• Accueil
  • Manuels et thèses
    • La protection des droits fondamentaux en France, 2ème édition
    • Droit administratif français, 6ème édition
    • Contentieux administratif, 3ème édition
    • Science politique, 2ème édition
    • Droit public allemand
    • Le principe de séparation des pouvoirs en droit allemand
  • Chroniques
    • Archives
      • Matière pénale
      • Responsabilité médicale
      • Droit des affaires
      • Droit constitutionnel
      • Droit civil
      • Droit et culture populaire
    • Droit administratif français et comparé
    • Droit de l’Union
    • Droit public économique et contrats publics
    • Droit des libertés
    • Contentieux administratif
    • Informatique juridique
    • Droit public financier
  • Revues archivées
    • Bulletin juridique des collectivités locales
    • Droit 21
    • Jurisprudence Clef
    • Scientia Juris
  • Colloques
    • 5 mai 2021 : L’UE et ses Etats membres, entre identité et souveraineté
    • 17-18 octobre 2019 : La révision des lois bioéthiques
    • 12 avril 2019 : L’actualité des thèses en droit public comparé
    • 31 janvier 2019 : Autonomie locale et QPC
    • 12 et 13 avril 2018: Les algorithmes publics
    • 30 mars 2018 : L’open data, une évolution juridique ?
    • 8 février 2018 : La nouvelle doctrine du contrôle de proportionnalité : conférence-débat
    • 15 septembre 2017 : La réforme
    • 3 avril 2015 : La guerre des juges aura-t-elle lieu ?
    • 30 octobre 2014 : La dignité de la personne humaine : conférence-débat
    • 27 juin 2014 : Le crowdfunding
    • 11 octobre 2013 : La coopération transfrontalière
  • Rééditions
    • Léon Duguit
      • Les transformations du droit public
      • Souveraineté et liberté
    • Maurice Hauriou : note d’arrêts
    • Édouard Laferrière
    • Otto Mayer
  • Twitter

Revue générale du droit

  • Organes scientifiques de la revue
  • Charte éditoriale
  • Soumettre une publication
  • Mentions légales
You are here: Home / Table des matières / Divers / Microcosmographia Academica – Guide pour le jeune politique académicien

Microcosmographia Academica – Guide pour le jeune politique académicien

Présentation et traduction par Christophe de Nantois

Citer : Francis Macdonald Cornford, 'Microcosmographia Academica – Guide pour le jeune politique académicien, Présentation et traduction par Christophe de Nantois ' : Revue générale du droit on line, 2015, numéro 22809 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=22809)


Imprimer




F. M. Cornford

Publié par Bowes & Bowes Publishers Ltd, Cambridge

Première publication en 1908

A Edward Granville Browne

Présentation et traduction Christophe de Nantois

Avertissement

Si tu es jeune, ne lis pas ce livre ; il n’est pas fait pour toi ;

Si tu es vieux, jette-le au loin ; tu n’as rien à apprendre de lui ;

Si tu es sans ambition, allume ton feu avec ; tu n’as pas besoin de ses instructions.

Mais si tu n’as ni moins de vingt-cinq ans, ni plus de trente ;

Et si tu es ambitieux et qu’en outre ton esprit lorgne vers la politique académique ;

Lis, et puisse ton âme (si tu as une âme) trouver la miséricorde !

1. Mise en garde

Chacun d’entre nous pourrait dire que, même si dans la réflexion il ne peut pas te rejoindre sur chaque étape du raisonnement, il voit comme un fait établi que les universitaires, lorsqu’ils poursuivent leurs études, pas seulement dans leur jeunesse qui n’est qu’une part de leur éducation, mais dans la poursuite de leurs années matures, la plupart d’entre eux deviennent résolument étranges, pour ne pas dire mauvais ; et que ceux qui peuvent être considérés comme les meilleurs d’entre eux sont rendus inutiles au monde par l’étude que tu glorifies.

Et bien, penses-tu que ceux qui disent cela ont tort ?

Je ne pourrais dire, répondit-il ; mais j’aimerais savoir quelle est ton opinion ?

Ecoute ma réponse ; je suis de l’avis qu’ils ont raison.

Platon, La République, VI

 

Mon cœur est plein de pitié pour toi, ô jeune politique académicien. Si tu comptes devenir un politique, tu as devant toi un chemin douloureux à suivre, même s’il est court, avant que tu ne niches dans une modeste incompétence. Tandis que tu seras jeune, tu seras oppressé et en colère et de plus en plus désagréable. Lorsque tu atteindras un âge médian, à trente et cinq ans, tu deviendras satisfait de toi-même et te mueras en oppresseur ; ceux sous ton joug te trouveront toujours désagréable, ainsi d’ailleurs que tous ceux dont tu auras piétiné les orteils dans ta jeunesse. Il te semblera alors que tu deviens plus sage chaque jour, que tu apprends tant et plus des raisons pour lesquelles les choses ne doivent pas être faites, et que tu comprends plus profondément les étrangetés des puissants qui rendent chimérique de les atteindre sans avoir auparavant préparé un lot de flatteries et de pressions suffisantes pour affaiblir n’importe qui en dehors de l’âme la plus endurcie. Si tu persistes jusqu’au seuil de la vieillesse – disons, ta cinquantième année -, tu seras toi-même une personne puissante ayant accumulé des étrangetés que d’autres gens auront à étudier pour s’attirer tes bonnes grâces. Les orteils que tu auras écrasés à cette époque seront comme le sable sur le bord de mer, et depuis les profondeurs tu entendras monter le grondement d’une multitude impitoyable de jeunes hommes pressés. Tu peux peut-être te demander à propos de quoi ils sont pressés. Ils sont pressés de te mettre à l’écart.

O jeune politique académicien, mon cœur est plein de pitié pour toi maintenant ; mais quand tu seras vieux et si tu veux rester en travers du chemin, il n’y aura pas plus de pitié pour toi que tu n’en mérites ; et il n’y en aura aucune.

