Accusé par certains d’être influencé et d’entretenir des liens avec des lobbyistes, par d’autres d’avoir développé une jurisprudence trop libérale, le Conseil constitutionnel a rendu le 26 octobre 2018 une décision qui devrait, au moins partiellement, permettre de nuancer les critiques négatives dont il est régulièrement le sujet. Il faut dire que l’objet, la domanialité publique, s’y prêtait particulièrement. Cantonné habituellement au domaine public maritime et à la circulation des biens entre personnes publiques/privées, le contentieux constitutionnel a cette fois porté sur les rapports entre la protection des biens mobiliers du domaine public et le droit civil des biens.
Antiquaire reconnu du 7èmearrondissement de Paris, la société Brimo de Laroussilhe a acquis en 2002 une pierre sculptée du jubé gothique de la cathédrale de Chartres connue comme le « fragment à l’aigle ». Considérée comme un trésor national par le ministère de la culture, celui-ci a refusé en 2003 de délivrer à la société un certificat d’exportation et a proposé d’acquérir le fragment pour une somme bien inférieure (1 million d’euros) à sa valeur estimée (7 millions d’euros). Les parties ne parvenant cependant pas à trouver un accord, l’État a en 2007 mis en demeure la société de lui restituer la pierre et a à cette fin en 2008 déposé devant le juge judiciaire une action en revendication au motif que le fragment appartient au domaine public mobilier (Tribunal des conflits, 9 juillet 2012, Ministre de la défense c/ Murat de Chasseloup-Laubat, rec. p. 514 : l’action en revendication d’un bien mobilier du domaine public doit être déposée devant le juge judiciaire, sous réserve d’une éventuelle question préjudicielle posée au juge administratif en cas de difficulté sérieuse sur l’appartenance du bien au domaine public). À la suite d’une longue procédure judiciaire s’expliquant notamment par la durée de l’expertise sollicitée par le juge sur l’historique du bien litigieux, l’appartenance au domaine public du fragment à l’aigle est acquise par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 janvier 2018 (CA Paris, 18 janvier 2018, n°16/02315. Not. F. Pollaud-Dulian, R.T.D. com. 2018. 359). La société a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel elle a présenté une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle a porté sur la question de savoir si l’article L. 3111-1 du CGPPP relatif aux principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public méconnait les articles 4 et 16 de la DDHC en n’étant pas pourvu d’exception pour les personnes privées possédant un bien mobilier du domaine public de bonne foi. Il s’agissait, non plus de discuter de la qualification juridique du fragment en tant que bien mobilier du domaine public, mais de son régime juridique et en l’occurrence des rapports entre la protection des biens du domaine public et l’article 2276 al. 1 du code civil selon lequel « en fait de meubles, la possession vaut titre ».
Transmise au Conseil constitutionnel par la 1èrechambre civile (1ère, 5 septembre 2018, n°18-13748. Not. P. Noual, JCP NI 2018 744), la QPC intervient dans un contexte où plusieurs affaires portant sur les biens mobiliers du domaine public occupent la sphère administrative et judiciaire depuis plusieurs années (CA Paris, SARL Brimo de Laroussilhe, préc., affaire du fragment à l’aigle ; 1èreCiv., 12 juin 2018,Ministre de la défense c/ Murat de Chasseloup-Laubat, n°17-19751, affaire sur les documents rédigés par le commandant du corps du génie durant les campagnes napoléoniennes ; CE, 21 juin 2018, Société Pierre Bergé et associés, req. n°408822, affaire du pleurant n°17). Par une décision rendue le 26 octobre 2018, le Conseil constitutionnel a rejeté au possesseur de bonne foi d’un bien mobilier du domaine public le bénéfice de l’article 2276 du code civil (I). Peu discutable que soit juridiquement cette solution, elle révèle pourtant un déséquilibre des divers intérêts en présence qui mériterait d’être discuté (II).
I. L’incompatibilité des effets de l’article 2276 du code civil avec l’indisponibilité des biens du domaine public
La décision rendue par le Conseil constitutionnel porte sur une question qui a déjà été balisée par plusieurs décisions tant du juge administratif que du juge judiciaire. Si, dans ce contexte, quelques remarques rapides peuvent être émises sur les conditions de recevabilité de la QPC (A), on retiendra surtout que la décision du Conseil constitutionnel préserve le régime juridique actuel des biens mobiliers du domaine public. En l’occurrence, la présomption de propriété tirée de l’article 2276 du code civil ne peut être invoquée par un possesseur de bonne foi d’un bien mobilier du domaine public (B).
