 = 4,60.
La liste « Renaissance » ayant obtenu 188 suffrages, elle se voit attribuer 2 sièges supplémentaires au scrutin proprotionnel car 188/78,57 = 2,39.
Sont donc déjà attribués 8 + 4 + 2 = 14 sièges sur les 15 à pourvoir.
Il y a un reste. Il faut l’attribuer à la plus forte moyenne. C’est dans cette opération que le TA a commis une erreur.
3) Le résultat erroné calculé par le TA
La manuel que nous utilisons comme référence indique qu’après la répartition au quotient, il s’agit d’attribuer les sièges restant les uns après les autres aux listes ayant obtenu la plus forte moyenne c’est-à-dire la division du nombre de leurs suffrages par le nombre de sièges qu’elles ont déjà obtenu auquel on ajoute un siège fictif.
Le TA a pour cette opération utilisé les données suivantes :
Liste « Tous unis » = 8 + 4 = 12 sièges. La division donne 362 suffrages divisés par (12+1) = 27,84
Liste « Renaissance » : 2 sièges. La division donne 188 / (2+1) = 62,66.
La plus forte moyenne étant celle de la liste « Renaissance », c’est elle qui se voit attribuer le dernier siège.
En procédant ainsi, le TA a commis une erreur d’interprétation du mécanisme de la plus forte moyenne en oubliant qu’il prend place en l’espèce dans le cadre d’un scrutin à prime majoritaire.
Tout comme le quotient électoral a été calculé après attribution initiale de la prime majoritaire, le système de la plus forte moyenne doit être utilisé uniquement pour le calcul des sièges attribués au scrutin proportionnel, soit les 7 sièges restant à pourvoir après attribution de 8 sièges à la prime majoritaire.
4) La solution exacte proposée par le Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat donne dans sa décision le calcul exact qui est évidemment, tout lecteur attentif l’aura compris, le suivant :
Liste « Tous unis » = 4 sièges déjà attribués. La division donne 362 suffrages divisés par (4+1) = 72,4.
Liste « Renaissance » : 2 sièges. La division donne 188 / (2+1) = 62,66.
Le dernier siège revient donc à la liste « Tous unis ».
5) Conclusion
L’on aura compris que l’intérêt principal de cette décision est sa vertu pédagogique.
Elle permet également d’attirer l’attention des tribunaux, des élus chargés de l’organisation des scrutins ainsi que des préfectures, sur les particularités du scrutin mixte organisé par l’article 262 du code électoral pour l’élection municipale dans les communes de plus de 1000 habitants.
Mais cette décision et celles qui l’ont précédée laisse une étrange impression concernant l’indétermination notionnelle dont est frappée la loi électorale.
En premier lieu, il ne semble pas exister de définition des différents éléments utilisés dans le code, tels que « plus forte moyenne ». L’on rétorquera que les notions juridiques indéterminées sont la substance même du droit; les notions de « bon père de famille » ou de « tiers » ne servent pas cependant à appliquer à grande échelle des opérations de pure arithmétique. Ils n’entrent pas dans les déterminants de la démocratie locale.
En second lieu, l’article L. 262 est silencieux sur l’articulation qui est tout sauf évidente, entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel (ou dit plus élégamment et de manière un peu trompeuse on le voit le « scrutin proportionnel à prime majoritaire »). C’est au Conseil d’Etat de compléter le mécanisme par un procédé qui ne ressort pas évidemment du texte et qu’il ne semble pas avoir dégagé par la lecture des travaux préparatoires de la loi.
C’est là un pouvoir bien grand laissé au Conseil d’Etat par le silence de la loi que de décider des mécanismes de désignation démocratique. La faute en est au législateur qui a laissé le texte en l’état depuis 1982. Heureusement les conséquences n’en sont pas majeures car le pouvoir créateur du juge ne modifie pas ici le résultat principal de l’élection qui est la désignation de la liste majoritaire.
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