Le droit de la non-discrimination a subi de nombreuses évolutions ces dernières années. Les plus importantes, en nombre du moins, sont constituées par l’augmentation massive des motifs de discrimination. Le système juridique français contient en lui-même cette possibilité d’inflation législative en imposant, en raison du principe de légalité du droit pénal, que le motif soit précisément identifié par la loi avant toute possibilité de répression. Cependant, il faut bien reconnaître la particulière productivité du législateur sur la récente période.
Cette logorrhée législative produit immanquablement des défauts de logique et des incohérences entre les différents textes identifiant les motifs, certains ayant plus les faveurs du législateur que d’autres. Surtout, cela interroge quant à l’effectivité de la lutte contre les discriminations car tel est bien l’objectif poursuivi par les différentes évolutions suivies en ce domaine. A ce titre nous pouvons citer l’allègement de la charge de la preuve (L. n°2008-496, 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, JO 28 mai), l’admission de la preuve par testing(L. n° 2006-396, 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, JO 2 avr.), l’action de groupe (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, JO 19 nov.) ou les différentes réformes visant à parvenir à réduire les écarts de salaire entre les femmes et les hommes (pour la dernière innovation en date : L. n°2018-771, 5 sept. 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, JO 6 sept.) et l’admission des discriminations positive dans divers domaines (emploi des personnes handicapées, égalité entre les sexes, lieu de résidence ou encore en matière de précarité). Prend ainsi corps une matière dans laquelle la recherche d’effectivité, au besoin en redessinant l’égalité, devient le moteur de la construction juridique. Ainsi, l’égalité des chances vient-elle appuyer les discriminations positives et offrir de nouveaux modèles de lutte contre les discriminations, de même qu’il arrive au législateur d’accoler le qualificatif « réelle » à l’égalité (L. n° 2014-873, 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, JO 5 août ; L. n° 2017-256 du 28 févr. 2017 de programmation de l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, JO 1er mars).
A première vue l’allongement de la liste des motifs participe à cet effort, la multiplicité de ceux-ci devant logiquement conduire à une meilleure couverture de la répression en embrassant des catégories de victimes supplémentaires. Cependant, la quantité n’entraine pas nécessairement la qualité. La rédaction de plusieurs motifs, les liens entretenus entre certains peuvent venir brouiller la lecture et la compréhension de la protection mise en place. De même, la différence de contenu entre les motifs peut aussi troubler. Par exemple, l’écart éclatant entre l’appartenance à une race et la domiciliation bancaire peut nous ouvrir à une réflexion sur la qualité et le sens de la protection offerte contre les discriminations.
A cela s’ajoute une difficulté supplémentaire qui réside dans la position des motifs. Le droit français offre un système non pas de liste mais de listes. A titre principal, nous pouvons en citer quatre : celle présente dans la loi du 27 mai 2008 considérée comme le texte de référence, l’article 225-1 du Code pénal, l’article L. 1132-1 du Code du travail et la loi « Le Pors » (L. n° 83-634, 13 juill. 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, JO 14 juill.) pour ce qui relève de la fonction publique (sur les évolutions législatives dans ces domaines : S. Slama, « La disparité des régimes de lutte contre les discriminations : un frein à leur efficacité ? », La revue des droits de l’homme, 2016, n°9 [en ligne]). A ces premiers motifs principaux s’ajoutent ceux qui sont identifiés de manière sporadique dans ces mêmes corpus de règles ou dans d’autres (Code rural et de la pêche maritime, Code de l’action sociale et des familles, Code des assurances, Code civil, Code de la défense entre autres). Se dessine alors une carte complexe présentant de multiples motifs qui bénéficient d’une répression à géométrie variable suivant le ou les textes dans lesquels ils sont présents (cf cartographie en annexe ).
Malgré une offre pléthorique, le maillage de protection contre les discriminations par l’identification des motifs apparaît imparfait et pour tout dire décevant. Au point tel qu’il est nécessaire d’envisager une réforme d’ampleur portant sur l’ensemble des textes afin de permettre une meilleure lisibilité et efficacité de la répression des discriminations. L’idée n’est d’ailleurs pas hors de propos. Il fut un temps, limité à quelques mois seulement, pendant lequel la liste a disparu du Code du travail (la disparition a été initiée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle mais a pris fin avec la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer). Même si l’on pouvait déplorer la disparition du texte servant de fondement au contentieux quantitativement le plus important en matière de discrimination, cet effacement permettait à tout le moins de revenir à la référence plus générale de la loi de 2008 en conservant la liste au sein du Code pénal et surtout de permettre l’éviction de scories entre ces différents textes.
Mais avant de penser aux modifications nécessaires, un bilan du dispositif actuel s’impose. Celui-ci met particulièrement en lumière un manque de cohérence entre les différents textes concernés (I). Au-delà de la logique, c’est la substance même de la lutte contre les discriminations qui s’en trouve modifiée, et pour tout dire une perte de sens (II).
I. Un manque de cohérence
La diversité des textes exposant les motifs de discrimination conduit nécessairement à des risques de divergences. C’est ce que nous pourrions dénommer un manque de cohérence externe aux motifs (A). Mais il existe également dans certains cas des glissements dans les mots ou expressions utilisés pour identifier certains motifs, ce qui peut venir troubler leur compréhension. Il s’agit alors d’un manque de cohérence interne aux motifs (B).
A. Un manque de cohérence externe aux motifs
Les différences entre les textes peuvent être classées en deux types. Tout d’abord celles, les plus évidentes, qui marquent l’absence de certains motifs dans une ou plusieurs des quatre listes principales (1). Ensuite, le propre d’une liste étant d’établir un ordre de présentation, il apparaît que celui-ci comporte quelques variations (2).
1. Dans la présence des motifs
De manière assez patente, la multiplication des listes laisse apparaître des vides (ou des ajouts suivant le sens dans lequel est opérée la comparaison). En termes purement quantitatifs, la loi de 2008 et l’article L. 1132-1 du Code du travail apparaissent comme les textes les plus fournis avec respectivement 25 et 24 motifs formellement présentés. Cependant il est le plus souvent considéré que les deux textes en prévoient 24 car les activités mutualistes, qui sont accolées aux activités syndicales dans le Code du travail, constituent en fait une expression supplémentaire de ces dernières. D’ailleurs les activités mutualistes ne bénéficient pas d’une jurisprudence propre (M. Miné, Droit des discriminations dans l’emploi et le travail, Larcier, Coll. Paradigme, 2016, § 1108). L’article 225-1 du Code pénal arrive dès lors sur la deuxième place du podium avec 23 motifs, seule la domiciliation bancaire étant absente du texte. La loi Le Pors clôt la marche accusant un certain retard avec seulement – si l’on ose dire – 15 motifs (sur la composition des listes, cf annexe sur le contenu des listes principales).