A. Une appréciation souple du caractère sérieux de la QPC
Ce n’est pas la première fois que la 1èrechambre civile est appelée à transmettre une QPC portant sur les rapports entre l’article 2276 du code civil et le régime juridique des biens mobiliers du domaine public. Dans l’affaire des documents établis par François Charles Louis Murat en tant que général du corps de génie durant les campagnes napoléoniennes, elle a en effet refusé de transmettre une QPC portant sur un objet analogue au motif que le texte applicable au litige, l’article L. 211-4 du code du patrimoine issu de l’ordonnance n°2009-483 du 29 avril 2009, a en l’état un caractère règlementaire en l’absence de loi de ratification prise par le Parlement (1ère, 10 janvier 2018, n°17-19751). Il en va cependant autrement dans l’affaire Société Brimo de Laroussilhedès lors que le texte litigieux, l’article L. 3111-1 du CGPPP, a fait l’objet d’une ratification par le législateur par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et la clarification du droit et d’allègement des procédures. À cet égard, on relèvera que les conditions de recevabilité de la QPC – l’application de la règle au litige, le caractère nouveau, et le motif sérieux – ont été accueillies sans que la 1èrechambre civile n’en étaye les raisons.
Il y a pourtant ici un premier point d’achoppement. Si l’application de la règle au litige et le caractère nouveau sont acquis, le caractère sérieux de la QPC apparaît moins évident. La chambre criminelle a ainsi refusé de transmettre une QPC pour absence de caractère sérieux au motif que « les biens meubles relevant du domaine public, régis par les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité, ne sont pas susceptibles d’appropriation par une personne privée, fût-ce par voie de possession en application de l’article 2276 du code civil » (Crim., 17 juin 2014, n°13-87873). Dans l’affaire du pleurant n°17, si la constitutionnalité de l’article L. 3111-1 du CGPPP n’a pas été soulevée, le Conseil d’État a néanmoins jugé que le bien « n’avait pu faire l’objet d’une prescription acquisitive au profit de ses détenteurs successifs, quelle que soit leur bonne foi » (CE, Société Pierre Bergé et associés, préc.). Si dans ce contexte ces décisions pourraient être révélatrices de certaines divergences entre les juges portant sur le régime juridique des biens mobiliers du domaine public, le caractère sérieux de la QPC semble dans l’affaire Société Brimo de Laroussilhedavantage apprécié de manière opportune afin de laisser au Conseil constitutionnel le soin de rappeler la portée du principe d’indisponibilité des biens du domaine public.
B. Le rejet de la présomption de propriété justifié par l’appartenance du bien du domaine public
En disposant que « en fait de meubles, la possession vaut titre », l’article 2276 al. 1 du code civil établit une présomption selon laquelle le possesseur d’un bien est réputé en être le propriétaire. Deux conditions sont exigées pour emporter cette présomption, la possession effective, c’est à dire la jouissance réelle du bien ou pour reprendre J. Carbonnier, « le pouvoir physique exercé sur une chose » (J. Carbonnier, Droit civil, coll. Quadrige manuels, Paris, Puf, tome 2, 2ème, 2017, pp. 1713-1714), et la bonne foi. La bonne foi ne s’entend cependant pas ici dans le sens de l’ancienne rédaction de l’article 1134 (devenu l’article 1103) du code civil (obligation de loyauté), mais renvoie à « la croyance qu’avait le possesseur d’avoir contracté avec le véritable propriétaire » (Ph. Mallaurie, L. Aynès, Droit des biens, coll. Droit civil, Paris, LGDJ, 2017, 7èmeed., p. 201). La possession est en conséquence un fait que l’article 2276 al. 1 du code civil transforme en droit. Toute action en revendication d’une personne qui s’estimerait le véritable propriétaire du bien est alors fermée, sauf, ainsi que le prévoit l’article 2276 al. 2 du code civil, si cette action s’exerce dans les trois ans suivant la perte ou le vol (Ph. Mallaurie, L. Aynès, Droit des biens, op. cit. pp. 194-207).
