Comme le droit administratif français, le droit italien prévoit des mécanismes non juridictionnels que l’administration peut mettre en œuvre pour faire « disparaître » un acte juridique de l’ordonnancement. Il s’agit de l’« annulation d’office » (annullamento d’ufficio) et du « retrait » (revoca) : ces deux dispositifs vont sous le nom de la catégorie plus générale de l’autotutela, c’est-à-dire les décisions que l’administration peut prendre pour éviter un recours juridictionnel ou des conséquences négatives pour l’intérêt général, qu’elle est censée défendre.
Les mécanismes d’autotutela, nécessaires pour garantir à l’administration une certaine flexibilité, posent problème du point de vue de la sécurité juridique des destinataires de l’acte et des tiers intéressés. Pour cette raison, la loi Madia, dont l’un des principaux buts affichés est de redonner certitude aux relations entre l’administration et les administrés et, plus généralement, renforcer la confiance dans l’efficacité de l’administration et favoriser les investissements, encadre leur exercice dans des conditions qui n’étaient pas prévues auparavant.
Avant d’illustrer les nouveautés introduites par la loi Madia (II), les conditions et les modalités de mise en œuvre de l’annulation d’office et du retrait seront présentées (I).
I. Annulation d’office et retrait : attention aux faux amis
L’annulation d’office et le retrait se distinguent, en premier lieu, pour leurs effets. En évitant toute confusion avec le retrait en droit administratif français, qui a un effet rétroactif, en droit italien le retrait d’un acte administratif ne vaut que pour l’avenir. L’annulation d’office, quant à elle, a effet rétroactif et fait disparaître les effets de l’acte administratif dès son adoption, sur le modèle de l’annulation juridictionnelle.
En ce qui concerne les hypothèses dans lesquelles ces dispositifs peuvent être mises en œuvre, l’administration peut procéder au retrait d’un acte administratif pour des motifs d’intérêt général nouveaux par rapport au moment de l’adoption de l’acte ou pour un changement non prévisible de la situation de fait, ainsi qu’en raison d’une nouvelle appréciation de l’intérêt général originaire, tel qu’il se présentait au moment de l’adoption de l’acte. Ce dernier cas de figure est exclu pour les autorisations et les actes qui attribuent des avantages économiques aux destinataires, qui se rapprochent des actes créateurs de droits en droit français.
L’annulation d’office, quant à elle, peut être mise en œuvre par l’administration dans les mêmes conditions qui conduiraient à l’annulation par le juge. En particulier, le droit italien a codifié à l’article 21-octies de la loi n° 241/1990 les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir (violation de la règle de droit, excès de pouvoir, détournement de pouvoir), auxquels renvoie l’article en matière d’annulation d’office. Elle a, en outre, précisé que l’acte ne peut être annulé – ni par le juge ni par l’administration elle-même – pour des vices de forme ou de procédure non substantiels1. L’administration doit apprécier l’intérêt général à l’annulation de l’acte, ainsi que l’intérêt des destinataires et des tiers, et procéder dans un délai qui, avant la loi Madia, devait être « raisonnable ». La loi précise que la responsabilité de l’administration et des auteurs de l’acte peut être engagée en ce qui concerne tant l’adoption que la non-annulation de l’acte. Il faut préciser que l’administration a toujours une voie alternative à l’annulation de l’acte : lorsque les vices qui affectent l’acte le permettent et l’intérêt général le demande, elle peut « confirmer » l’acte vicié, en intervenant sur les éléments qui entraînaient le vice. C’est ce qu’on appelle la convalida.
Pour le retrait, aucun délai n’est prévu, mais si cette décision préjuge les intéressés, l’administration doit les indemniser. Si le retrait d’un acte administratif a des conséquences sur les relations contractuelles de l’administration (par ex., le retrait de ce qu’on appellerait en droit français un « acte détachable »), le calcul de l’indemnisation due aux intéressés doit tenir compte, d’une part, de la connaissance que les parties avaient ou pouvaient raisonnablement avoir de la contrariété de l’acte à l’intérêt général et, d’autre part, de leur concours à l’appréciation erronée faite par l’administration de la conformité de l’acte à l’intérêt général.
C’est surtout sur l’annulation d’office qu’intervient la loi Madia, sans apporter aucune modification aux règles relatives au retrait.
