Après avoir été dégagée par votre jurisprudence l’obligation pour la collectivité publique de « protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté » est aujourd’hui posée dans les termes que nous venons de citer par le IV de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Même si cette protection se traduit le plus souvent par la prise en charge, par l’administration, des frais de l’instance, dont les frais d’avocats forment la plus grosse part, ce n’est ni l’unique moyen de l’assurer, ni toujours le plus approprié, ce qu’il appartient à l’employeur public d’apprécier sous le contrôle du juge1.
Vous avez jugé que l’administration ne pouvait refuser d’accorder cette protection statutaire que pour des motifs tirés soit de l’intérêt général2, soit de l’existence d’une faute personnelle3.
Vous avez également jugé que l’octroi de la protection constituait une décision créatrice de droits4, qui ne pouvait être retirée que dans les conditions de votre jurisprudence Ternon, c’est-à-dire dans le délai de quatre mois à compter de son édiction ou à tout moment en cas de fraude. Vous avez enfin précisé que l’administration pouvait aussi mettre fin pour l’avenir à la protection accordée si elle constate postérieurement, sous le contrôle du juge, l’existence d’une faute personnelle5.
Pour être relativement complet, le régime juridique de la protection statutaire que forment ces jurisprudences comporte encore quelques ambiguïtés et lacunes. L’affaire qui vient d’être appelée vous permettra de lever et de combler certaines d’entre elles concernant la possibilité pour l’administration de mettre fin à la protection qu’elle a accordée.
Un fonctionnaire s’estimant victime de harcèlement moral
Pour la première fois de sa carrière d’administrateur du Conseil économique, social et environnemental (CESE), M. A., qui dirigeait en dernier lieu le service de logistique, a fait l’objet, au mois de novembre 2012, d’une évaluation négative de sa manière de servir de la part de la secrétaire générale qui avait pris ses fonctions quelques mois auparavant. S’estimant victime de harcèlement moral, il a sollicité l’octroi de la protection fonctionnelle, que le président du CESE lui a accordée par décision du 26 mars 2013. À ce titre, le Conseil a pris en charge les frais, essentiellement d’avocat, de la procédure de dépôt de plainte pénale qu’il a présentée à l’encontre de son président et de sa secrétaire générale ainsi que du recours indemnitaire qu’il a formé devant le tribunal administratif aux fins de condamnation de l’État à l’indemniser des préjudices subis du fait de ce harcèlement. Une première ordonnance de non-lieu a été rendue dans le cadre de la procédure pénale, ordonnance contestée par M. A. qui s’est constitué partie civile. Il n’a pas eu davantage de succès devant la juridiction administrative, le tribunal ayant par un jugement du 4 juin 2014 rejeté ses conclusions au motif que les agissements allégués ne constituaient pas des agissements de harcèlement moral. À la suite de ce jugement, par un courrier du 8 juillet 2014, le président du CESE a informé M. A. qu’il ne prendrait pas en charge les frais liés à la poursuite de la procédure devant la juridiction administrative – qui s’est révélée infructueuse pour M. A., dont l’appel a été rejeté et le pourvoi en cassation non admis – ni ne couvrirait le montant de la consignation afférente à sa constitution de partie civile (3 000 €). M. A. a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Paris, qui a fait droit à requête, mais son jugement a été partiellement annulé par la cour administrative d’appel de Paris. Celle-ci a confirmé l’annulation de la décision en tant qu’elle concerne le refus de prise en charge de la consignation afférente à la constitution de partie civile, mais a annulé le jugement et rejeté les conclusions en annulation du refus de prise en charge des suites de la procédure devant la juridiction administrative. Après avoir posé en principe que l’administration pouvait décider de ne plus accorder la protection statutaire « si les circonstances de fait qui avaient présidé à l’octroi de la mesure ont changé ou n’existent plus », elle a estimé que tel était le cas d’un jugement, même non définitif, relevant que les faits sur lesquels le requérant fondait son action n’étaient pas établis.
Le principal moyen du pourvoi de M. A. vous permettra de compléter le cadre juridique dont nous avons brossé les grands traits en introduction. Il soutient que votre jurisprudence n’a ouvert à l’administration la possibilité de mettre fin à la protection fonctionnelle, à l’exception du cas où elle aurait été obtenue par fraude, ce qui permet de retirer la décision l’accordant, que pour deux motifs tirés de l’intérêt général ou d’une faute personnelle du bénéficiaire et que la cour a commis une erreur de droit en se fondant sur la seule circonstance que la demande de l’agent avait été rejetée en première instance, sans rechercher si le jugement révélait l’un ou l’autre de ces motifs.