TEXTE | ||
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Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d’autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. |
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Article L1132-1 du code du travail
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Aucune personne ne peut être écartée (…) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. |
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Article 225-1 du code pénal
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Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. |
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Art. 6 de la loi le Pors
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Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. |
A ce décompte initial s’ajoute des motifs disséminés par ailleurs. Ainsi, de manière assez incongrue, le sexe, pourtant un motif de discrimination classique, n’est pas contenu dans la liste principale de l’article 6 de la loi Le Pors mais identifié à part dans l’article 6 bis. Cette extraction peut s’expliquer par la volonté de créer un volet spécifique pour les questions relatives au sexe puisque le motif de discrimination est relié à la question des agissements sexistes et des discriminations justifiées lorsque le sexe est une condition déterminante de l’exercice des fonctions (ce qui peut aussi être le cas dans le Code du travail, sans que le sexe soit pour autant extrait de la liste principale).
Plus spécifiques, plusieurs ajouts sont effectués au gré des codes suivant les enjeux propres à la matière. Cela peut être fait directement dans la liste à l’instar du motif des opinions connu de tous les textes et limité aux questions politiques qui essaime dans la fonction publique en opinions philosophiques (mais prend la forme de l’idéologie dans le Code de la défense : art. D. 4122-8). L’ajout peut également être effectué en dehors de la liste au détour d’un article traitant d’une problématique spécifique, particulièrement en raison de l’existence d’un mandat professionnel (un mandat de représentant des salariés à la chambre d’agriculture : C. rur., art. L. 515-1), d’une action spécifique (protection du lanceur d’alerte par exemple : C. trav., art. L. 1132-3-3) ou encore d’une problématique spécifique à un domaine (don d’organe, de cellules ou de gamètes comme facteur de refus de contrat d’assurance ou de calcul de prime ou de prestation : C. ass., art. L. 111-8 ; l’appartenance ou la non-appartenance à une association professionnelle de militaires : C. défense, art. L. 4126-4 ; la nationalité du transporteur ou du conducteur, l’immatriculation du véhicule, l’origine ou la destination du transport : C. voirie routière, art. L.119-5 et L. 119-9).
Si l’adaptation aux enjeux propres à une matière peut se comprendre (G. Calvès, « Motifs illicites de discrimination : poussée de fièvre à l’Assemblée nationale », D. 2016, p. 1500), plus étonnante est la disparité présente au sein d’un même corpus de règles. Ainsi, le Code du travail présente une liste principale, celle de l’article L. 1132-1 insérée dans les dispositions préliminaires du texte, mais également une seconde liste, celle de l’article L. 1321-3 destinée à présenter l’interdiction de mesures discriminatoires dans le règlement intérieur. Or, cette dernière ne reprend que 19 motifs des 24 de la liste principale. De fait, les motifs les plus récents (la domiciliation bancaire, la particulière vulnérabilité économique, le lieu de résidence, la perte d’autonomie et la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français) n’ont pas eu l’honneur d’être repris. Le législateur, dans sa production frénétique, a semble-t-il oublié de mettre à jour l’autre liste du Code du travail. L’intérêt de la conserver se pose donc, une solution simple étant d’instituer un simple renvoi à la liste de l’article L. 1332-1.
De ces disparités se dessine cependant un noyau dur de motifs présents dans tous les textes : l’origine, le sexe (malgré la petite altération de la loi Le Pors le glissant dans l’article 6 bis et non 6), la situation de famille, l’apparence physique, le nom de famille, l’état de santé, le handicap, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance à un ethnie, l’appartenance à une race et la religion. Nous pouvons y ajouter l’appartenance à une nation qui n’est pas présente dans la loi Le Pors uniquement au regard de conditions de nationalité spécifiques à certains postes. Cela est d’ailleurs expliqué dans l’article 225-3 du Code pénal : la discrimination n’est pas sanctionnée en cas de « refus d’embauche fondés sur la nationalité lorsqu’ils résultent de l’application des dispositions statutaires relatives à la fonction publique ». Ceci étant, cette restriction n’étant que pour certains emplois liés à l’exercice de la puissance publique ou qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques, rien n’empêchait le législateur d’identifier le motif dans la liste puis d’y apporter une possibilité de justification comme le fait par exemple le Code du travail en cas d’exigence professionnelle et essentielle dans son art. L. 1133-1. D’ailleurs, ces dernières sont pareillement listées dans l’article 225-3 du Code pénal, ce qui prouve la proximité de ces exceptions.
Une fois établies les différences de motifs entre les textes, apparaissent également, pour ceux qui sont présents, des différences dans leur ordre de présentation.
2. Dans la présentation des motifs
Lister suppose bien évidemment une suite, ici de motifs, montrant un ordonnancement. Or, il est difficile de déceler une réelle logique puisque ni l’aspect chronologique par ordre d’apparition légale du motif, ni le respect de l’ordre alphabétique ne sont utilisés. De plus, il apparaît que la présentation diffère selon le texte examiné (sur ce point, cf l’annexe sur l’ordre de présentation des motifs dans les listes principales). Si la loi de 2008 et le Code pénal suivent le même ordre (la seule différence étant due à l’absence de la domiciliation bancaire, pour le reste les motifs sont présentés dans le même ordre), Code du travail et Loi Le Pors ont leur propre dynamique trahissant peut-être une sensibilité exacerbée envers certains aspects. Ainsi, si les autres textes débutent leur litanie par la question de l’origine, la loi Le Pors la traite seulement en rang cinq, préférant débuter par la question des opinions, lesquelles, selon ce texte, peuvent être politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses.