Je considérerais que tu es dans l’ivresse de l’ambition et que tu commences à peine à te rendre désagréable. Tu penses (tu le fais n’est-ce pas ?) que tu n’as qu’à formuler des arguments raisonnables et que les gens devront écouter la voix de la raison et agir en conséquence. C’est cette seule conviction qui te rend si déplaisant. Il y a peu d’espoir de te dissuader ; mais as-tu songé au fait que rien n’est jamais fait tant que tout le monde n’est pas convaincu que cela doit être fait et est convaincu depuis longtemps qu’il est maintenant temps de faire quelque chose d’autre ? Et ne sais-tu pas que la conviction n’a jamais été le fruit d’un appel à la raison qui rend seulement les gens mal à l’aise ? Si tu veux les faire évoluer tu dois tourner ton argumentation vers le préjugé1 et le motif politique que je te décrirai bientôt. Je devrais hésiter à coucher sur le papier un principe si élémentaire si je n’étais pas sûr que tu doives en être instruit. Et tu ne me croiras pas car tu penses que tes arguments sont tellement plus raisonnables que les miens peuvent l’être et parce que tu as honte d’étudier les faiblesses humaines et les préjugés. Tu préférerais taper vainement sur le Bouclier de la Foi plutôt qu’espionner à travers les défauts de l’armure.

Je t’apprécie tendrement pour tes illusions ; mais il ne peut être nié qu’elles t’empêchent de devenir efficace et si tu ne deviens pas efficace avant de cesser de vouloir que quelque chose soit fait – pourquoi, quel serait le bienfait pour toi ? C’est pourquoi je te présente cette microcosmographie académique – une simple esquisse du petit monde qui s’étend devant toi. Un satiriste ou un homme aigri aurait peut-être utilisé des couleurs plus sombres ; et j’avoue que j’ai seulement dépeint les aspects que tu dois connaître et qui te seront des plus essentiels en tant que politique. Il y a un autre monde au sein de ce microcosme – un monde feutré, raisonnable que tu t’acharnes à quitter. Un jour tu pourrais y revenir ; et tu apprécieras d’autant mieux son calme du fait de ton excursion dans le monde de l’irrationalité.

Maintenant écoute, et je vais te dire quelle est la réalité de ce monde extérieur.

 

2. Partis

En premier lieu, peut-être, je ferais bien de te décrire les partis dans la politique académique ; il n’est pas aisé de les distinguer précisément. Il y en a cinq ; ils sont appelés Libéraux Conservateurs, Conservateurs Libéraux, Blackbouleurs, Adullamites, et Jeunes Hommes Pressés.

Un Libéral Conservateur est un homme ouvert d’esprit, qui pense que quelque chose devrait être fait, seulement pas n’importe quoi souhaité par n’importe qui aujourd’hui, mais quelque chose qui n’a pas été fait en 1881-82.

Un Conservateur Libéral est un homme ouvert d’esprit, qui pense que quelque chose devrait être fait, seulement pas n’importe quoi souhaité par n’importe qui aujourd’hui ; et que la plupart des choses faites en 1881-82 devraient être défaites.

Les hommes de ces deux partis sont semblables dans leur ouverture d’esprit à pouvoir être convaincus mais tant de convictions sont déjà présentes qu’il est très difficile de trouver des ouvertures. Ils demeurent dans la Vallée de l’Indécision.

Le Blackbouleur diffère en ce qu’il n’est pas prêt à être convaincu par autrui ; c’est un homme de principes. Un principe est une règle d’inactivité qui pose comme règle générale valide de ne faire en aucun cas particulier ce qui, en l’absence de principe intuitif, apparaîtrait comme juste. Le Blackbouleur2, qui par définition dit non à tout systématiquement, croit qu’il est toujours bon d’être du Côté Sûr qui peut être aisément localisé du côté nord de l’intérieur du Sénat. Il sera une personne que tu n’as jamais vu auparavant et que tu ne verras jamais plus nulle part sinon à sa place favorite à la gauche du lieu du jugement dernier.

Les Adullamites3 sont dangereux parce qu’ils savent ce qu’ils veulent ; et, en l’occurrence, c’est tout l’argent qu’il y a à se faire. Ils habitent dans une série de cavernes à côté de Downing Street4. Ils se disent les uns aux autres « si tu m’envoies l’ascenseur, je te renverrai l’ascenseur, si tu ne le fais pas je te couperai le câble »5 Il sera vu que ces habitants des cavernes ne sont pas raffinés comme les hommes classiques. C’est pourquoi ils réussissent à prendre tout l’argent qu’il y a à se faire.

Le Jeune Homme Pressé est un homme étroit d’esprit, ridiculement juvénile et bégueule, qui est assez inexpérimenté pour imaginer que quelque chose puisse être fait avant un temps très long et même pour suggérer des choses précises. Son plus dangereux défaut étant la volonté d’acquérir de l’expérience, tout devrait être fait pour lui éviter de prendre la moindre part aux affaires. Il peut être connu pour sa propension à organiser des associations dont l’objet est de transformer des vessies porcines en lanternes. Cette tendance n’est pas aussi dangereuse qu’elle pourrait sembler l’être ; car il peut être observé que les porcs, après leur toilette et grâce à un ou deux grognements, se retirent désarmés dans leur bauge ; et que le cours de la lanterne reste ferme. Le Jeune Homme Pressé est affligé d’une conscience qui est susceptible d’exploser en boutons rouges comme la rougeole6. Pour l’écouter, tu devrais penser qu’il unit les vertus d’un Brutus à la passion pour les causes perdues d’un Caton ; il n’a pas appris que la plupart de ses causes sont perdues parce qu’il dévoile le pot aux roses plus qu’il ne le maintient dans l’ombre, comme le font les hommes expérimentés.

O jeune politique académicien, connais-toi toi-même !

