Contexte : Dans deux ordonnances de référé le 28 janvier 2016, le tribunal de grande instance de Nanterre retient que l’exposition au risque, même faible, de développer une valvulopathie ou de l’hypertension artérielle pulmonaire peut générer une angoisse constitutive d’un préjudice réparable chez les patients ayant pris du Médiator®.
Litige : Une trentaine de patients s’est regroupée pour exercer une action en réparation dirigée contre la société Les Laboratoires Servier. Tous les demandeurs ont en commun d’avoir pris du Médiator® durant plusieurs années sans avoir toutefois (encore ?) développé une valvulopathie ou de l’hypertension artérielle pulmonaire. Ils ont prétendu avoir subi un « préjudice de contamination générateur d’anxiété et directement imputable au retrait tardif du Médiator® du marché ». En effet, le Médiator® a été retiré du marché en novembre 2009 et, à compter de décembre 2010, l’AFSSAPS leur a adressé une lettre pour les alerter sur ses effets indésirables. Chacun des demandeurs a demandé au juge des référés de condamner la société Les Laboratoires Servier à leur payer chacun la somme provisionnelle de 15.000 € en réparation de leur préjudice d’anxiété.
Solution : Le tribunal de grande instance de Nanterre retient la possibilité d’admettre l’existence d’un préjudice d’angoisse et, par conséquent, d’allouer une provision sur le fondement de l’article 809, alinéa 2 du code de procédure civile, aux motifs que :
« il convient d’examiner concrètement, avec l’évidence requise en référé, la situation de chacun des demandeurs caractérisée par la démonstration d’un suivi médical contraignant dans les deux années suivant novembre 2009, date à laquelle le médicament Médiator a été retiré du marché ou suivant l’arrêt de leur traitement et au delà, au regard du risque qui ne peut être actuellement exclu de développer une HTAP même plus de deux années après cet arrêt, de nature à provoquer chez eux un sentiment d’inquiétude indemnisable au titre d’un préjudice d’angoisse, et ce de manière non sérieusement contestable ».
Analyse : Après le contentieux des sondes cardiaques défectueuses (1re Civ., 19 décembre 2006, n° 05-15.719, n° 05-15.718 ; n° 05-15.723 ; n° 05-15.716 ; n° 05-15.721 ; n° 05-15.717 ; n° 05-15.722), celui de l’exposition aux poussières d’amiante (Soc., 11 mai 2010, Bull. civ. 2010, V, n° 106 ; JCP G 2010, II, 733, note J. Colonna et V. Renaux-Personnic ; JCP G 2010, I, 1015, n° 1, obs. C. Bloch ; D. 2010, p. 2048, note C. Bernard ; ibid. 2011, p. 35, obs. O. Gout ; ibid. 2012, p. 901, obs. P. Lokiec ; Dr. soc. 2010, p. 839, avis J. Duplat ; Rev. trim.. dr. civ. 2010, p. 564, obs. P. Jourdain), le Distilbène ® (Cass. 1re civ., 2 juill. 2014 : JurisData n° 2014-015291 ; Resp. civ. et assur. 2014, comm. 312, note S. Hocquet-Berg), le préjudice d’angoisse ou d’anxiété trouve ici un nouveau domaine d’application dans l’affaire du Mediator®.
Dès lors, les patients exposés à ce produit de santé toxique peuvent obtenir une indemnisation, sans devoir attendre que ses effets indésirables se soient effectivement développés. En effet, non seulement les patients sont exposés au risque d’être atteint d’une valvulopathie, qui disparaît dans les deux années suivant l’arrêt de l’administration du médicament, mais ils demeurent aussi exposés à celui de développer de l’hypertension artérielle pulmonaire, potentiellement mortelle, durant de nombreuses années.
Cette décision du juge des référés de Nanterre apparaît tout à fait justifiée, compte tenu de l’évidente angoisse que les patients sur lesquels pèse une sorte d’épée de Damoclès. Il paraît toutefois regrettable que le juge ait jugé judicieux d’opérer une distinction entre les patients qui ont pu justifié d’un suivi médical et les autres. Seuls les premiers ont, en effet, obtenu une indemnisation, laquelle est en outre limitée à la somme de 1.500 €, ce qui relève davantage du symbole que de la réparation effective. En outre, une telle distinction entre les victimes a été clairement condamnée par la Cour de cassation dans l’affaire de l’amiante puisque la chambre sociale retient que le préjudice d’anxiété ou d’angoisse est caractérisé par le constat que la victime se trouve « dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie », « quelle se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers » (Soc. 4 décembre 2012, n° 11-26.294, Bull. V, n° 316 et pourvoi n° 11-26293 ; Gaz. Pal. 14 fév. 2013, p. 19, M. Mekki, 23 mars 2013, p. 32, J. Colonna).
Reste que le juge des référés de Nanterre a ouvert la voie… Nul doute que de nombreux plaideurs vont désormais vouloir s’y engouffrer.