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Art. 1er loi 27 mai 2008 |
Art. L1132-1 code du travail |
Art. 225-1 code pénal |
Art. 6 loi Le Pors |
Origine |
1 – origine |
1 – origine |
1 – origine |
5 – origine |
Sexe |
2 – sexe |
2 – sexe |
2 – sexe |
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Situation de famille |
3 – situation de famille |
7 – situation de famille |
3 – situation de famille |
10 – situation de famille |
Grossesse |
4 – grossesse |
8 – grossesse |
4 – grossesse |
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Apparence physique |
5 – apparence physique |
17 – apparence physique |
5 – apparence physique |
12 – apparence physique |
Vulnérabilité économique |
6 – particulière vulnérabilité de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur |
10 – particulière vulnérabilité de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur |
6 – particulière vulnérabilité de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur |
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Nom de famille |
7 – patronyme |
18 – nom de famille |
7 – patronyme |
9 – nom de famille |
Lieu de résidence |
8 – lieu de résidence |
19 – lieu de résidence |
8 – lieu de résidence |
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Domiciliation bancaire |
9 – domiciliation bancaire |
20 – domiciliation bancaire |
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Etat de santé |
10 – état de santé |
21 – état de santé |
9 – état de santé |
11 – état de santé |
Perte d’autonomie |
11 – perte d’autonomie |
22 – perte d’autonomie |
10 – perte d’autonomie |
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Handicap |
12 – handicap |
23 – handicap |
11 – handicap |
13 – handicap |
Caractéristiques génétiques |
13 – caractéristiques génétiques |
9 – caractéristiques génétiques |
12 – caractéristiques génétiques |
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Mœurs |
14 – mœurs |
3 – mœurs |
13 – mœurs |
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Orientation sexuelle |
15 – orientation sexuelle |
4 – orientation sexuelle |
14 – orientation sexuelle |
6 – orientation sexuelle |
Identité de genre |
16 – identité de genre |
5 – identité de genre |
15 – identité de genre |
7 – identité de genre |
Age |
17 – âge |
6 – âge |
16 – âge |
8 – âge |
Opinions politiques |
18 – opinions politiques |
14 – opinions politiques |
17 – opinions politiques |
1 – opinions politiques |
Activités syndicales |
19 – activités syndicales |
15 – activités syndicales ou mutualistes |
18 – activités syndicales |
2 – opinions syndicales |
Langue |
20 – capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français |
24 – capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français |
19 – capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français |
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Ethnie |
21 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie |
11 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie |
20 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie |
14 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie |
Nation |
22 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une nation |
12 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une nation |
21 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une Nation |
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Race |
23 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race |
13 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race |
22 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race |
15 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une race |
Religion |
24 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une religion déterminée |
16 – convictions religieuses |
23 – appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une religion déterminée |
4 – opinions religieuses |
Opinions philosophiques |
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3 – opinions philosophiques |
Des divergences se rencontrent également dans la construction de « grappes » de motifs pour la présence de la conjonction « ou » ou d’une simple virgule après exposé d’un contexte montrant la proximité entre plusieurs motifs (par exemple, « l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée » sert-elle à plusieurs motifs, généralement l’ethnie, la race et la nation et parfois la religion). Cette liaison ne doit pas être appréhendée comme une alternative entre motifs. Mise à part l’activité mutualiste reliée à l’activité syndicale dans le Code du travail, les autres motifs précédés d’un « ou » disposent d’un champ d’application propre et viennent s’additionner aux autres. La proximité n’entraine donc pas l’absorption. Ainsi, si l’identité de genre pose des questions d’identité individuelle du même ordre que l’orientation sexuelle, il s’agit bien de deux motifs distincts traitant chacun de difficultés spécifiques (l’intersexualité et le transsexualisme pour le premier, l’homosexualité et toutes les orientations sexuelles plus largement pour le second). Or, ces grappes de motifs ne sont pas construites de la même manière suivant la liste examinée. Ainsi le Code du travail relie assez logiquement la grossesse à la situation de famille et peut-être de manière moins évidente la domiciliation bancaire au lieu de résidence (le motif de l’origine semble plus approprié à cet égard). Pareilles relations sont absentes des autres textes. Le Code du travail créé également une dernière grappe débutant par un « ou » placé après une virgule et dans laquelle se retrouve la même conjonction de coordination : « ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap ». Chaque motif ayant son champ d’application propre, l’utilisation de liaisons apparaît inutile en même temps qu’elle alourdit la lecture.
Une solution simple serait donc d’apurer les textes en éliminant les liaisons parfois ambiguës.
Outre ce manque d’uniformité dans la présentation, il faut aussi s’attarder sur les différences de rédaction retenue pour désigner certains motifs.
B. Un manque de cohérence interne aux motifs
Certains motifs sont identifiés dans plusieurs textes, mais au prix d’une rédaction parfois divergente. Cela va de différences assez futiles qui ne prêtent pas à conséquence (1) à des changements de rédaction qui peuvent induire des modifications dans la protection envisagée (2).
1. Des différences rédactionnelles sans modification de la protection
La différence la plus anecdotique est sans doute celle de la nation qui, au contraire des autres textes, a l’honneur d’une majuscule dans le Code pénal.
Plus signifiant, concernant la race, la loi le Pors est la seule à ne pas avoir intégré la « prétendue race » connue des autres textes (C. trav., art. L. 1132-1, C. pén., art. 225-1 ; loi de 2008) afin de lutter contre l’idée selon laquelle il existe des races distinctes (sur l’introduction de cette expression : A. Denizot, « Race ou prétendue race : la méthode des petits pas », RTD Civ. 2017, p. 922). Par ailleurs, elle ne bénéficie pas toujours de la précision de l’ « appartenance ou[d’une] non-appartenance, vraie ou supposée »en dehors des listes principales (ainsi, le Code de la sécurité intérieure traite à plusieurs reprises de la question des discriminations, parfois renvoyant à la liste du Code pénal (art. R. 434-11), parfois en établissant sa propre liste (art. R. 631-27), voire reprenant certains motifs pour des considérations particulières (art. L212-1 sur la question de la dissolution des associations). Or ce dernier article ne reprend pas l’incise « vraie ou supposée », alors que c’est le cas dans l’article R. 631-27 et que le renvoi de l’art. 434-11 au Code pénal l’implique, amenant ainsi à la fois un manque de cohérence interne mais aussi externe aux motifs de discrimination).
Plus embêtant, même si la substance de la protection n’est pas atteinte, est le traitement réservé au nom de famille. Deux rédactions s’affrontent avec d’un côté les textes qui s’appuient sur cette expression (les listes du Code du travail ainsi que la loi Le Pors) et ceux (le Code pénal et la loi de 2008) préférant le terme de patronyme. Or, l’utilisation de ce dernier terme, relève elle-même d’une discrimination puisqu’il provient du latin pater, père, signifiant par-là que le nom porté est celui du père (d’ailleurs le terme matronyme existe également). Or, cela ne correspond pas à ce qui est vécu à l’étranger ni même en France avec la réforme du nom de famille (loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille) permettant à chaque parent de transmettre son nom ou un double nom. Le terme n’est donc pas en accord avec la réalité juridique et reste un marqueur social de la place du père dans la transmission du nom de famille. La difficulté rédactionnelle tient donc plus du symbole car la protection n’est pas atteinte par celle-ci, elle n’en reste pas moins un mauvais signal.
Au-delà de ces exemples, il existe également des cas dans lesquels la différence de rédaction entraîne une modification de la protection.
2. Des différences rédactionnelles avec modification de la protection
Un motif en particulier connaît des fluctuations rédactionnelles, il s’agit de la religion. Celle-ci fait l’objet de différences d’approche notables. Le Code pénal et la loi de 2008 reconnaissent ainsi la discrimination en raison d’une religion déterminée (d’autres textes utilisent cette expression : C. sport, art. L. 332-18 ; CSI, art. L. 212-1 ; Charte des droits et libertés de la personne majeure protégée, art. 2 ; CSP, art. R. 4321-58, R. 4322-52, R. 4127-7, R. 4127-211 et R. 4127-305) ce qui suppose d’établir la religion exacte de la victime. A ce propos, il peut être déjà soulevé que ce caractère déterminé semble en contradiction avec la contextualisation de « l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée ». Cette précision emporte avec elle l’idée d’erreur d’appréciation que le caractère déterminé semble contredire.