II. Revenir en arrière, mais pas à jamais
La grande nouveauté introduite par la loi Madia est la fixation d’un délai dans lequel l’annulation d’office des actes créateurs de droits doit intervenir : il ne s’agit plus seulement d’un délai « raisonnable », mais d’un délai qui ne peut dépasser dix-huit mois. Ce délai est assez long par rapport à celui de quatre mois que le droit administratif français connaît depuis l’arrêt Ternon (CE, Ass., 26 octobre 2001, Ternon) et qui est désormais inscrit à l’article L242-1 du Code des relations entre le public et l’administration, mais il s’agit tout de même d’une avancée dans le renforcement de la sécurité juridique.
L’introduction de ce délai de dix-huit mois est accompagnée de plusieurs corollaires.
En premier lieu, le même terme s’étend à la possibilité dont dispose l’administration de suspendre, pour des raisons graves, un acte qu’elle a adopté (art. 21-quater de la loi n° 241/1990) : au-delà d’un délai de dix-huit mois, l’acte ne peut plus être suspendu et toute suspension éventuellement décidée perd son effet.
En outre, la loi prévoit un cas d’exclusion de l’application du délai de dix-huit mois : il s’agit de l’hypothèse dans laquelle l’acte a été obtenu sur la base de fausses déclarations, dont l’auteur a été définitivement condamné au pénal. Lorsque cette circonstance est avérée, l’administration peut annuler d’office l’acte à tout moment.
Enfin, l’article 6 de la loi Madia abroge une étrange disposition de la loi de finances pour 2005 (loi n° 311 du 30 décembre 2004, art. 1, al. 136), qui permettait à l’administration d’annuler d’office les actes administratifs illégaux, même si leur exécution était toujours en cours, « pour faire des économies budgétaires ou diminuer les dépenses publiques ». Lorsque les conséquences de l’annulation touchaient à un contrat entre l’administration et une personne privée, un délai de trois ans était prévu. En outre, il devait être fait en sorte qu’elle ne préjuge pas les intérêts patrimoniaux privés – moyennant une indemnisation, notamment. En vertu de cette abrogation, les raisons budgétaires ne suffisent plus pour annuler d’office un acte administratif, l’administration étant obligée à se limiter aux cas d’ouverture traditionnels du recours pour excès de pouvoir.
Une attention particulière doit être réservée au recours à l’annulation d’office concernant les hypothèses de déclaration préalable. La déclaration préalable, qui prend le nom de segnalazione certificata di inizio attività (SCIA), fait elle-même l’objet de modifications dans le cadre de la loi Madia, auxquelles sera consacré l’un des prochains articles. Pour l’instant il suffit de signaler qu’en droit italien, la SCIA substitue toute autorisation dont l’octroi n’est subordonnée qu’à la vérification du respect des conditions posée par la loi et les règlements de la part du requérant et lorsqu’aucun limite quantitative n’est prévue. Après le dépôt d’une SCIA, le requérant peut débuter son activité et l’administration dispose de soixante jours pour s’y opposer.
Avant la loi Madia, l’administration pouvait tant retirer qu’annuler d’office l’acte après l’expiration du délai de soixante jours en cas de risque d’atteinte au patrimoine artistique et culturel, l’environnement, la salubrité et la sécurité publiques, la défense nationale, sous condition de vérifier qu’il n’était pas possible de protéger ces intérêts autrement. En vertu des modifications introduites par la loi n° 124/2015, l’administration ne peut désormais recourir qu’à l’annulation d’office, et ce dans les conditions générales précitées. Cette possibilité n’est, donc, plus limitée aux matières précédemment listées, mais elle est encadrée dans le délai de dix-huit mois que la loi Madia a introduit.
- L’acte ne saurait être annulé lorsque l’administration n’a pas de marge d’appréciation et son contenu n’aurait pas été différent si les règles de procédure ou de forme avaient été respectées. En outre, l’acte ne peut jamais être annulé si l’administration oublie d’informer le destinataire qu’elle est sur le point de commencer l’instruction de l’affaire – ce qui constitue une obligation prévue par la loi, lorsque le résultat n’aurait pas changé si le destinataire avait été prévenu. [↩]
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