Précisons tout d’abord que des agissements de harcèlement moral constituent bien des « menaces, violences, voie de fait… ou outrages dont [les agents peuvent être] victimes à l’occasion de leurs fonctions » et pour lesquels ils peuvent solliciter la protection statutaire de leur administration, alors même qu’elle leur permettra d’agir à son encontre6. Ce fait générateur du droit à la protection n’induit aucune règle particulière dans sa mise en œuvre.
Portée de la protection fonctionnelle accordée au fonctionnaire
La possibilité de remettre en cause pour l’avenir une protection statutaire n’est pas contestée par le requérant. Elle résulte effectivement très clairement de votre jurisprudence, dont seul le vocabulaire recèle peut-être certaines ambiguïtés que vous pourrez lever.
En effet si, comme nous l’avons dit, vous avez jugé que la décision d’octroi de la protection statutaire était créatrice de droits et ne pouvait être retirée, sauf fraude, au-delà du délai de quatre mois à compter de la date à laquelle elle a été prise, vous avez admis à plusieurs reprises que l’administration pouvait décider d’y mettre fin pour l’avenir. La plus explicite de vos décisions en ce sens est la décision de Section du 14 mars 2008, Portalis7, dans laquelle on peut lire que « dans le cas où l’autorité administrative a accordé la protection, elle peut y mettre fin pour l’avenir si elle constate postérieurement, sous le contrôle du juge, l’existence d’une faute personnelle ». Cette possibilité ressort des circonstances de fait d’autres décisions : ainsi, vous avez contrôlé les motifs de la décision par laquelle une autorité administrative avait refusé au « stade » du pourvoi en cassation le bénéfice de la protection juridique ou avait refusé de continuer à l’accorder, ce que vous n’auriez pas fait si vous aviez estimé qu’il n’était pas possible de mettre fin à la protection statutaire alors que le litige n’avait pas épuisé son cours juridictionnel8. Vous relevez également dans une décision Mme Guigne du 24 octobre 20059 que l’agent n’était pas « fondé à demander le maintien, au stade de la cassation, de la protection statutaire qui lui avait été accordée jusqu’alors ».
La règle générale qui nous semble se dégager de votre jurisprudence et que nous vous invitons à réaffirmer nettement, est que la décision d’accorder la protection statutaire vaut pour toutes les démarches et actions contentieuses que l’agent peut être conduit à effectuer pour obtenir la réparation des menaces et violences qu’il a subies dans l’exercice de ses fonctions. S’agissant d’une action contentieuse, la protection doit être considérée comme accordée pour toutes les phases ou stades de la procédure, référé et fond, première instance et voies de recours, de sorte que l’autorité administrative n’est pas tenue de réitérer son octroi pour chacune de ces phases. Une solution inverse serait à la fois compliquée pour l’administration qui devrait veiller à prendre une nouvelle décision et source d’insécurité pour l’agent qui ne serait jamais certain de pouvoir poursuivre son action, y compris lorsqu’il est attrait en appel après avoir gagné en première instance. Comme le faisait observer N. Boulouis dans ses conclusions sur votre décision Portalis, elle favoriserait « l’erreur de droit consistant à conditionner la protection au contenu de la décision pénale clôturant la phase en cause ».
Nous pensons même que l’obligation dans laquelle l’administration se trouve d’accorder la protection statutaire lui interdit de la limiter à une phase de la procédure, à moins qu’elle ait un motif particulier le justifiant. En effet, il appartient à l’administration d’apprécier quelle est la mesure de protection la plus appropriée et, dans cette perspective, on peut imaginer qu’elle estime par exemple qu’un référé est plus approprié qu’un recours au fond. En revanche, nous ne voyons pas ce qui pourrait justifier qu’elle exclut une voie de recours. Vous avez par ailleurs précisé dans votre décision Portalis que l’administration ne pouvait assortir la « décision accordant le bénéfice de la protection, laquelle est créatrice de droits, d’une condition suspensive ou résolutoire ».
