Contexte : Cette décision rendue le 15 juin 2016 montre qu’aucune session de rattrapage n’est possible à hauteur de cassation lorsqu’on a oublié de demander une indemnité au titre du préjudice moral d’impréparation devant les juges du fond.
Litige : A la suite d’une fracture du col du fémur droit, consécutive à une chute, et de la mise en place d’une prothèse totale de hanche, une patiente présente une inégalité de longueur des membres inférieurs et subi, le 13 juin 2002, une nouvelle intervention chirurgicale réalisée par un chirurgien-orthopédiste, à l’issue de laquelle ont été constatés un raccourcissement du membre droit et un enraidissement de la hanche. Elle assigne ce praticien en responsabilité et indemnisation de son préjudice, en invoquant avoir subi une perte de chance de renoncer à l’intervention, en raison d’un défaut d’information sur les risques encourus. La cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette sa demande en considérant que, même si elle avait été averti de tous les risques de l’intervention, elle ne l’aurait pas refusée. Elle se pourvoit en cassation en reprochant d’avoir laissé son préjudice moral d’impréparation sans réparation, en violation des articles 16 et 16-3 du code civil, ensemble l’article L. 1111-2 du code de la santé publique.
Solution : Le pourvoi formé par la victime à l’encontre de cet arrêt est rejeté aux motifs :
« qu’après avoir retenu un défaut d’information imputable à M. Y…, l’arrêt écarte l’existence d’une perte de chance de Mme X… de renoncer au traitement ; que, s’étant bornée à en demander la réparation, sans solliciter l’indemnisation d’un préjudice moral d’impréparation résultant de ce défaut d’information, Mme X… ne peut, sous le couvert de griefs non fondés de méconnaissance de l’objet du litige et de violation de la loi, reprocher à la cour d’appel de n’avoir pas accueilli une demande de réparation dont elle n’était pas saisie ».
Analyse : Lorsqu’un médecin n’a pas correctement informé le patient, ce dernier peut prétendre à une indemnisation, sur deux fondements différents.
1) Le premier fondement consiste à considérer que le défaut d’information a privé le patient d’une chance d’échapper, par un choix plus éclairé, au dommage corporel qui s’est réalisé.
Toutefois, le patient ne peut prétendre à aucune indemnisation au titre d’une perte de chance, lorsqu’il est avéré que l’acte médical était nécessaire ou ne présentait pas de meilleure alternative, de sorte qu’il l’aurait quand même accepté s’il avait été correctement informé (1re Civ., 12 juillet 2012, n° 11-17.510, Bull. I, n° 165 ; 1re Civ., 11 décembre 2008, n° 08-10.255 ; 1re Civ., 21 janvier 2003, n° 01-03.930).
La perte de chance consiste, selon les termes de la Cour de cassation, en « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (1re Civ. 1, 21 novembre 2006, n° 05-15.674, Bull. I, n° 498, JCP 2007, I, 115, n° 3, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Crim., 6 juin 1990, n° 89-83.703, Bull. crim., n° 224, RTD. civ. 1991, p. 121, obs. P. Jourdain).
La réparation d’un préjudice de perte de chance, lorsque le fait du défendeur s’identifie à un devoir d’information en matière médicale, est devenue une application classique de la perte de chance.
Ce préjudice intègre une dimension aléatoire, puisqu’on ne peut être certain que, sans le fait du défendeur, l’événement préjudiciable ne se serait pas produit.
2) Le second fondement consiste à considérer qu’en méconnaissant le droit du patient à être préalablement informé des risques de l’acte médical, le professionnel de santé lui a causé un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation.
Cette solution résulte d’un arrêt rendu le 3 juin 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation, aux termes duquel il résulte des articles 16 et 16-3, alinéa 2 du code civil que « toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir ; que le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice », qu’en vertu de l’article 1382 du code civil, le juge ne peut laisser sans réparation (1re Civ., 3 juin 2010, pourvoi n° 09-13.591, Bull. I, n° 128 ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 222, note S. Hocquet-Berg ; JCP G 2010, p. 788, note S. Porchy-Simon ; Gaz. Pal. 16-17 juin 2010, n° 168, p. 9, avis A. Legoux ; D. 2010, p. 1484, obs. I. Gallmeister ; ibid. p. 1522, note P. Sargos ; ibid. 1801, point de vue D. Bert ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton ; RTD civ. 2010, p. 571, obs. P. Jourdain ; RDC 2010, p. 1235, obs. J.-S. Borghetti ; Petites Affiches, 18 août 2010, p. 9, note R. Mislawski ).
Cette position, jugée excessive par une partie de la doctrine et contraire à celle du Conseil d’Etat, a été tout récemment infléchie dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 23 janvier 2014 dans lequel elle énonce « qu’indépendamment des cas dans lesquels le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte d’investigation, de traitement ou de prévention a fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, en refusant qu’il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information cause à celui auquel l’information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque, que le juge ne peut laisser sans réparation » (1re Civ., 23 janvier 2014, n° 12-22.123, Bull. I, n° 13 ; Resp. civ. et assur. 2014, comm. 116, note S. Hocquet-Berg ; D. 2014, p. 590, note M. Bacache).
L’indemnisation du patient est maintenant subordonnée à la démonstration d’un préjudice « d’impréparation », vraisemblablement entendu comme « celui dont peut se plaindre tout patient qui n’a pas été en mesure de se préparer psychologiquement au risque qui lui avait été caché » (M. Penneau, note D. 1999, p. 48).
Le préjudice résulte donc « de la souffrance morale qui découle de la brutalité du choc subi du fait de l’annonce du risque réalisé, sans que le patient y fût psychologiquement préparé » (S. Hocquet-Berg, note Resp. civ. et assur. 2014, comm. 116).
Si, selon l’expression de la Cour de cassation, « ce préjudice ne peut être laissé sans réparation« , encore faut-il qu’une demande soit formulée à ce titre. Ce n’était pas le cas, en l’espèce, puisqu’aucune demande n’avait été formulée au titre d’un préjudice moral d’impréparation devant la cour d’appel. La Cour de cassation rappelle qu’il n’est pas possible de formuler une telle demande pour la première fois devant elle.
La solution (Déjà en ce sens, 1re Civ., 14 janvier 2016, n° 15-13.081) n’est qu’une application particulière de la règle prohibant la recevabilité des moyens nouveaux, mélangés de fait et en droit, devant la Cour de cassation (C. proc. civ., art. 619).