Indissociables de la notion de domaine public, les principes d’inaliénabilité (1ère, 3 mai 1988, Consorts Renault c/ Électricité de France, n°86-13.931) et d’imprescriptibilité (CE, sect., 13 octobre 1967, Sieur Cazeaux, Rec. p. 368) des biens du domaine public renvoient à un principe général d’indisponibilité du domaine public (C. Chamard-Heim, F. Melleray, R. Noguellou, Ph. Yolka, Les grandes décisions du droit administratif des biens, coll. Grands arrêts, Paris, Dalloz, 2018, 3èmeed., pp. 842-843) que le législateur a codifié à l’article L. 3111-1 du CGPPP. Justifiés par de nombreux auteurs depuis J.-B. Victor Proudhon, R. Capitant et M. Waline par la protection qu’ils garantissent à l’affectation des biens (continuité du service public par exemple, décision n°2005-513 DC du 14 avril 2015, loi relative aux aéroports ), ces principes impliquent, ainsi que le Conseil constitutionnel le rappelle dans la décision Société Brimo de Laroussilhe, qu’il est interdit « de se défaire d’un bien du domaine public, de manière volontaire ou non, à titre onéreux ou gratuit » et qu’une personne publique « puisse être dépossédée d’un bien de son domaine public du seul fait de sa détention prolongée par un tiers » (pt. 6).
À l’instar de l’article 2276 du code civil, les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité des biens du domaine public ont une valeur législative (cette conclusion est parfois discutée, voy. C. Chamard-Heim, F. Melleray, R. Noguellou, Ph. Yolka, Les grandes décisions du droit administratif des biens, op. cit., 794-795). Dans l’affaire Société Brimo de Laroussilhe, le Conseil constitutionnel a en conséquence été appelé à user de la constitution pour trancher un conflit entre des normes ayant la même valeur juridique, l’article 2276 du code civil d’une part, l’article L. 3111-1 du CGPPP d’autre part, dès lors que le second est utilisé comme un moyen d’écarter la présomption de propriété établie par le premier.
Si sur le fondement des articles 16 (toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de constitution) et 4 DDHC (la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui) – on peut d’ailleurs s’étonner de l’absence de référence au droit de propriété prévu à l’article 2 DDHC – , le Conseil constitutionnel souligne qu’il est « loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions », c’est cependant sous la réserve qu’il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles (pt. 4). Le Conseil précise à cet égard qu’il ne saurait sans motif d’intérêt général suffisant « ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations », ni porter atteinte aux contrats légalement conclus (pt. 4). Habituellement observé pour appréhender des lois apportant des modifications au cadre juridique antérieurement en vigueur (décision n°2017-685 QPC du 12 janvier 2018, Fédération bancaire française; décision n°2015-718 DC du 13 août 2005, loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte), l’usage de cette formule est justifié ici sur le motif que l’article L. 3111-1 du CGPPP déroge à l’article 2276 du code civil (pt. 5). Ceci étant, cette filiation – présentée en conséquence comme nouvelle – n’est pas entièrement convaincante dès lors que l’indisponibilité des biens du domaine public n’est pas apparue avec le code de 2006.
En tout état de cause, discuter la constitutionnalité de l’article L. 3111-1 du CGPPP est loin d’être dénué d’intérêt. L’objectif recherché par la société Brimo de Laroussilhe est d’enjoindre le Conseil constitutionnel à infléchir la portée du principe de l’indisponibilité des biens du domaine public par la présomption établie à l’article 2276 du code civil. Une telle inflexion permettrait en effet d’utiliser la bonne foi comme un moyen de contourner les conséquences de l’appartenance du bien au domaine public, l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité, en octroyant in fineau possesseur d’un tel bien sa propriété. Cette lecture n’a cependant pas été retenue par le juge constitutionnel qui a posé le principe « qu’aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers et, d’autre part, qu’un tel bien ne peut faire l’objet d’une prescription acquisitive en application de l’article 2276 du code civil au profit de ses possesseurs successifs, même de bonne foi. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas atteinte à des situations légalement acquises, ni ne remettent en cause les effets qui pourraient légitimement être attendus de telles situations ».
Qu’un bien appartienne au domaine public, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel que les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité s’opposent à la présomption établie par l’article 2276 du code civil selon laquelle le possesseur d’un bien en est le propriétaire. La bonne foi est en conséquence sans effet sur le régime juridique des biens mobiliers du domaine public. Aucune présomption réfragable (si exercée dans le délai de 3 ans à compter de la perte ou le vol), ou irréfragable au-delà, ne peut être utilisée pour contourner l’appartenance d’un bien au domaine public. Cette appartenance reste pleinement protégée par le caractère perpétuel et inflexible des principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité. Le Conseil constitutionnel illustre dans la décision Société Brimo de Laroussilheune fois encore la portée de l’arrêt Blanco, dès lors que le droit administratif répond à des règles propres aux intérêts qu’il poursuit. Peu discutable que soit cette lecture réalisée par le Conseil, elle révèle un déséquilibre latent des intérêts en présence.
