« La révolution n’a pas aboli les privilèges, elle a changé les privilégiés. »
Albert Camus
L’Histoire aura donc retenu la date du 4 août 1789 pour marquer la fin d’un modèle honni, celui d’une société fondée sur l’inégalité des droits que matérialise la somme de privilèges accordés surtout – dans l’imaginaire collectif – à la noblesse et au clergé.
Ce n’est pas qu’il y ait que du faux dans tout cela ; mais il n’y a surtout pas beaucoup de vrai.
En réalité, la nuit du 4-5 août symbolise avant tout le début d’un long processus qui n’aboutira que bien tard à l’abolition juridiquement définitive du régime féodal.
Aussi, et l’élément est d’importance, l’abolition sera contingentée évidemment à ce que les révolutionnaires ont bien voulu faire entrer dans la notion en droit de « régime féodal ».
Par conséquent, il aura fallu passer par de nombreux débats avant de pouvoir s’entendre sur les effets que produirait désormais la destruction de la féodalité en France. Débats qui trouveront une première issue le 11 août 1789, date à laquelle le décret dit « des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789 » – on a donc été prudent jusque dans le titre -, est seulement adopté par l’Assemblée nationale constituante.
Avant de proclamer Louis XVI « Restaurateur de la liberté française » (art. 17), ce dernier liste un certain nombre de privilèges – pas tous – parmi lesquels on distingue ceux qui sont abolis sans indemnité des autres qui sont dits « rachetables » ; bien que les conditions de rachat ne sont pas déterminées par le décret lui-même. Celles-ci devront être précisées ultérieurement. Et en attendant, la perception des dîmes, par exemple, sera continuée « suivant les lois et en la manière accoutumée » sur ordre de l’Assemblée.
La généralité de l’article 1er fait à ce titre toute l’économie du texte :
« Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés par ce décret continueront néanmoins d’être perçus jusqu’au remboursement.»
A cela s’ajoutent les sournoiseries juridiques dont font montre les services techniques du Roi et auxquelles les députés de l’Assemblée se laisseront aisément prendre. Tout ceci aura des conséquences non seulement sur l’entrée en vigueur du décret mais également sur son application – celle-ci n’allant pas sans celle-là. Un autre décret viendra donc compléter celui du 11 août 1789.
Avec pour titre « Décret de l’Assemblée nationale concernant les droits féodaux » et adopté le 15 mars 1790, ce nouveau décret compile l’ensemble des textes votés jusqu’alors en la matière afin d’harmoniser le régime juridique relatif à l’abolition des privilèges et apporter quelques précisions quant aux « effets généraux de la ‘destruction’ du régime féodal ».
« L’ASSEMBLÉE NATIONALE, considérant qu’aux termes de l’article 1er de ses décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, le régime féodal est entièrement détruit ; qu’à l’égard des droits et devoirs féodaux ou censuels, ceux qui dépendaient ou étaient représentatifs, soit de la mainmorte personnelle ou réelle, soit de la servitude personnelle, sont abolis sans indemnité ; qu’en même temps, tous les autres droits sont maintenus jusqu’au rachat par lequel il a été permis aux personnes qui en sont grevées de s’en affranchir, et qu’il a été réservé de développer par une loi particulière les effets de la destruction du régime féodal, ainsi que la distinction des droits abolis d’avec les droits rachetables, a DÉCRÉTÉ et DÉCRÈTE ce qui suit »
Il sera lui-même suivi par près d’une dizaine de décrets adoptés entre mai 1790 et août 1792 qui tous auront pour objet d’affiner le régime attaché à la fin des privilèges.
Il faudra attendre finalement le décret du 17 juillet 1793 pour que les circonlocutions en tout genre cessent. La Convention nationale décide en effet d’abolir les privilèges féodaux sans contrepartie à compter de cette date ; n’omettant pas bien sûr d’y apporter quelques exceptions.
Nous sommes donc bien loin d’une abolition absolue et définitive des privilèges telle que l’historiographie républicaine le laisse (trop souvent) entendre.
Sources :