Si l’administration n’est pas tenue de réitérer à chaque stade de la procédure l’octroi de la protection ni, par conséquent, l’agent de la solliciter, elle doit pouvoir, comme cela ressort de vos décisions précitées, décider d’y mettre fin, non pas à tout moment dans la mesure où elle ne saurait l’interrompre au cours d’une instance, mais à chaque phase de l’action, c’est-à-dire à chaque moment où la poursuite de l’action est subordonnée à une décision de l’agent. Comme l’indiquait encore N. Boulouis, « lorsqu’elle est accordée, la protection s’apparente en quelque sorte à une décision de principe qui va conduire l’administration à honorer les notes de l’avocat au fur et à mesure de leur présentation. Il s’agit donc d’une décision unique dont les effets ne sont pas immédiatement épuisés mais qui se renouvellent au fur et à mesure des étapes de la procédure. Ces étapes peuvent constituer autant d’occasions de réexamen ». La décision d’octroi de la protection statutaire fait partie de ces décisions créatrices de droit « dont le maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie » dont l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration indique qu’elles peuvent être abrogées sans condition de délai.
Motifs et modalités de retrait de la protection accordée
Quels sont les motifs qui peuvent justifier une remise en cause de la protection statutaire ? La question est ici un peu plus ouverte car vous n’avez jusqu’à présent expressément retenu, toujours par votre décision de section précitée Portalis, que le motif tiré de l’existence d’une faute personnelle.
La logique nous semble imposer que ce soient les motifs qui justifient de refuser d’accorder la protection statutaire qui justifient également d’y mettre fin. En effet, dès lors que la possibilité de mettre fin à la protection est fondée sur l’idée que cette protection n’est pas définitivement accordée mais que son maintien est subordonné à la permanence des raisons qui commandaient de l’accorder, tous les motifs qui peuvent légalement dispenser l’administration d’octroyer cette protection doivent pouvoir, lorsqu’ils apparaissent postérieurement à son octroi, justifier qu’il y soit mis fin.
La décision ayant accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle ayant créé des droits, il faut seulement que ces motifs soient fondés sur des éléments nouveaux, dont l’autorité administrative n’avait pas connaissance lorsqu’elle a accordé la protection et qui sont de nature à modifier son appréciation de la situation. Ces éléments nouveaux ne sont pas nécessairement des événements survenus postérieurement à la décision créatrice de droits. Il peut s’agir, comme en l’espèce, de circonstances antérieures portées ultérieurement à la connaissance de l’autorité administrative et qui la conduisent à réviser son appréciation du droit de l’agent au bénéfice de cette protection.
Les motifs qui justifient de ne pas accorder la protection statutaire sont de deux ordres : les plus souvent invoqués sont ceux qui permettent de « déroger », selon le terme employé par certaines de vos décisions10, à l’obligation de protection qui s’impose à l’employeur public car les conditions légales sont remplies : il s’agit de l’existence d’une faute personnelle de l’agent ou d’un motif d’intérêt général. Mais l’existence de motifs de dérogation ne doit pas faire oublier que l’autorité compétente est fondée à refuser d’accorder sa protection lorsqu’elle n’est pas légalement due. C’est une évidence, mais qu’il est parfois utile de rappeler. Vous avez déjà jugé11 que le motif tiré de la faute personnelle, qui justifie de déroger à l’obligation d’accorder la protection statutaire, justifie aussi d’y mettre fin.
La question est plus complexe pour le motif d’intérêt général, qui n’est pas entièrement imputable à l’agent et dont le contenu est d’ailleurs plus difficile à cerner. Il n’est susceptible de jouer que dans le cadre de la protection statutaire générale du IV de l’article 11 de la loi de 1983 et non dans celui – du III – de la protection due en cas de poursuites pénales engagées à l’encontre de l’agent12.
Il ressort de votre jurisprudence qu’il peut recouvrir deux cas de figure.