II. Une décision appelant à des aménagements du régime juridique des biens mobiliers du domaine public
La décision du Conseil constitutionnel a pour conséquence de responsabiliser davantage les acteurs privés qui, à l’occasion d’une vente d’un bien mobilier, devront s’attacher davantage à rechercher son propriétaire véritable. Cette tendance, qui n’est pas sans mettre en évidence des difficultés pratiques (A), appelle probablement à un meilleur équilibre des intérêts en présence qui pourrait à ce titre s’inspirer des droits européens (B).
A. Une responsabilisation accrue des acteurs privés
La décision du Conseil constitutionnel ne bouleverse pas le cadre juridique en vigueur. D’une part, les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité s’opposent en l’absence d’acte de déclassement régulièrement adopté à ce que l’État délivre un certificat d’exportation (CAA, 4 avril 2006, Mercier, n°04PA02037, à propos d’un fragment du bas relief de la colonne Vendôme de Paris) ; d’autre part, et cela est d’importance, « toute cession d’un bien du domaine public non déclassé est nulle, les acquéreurs, même de bonne foi, étant tenus de le restituer (CE, Société Pierre Bergé et associés, préc.). Outre qu’elle est susceptible d’affecter des ventes déjà réalisées – sans délai de prescription –, la décision a pour conséquence de responsabiliser davantage les possesseurs de fait de biens du domaine public, lesquels devront être plus vigilants sur l’historique du bien en cause. La décision du Conseil constitutionnel amplifie alors l’obligation pour le professionnel spécialisé de rechercher le propriétaire véritable du bien à l’occasion d’une vente.
Une telle solution, si elle se justifie juridiquement, n’en reste pas moins sévère dès lors que les affaires Ministre de la défense c/ Murat de Chasseloup-Laubat, Société Pierre Bergé et associés, et Société Brimo de Laroussilheont toutes trois illustré les difficultés à déterminer l’appartenance d’un bien mobilier au domaine public. Les professionnels ou particuliers devront alors prendre la mesure de la décision du Conseil constitutionnel. Si, comme dans l’affaire Société Brimo de Laroussilhe, « l’État se réveille après deux siècles d’indifférence » (F. Pollaud-Dullian, art. cit.) et propose d’acquérir un bien dont l’appartenance au domaine public n’est pas exclue, le possesseur de fait aurait tout intérêt à accepter le prix proposé, aussi modique et loin de l’estimation soit-il, plutôt que de prendre le risque d’avoir à le restituer à la suite d’une action en revendication engagée par l’État. On s’accordera alors pour constater que cette décision est peu protectrice des personnes privées et de leurs intérêts.
B. Un rééquilibrage des intérêts en présence par voie indemnitaire
Là où l’article 2276 al. 2 du code civil permet dans certaines circonstances au possesseur de fait d’obtenir une indemnisation dans les cas où le propriétaire initial réclame son bien dans les trois ans suivant la perte ou le vol, la décision du Conseil constitutionnel a pour conséquence de légitimer l’absence d’indemnisation par l’État du possesseur de fait de bonne foi d’un bien mobilier du domaine public. Elle est alors caractéristique de la distinction entre le droit et l’équité (pour un autre exemple, M. Canedo-Paris, « Irréductible principe d’inaliénabilité du domaine public », J.D.A., 2010, p. 1311). Bien que ce point soit étranger aux moyens avancés par les parties dans les différentes affaires portant sur les biens mobiliers du domaine public – et on le comprend dès lors que l’indemnisation n’aurait aucune équivalence avec le prix qui aurait été perçu par la vente du bien –, le Conseil constitutionnel aurait pu, par un obiter dictum, l’aborder afin de donner une lecture complète du régime juridique des biens mobiliers du domaine public. À cet égard, certains pourraient s’étonner que le juge n’eût pas utilisé la bonne foi, non pour octroyer un droit de propriété au possesseur de fait d’un bien mobilier du domaine public, mais pour justifier que l’État en indemnise la perte, à l’instar de l’action en revendication prévue par l’article 2276 al. 2 du code civil. Ceci étant, outre qu’il ne relève pas du Conseil constitutionnel de suppléer la loi (la récente décision sur l’absence de prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats en fournit un exemple, décision n°2018-738 QPC du 11 octobre 2018, pt. 11), il y aurait ici une interprétation discutable de la bonne foi. Elle sert dans le cadre de l’article 2276 al. 1 du code civil à justifier la présomption selon laquelle le possesseur de fait est le possesseur de droit, et non à justifier une règle indemnitaire.