Plus flagrante est la différence avec le Code du travail qui préfère quant à lui parler de convictions religieuses (C. trav., art. L. 1131-1 et art. L. 1321-3) tandis que la loi Le Pors opte pour les opinions religieuses. Ce dernier texte est celui qui entretient la meilleure proximité avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dont l’art. 10 indique que : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ». Se pose alors la question de savoir si la religion est exactement la même chose que les convictions ou les opinions religieuses. A en croire la Charte des droits et libertés de la personne majeure protégée (D. n° 2008-1556, 31 déc. 2008 relatif aux droits des usagers des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et des délégués aux prestations familiales, JO 1er janv. 2009), les expressions n’auraient pas un sens identique puisque le texte vise deux fois la religion. Le premier article pertinent parle d’ « opinions et convictions ou croyances » religieuses quand le second reprend l’appellation du Code pénal et de la loi de 2008 en traitant de l’appartenance à une religion déterminée. Avoir une opinion en matière de religion n’est pas forcément le marqueur d’une appartenance ou d’une non-appartenance à une religion et l’on peut très bien imaginer une discrimination liée à l’opinion positive qu’a une victime envers telle religion à laquelle elle n’appartient pas forcément. Même à s’attacher uniquement à la conviction religieuse, celle-ci ne serait pas réductible à l’appartenance ou la non-appartenance à une religion. Selon une partie de la doctrine, « le traitement défavorable d’une personne en raison de ses convictions religieuses n’est pas, en soi, une discrimination en raison de l’appartenance à une religion mais une simple atteinte à la liberté religieuse, ce qui justifierait davantage de restrictions » (Y. Pagnerre, « Nouveau domaine du principe de non-discrimination, entre forces créatrices et subversives », Dr. Soc. 2017, p. 44).
Il faudrait sur ce point se rapporter aux textes internationaux qui lient cette question avec celle de la liberté de pensée et de conscience et traitent dans le même temps de la religion et de la conviction. Ainsi, l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 9 de la ConvEDH indiquent que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix ».
Un glissement similaire peut être identifié quant aux activités syndicales du Code du travail, du Code pénal et de la loi de 2008 qui deviennent de simples opinions syndicales dans la loi Le Pors.
Le motif de la vulnérabilité économique appelle lui aussi à un travail de décryptage puisque si la situation visée dans les listes est celle de la « particulière » vulnérabilité, l’adjectif n’est pas repris dans l’article permettant les discriminations positives sur ce motif (C. trav., art. L. 1133-6). On ne sait donc pas si ce sont les pauvres ou les très pauvres qui sont protégés et quels seuils pourraient être identifiés (D. Tharaud, « Etude critique du motif de discrimination résultant de la vulnérabilité économique », RDLF 2017, chron. n° 5 [en ligne]).
Plus grave, toutes ces disparités et toutes des nouveautés conduisent à une perte de sens de la notion de discrimination et partant de la lutte contre les discriminations.
II. Une perte de sens
L’admission de nouveaux motifs, pour certains fantaisistes, conduit à une dilution et une perte de sens, confinant parfois au ridicule (G. Calvès, « Le droit à la non-discrimination, un droit pour rire », D. 2017, p. 653). Ainsi, la multiplication des motifs, loin de densifier la lutte contre les discriminations, provoque une complexification provoquant un risque plus élevé d’échouer dans la reconnaissance d’une discrimination (A) mais surtout une dégradation de la notion de discrimination (B).
A. Une inutile complexification
A tout le moins, il est possible de se questionner sur l’utilité ou la plus-value des motifs les plus récents par rapport à ceux identifiés depuis plus longtemps. Il ressort que les derniers ajouts apportent finalement peu en termes d’étendue du champ de la protection puisque les personnes bénéficiant de la répression de la discrimination seront les mêmes. Certains motifs apparaissent dès lors comme insignifiants car peu ou pas utiles en ne permettant pas la reconnaissance de nouvelles victimes (1). Cela ne les empêche pourtant pas de produire des effets indésirables, notamment celui de mise en place de stratégies dans le choix des motifs à utiliser (2).
1. L’absence d’une extension de la protection
Certains motifs provenant des dernières innovations législatives n’apportent aucune nouvelle possibilité de protection. L’exemple topique en la matière est certainement celui de la perte d’autonomie. En effet, cette dernière relève d’un état physique qui se dégrade rendant la personne de plus en plus dépendante. Elle est à relier à trois motifs qui relèvent du classicisme du droit de la non-discrimination que sont le handicap, l’état de santé et l’âge. Le premier renvoie à l’idée d’autonomie spécialement concernant le pan de la protection qui cible la question de l’accessibilité qui correspond à l’idée selon laquelle la personne handicapée doit pouvoir accéder en toute autonomie à un logement, aux transports, à l’éducation ou aux services publics. Le manque d’autonomie est ainsi inhérent à certains handicaps et l’on conçoit mal l’apport du nouveau motif. Quant au second motif classique, celui de l’état de santé, il englobe également la perte d’autonomie dans le sens où l’état physique visé revient à se poser la question de l’existence d’une maladie et donc de l’état de santé. Surtout, de l’aveu même du législateur puisque ce motif est apparu par l’intermédiaire d’une loi portant sur le vieillissement, la perte d’autonomie est reliée à la question de l’âge. Alors, il est difficile de justifier sa présence dans le Code du travail où l’idée même de départ ou de mise à la retraite détruit l’idée d’une perte d’autonomie liée au grand âge et où la protection liée à l’inaptitude est déjà bien connue.
Qui plus est, dans les faits, il y a peu de chances que la perte d’autonomie soit privilégiée puisque, au contraire des autres motifs confrontés à elle, elle comporte l’idée d’une modification ou de la dégradation de l’état physique de la victime. C’est donc un motif qui relève d’une dynamique et non d’un constat, d’un processus plutôt que d’un état stable.
Dans le même ordre d’idées la domiciliation bancaire présente également une inutilité par rapport à d’autres motifs plus installés. Provenant de la loi n° 2017-256 sur l’égalité réelle outre-mer du 28 février 2017, le motif est donc, du moins initialement, dédié à la situation des ultra-marins (leur compte bancaire laissant apparaître cette qualité). Or, cette situation peut déjà faire l’objet d’une sanction au titre de l’origine ou, dans certaines circonstances, du lieu de résidence (si la personne réside encore en outre-mer lors de la décision discriminatoire). Même en dehors de ce cas spécifique, qui après tout n’apparaît pas expressément, il peut être envisagé que la domiciliation bancaire puisse servir à identifier les personnes les plus fragiles financièrement, par le biais de certains services bancaires en ligne ou à l’étranger reconnus comme moins coûteux (Déc. DDD n° 2018-159 du 4 juin 2018). Dans ce cas, la vulnérabilité économique pourrait être utilisée (sauf à considérer la gradation de la « particulière » vulnérabilité apparaissant dans la rédaction du motif). Il est possible de déplorer son absence du Code pénal (il s’agit du seul motif non repris), alors que sa présence assurée dans le Code du travail ne peut se justifier que par une transformation jurisprudentielle de l’idée initiale du législateur en admettant par exemple que les données bancaires puissent donner un indice de la situation délicate du salarié. Que penser également de la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français présente dans le Code du travail alors qu’il est de plus en plus fréquemment demandé aux candidats d’être bilingue, voire trilingue ?