Le premier, qui est celui qui vient spontanément à l’esprit, est celui de l’intérêt du service qui commande que l’autorité administrative ne paraisse, en apportant son soutien à l’action de l’un de ses agents, cautionner un comportement qui, sans être une faute personnelle, n’en est pas moins problématique. Vous en avez une conception particulièrement stricte puisque vous avez par exemple refusé de reconnaître comme un motif d’intérêt général le fait que le comportement professionnel de l’agent ait pu ne pas être entièrement satisfaisant13 ou encore le souci d’apaiser le climat après une longue grève14. Le président Denoix de Saint-Marc, commissaire du gouvernement sur ces deux affaires, en avait déduit que « seuls des motifs tout à fait impérieux et inspirés par la bonne marche des services publics peuvent légalement dispenser l’administration de son devoir de protection ». David Kessler, dans ses conclusions sous votre décision de Section du 18 mars 1994, Rimasson15, avait évoqué le risque de discrédit du service si l’administration protégeait des « comportements d’agents légitimement réprouvés par l’opinion publique ». Plus récemment, vous avez admis que l’administration était fondée à se prévaloir d’un motif d’intérêt général pour refuser la protection statutaire à un agent qui avait divulgué des informations confidentielles susceptibles de jeter le discrédit sur des personnalités publiques et attentatoires à leur vie privée16 ou à un agent qui était en partie responsable d’un climat gravement et durablement conflictuel au sein du service et que l’action en diffamation qu’il engageait ne pouvait qu’aggraver17. Il est significatif que dans ces deux cas le comportement de l’agent ne soit pas étranger au motif d’intérêt général qui justifie de ne pas lui accorder la protection statutaire.
L’autre cas de figure est d’une nature différente : vous admettez que l’administration est fondée à refuser de prendre en charge les frais d’une action en justice manifestement dépourvue de toute chance de succès18. Mais il ressort de cette même décision que cette circonstance ne dispense pas l’administration de son devoir de protection : elle lui permet de refuser à l’agent le financement d’une action en justice perdue d’avance mais elle doit envisager d’autres modalités de protection plus efficaces. En l’espèce, vous avez jugé que l’administration ne pouvait se fonder sur ce motif pour refuser d’accorder sa protection au stade de la cassation dès lors que le pourvoi, dont le rejet était probable compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, « portait sur une question d’application de la loi utile à sa défense ».
Il nous semble résulter de ces jurisprudences que le motif d’intérêt général n’est pas, contrairement à la faute personnelle qui fait perdre à l’agent le bénéfice du droit à la protection, un motif dispensant l’administration de son obligation de protéger ses agents, mais plutôt un motif justifiant qu’elle prenne certaines mesures plutôt que d’autres et notamment qu’elle ne finance pas une action en justice lorsque cette action est vouée à l’échec ou que sa participation perturberait gravement le service.
Mais, contrairement à ce que semble croire le requérant, ces deux motifs n’épuisent pas les justifications d’une remise en cause de la protection initialement accordée. Car avant d’envisager l’éventualité d’une dérogation à l’obligation de protection, il convient de vérifier que les conditions de l’obligation sont remplies. Dans la logique d’un droit dont le maintien est subordonné à la permanence des conditions de son octroi, l’autorité administrative doit pouvoir y mettre fin lorsque les conditions pour l’accorder ne sont plus remplies ou qu’elle a connaissance d’éléments qui établissent qu’elles ne l’ont jamais été.
Or la protection statutaire n’est pas due et l’autorité administrative est fondée à refuser de l’accorder lorsque les conditions légales pour l’accorder ne sont pas réunies, soit que les faits dont se prétend victime l’agent ne sont pas de ceux qui ouvrent droit à la protection ou ne sont pas établis19, soit que l’agent n’ait pas subi ces faits au titre de ses fonctions20.
S’il apparaît postérieurement à l’octroi de la protection statutaire que les agissements dont l’agent se prétendait victime ne sont pas établis, il nous semble que l’autorité administrative, de même qu’elle aurait été fondée à lui refuser la protection si elle en avait eu connaissance dès l’origine, est fondée à y mettre fin pour l’avenir.
Vous avez déjà jugé que l’autorité administrative pouvait refuser de financer un recours en cassation qui n’avait plus pour objet d’assurer la protection de l’agent, car elle l’avait déjà obtenue pour les stades précédents du litige et que ce recours, qui ne tendait plus qu’à faire trancher une question de droit, n’aurait aucun effet sur la situation personnelle de l’agent21. Nous pensons qu’elle le peut également lorsqu’il apparaît que la protection n’est plus due car les faits dont se plaint l’agent ne sont pas de ceux qui lui ouvrent droit à la protection.