3. Caucus

Un Caucus est comme une souricière ; quand tu es dehors, tu veux être dedans ; et quand tu es dedans, la simple vue des autres souris fait que tu veux être dehors. Le piège est appâté avec des muffins et des cigares – sauf pour les Caucus des Blackbouleurs, un corps ascétique qui, comme il va être vu immédiatement, ne satisfait que les besoins spirituels.

Les Adullamites tiennent un Caucus de temps à autre pour conspirer contre le système du Collège. Ils portent des lunettes bleues et des fausses barbes, et se disent les choses les plus horribles les uns aux autres. Il y a deux façons de disperser ces anarchistes. L’une est de suggérer que le nombre d’heures de travail devrait être augmenté. L’autre est de convertir le pourvoyeur en muffins et en cigares au Libéralisme Conservateur. Il va de soi que faire sonner la fin de la récréation serait simplement indécent.

Personne ne peut dire quelle est la différence entre un Caucus Conservateur Libéral et un Caucus Libéral Conservateur. Il n’y a rien au monde de plus innocent que l’un ou l’autre. L’action la plus diabolique qu’ils puissent prendre est de proposer la nomination d’une commission pour « envisager quels moyens, s’il en existe, mettre en œuvre pour empêcher que le linge sale soit lavé en public, et rapporter ces informations aux Blackbouleurs s’ils arrivent à y voir clair ». Le résultat est la formation d’un corps invertébré qui siège deux ans, avec un inconfort croissant, sur le panier contenant le linge sale. Lorsque la commission est si pétrifiée qu’elle en a presque oublié ce sur quoi elle est assise, elle produit trois rapports minoritaires, d’une ampleur gigantesque, sur des sujets différents. Les rapports sont transmis par le Conseil aux Blackbouleurs puis par les Blackbouleurs à la corbeille à papiers. Ceci est appelé « réformer l’Université de l’intérieur ».

En période d’élections, chacun de ces deux Caucus se réunit pour désigner les membres de son propre parti qui seront les plus probablement considérés à tort par les Blackbouleurs comme étant membres de l’autre parti. Les résultats les plus probants sont atteints lorsque les nominés sont répartis d’une façon telle que le Blackbouleur le plus clairvoyant ne peut deviner quelle liste représente quel parti. Le système garantit que l’équilibre des forces sera heureusement maintenu et que tous les Jeunes Hommes Pressés en seront exclus.

Les Jeunes Hommes Pressés n’ont pas de Caucus régulier. Ils se rencontrent par deux ou trois, dans des lieux désolés et grincent des dents.

Les Caucus des Blackbouleurs existent dans un but de distribution des patronages de l’Eglise parmi ceux des fidèles qui ont adhéré immuablement aux principes du parti.

Tous les Caucus ont la règle suivante. Aux réunions des Caucus qui sont fréquentées par un seul et unique membre (du fait que ce membre a omis de convoquer les autres), le dit membre est réputé constituer un quorum et peut voter les pleins pouvoirs sur place sans autre forme de cérémonie.

4. Sur l’acquisition d’influence

Maintenant que tu es instruit sur les partis et les Caucus, ta première tâche sera d’acquérir de l’influence. L’influence politique peut être acquise exactement de la même façon que la goutte ; en réalité, les deux fins devraient être visées concurremment. La méthode est de s’asseoir patiemment et de boire du vin de Porto. Tu gagneras ainsi la réputation d’être quelqu’un de bien ; et ce ne sont pas simplement quelques frasques qui seront pardonnées à quelqu’un d’aussi profondément sensé, si ce n’est à la dernière extrémité.

Ou peut-être préféreras-tu être qualifié de Bon Business Man.

C’est quelqu’un dont l’esprit n’a pas été perverti et rendu étroit par les seuls intérêts intellectuels et qui, en même temps, n’a pas ces odieuses qualités d’autopromotion qui sont malheureusement requises pour devenir un personnage dans les affaires n’importe où ailleurs. Il a mis le doigt sur le pouls du Grand Monde – une région distante et terrifiante avec laquelle il est indispensable de rester en contact bien qu’elle ne soit autorisée en aucun cas à vous affecter. Aussi difficile que cela puisse sembler, cette relation est glorieusement maintenue en envoyant des jeunes hommes au Bar avec des bourses de £200 par an sans obligation aucune. La vie au Bar7 dans ces conditions est très plaisante ; et seuls les bons business men risquent d’en revenir. Tous les business men sont bons ; et il est entendu qu’ils laissent agir qui sera malin, à condition qu’il ne soit pas malin à leurs dépens.

5. Les principes du gouvernement, de la discipline (y compris religieuse) et du sain apprentissage

Ces principes découlent tous de la maxime fondamentale selon laquelle la première nécessité pour un corps composé d’hommes engagés dans la poursuite de l’enseignement est l’exemption du fardeau des tâches politiques. Il est impossible de jouir de la contemplation de la vérité si l’on est contrarié et distrait par le sens des responsabilités. D’où la sagesse de nos ancêtres qui ont conçu une forme de gouvernement académique dans laquelle ce sens est, pour autant que l’imperfection humaine puisse l’autoriser, réduit à son degré le plus bas. En investissant les Blackbouleurs, qui par définition disent non à tout systématiquement, de l’autorité souveraine (techniquement connue sous le nom de « Sénat » du fait de leur moyenne d’âge élevée), nos prédécesseurs se sont assurés que la décision finale repose entre les mains d’un corps qui, étant éparpillé entre des presbytères locaux, n’a aucun esprit de corporation d’aucune sorte, et, étant nécessairement ignorant des considérations décisives dans toutes les matières qui lui sont soumises, ne peut avoir aucun sens des responsabilités, si ce n’est de la plus haute, lorsque l’Eglise est en danger. Dans les compositions plus restreintes, appelées « Bureau », nous avons réussi seulement à minimiser ce dangereux sentiment, en n’autorisant jamais quiconque à agir sans consulter au préalable au moins vingt personnes qui sont accoutumées à le voir avec une suspicion bien-fondée. D’autres démocraties ont atteint ce sommet de l’excellence ; mais la démocratie académique est supérieure car elle n’a pas de partis organisés. Nous évitons ainsi toutes les responsabilités d’un leadership des partis (il y a des leaders, mais personne ne les suit), et les dégradations des compromis entre partis. Il est clair, en outre, que vingt personnes indépendantes, alors que chacune d’elles a une raison différente de ne pas faire une chose particulière, et qu’aucune d’entre elles n’arrivera à un compromis avec aucune autre, constituent le contrôle le plus effectif de la précipitation des individus.