Dans un mouvement inverse, des motifs récents dans les listes principales rendent obsolètes ou inutiles certains plus établis pour répondre spécifiquement aux problématiques d’une matière. Ainsi, le Code de la santé publique avait identifié les bénéficiaires d’aides sociales telles que la couverture maladie universelle comme pouvant être victimes de discrimination. Il est aisé de comprendre que cela peut être une des caractéristiques connues de l’auteur de la situation de particulière vulnérabilité économique. Pourtant, l’admission de ce dernier motif dans ce Code (par l’effet d’un renvoi de l’article L. 1110-3 à la liste du Code pénal), n’a pas eu pour effet de gommer la référence aux prestations sociales qui devient pourtant inutile. L’aide sociale ne se retrouve être aujourd’hui qu’un indice de la précarité du patient (qui devient alors nécessairement connue du professionnel de santé). De même, si l’on comprend bien la logique de ce même Code à parler de discriminations envers les personnes obèses ou en surpoids (art. L. 3232-4)lorsqu’il est question de la lutte contre les troubles du comportement alimentaire, cette problématique est de fait englobée dans le motif plus large de l’apparence physique (lequel permet au passage de protéger également contre les comportements visant d’autres troubles alimentaires comme l’anorexie et est présent dans toutes les listes principales).
En résumé, il existe plus de choix dans le motif à utiliser sans pourtant autant couvrir plus de situations. Il y a donc une complexification inutile, laquelle devient même contreproductive multipliant les choix à opérer, lesquels peuvent se traduire par un écueil pour la victime.
2. L’augmentation de choix hasardeux à opérer
Plus de motifs ouvre le champ des possibles et conduit à effectuer un choix, lequel doit se faire au plus proche de la situation. Cela a une incidence en termes de preuve puisque celle-ci suppose la plupart du temps une comparaison entre des situations permettant d’établir une différence de traitement. La priorité donnée à un motif peut modifier la constitution des groupes mis en balance, particulièrement dans le cadre d’une action de groupe. Ainsi, la perte d’autonomie renvoie a priorià la comparaison d’un individu perdant son autonomie à celle des personnes ne la perdant pas, ce qui demande de définir les critères de la perte d’autonomie alors que le critère de l’âge paraît permettre une comparaison plus aisée par le biais de la détermination d’une tranche d’âge. Cependant, pour des questions de véracité de la situation vécue par la victime, les deux motifs peuvent être plus ou moins satisfaisants, soit parce que la personne, malgré son jeune âge vit une perte d’autonomie, soit à l’opposé parce malgré son âge elle ne subit pas une perte d’autonomie au contraire de beaucoup de personnes appartenant à sa tranche d’âge. Il faut alors tracer les contours précis des situations à mettre en balance et le risque de ne pas prendre le motif le plus adapté pour des raisons pratiques de constitution de la preuve.
Augmenter le nombre de motifs, c’est aussi favoriser la naissance de contentieux croisant ou combinant les caractéristiques, autrement dit les discriminations intersectionnelles. Si le fait ne revêt pas en soit un caractère négatif puisque l’admission de ce type de discrimination ouvre la porte de la reconnaissance de difficultés propres à certains groupes, il peut le devenir en raison de l’offre démesurée des motifs. En effet, la preuve de la différence nécessite également de combiner les motifs. Pour prendre un exemple déjà tranché, la discrimination faite aux femmes en raison de la religion suppose de comparer la situation d’une femme musulmane à celle d’une femme non musulmane (CEDH, GC, Molla Sali c. Grèce, 19 déc. 2018, req. 20452/14).Multiplier les motifs conduit, par une possibilité de cibler plus précisément les situations en cause, à découvrir plus facilement des discriminations intersectionnelles avec un risque de difficultés accrues dans l’apport de la preuve. En effet, un mauvais choix dans la constitution des situations à comparer conduit à l’absence de reconnaissance d’une discrimination. Un problème de pertinence de la comparaison ne peut que se développer de même que l’admission artificielle de discriminations intersectionnelles qui ne seraient pas moins réprimées avec un seul motif (la domiciliation bancaire n’apporte aucune plus-value à la vulnérabilité économique si le compte bancaire laisse apparaître des difficultés financières par exemple). Il s’agit finalement d’un dévoiement des discriminations complexes alors qu’elles sont censées apporter une avancée notable dans la lutte contre les discriminations.
Au-delà de la difficulté de la preuve et des stratégies évidentes qui vont se dessiner afin de prouver une différence de traitement en fonction d’un ou deux motifs, cela pose la question d’une hiérarchisation : certains motifs risquent de devenir des accessoires en ne venant qu’appuyer un motif principal (la domiciliation bancaire venant s’ajouter à la vulnérabilité économique par exemple). Viendrait alors se dessiner deux classes de motifs, les majeurs, pleins et entiers, et les mineurs, inutiles ou accessoires. D’autant qu’il faut compter sur le fait que certains motifs obéissent à des régimes spécifiques et peuvent être soumis à des possibilités de discriminations justifiées (en matière d’âge par exemple : C. trav., art. L. 1133-2). Le choix fait en faveur de ces motifs peut alors se retourner contre la victime avec des possibilités de justification accrues.
Toujours en résonance avec le régime, le législateur a décidé ces dernières années d’assortir l’identification de certains motifs de la possibilité de discriminations positives faites en leur nom. À ce titre, nous pouvons citer le lieu de résidence (C. trav., art. L. 1133-5) ainsi que la vulnérabilité économique (C. trav., art. L. 1133-6). Si l’absence de précision par le législateur n’empêche pas la mise en œuvre de ce type d’actions (sauf matières pour lesquelles l’art. 1erde la Constitution empêche toute forme de distinction et donc de discrimination positive : l’origine, la race et la religion), il est cependant possible de distinguer une forme d’attention plus soutenue du législateur en faveur de plusieurs motifs de discrimination. Certains, même à défaut d’appartenir au noyau dur, bénéficient d’une possibilité expresse de « mesures prises en faveur » de certaines personnes et d’autres mis de côté par le législateur et qui ne bénéficient pas officiellement d’une attention particulière. D’ailleurs, cette forme d’attention expresse est peut-être trompeuse : ouvrir la possibilité de discriminations positives initiées par les acteurs, c’est aussi une forme de désengagement de l’Etat. Dans ce cas-là, on pourrait considérer que ce sont en fait ces motifs expressément visés qui sont en retrait et seraient des motifs de seconde classe. Quel que soit le prisme choisi, une hiérarchie entre les motifs se dessine avec un régime ouvertement distinct. Elle est sans aucun doute à relier à l’émergence des motifs économiques et sociaux pour lesquels les discriminations positives sont peut-être plus faciles à mettre en œuvre et porteuses de moins de troubles en termes de communautarisme. Il n’en reste pas moins une forme de rapport de classes.
Même au sein des motifs hors listes des différences peuvent intervenir dans le système de répression. Si les listes principales sont assorties de la possibilité de réprimer les discriminations indirectes, à savoir celles qui naissent d’une pratique neutre en apparence mais qui sont dans les faits défavorables à une catégorie (le droit pénal en est exclu car il suppose un élément intentionnel difficile à identifier dans ce type de discrimination), cette précision n’est pas toujours faite pour ce qui est des motifs isolés. Ainsi l’article L. 111-8 du Code des assurances l’indique concernant le motif du don d’organe ainsi que le Code de la voirie routière en ses articles L. 119-5 et L. 119-9 relativement aux tarifs des péages (motifs de la nationalité, de l’immatriculation du véhicule de l’origine ou de la destination du transport ou du trajet), mais l’absence de discrimination dans l’inscription à la cantine des enfants scolarisés (C. éduc., art. L. 131-13) ou pour un représentant des salariés à la chambre d’agriculture (C. rur., art. L. 515-1) n’en bénéficient pas. Quant au motif des caractéristiques génétiques, à la fois fort du groupe des motifs principaux et motif isolé dans le Code civil, il bénéficie dans les listes principales du double volet direct et indirect, mais s’en trouve privé dans le Code civil (du moins de manière expresse).