De telles conséquences appellent probablement à une solution plus équilibrée, dont la décision appartient au législateur. Ce choix ne serait pas guidé par des considérations purement juridiques, mais serait la conséquence d’un choix politique qui pourrait au demeurant s’inspirer des droits européens. La doctrine s’est d’ailleurs à plusieurs reprises interrogée sur une éventuelle conventionalité des effets de l’indisponibilité des biens du domaine public (Chamard-Heim, F. Melleray, R. Noguellou, Ph. Yolka, Les grandes décisions du droit administratif des biens, op. cit., p. 845-846 ; N. Foulquier, Droit administratif des biens, coll. Manuel, Paris, LexisNexis, 2015, 3ème, pp. 197-198).
Sur le fondement de l’article 1P1 de la convention EDH aux termes duquel « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, le Conseil d’état a dans l’affaire Société Pierre Bergé et associésjugé que « la reconnaissance de son appartenance au domaine public justifiait qu’il soit rendu à son propriétaire, l’État, sans que soit méconnue l’exigence de respect d’un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l’intérêt public majeur qui s’attache à la protection de cette œuvre d’art » (cons. 9). La jurisprudence de la CEDH, rare sur le sujet, tend à abonder en ce sens (CEDH, Gr. Ch., 29 mars 2010, Depalle c/ France, req. n°34044/02). Une perspective identique résulte en droit de l’Union dela directive 2014/60/UE (directive 2014/60/UE du Parlement et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre et modifiant le règlement (UE) n°1024/2012 (refonte), O.U.E. n° L 159 du 28.5.2014, pp. 1-10). Fixant un cadre général relatif à la restitution à un État membre d’un bien culturel qualifié de trésor national présent le territoire d’un autre État membre (art. 2 1)), la directive détermine des délais de prescription aux termes desquels les États ne peuvent plus exercer d’action en revendication auprès de l’État au sein duquel il se situe. L’article 8 § 1 prévoit cependant que les États peuvent rendre cette action imprescriptible pour les collections publiques, c’est à dire les collections leur appartenant. Le droit de l’Union sert ici à conforter les droits nationaux et à préserver la diversité des régimes juridiques au sein des États membres.
L’absence d’indemnisation légitimée par la décision du Conseil constitutionnel appelle à des conclusions plus nuancées à l’aune des droits européens. La CEDH a jugé dans une affaire portant sur un bien immobilier du domaine public que l’État a violé l’article 1P1 en ne prévoyant pas une indemnité au possesseur de fait, notamment eu égard à sa bonne foi (CEDH, Valle PierimpièSocietà Agricolac/ Italie, 24 septembre 2014, req. n°46154/11, pt. 76 ; plus récemment CEDH, 29 juin 2017, Kosmas e.a. c/ Grèce, n°20086/13). Il s’agit cependant d’affaires portant sur des possesseurs utilisant le bien comme « outil de travail », et la CEDH prend soin de justifier sa lecture par « la spécificité des circonstances de l’espèce ». Enfin, l’article 10 de la directive 2014/60/UE prévoit que l’État est tenu d’indemniser le possesseur de fait s’il prouve avoir acquis le bien avec diligence (documentation sur la provenance du bien, autorisation de sortie du territoire, prix, qualité des parties, etc.). Si aucune affaire n’a pour l’instant permis d’apprécier la notion de diligence, le droit de l’Union se révèle, sous réserve de son applicabilité, plus protecteur du possesseur de fait que le droit interne.
S’il existe une corrélation entre la décision Société Brimo de Laroussilhedu Conseil constitutionnel et les droits européens sur les effets des principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité, notamment sur la possibilité pour les États d’exercer des actions en revendication des biens mobiliers du domaine public auprès des possesseurs de fait, des incertitudes demeurent donc sur la portée de la décision s’agissant de l’octroi d’une éventuelle indemnisation. Si le législateur ne profitait pas de la décision du Conseil constitutionnel pour instaurer l’obligation d’indemniser le possesseur de bonne foi d’un bien mobilier du domaine public, l’entrée en vigueur du protocole 16 pourrait à l’avenir constituer un moyen d’encourager la CEDH à proposer une lecture de l’article 1P1 qui ne se cantonne pas sur ces questions à des arrêts d’espèce.
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