J’ai oublié de signaler qu’il existe aussi un corps appelé le « Conseil », qui est composé d’hommes qui sont fermement convaincus qu’ils sont comme des hommes d’affaires. Il n’y a aucun doute que certains d’entre eux sont des Bons Business Men.

Le principe de la discipline (y compris religieuse) est que « il doit bien y avoir des règles ». Si tu en cherches la raison, tu trouveras que l’objet des règles est de soulager les jeunes hommes de l’astreignant sentiment de la morale ou de l’obligation religieuse. Si leurs énergies risquent d’être affaiblies par des objectifs de nature sportive, il est clairement indispensable de les protéger contre les faiblesses de leurs propres caractères. Ils ne doivent jamais être troublés en pouvant hésiter entre savoir si ceci ou cela doit être fait ou ne pas l’être ; il faudrait que cela soit régi par des règles. Les règles les plus précieuses sont celles qui ordonnent la présence aux TD et aux offices religieux. Si celles-ci n’étaient pas imposées, les jeunes hommes commenceraient trop tôt à prendre l’enseignement et la religion au sérieux ; et ceci est bien connu pour être néfaste. Franchement, plus tu peux inventer de règles, moins le besoin sera ressenti de perdre du temps avec de consternantes discussions stériles sur le bien et le mal. Les meilleurs règles sont celles qui prohibent d’importantes, mais parfaitement innocentes, actions comme fumer dans les cours des Collèges, ou marcher jusqu’à Madingley le dimanche sans l’habit académique. Le mérite de telles réglementations est que, n’ayant rien à voir avec les notions de bien ou de mal, elles aident à laisser dans l’ombre les considérations problématiques des autres cas, et à soulager l’esprit de tout sentiment d’obligation envers la société.

L’épée Romaine n’aurait jamais conquis le monde si la grande fabrique des Lois Romaines n’avait pas été élaborée pour préserver l’homme derrière l’épée d’avoir à penser pour lui-même. Dans le même sens, l’Empire Britannique est le produit de la discipline universitaire et scolaire et du Catéchisme d’Eglise.

Le principe du sain8 apprentissage est que le vacarme de la vulgaire renommée ne devrait jamais troubler la quiétude des tours d’ivoires académiques. C’est pourquoi l’apprentissage est dit sain lorsque personne n’en a jamais entendu parler ; et « étudiant valable » est un terme appliqué à un autre par des hommes instruits qui n’ont aucune réputation en dehors de l’Université, et en ont une bien étrange en son sein. Si tu devais écrire un livre (il vaudrait mieux l’éviter) assure-toi qu’il soit illisible ; à défaut tu serais catalogué comme « brillant » et renoncerais à tout respect.

Les presses universitaires existent et sont financées par le Gouvernement dans le but de produire des livres que personne ne peut lire, et elles ont raison d’avoir cette haute vocation. Les livres constituent les sources de documentation pour les TD9. Ils devraient être éloignés du jeune ; car lire des livres et retenir ce que tu lis suffisamment bien pour le reproduire est appelé « bachotage », et c’est nuisible à toute véritable éducation. La meilleure façon de protéger le jeune des livres est, premièrement, de s’assurer qu’ils soient si arides qu’ils ne constituent aucune tentation ; et, deuxièmement, de les ranger d’une façon telle que personne ne puisse les trouver sans plusieurs années d’entraînement. Un chargé de TD est un étudiant valable qui est choisi pour enseigner sur le terrain qu’il a été autrefois capable d’apprendre. L’éloquence n’est pas tolérable dans un TD, c’est un privilège réservé par statut à l’Enseignant10.

6. Le motif politique

Tu vas commencer, je suppose, à croire que les gens qui ne sont pas d’accord avec toi et t’oppressent doivent être malhonnêtes. Le cynisme est un obsédant défaut véniel de la jeunesse déclinante et la désillusion, sa dernière illusion. C’est une grande erreur de croire que la réelle malhonnêteté est particulièrement répandue. Le nombre de malfaisants est à peu près équivalent au nombre de gens qui agissent honnêtement ; et il est très restreint. La grande majorité préférerait se conduire honnêtement. La raison pour laquelle ils ne cèdent pas à cette préférence naturelle de l’humanité est qu’ils ont peur que les autres n’en fassent pas autant ; et les autres ne le font pas parce qu’ils ont peur qu’ils ne le fassent pas. Donc il ressort de tout cela, même si les comportements qui semblent malhonnêtes sont assez répandus, que la sincère malhonnêteté est à peu près aussi rare que le courage de provoquer la bonne foi de la part de tes voisins en leur montrant que tu leur fais confiance.

Non ; le Motif Politique au sein de l’académie est assez honnête. C’est la Peur — la véritable, la perpétuelle, la sincère anxiété. Nous allons voir maintenant que toutes les argumentations politiques sont adressées à cette passion. N’as-tu jamais remarqué comme les gens disent « j’ai bien peur de… » quand ils veulent dire « je pense que… » ?

Les vrais objets de la Peur, qui seront appelés ci-après Epouvantails, sont (par ordre d’importance) :

Laisser tomber le masque ;

Les femmes ;

Ce que Dr —- va dire ;

Le lavage de linge sale en public ;

Le Socialisme, sinon l’Athéisme ;

Le Grand Monde ; etc., etc., etc.