La question de l’aménagement de la preuve n’est pas non plus épargnée car elle bénéficie dans le Code du travail d’une explication de type général au sein d’un article dédié (C. trav., art. L. 1134-1), mais se retrouve rappelée au titre de motifs secondaires que sont le fait d’avoir témoigné de crimes ou de délits ou d’avoir signalé une alerte (C. trav., art. L. 1132-3-3).
Beaucoup plus largement, et c’est sans aucun doute là que se profile la difficulté majeure, les textes renvoient à des domaines d’application propres, plus ou moins contextualisés et différents. L’article 225-1 identifie le refus de fourniture d’un bien ou service, l’entrave à l’exercice d’une activité économique, le fait de subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service en fonction d’un des motifs listés à l’article 225-1 et pour ce qui est relatif aux relations de travail, le refus d’embauche, le refus de stage, le fait de sanctionner ou de licencier. L’article L. 1132-1 du Code du travail reprend ces items avec une rédaction parfois sensiblement différente (le refus d’embauche devient le fait d’être écarté d’une procédure de recrutement) et ajoute la mise à l’écart d’une période de formation. Quant à la loi de 2008, pour reprendre uniquement les questions liées au droit du travail, liste l’accès à l’emploi, l’emploi, la formation professionnelle, le travail, y compris le travail indépendant ou non salarié, les conditions de travail et de promotion professionnelle, mais aussi l’affiliation et l’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle (pour une approche complète de la question : J. Charruau, La notion de non-discrimination en droit public français, Thèse, Angers, 2017, p. 238 et s.). Les motifs ajoutés au fil des textes proposent assez logiquement une contextualisation propre au domaine abordé (dans la tarification des péages, dans le refus de contracter ou le calcul de la prime d’assurance…). Il y alors deux sources de complexité : l’applicabilité de la répression des discriminations en fonction du motif et celle en fonction de la matière du litige. La réponse à la première, dont on a vu qu’elle était délicate avec l’augmentation du nombre de motifs, peut avoir une incidence sur la seconde.
Tout concourt à former des courants au sein des motifs avec des degrés de force distincts et des stratégies à dessiner ou à redessiner. Derrière, c’est bien le déclassement de l’idée de discrimination qui se joue.
B. Une dégradation de la notion de discrimination
Au-delà de la dilution de la force d’une discrimination provoquée par une offre pléthorique de motifs, il existe une transformation de l’idée même de discrimination qui conduit à une dégradation de celle-ci. Ainsi, leur cœur actif, la notion de préjugés (1), passe-t-il au second plan. Sans oublier un manque d’envergure des nouveaux motifs luttent contre les symptômes plutôt que contre la maladie (2).
1. Une lutte contre les préjugés moins forte
La rédaction particulièrement alambiquée du motif de la précarité, « la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de l’auteur » a déjà pu susciter des questions quant à un ou des éventuels seuils de protection, elle surprend aussi par son parti-pris. En effet, elle ne respecte pas l’habituelle formulation neutre des motifs. Ainsi, le sexe renvoie indistinctement à l’appartenance au sexe masculin ou féminin permettant de cibler l’ensemble des situations possibles, même si de fait c’est l’appartenance au sexe féminin qui pose le plus de difficultés. De manière identique, même s’il est facile de comprendre les groupes qui sont visés par l’interdiction de la discrimination en raison de la religion, la protection peut théoriquement s’adresser à tous, en raison d’une appartenance ou d’une non-appartenance. Ce type de formulation a l’avantage de pouvoir protéger à la fois une discrimination de forme systémique (faite aux femmes par exemple) et les situations individuelles atypiques (une discrimination dont est victime un homme). Dans le cadre de la précarité, le législateur quitte sa neutralité habituelle pour ne protéger que les personnes pauvres, voire très pauvres. Or, si l’on dresse une comparaison avec les textes internationaux, il apparaît que cette thématique est bien présente mais qu’elle est souvent rédigée de manière neutre en faisant appel à la notion de fortune par exemple (ConvEDH, art. 14 ; CDFUE, art. 21). Le changement d’orientation est d’autant plus remarquable que le nouveau motif est apparu de manière concomitante à l’évocation d’une réforme de l’impôt et la mise en place du prélèvement à la source. Or, dans le droit du travail, la relation qui peut être faite entre le taux de prélèvement du salarié et une attitude discriminatoire telle que le refus d’une augmentation ou d’une promotion concernerait plutôt l’aisance financière du salarié. Ni le contexte politique, ni le droit de la non-discrimination ne permettent de comprendre les choix du législateur qui réduit la compréhension des préjugés et le nombre de victimes potentielles.
Il arrive également que le législateur prenne ses distances avec l’idée même de discrimination. Cette dernière se distingue d’une inégalité au sens où elle provient du jeu social. Elle n’a rien d’objectif puisqu’elle correspond à une prise de décision en fonction d’un élément perturbateur, le motif, qui empêche l’auteur de considérer la personne comme elle est à titre individuel mais uniquement comme appartenant à une catégorie. Au cœur de ce glissement de considération se trouvent des idées préconçues, des stéréotypes ou des préjugés. La dynamique des discriminations se construit donc sur cette fausse idée que l’on se fait de l’Autre, en dehors de toute considération de sa personnalité ou de ses compétences. Autrement dit, la personne est fantasmée et la prise de décision faite en dehors de toute réalité. Or, certains motifs identifiés hors listes ne correspondent pas à ce fondement des discriminations et, au contraire, se fondent sur une réalité précise. Ainsi, le Code du travail identifie le fait d’avoir exercé son droit de grève (C. trav., art. L. 1132-2), d’avoir dénoncé un crime ou un délit ou d’avoir eu une activité de lanceur d’alerte (C. trav., art. L. 1132-3-3 al. 1eret 2 et également C. défense, art. L. 4122-4) tandis que le Code pénal traite du fait d’avoir subi ou refusé de subir des faits de bizutage (C. pén., art. 225-1-2)ou de harcèlement sexuel (C. pén., art. 225-1-1). Ici, la « discrimination » se retrouve donc dans des circonstances particulières après un fait précisément identifié. L’interdiction est une réaction à ce que la personne a fait et non à ce qu’elle est. Il ne s’agit plus de réprimer des préjugés mais de représailles ou de mesures de rétorsion.
De manière assez similaire, l’appartenance à certaines instances professionnelles ou certaines fonctions spécifiques peut être découverte au gré de certains textes comme motif de discrimination : le mandat de représentant des salariés à la chambre d’agriculture (C. rur., art. L. 515-1), le fait d’être conseiller en radioprotection (C. trav., art. R. 4451-119),le collaborateur médecin au sein des services de santé au travail (C. trav., art. R. 4623-25-1), l’intervenant en prévention des risques professionnels (C. trav., art. R. 4623-37). Là encore, c’est bien ce que la personne fait, ce qu’elle a comme contrepouvoir envers l’employeur notamment, qui explique l’admission d’une « discrimination » à l’égard de ces personnes. Même à considérer que ces responsabilités précises peuvent être effectivement ciblées comme motifs de discrimination, une rédaction plus adaptée du motif d’activités syndicales permettant d’englober tous ces cas particuliers de responsabilités collectives ou au service d’une catégorie de personnes pourrait être une piste à explorer.