Cette situation risque d’être fréquente en matière de harcèlement moral, non seulement parce que les plaintes en la matière sont beaucoup plus nombreuses que les condamnations finalement prononcées, mais aussi parce que la dialectique particulière de la preuve en la matière, issue de votre décision de section Mme Montaut du 11 juillet 201122, conduit à faire de la première instance contentieuse le lieu de l’établissement des faits. En effet, il résulte de cette décision que l’agent doit seulement apporter des éléments de fait susceptibles de faire présumer de l’existence d’agissements de harcèlement moral, l’administration devant établir que ces agissements sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. L’employeur de l’agent étant à la fois celui qui doit la protection statutaire et qui devra se défendre devant le juge de l’accusation de harcèlement qui lui sera faite, il peut certes estimer que les faits qui sont invoqués par l’agent et qui lui sont donc reprochés ne sont pas établis et refuser sa protection, mais il peut aussi préférer l’accorder et se défendre ensuite devant le juge. Son choix conduira à porter la question de l’existence d’un harcèlement devant la juridiction à l’occasion de la contestation du refus de protection statutaire ou à l’occasion du contentieux indemnitaire en réparation des préjudices subis par l’agent qui s’en prétend victime. Votre décision du 1er octobre 2014, M. Thomas-Picard23, offre un exemple du premier cas de figure. La présente affaire du second. Mais, quoi qu’il en soit, il ne saurait être déduit du choix de l’autorité administrative aucune conséquence sur une éventuelle reconnaissance des faits.
Lorsque, comme en l’espèce, l’autorité administrative fait le choix d’accorder la protection statutaire pour permettre à l’agent de faire valoir en justice ses griefs à son encontre et de se justifier à cette occasion, il nous semble qu’elle peut parfaitement décider de ne plus l’accorder lorsque le débat contentieux aura permis d’établir que les agissements dont se prétendait victime l’agent et au titre desquels il a obtenu la protection statutaire ne constituent pas des agissements de harcèlement moral et n’ouvrent pas droit à la protection.
Erreur de droit de la cour
La cour nous paraît donc, contrairement à ce que soutient le requérant, avoir eu raison d’affirmer que l’administration « peut mettre fin, pour l’avenir, à une mesure de protection fonctionnelle qui, accordée à l’un de ses agents se plaignant d’être victime d’agissements de harcèlement moral, produit des effets continus, si les circonstances de fait qui avaient présidé à l’octroi de la mesure ont changé ou n’existent plus ».
En revanche, nous pensons qu’elle a commis l’erreur de droit qui lui est reprochée dans l’application qu’elle a faite de ce principe en jugeant que « l’administration est fondée à procéder à la remise en cause de ce droit précaire dès la décision du juge administratif constatant l’absence de harcèlement, alors même que cette décision ne serait pas définitive ». Les motifs du jugement par lequel le tribunal statue sur le litige relatif aux agissements de harcèlement peuvent en effet révéler des circonstances de fait susceptibles de conduire l’administration à considérer que les conditions d’octroi de la protection statutaire ne sont pas remplies et à y mettre fin. Mais elle ne saurait se dispenser de procéder elle-même à cette appréciation. Or les motifs de l’arrêt attaqué font du jugement de rejet des conclusions de l’agent la seule justification de la remise en cause de la protection statutaire, ce qui confère à ses motifs une autorité bien trop grande pour un jugement de première instance non définitif. Le cas d’espèce n’est pas très éloigné de celui de votre décision M. Ménage, du 23 juillet 200824, par laquelle vous avez jugé que l’autorité administrative n’avait pu, pour refuser de continuer à accorder à son agent la protection juridique, se fonder exclusivement « sur la qualification de faute personnelle retenue, pour les faits reprochés à l’intéressé, par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 mars 2007 ; qu’une telle qualification ne liait pas l’administration, laquelle ne pouvait, le cas échéant, mettre fin à la protection accordée qu’en réexaminant, à la lumière d’éléments nouveaux, les faits reprochés à l’intéressé ». Votre décision Mme Burger du 1er octobre 201425 donne une illustration de la manière dont une juridiction administrative doit intégrer une décision de la juridiction pénale dans sa propre appréciation des circonstances de fait.
Ces exemples concernent certes la portée de décisions de la juridiction pénale ne se prononçant pas exactement sur la qualification des faits susceptibles d’ouvrir droit à la protection. Mais dès lors que les motifs de la décision de la juridiction administrative constatant l’absence de harcèlement moral ne sont pas revêtus de l’autorité de la chose jugée, ils ne sauraient lier ni l’autorité administrative, ni son juge.