Avec la révélation de ce mystère central de la politique académique, la partie théorique de notre traité est achevée. Les principes pratiques, vers lesquels nous nous tournons désormais peuvent presque tous être déduits de la nature de la passion politique et de ses objets.

La Pratique de la Politique peut être divisée en trois points ; l’Argument : la Conduite des Affaires : le Quadrillage.

7. L’argument

Il n’y a qu’un argument pour faire quelque chose ; les autres sont des arguments pour ne rien faire.

L’argument pour faire quelque chose est que c’est la bonne chose à faire. Mais alors, bien sûr, arrive la difficulté de s’assurer que c’est exact. Les femmes agissent instinctivement par intuition ; mais les hommes ont le don de la réflexion. Comme Hamlet, l’homme d’action typique11, déclare :

Qu’est-ce que l’homme,

Si le bien suprême, l’aubaine de sa vie,

Est uniquement de dormir et de manger ? Une bête, rien de plus.

Certes, celui qui nous a faits avec cette vaste intelligence,

Avec ce regard dans le passé et dans l’avenir, ne nous a pas donné

Cette capacité et cette raison divine

Pour qu’elles moisissent en nous inactives ((NDT : W. Shakespeare, Hamlet, acte 4, scène 4))

Désormais l’universitaire est à Hamlet ce que Hamlet est à la femme ; ou, pour employer sa propre et pittoresque expression, une « bête » ; son discours est bien plus large et il regarde dans le passé et dans l’avenir de nombreuses fois, autant que faire se peut. Même une faible connaissance de théorie éthique suffira à te convaincre que toutes les questions importantes sont si compliquées, et les résultats des actions bien sûr, sont si difficiles à prévoir que les certitudes ou même les probabilités, sont rarement atteintes, si elles sont atteignables. Il s’ensuit au minimum que la seule attitude justifiable de l’esprit est le suspens du jugement ; et cette attitude, en plus d’être typiquement agréable au tempérament académique, a l’avantage d’être comparativement aisée à atteindre. Il reste le devoir de persuader les autres d’être aussi judicieux, il reste à les convaincre de ne pas s’égarer sur des chemins dangereux qui pourraient les mener Dieu sait où. C’est à ce point que les arguments pour ne rien faire surgissent ; car c’est juste un paradoxe de théoricien que de dire que ne rien faire produit autant de conséquences que d’agir. Il est évident que l’inaction peut ne pas avoir de conséquence du tout.

Depuis que la hache de pierre est tombée en désuétude à la fin de l’âge néolithique, deux autres arguments d’application universelle ont été ajoutés à l’arsenal rhétorique par l’ingénuité de l’humanité. Ils sont très proches ; et, comme la hache de pierre, ils sont adressés au Motif Politique. Ils sont appelés le Coin12 et le Dangereux Précédent. Bien qu’ils soient très connus, les principes, ou règles d’inaction, inclus en eux sont rarement exposés en entier. Ils sont comme suit.

Le Principe du Coin est que tu ne devrais pas agir justement maintenant par peur de faire naître des attentes pour lesquelles tu pourrais agir encore plus justement dans le futur — attentes que tu crains de ne pas avoir le courage de satisfaire. Un peu de réflexion montrera de façon évidente que l’argument du Coin implique l’admission par les personnes qui l’utilisent qu’elles ne peuvent pas prouver que l’action n’est pas juste. Si elles le pouvaient, cela constituerait la raison unique et suffisante pour ne pas le faire, et cet argument serait superflu.

Le principe du Dangereux Précédent est que tu ne devrais pas faire maintenant une action considérée comme bonne par peur pour toi, ou pour ton aussi timide successeur, qui pourrait ne pas avoir le courage de le faire dans un cas futur qui, ex hypothesi, est différent dans son essence, mais qui superficiellement ressemble au cas présent. Toute action publique qui n’est pas coutumière, soit est fausse ou, si elle est juste, constitue un dangereux précédent. Il s’en suit que rien ne devrait jamais être fait pour la première fois.

Il sera vu que les deux Arguments Politiques sont destinés à l’Epouvantail de laisser tomber le masque. D’autres arguments spéciaux peuvent être bâtis en vue des autres Epouvantails. Il sera parfois suffisant d’argumenter qu’un changement est un changement — une irréfutable vérité. Si cette considération n’est pas décisive, elle peut être renforcée par l’Argument du Procès Equitable — « Accordez au système actuel un Procès Equitable ». Ceci est particulièrement utile avec les changements récurrents dans le calendrier des examens. Dans ce sens, la signification exacte de la phrase est, « je n’ai pas l’intention de modifier mes TD si je peux l’éviter ; et si tu arrives à faire passer cette proposition, tu auras à modifier les tiens. » Cette paraphrase explique ce qui pourrait sinon rester obscur : en clair, la raison pour laquelle un Procès Equitable devrait être accordé seulement aux systèmes qui existent déjà, pas aux propositions alternatives.

Un autre argument est que « le Temps n’est pas Venu ». Le Principe de l’Immaturité du Temps est que les gens ne devraient pas faire actuellement ce qu’ils pensent être juste maintenant, car le moment auquel ils pensent que cela serait juste n’est pas encore venu. Mais l’immaturité du temps sera, dans certains cas, mise en lien avec l’Epouvantail, « ce que Dr —- va dire. » Le Temps est, au passage, comme la nèfle ; il a le don de devenir pourri avant d’être mûr.

 

8. La conduite des affaires

Celle-ci se divise naturellement en deux branches ; (i) l’Obstruction Libérale Conservatrice et (2) l’Obstruction Conservatrice Libérale.

La première est de très loin la plus efficace ; et devrait être préférée à toute simple opposition déraisonnable car elle t’apportera la réputation d’être plus progressiste que tous ces soi-disant réformateurs.

Les principaux arguments suivants seront appropriés pour les Libéraux Conservateurs.