Dans d’autres cas, le motif est au contraire tellement large que l’on peine à voir quel peut être le support réel de la discrimination. Ainsi, pour ce qui est de l’accès à la cantine des écoles primaires, aucune discrimination ne peut être établie selon la « situation » des enfants ou « celle de leur famille » (C. éduc., art. L. 131-13) sans que cette situation ne soit aucunement décrite ou détaillée. En conséquence, toute situation peut faire l’objet d’une protection au titre des discriminations. Le Code du sport présente un élément similaire : l’article D. 224-9 indique que l’agrément des associations de supporters n’est accordé que si elles comportent dans leurs statuts des dispositions interdisant « toute discrimination de quelque nature que ce soit ». Ce cas de figure se rencontre également dans le Code de commerce qui, par le biais de son article L. 225-102-1, traite du contenu de la déclaration de performance extra-financière des sociétés anonymes en mentionnant les « actions visant à lutter contre les discriminations et à promouvoir les diversités ». Dans tous ces cas, le Code concerné ne bénéficie pas de liste générale (pour le Code du sport la seule liste présente est spécifique puisqu’elle concerne uniquement la question de la sécurité des manifestations sportives) et ne renvoie pas explicitement à l’une des listes principales comme cela peut être le cas dans d’autres corpus de règles (CSS, art. L. 133-4-8 ; CSP, art. L. 1110-3 ; CJA, art. L. 77-10-1 et R. 779-9).
Que l’on parle du motif le plus pointilleux ou de l’absence totale de précision, l’éloignement du principe fondateur de l’existence de préjugés est indéniable. Il semble qu’une confusion soit entretenue entre deux termes proches de discrimination et de distinction, voire de différence. Le Code pénal indique bien que la discrimination est une distinction fondée sur un motif préétabli (art. 225-1 : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement… »), mais si cette caractéristique est présente, c’est bien en raison de la possibilité qu’elle expose à un jugement préétabli et défavorable. Il s’agit d’ailleurs de la spécificité de la discrimination en droit et plus largement en sciences humaines et sociales : la discrimination est une distinction assortie d’une appréciation négative. En dehors de ce champ, comme en mathématiques par exemple, la discrimination relève d’une simple action neutre de différenciation ou de séparation. La mise en balance que suppose l’analyse de la discrimination conduit à identifier non pas une simple distinction, mais un traitement défavorable qui s’explique par une idée préconçue. Se démarquer de cette définition modifie considérablement la notion de discrimination qui devient une distinction comme une autre, qui ne trouve plus sa place dans l’atteinte à la dignité qu’elle est censée provoquer (les discriminations sont placées dans le Code pénal dans le chapitre consacré aux atteintes à la dignité de la personne. Sur le fondement de la dignité : J. Charruau, op.cit., p. 527 et s.). Est alors laissé de côté ce qui fait la nécessité de la non-discrimination au sein du principe d’égalité et la non-discrimination s’en trouve déclassée au rang de la lutte contre une inégalité quelconque.
Le système actuel laisse également apparaître une perte d’efficacité puisque les motifs présentent un caractère de plus en plus anecdotique.
2. Une lutte contre les symptômes au détriment de la lutte contre la maladie
Le droit de la non-discrimination se détache progressivement de la question de l’identité personnelle (T. Gründler, « Tous discriminés ? », RDLF 2017 chron. n° 33 [en ligne] ; « Motifs de discrimination », in D. Tharaud et C. Boyer-Capelle, Dictionnaire juridique de l’égalité et de la non-discrimination, L’Harmattan, à paraître). Le phénomène n’est pas typiquement français, la Cour européenne des droits de l’homme le reconnaissant sans ambages à propos de sa propre jurisprudence (CEDH (GC), 19 déc. 2018, Molla Sali c. Grèce,préc. : les nouveaux motifs qu’elle peut découvrir au fil de sa jurisprudence relèvent ainsi plus de l’idée de situation (terme d’ailleurs employé dans le texte de l’article 14) et « ne se limite[nt]pas aux caractéristiques qui présentent un caractère personnel en ce sens qu’elles sont innées ou inhérentes à la personne »), cependant est-il particulièrement vigoureux dans un contexte l’inflation législative.
Si l’on comprend que le droit de la non-discrimination peut prendre un virage social conduisant à l’admission de la vulnérabilité économique ou du lieu de résidence, il est plus difficile d’admettre le glissement vers l’anecdotique opéré par certains récents motifs.
Les dernières innovations légales semblent parfois confondre l’élément fondateur de la discrimination (le motif) avec sa concrétisation. Ainsi, la domiciliation bancaire veut traiter du refus de prêt ou de l’accès à un logement n’est ni plus ni moins qu’un indice visible de l’origine ou du lieu de résidence accessible à l’auteur de la discrimination lors de l’opération. De manière similaire la perte d’autonomie marque la signature de l’entrée dans le grand âge ou traduit un handicap ou un problème de santé.
A l’analyse, il semble bien que le législateur entretienne une certaine forme de confusion entre la maladie (l’acte de discriminer en raison d’un motif classique) et le symptôme (comment ou sur quel support se concrétise la discrimination). On transforme ainsi un élément de preuve (domiciliation bancaire) ou une conséquence d’un motif habituel (perte d’autonomie pour l’âge) en un motif à part entière.
Le manque d’envergure, la pusillanimité dont font preuve ces motifs renvoient aussi à une conception d’hyper contextualisation de l’Homme, devenu également au passage, par le biais de motifs moins identitaires et plus économiques et sociaux, l’homo economicus. Certes, le droit de la non-discrimination se fonde sur l’idée d’un « homme situé» (V. not. J. Porta, « Discrimination, égalité et égalité de traitement », Rev. Trav. 2011, p. 290 ; D. Tharaud, Contribution à une théorie générale des discriminations positives, PUAM, 2013 ; F. Lemaire, « La notion de non-discrimination en droit français, un principe constitutionnel qui nous manque ? », RFDA2010, p. 301), en tant qu’il s’agit de définir les caractéristiques concrètes d’une personne, mais certains motifs confondent la qualité d’Homme situé avec la situation à laquelle ce dernier se confronte, ce qui fait l’Homme à la situation qu’il traverse. Nous basculons alors de l’intérêt porté à l’Homme situé à celui de la situation dans laquelle se trouve un Homme. Ce manque d’envergure conduit à une destruction même de discrimination : n’est pas protégé l’Homme mais la situation. La non-discrimination perd son caractère essentiel pour ne devenir qu’une simple demande de rééquilibrage.
Conclusion et perspectives de réforme
La multiplicité des motifs, leur variabilité, leur découverte « désordonnée », (T. Gründler, J.-M. Thouvenin (Dir.), La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité, p. 14 [En ligne]) les incohérences entre les textes, tout concourt à un manque de lisibilité et d’efficacité. Une réforme d’ampleur remettant tous les textes en jeu et rebattant les cartes s’avère plus que jamais nécessaire.