La cour ne pouvait donc pas se borner à constater que le jugement avait conclu à l’absence de harcèlement ; elle devait apprécier au regard des faits nouveaux tels qu’ils ressortaient de l’ensemble des pièces du dossier, notamment des motifs du jugement s’étant prononcé après un débat contradictoire sur le harcèlement dont se disait victime l’agent, mais aussi d’autres circonstances de l’espèce, par exemple le non-lieu prononcé sur la plainte pénale de l’agent, si l’agent pouvait prétendre à une protection de son employeur.
Nous vous proposons donc d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il s’est prononcé sur la décision de refus de prise en charge des frais engagés par M. A. au titre de la procédure devant la juridiction administrative26 et de renvoyer dans cette mesure l’affaire à la cour administrative d’appel de Paris, ce qui vous dispensera d’examiner l’autre moyen du pourvoi, tiré de ce que la cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si les faits invoqués par le requérant, alors même qu’ils ne constitueraient pas des agissements de harcèlement moral, ne constituaient pas des faits ouvrant droit à la protection. Il s’agit en réalité de faits – souffrance au travail ; mise à l’écart de réunions – qui ne pourraient entrer dans le champ du IV de l’article 11 de la loi de 1983 qu’au titre du harcèlement moral. Ce moyen n’est donc certainement pas fondé.
Vous pourrez enfin mettre à la charge du CESE le versement à M. A. d’une somme de 3 000 € au titre des frais exposés. ■
- Voyez, par exemple, CE 21 février 1996, De Maillard, n° 155915 : Rec., p. 48. [↩]
- CE Ass. 14 février 1975, Teitgen, n° 87730 : Rec., p. 111 ; CE S. 24 juin 1977, Deleuse : Rec., p. 294; CE S. 18 mars 1994, Rimasson : Rec., p. 147. [↩]
- CE 12 janvier 2004, Devoge, n° 256204 : Rec., T., p. 817 ; CE 14 décembre 2007, Juhan, n° 307950 : Rec., T., p. 873 ; CE 9 juin 2009, Bertrand, n° 323745. [↩]
- CE 22 janvier 2007, Min. des Affaires étrangères c/ Maruani, n° 285710 : aux Tables sur ce point. [↩]
- CE S. 14 mars 2008, Portalis, n° 283943. [↩]
- CE 12 mars 2010, Commune de Hoenheim, n° 308974 : aux Tables sur ce point ; CE 1er octobre 2014, Thomas-Picard, n° 366002 : aux Tables sur un autre point. [↩]
- N° 283943. [↩]
- CE 31 mars 2010, Ville de Paris, n° 318710 : Rec., p. 91 ; CE 23 juillet 2008, M. Ménage, n° 308238. [↩]
- N° 259807 : Rec., T., p. 948. [↩]
- Cf. CE 31 mars 2010, Ville de Paris, n° 318710 : Rec., p. 91. [↩]
- Décision Portalis, préc. [↩]
- Décision Portalis, préc. [↩]
- 24 juin 1977, Deleuse, n° 93480 : Rec., p. 294. [↩]
- 16 décembre 1977, Vincent, n° 4344 : Rec., p. 507. [↩]
- N° 92410 : Rec., p. 147. [↩]
- CE 20 avril 2011, M. Bertrand, n° 332255 : Rec., p. 255. [↩]
- CE 26 juillet 2011, Mme Mirmiran, n° 336114 : Rec., T., p. 982. [↩]
- CE 31 mars 2010, Ville de Paris, n° 318710 : Rec., p. 255. [↩]
- 9 novembre 1994, Mac Kenna, n° 72322 : Rec., T., p. 1005 ; CE 3 mars 2003, Centre d’aide par le travail de Cheney, n° 235052 : Rec., T., p. 963 ; CE 17 décembre 2008, Mlle Dublin, n° 300346. [↩]
- 10 décembre 1971, Vacher-Desvernay : Rec., T., p. 758. [↩]
- CE 24 mai 2010, Mme Guigue et autre, n° 259807 : Rec., T., p. 948. [↩]
- N° 321225 : Rec., p. 349. [↩]
- N° 366002 : Rec., T., p. 726. [↩]
- N° 308238. [↩]
- N° 364536. [↩]
- Articles 1 et 3. [↩]
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