« La présente mesure barrera la voie à une réforme bien plus approfondie ». La réforme en question devrait toujours être l’une de celle qui était favorisée par les extrémistes en 1881 et qui aujourd’hui est quasiment impraticable et de toute façon n’est souhaitée par personne. Cet argument peut être aisément combiné avec l’argument du coin : « si nous accordons ceci, il sera impossible de ne pas aller jusqu’au bout ». C’est un fait singulier que toutes les mesures sont toujours combattues sur ces deux bases. L’apparente contradiction est heureusement surmontée au moment du vote.

Un autre argument est que « la commission pour effectuer l’objet proposé existe déjà ». Ceci devrait être vivement recommandé dans les cas où la commission existante n’a jamais marché, et est maintenant tellement rouillée qu’il n’y a aucune chance qu’elle soit un jour mise en fonction. Lorsque ceci a été vérifié, il est plus sûr d’ajouter que « il est de loin préférable que toutes les réformes viennent d’elle » ; et d’insérer une référence au Principe du Lavage de Linge Sale. Ce principe est qu’il est préférable de ne jamais laver son linge si tu ne peux pas le faire sans que chacun sache que tu es un grand nettoyeur.

Le troisième moyen accepté pour l’obstruction est la Proposition Alternative. C’est une forme de diversion. Dès lors que trois alternatives ou plus seront sur la place, il y aura pratiquement sûrement une majorité contre chacune d’elles, et rien ne sera fait.

La méthode de la Prévarication est basée sur un trait très caractéristique de l’esprit académique, qui apparaît dans la remarque usuelle « j’étais en faveur de la proposition jusqu’à ce que j’entende l’argument de M. —— pour la faire adopter ». Le principe est, que quelques mauvaises raisons pour faire quelque chose neutralisent toutes les bonnes raisons pour le faire. Dès lors que cela est cru avec dévotion, il est souvent de bonne politique d’argumenter faiblement contre le côté que tu favorises. Si tes ennemis personnels sont présents en nombre, insère quelques appâts pour les ours, et tu es certain du succès. Tu peux voter en faveur de la minorité, et personne ne sera avancé.

L’Obstruction Conservatrice Libérale est moins argumentée et repose sur l’invective. Elle est particulièrement encline à utiliser le Dernier Retranchement et le Chat Sauvage.

Le Dernier Retranchement est du Côté Sûr (voir chapitre 2), envisage un endroit où tu pourrais sans risque menacer de mourir. Tu ne voudras probablement pas mourir là-bas prématurément ; car, à en juger par l’apparence de ses habitants, le climat du Côté Sûr contribue à la longévité. Si tu devais mourir, personne ne serait grandement ennuyé ; mais la menace pourrait les effrayer pour un instant.

« Chat Sauvage » est l’épithète applicable aux personnes qui présentent un schéma unanimement accepté par les experts après deux ans de réflexion exhaustive de trente-cinq ou plus propositions alternatives. Dans son sens le plus large, il s’applique à toutes les idées qui n’étaient pas répandues en 1881.

Il y a une prédiction de Merlin qui dit, « Quand le chat sauvage est invoqué, les souris votent la Résolution ».

L’argument, « vous rappelez exactement la proposition qui a été rejetée en 1867 », est très fort en lui-même ; mais son défaut est qu’il ne fait appel qu’à ceux qui se souviennent de l’année 1867 avec une affection particulière et, qui plus est, ne sont pas au courant qu’il y a eu quelques changements depuis lors. Il existe de tels gens, mais il y en a lamentablement peu ; et même certains d’entre eux ne sont plus des Jeunes Hommes Pressés, et peuvent être classés sans aucun doute possible du Côté Sûr en toute occasion. C’est pourquoi cet argument pèse rarement son juste poids.

Lorsque les autres méthodes d’obstruction échouent, tu devrais recourir à la Perte de Temps ; car, bien qu’il soit reconnu dans les cercles académiques que le temps en général n’a pas de valeur, une importance considérable est attachée au tea-time, et en reportant celui-ci, tu peux exaspérer tout corps d’hommes au point qu’ils votent contre tout. La méthode la plus simple est l’Ennui. Marmonne lentement lorsque l’heure limite est en ligne de mire. Aucun universitaire n’est jamais élu à un siège tant qu’il n’a pas atteint un âge auquel il a oublié la signification de l’expression « hors sujet » ; et tu seras autorisé à continuer, jusqu’à ce que chacun dans la pièce vote dans ton sens plutôt que d’entendre ta voix une minute de plus. Alors tu devrais t’orienter vers un ajournement. Les motions d’ajournement, déposées moins de quinze minutes avant le tea-time ou à tout moment ultérieur, sont toujours adoptées. Pendant que tu es engagé dans l’Ennui le sujet traité n’importe guère ; mais, si possible, tu devrais discourir de la façon adéquate pour faire quelque chose alors qu’il est de notoriété publique que tu es incapable de le faire toi-même. Ainsi, si tu es un chargé de TD inefficace, tu devrais donner des leçons sur comment faire des TD ; et si tu es un bon business man, tu devrais discuter des principes relatifs aux finances et ainsi de suite.

Si tu t’es exercé dans ta jeunesse à la culture de cette tournure d’esprit du secteur privé, des Syndicats ou autres réunions d’éloquence, les questions de procédure te fourniront de nombreuses ressources pour la perte de temps. Tu débattras avec enthousiasme pour savoir s’il est acceptable ou pas d’amender un amendement ; ou s’il est conforme aux lois éternelles qu’un corps constitué d’hommes, qui tous ont changé d’avis, d’abroger une résolution qu’ils viennent juste de soutenir. Tu feras remonter constamment des points du règlement intérieur, tel un saumon remontant inlassablement le courant, et tu appelleras en public tes amis intimes « président ». Tu remplaceras six mots par un seul ; tu t’adresseras à une personne inoffensive comme si tu avais face à toi une assemblée de journalistes anormalement stupides ; et tu occuperas ton temps jusqu’à ce que tu puisses penser à quelque chose à dire en parlant plutôt qu’en retenant ta langue.