Différentes voies sont possibles en fonction de la conception de la discrimination retenue, cependant, il nous semble que deux aspects doivent être discutés :
A. (Re)définir ce que sont les discriminations
La cohérence passe par une harmonisation des textes, laquelle suppose avant tout de rétablir une liste de motifs choisis et dont la rédaction est identique. Il faut alors en revenir au point de départ : qu’est-ce qu’une discrimination ?
Comme l’a clairement exposé Serge Slama reprenant la distinction effectuée par Danièle Lochak (S. Slama : « La disparité des régimes de lutte contre les discriminations : un frein à leur efficacité ? », La revue des droits de l’homme, 2016, n° 9 [en ligne]), deux définitions prévalent :
- Une conception extensive qui voit dans toute différence de traitement non justifiée une discrimination. Il faut alors confondre égalité et non-discrimination. La réforme ne porterait alors que sur une recherche de cohérence entre les textes, peu important le contenu du motif de discrimination ;
- Une conception restrictive qui ne retient la discrimination que lorsque la différence de traitement non justifiée est appliquée à « un groupe défini par une caractéristique particulière » soulevant une « particulière vulnérabilité » des personnes le composant. Ici, la réforme devra alors non seulement établir une cohérence mais également revenir sur les motifs afin d’identifier ceux correspondant à cette définition. Autrement dit les caractéristiques qui initialement intrinsèques à la personne, par le biais de la part d’actions, de comportements, de décisions deviennent des facteurs de vulnérabilité extrinsèques. C’est bien les tiers qui construisent cette vulnérabilité. Ainsi, le sexe ne constitue pas une vulnérabilité intrinsèque (sauf à en revenir au sexe faible pour désigner les femmes et à exclure les hommes de la protection), mais son appréciation sociale produit une vulnérabilité qu’il est nécessaire de protéger par le biais d’un motif de discrimination identifié. De même, si l’âge peut être un facteur de vulnérabilité intrinsèque, la répression s’appuie sur l’appréciation par les tiers de ce dernier, laquelle produit une vulnérabilité extrinsèque. Il faut alors préciser que sortir un élément des motifs de discrimination ne signifie pas l’absence de protection au nom de celui-ci. Si l’on comprend bien la nécessité d’imposer la protection en cas de refus d’un bizutage ou de harcèlement sexuel, celle-ci peut se faire autre titre d’une distinction abusive ou non justifiée ce qui permettrait d’établir un régime de sanction propre.
Dans ce premier élan, il faut donc rétablir une homogénéité des textes, notamment par un travail sur les listes de motifs, mais également opérer un tri dans les motifs, hors et dans listes, afin d’établir une véritable définition de ce que l’on entend juridiquement par discrimination. A cet effet, une mise en cohérence avec les motifs identifiés et la rédaction de ceux-ci dans les textes internationaux des droits de l’Homme serait bienvenue. Mais le travail ne peut finalement s’arrêter aux seuls motifs de discrimination qui ne sont que la partie la plus visible du caractère insuffisant du dispositif actuel. Il faut aussi, après ce premier travail, installer une homogénéité du régime lorsque celle-ci s’avère nécessaire.
B. Assurer une place centrale à la lutte contre les discriminations
Si le passage à une seule liste semble délicat puisque le droit pénal exige sa propre liste et que les discriminations ne peuvent être réduites à ce seul volet, un élément reste particulièrement troublant dans l’agencement actuel. Le texte de référence, au sens où il est le plus généraliste en s’affranchissant d l’idée de discipline, est la loi de 2008 et sa dénomination illustre bien la problématique française. Cette loi d’ « adaptation au droit communautaire » renvoie à une construction européenne aujourd’hui dépassée en même temps qu’elle imprime une idée forte, celle selon laquelle les discriminations sont encore regardées avec méfiance en France. Il est vrai, la lutte contre les discriminations s’est faite à marche forcée car il est souvent considéré que seul le principe d’égalité devrait briller au firmament de la construction de la société et du droit français. De ce point de vue l’allongement significatif de la liste des motifs prohibés ne doit pas faire illusion car il n’est pas, comme nous avons pu le voir, source d’une efficacité renforcée. Par son positionnement dans la loi de 2008, la lutte contre les discriminations reste à la marge. Une avancée importante serait de faire figurer la liste des motifs dans un Code afin d’affirmer sans ambages l’aspect matriciel de la lutte contre les discriminations comme on le reconnaît déjà au principe d’égalité. Une première voie serait d’établir la non-discrimination dans le Code civil. L’idée n’est pas saugrenue. D’une part, un motif y est déjà présent par le biais des caractéristiques génétiques présentées à l’article 16-13. D’autre part, le Livre 1ersur les personnes et particulièrement son Titre 1ersur les droits civils de celles-ci paraît parfaitement convenir à la question des discriminations (c’est d’ailleurs la place de l’article 16-13). Il y aurait alors un parallèle fort à traiter de la protection de la personne dans le Code civil comme on traite de l’atteinte à celle-ci dans le Code pénal. D’autant que l’on pourrait asseoir cette protection sur un socle commun déjà utilisé dans le Code pénal : la dignité humaine. Pour l’instant, le Code civil traite de la dignité uniquement dans le cadre de la protection du corps humain (ce qui justifie que les caractéristiques génétiques, en tant que motif de discrimination, y soient logées), mais une remise en perspective permettrait une cohérence et un effet miroir.
Cependant la véritable révolution serait de considérer à l’instar de certains auteurs que le droit de la non-discrimination est une véritable discipline transcendant les frontières habituelles (M. Mercat-Bruns, « Le droit de la non-discrimination, une nouvelle discipline en droit privé », D. 2017, p. 224. D’ailleurs, les ouvrages généraux ou manuels sur cette question apparaissent : E. Bribosia, I. Rorive, S. van Drooghenbroeck (coord.), Droit de la discrimination. Avancées et enjeux, Bruylant, 2016. Nous pouvons également signaler la chronique de droit des discriminations de la Revue des Droits de l’Homme [En ligne]). Alors, il faut doter celle-ci d’un véritable outil général permettant de compulser l’ensemble des données relatives aux discriminations : motifs, domaines d’application, moyens de preuve, justification des discriminations, possibilités d’actions positives ou discriminations positives… En bref, un véritable Code de la non-discrimination (sur cette idée, J. Charruau, op. cit. ; R. Médard Inghilterra, « Fragmentation et défragmentation du droit antidiscriminatoire », La Revue des droits de l’homme, 15/01/2019 [en ligne]).
Ce n’est pas tant que le droit de la non-discrimination qui aurait à s’enorgueillir de ce passage sur le pont supérieur du Droit français, mais bien l’inverse. Ce serait donner une charge symbolique à la recherche d’égalité par la non-discrimination tout en assurant clarté, lisibilité et par conséquent efficacité. Cette formule ne serait pas dénuée d’intérêt en cette période où les actes homophobes, racistes ou antisémites fleurissent sur le terreau de plus en plus fertile du rejet de l’Autre.
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