Un appel devrait être fait, lorsque c’est possible, au Sentiment du Collège. Ceci, comme d’autres formes du patriotisme, consiste en une croyance sincère que l’institution à laquelle tu appartiens est meilleure qu’une institution à laquelle les autres appartiennent. La croyance correspondante devrait être encouragée chez les autres par de fréquentes confessions de cette profession de foi en leur présence. De cette manière, un sain esprit de rivalité sera promu. C’est ce sentiment qui rend le système des Collèges si précieux ; et différencie, plus que tout autre chose, un Collège d’un pensionnat ; car dans un pensionnat la haine est concentrée, non contre les établissements rivaux, mais contre les autres membres du même établissement.

Si tu as un goût pour les sports d’hiver, tu peux t’amuser avec un Appâtage d’ours ou avec un Combat de taureaux. Les taureaux sont plus faciles à manier que les ours ; tu dois seulement savoir quel drapeau rouge agiter en fonction de chaque taureau et, pour la plupart d’entre eux, à peu près n’importe quel chiffon fera l’affaire. Les ours sont plus boudeurs et doivent être poussés ; d’un autre côté ils ne foncent pas aveuglément comme les taureaux ; et une fois qu’ils auront mordu ta tête décapitée, ils tourneront en rond en étant plutôt agréables. Les Irlandais peuvent être des taureaux, mais pas des ours ; les Ecossais peuvent être des ours mais pas des taureaux ; un Anglais peut être les deux.

Un autre sport qui fait perdre un temps illimité est la Chasse à la virgule. Une fois qu’on s’attaque à une virgule, le texte entier va être démantelé, passé à la moulinette, en particulier s’ils ont une formation littéraire. (Les Adullamites affectent de mépriser les virgules, et même leur respect pour la syntaxe n’est parfois pas au-dessus de tout soupçon.) Mais la chasse à la virgule est si excitante qu’elle peut être un peu dangereuse. Lorsque l’attention est entièrement concentrée sur la ponctuation, il existe une crainte que la conduite des affaires puisse en souffrir et qu’une proposition puisse passer au travers sans être proprement bloquée par ses défauts. C’est pourquoi il est sage, lorsqu’une chasse a été effectuée, de demander au plus tôt un ajournement.

9. Quadrillage

Cette branche des plus importantes de l’activité politique est, bien sûr en connexion avec les Travaux. Ceux-ci tombent dans deux catégories, Mes Travaux et Tes Travaux. Mes Travaux sont des propositions d’intérêt public, ce qui a pour effet (à mon grand regret) d’induire l’avancement d’un de mes proches amis, ou (à mon plus grand regret) de moi-même. Tes Travaux sont d’insidieuses intrigues pour ton propre avancement et celui de tes amis, spécieusement déguisés en propositions d’intérêt public. Le terme Travaux est davantage employé pour la seconde catégorie. Quand toi et moi avons, chacun de notre coté, un travail en cours, nous pouvons avancer en allant Quadriller.

Le quadrillage peut être réalisé à l’heure du repas ; mais il est préférable que nous nous croisions par hasard. La marche à suivre est d’errer, entre deux et quatre heures de l’après-midi, d’un bout à l’autre de King’s Parade, et en particulier sur cette portion entre les Collèges Pembroke et Caius. Lorsque nous avons réussi à nous rencontrer accidentellement, l’étiquette veut que nous parlions de sujets sans intérêt pendant dix minutes avant de nous séparer. Après avoir fait cinq pas dans la direction opposée, tu devrais me rappeler et commencer par ces mots « oh, au fait, s’il vous arrivait de… » La nature de Tes Travaux doit être vaguement indiquée, sans mentionner de noms ; et elle devrait être traitée par les deux parties comme un sujet d’importance tout à fait mineure. Tu devrais insinuer que je suis une personne très influente, et que tout cela est un secret entre nous. Alors nous devrions nous séparer comme auparavant, et je devrais te rappeler et introduire le sujet de Mon Travail selon la même formule. En observant cette procédure nous devrions souligner le fait qu’il n’y a aucune connexion d’aucune sorte entre mon soutien à ton Travail et ton soutien aux miens. Cette absence de connexion est le trait essentiel du Quadrillage.

Souviens-toi de ceci : les hommes qui ont des choses qui aboutissent sont les hommes qui vadrouillent d’un bout à l’autre de King’s Parade, de deux à quatre, tous les jours de leur vie. Tu peux soit les rejoindre, et devenir une personne puissante ; ou tu peux rejoindre la foule de ceux qui passent tout leur temps à empêcher de voir leurs projets réalisés, et dans un sens plus large en évitant à tout un chacun de faire quoique ce soit. Tel est le Choix d’Hercule, lorsqu’Hercule se lance en politique.

10. Adieu

O jeune politique académicien, mon cœur est plein de pitié pour toi car tu ne vas pas croire un traître mot de ce que j’ai dit. Tu vas prendre ma sincérité pour du cynisme et la moitié de la vérité pour de l’exagération. Tu vas prendre l’autre moitié, que je n’ai pas dite, pour le tout. Tu vas suivre ta propre voie, te rendre mortellement désagréable, piétiner d’innombrables orteils, te cogner la tête sur des murs de pierre, négliger le préjugé et la peur, appeler à la raison au lieu de faire appel aux épouvantails. Ton pain quotidien sera l’amertume et ta boisson tes propres larmes.

J’ai fait ce que j’ai pu pour t’avertir. Quand tu sera à l’âge médian — à ton trente et cinquième anniversaire — jette un coup d’œil à ce livre et juge ton présent à cette aune.

Si tu décides que j’avais tort, jette ce livre au feu, transporte-toi à King’s Parade et au revoir. J’en ai fini avec toi13.

Mais si tu décides que j’avais raison, souviens-toi que l’autre monde, au sein du microcosme, le monde feutré et raisonnable où la seule action est la pensée, et la pensée est libre de toute peur. Si tu retournes vers lui maintenant, conservant juste assez d’amertume pour atteindre un seuil agréable de conversation, et juste assez de sagesse terrestre pour préserver les orteils des autres, tu te retrouveras dans la meilleure de toutes les compagnies — la compagnie des intellects purs et drôles ; et si tu as une étincelle d’imagination et essaie très fort de te rappeler à quoi cela ressemblait d’être jeune, il n’y a aucun raison pour que ta cervelle devienne à jamais cotonneuse ou pour que quelqu’un te souhaite en dehors du chemin. Adieu.

 

  1. NDT :  Prejudice : Préjugé/préjudice/tort [↩]
  2. NDT : « Blackbouleur » est une traduction approximative de « Non-placet » qui est un mélange de mots anglais et latin signifiant « qui vote non aux textes », celui qui n’est jamais d’accord. [↩]
  3. NDT : Le terme Adullamites est une référence à un passage de la Bible (1 Sam. 22, 1-23) dans lequel des hommes recherchés se cachent dans la caverne d’Adullam. Une fraction du parti libéral de Grande-Bretagne prit brièvement ce nom en 1866. [↩]
  4. NDT : Il s’agit ici d’une double référence. La référence évidente aujourd’hui est celle faite au siège du pouvoir gouvernemental à Londres au 10 Downing Street ; dans ce cas les Adullamites seraient des enseignants proches du pouvoir qui profiteraient de ces contacts pour bénéficier de retombées sonnantes et trébuchantes. L’autre référence est celle faite à la Downing Street de Cambridge. Or le siège de la faculté de droit de Cambridge était proche de la Downing Street de la ville de Cambridge, ce serait donc également une critique implicite du comportement des enseignants de droit de Cambridge de l’époque. Cette seconde hypothèse s’adressant aux juristes est renforcée par le jeu de mots, quelques pages plus loin, portant également sur le comportement des juristes. Cette hypothèse est d’autant plus forte qu’aucune autre discipline n’est critiquée nulle part ailleurs dans le texte (à l’exception des disciplines littéraires pour ce qui concerne la « chasse à la virgule ».). [↩]
  5. NDT : Autre traduction possible : « si tu grattes mon dos, je te gratterai le tien, si tu ne le fais pas, je te lacérerai le visage ». [↩]
  6. NDT : Référence à Hamlet qui compare la conscience à un abcès qui finit par éclater. [↩]
  7. NDT : Il s’agit ici d’un jeu de mots sur le terme Bar et sur l’expression dans la phrase précédente « sending young men to the Bar ». Ces expressions peuvent être traduites dans leur version concernant un débit de boissons mais elles peuvent aussi être traduites en termes juridiques par : « en envoyant des jeunes hommes au Barreau (…). La vie au Barreau dans ces conditions… ». Il s’agit donc d’une critique assez directe portant sur le comportement des juristes, ceux-ci passant probablement autant de temps au bar qu’au barreau. [↩]
  8. L’auteur fait ici plusieurs jeux de mots successifs sur la base des différents sens du mot sound qui signifie à la fois bruit, son mais aussi raisonnable, sain, valable. [↩]
  9. NDT : Lectures [↩]
  10. NDT : L’expression d’origine est Public Orator qui correspond plus précisément à l’orateur devant le Sénat. [↩]
  11. NDT : Cette phrase est très ironique. En l’espèce il s’agit d’une vision de Hamlet issue du XVIIIème siècle qui est totalement dépassée en 1908, conservatrice voire archaïque. [↩]
  12. NDT : Wedge en anglais. Il peut s’agir d’une cale pour tenir une porte mais il s’agit plus certainement ici d’un coin comme ceux en bois utilisés pour faire éclater la pierre. [↩]
  13. NDT : « I have done with you » formulation très datée, même en 1908. [↩]

Partager :

  • Facebook
  • X

Table des matières

    • Avertissement
  • 1. Mise en garde
  • 2. Partis
  • 3. Caucus
  • 4. Sur l’acquisition d’influence
  • 5. Les principes du gouvernement, de la discipline (y compris religieuse) et du sain apprentissage
  • 6. Le motif politique
  • 7. L’argument
  • 8. La conduite des affaires
  • 9. Quadrillage
  • 10. Adieu

About Francis Macdonald Cornford

1874-1943
Professeur de civilisation antique (classical scholar) à l’université de Cambridge
Poète

Table des matièresToggle Table of ContentToggle

    • Avertissement
  • 1. Mise en garde
  • 2. Partis
  • 3. Caucus
  • 4. Sur l’acquisition d’influence
  • 5. Les principes du gouvernement, de la discipline (y compris religieuse) et du sain apprentissage
  • 6. Le motif politique
  • 7. L’argument
  • 8. La conduite des affaires
  • 9. Quadrillage
  • 10. Adieu

Francis Macdonald Cornford

1874-1943 Professeur de civilisation antique (classical scholar) à l’université de Cambridge Poète

Rechercher dans le site

Dernières publications

  • Migration-Intégration 06/05/2025
  • Integration und Integrität 06/05/2025
  • Intégration et identité 06/05/2025
  • Préface 06/05/2025
  • Zwischen Integration und Ausgrenzung von „Ausländern“ 06/05/2025
  • Zwischen Integration und Ausgrenzung von „Ausländern“ – Der Ansatz im französichen Verwaltungsrecht 06/05/2025
  • Entre intégration et exclusion des « étrangers » – l’approche du droit administratif français 06/05/2025
  • Integration und Identität 06/05/2025
  • Intégration et identité 06/05/2025
  • La protection de la dignité humaine des demandeurs d’asile 06/05/2025

Revue générale du droit est un site de la Chaire de droit public français de l’Université de la Sarre


Recherche dans le site

Contacts

Copyright · Revue générale du droit 2012-2014· ISSN 2195-3732 Log in

»
«