Si l’effet direct et la primauté ont été consacrés comme « caractéristiques essentielles » [ref]CJCE, Avis 1/91 du 14 décembre 1991, EEE[/ref] du droit de l’Union, essentielle sans doute aussi est la procédure qui a permis à la Cour de justice de les dégager. Et à la question « quel eut été le droit des Communautés sans les arrêts de 1963 et 1964 ? »
((Selon le titre du célèbre article de R. Lecourt, in L’Europe et le droit, Mélanges en hommage à Jean Boulouis, Dalloz, 1991, p. 349. )), répond en écho une autre question : quel eut été le droit de l’Union européenne sans la procédure de renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg ?
Si Robert Lecourt se livre à une opération « d’apparente science-fiction, en conduisant à recomposer virtuellement le cadre juridique dans lequel les institutions, les Etats membres et les personnes auraient été placés en l’absence des arrêts fondamentaux de la Cour », il remarque aussi qu’il n’est pas « indifférent de savoir quelles répercussions auraient pu avoir sur l’unité du marché : l’absence de tout effet direct du traité de la CEE, le déclin de la procédure de l’article 177 liée à la primauté de la règle communautaire et, consécutivement, la montée en puissance de la procédure de manquement d’Etat comme ultime voie de recours communautaire »1.
Dissocier la procédure préjudicielle des spécificités de l’ordre juridique de l’Union, au premier rang desquelles on fera figurer, à la suite de la Cour de justice, l’autonomie, l’effet direct et la primauté, relève donc de l’impossible.
C’est dès l’arrêt Van Gend en Loos que le sort est jeté. La Cour place son interprétation du traité en faveur de l’effet direct sous l’égide du « rôle de la Cour de justice dans le cadre de l’article 177, dont le but est d’assurer l’uniformité d’interprétation du traité par les juridictions nationales ((CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos, 26/62. )).
L’argumentaire est continuellement repris par la Cour. Essentielles sont l’effet direct et la primauté, « essentiel » en retour est l’article 267 TFUE pour la « préservation du caractère communautaire du droit institué par les traités »2. « Essentielles » sont « les fonctions attribuées respectivement aux juridictions nationales et à la Cour » pour « la préservation de la nature même du droit institué par les traités »3.
On ne reviendra pas sur l’ensemble des constructions jurisprudentielles permises par et élaborées dans le cadre préjudiciel. On s’interrogera plutôt sur la raison de ce phénomène et sur la nécessité de sa préservation, notamment du point de vue du justiciable, mais aussi pour les juridictions nationales quelles qu’elles soient et, bien sûr, pour la Cour de justice.
Faut-il en douter ? Le renvoi préjudiciel apparaît, dès l’origine, comme l’instrument de la spécificité de l’ordre juridique de l’Union4. Il permet et garantit avec succès l’interpénétration du droit de l’Union et des droits nationaux5. Il assure la protection de l’ordre juridique comme celle des droits des personnes privées. Il est le garant du respect de leurs obligations par les Etats, à côté de (ou avant) la procédure en manquement. Il est aussi dorénavant une des voies de protection des valeurs de l’Union6.
Pour ces différentes raisons, il fait l’objet d’une valorisation et d’une protection jurisprudentielle7. La Cour n’hésite pas à en faire, dans une formule, qui pour être souvent reprise n’en reste pas moins saisissante, la « clé de voûte du système juridictionnel ». Clé de voûte, la procédure préjudicielle fait tenir l’édifice juridique propre de l’Union – unité d’interprétation, cohérence, plein effet, autonomie – « en instaurant un dialogue de juge à juge, précisément entre la Cour et les juridictions des Etats membres »8. Après des années d’hésitation, notamment au nom de la préservation du dialogue des juges, la Cour a entendu protéger le renvoi préjudiciel par le manquement9.
Par ce dialogue qu’il permet, le renvoi préjudiciel n’est pas seulement un instrument au service de l’ordre juridique, il est aussi un marqueur de son identité en tant qu’ordre juridique en réseau10.
Dès le premier renvoi préjudiciel au titre de l’article 177 CEE, l’avocat général Lagrange, soulignant le rôle essentiel de cette voie de droit pour l’application du traité dans les litiges internes, la place sous les auspices de la coopération : « les dispositions de l’article 177 doivent permettre, si elles sont appliquées avec pertinence – nous serions tenté de dire avec loyauté – d’établir une véritable et fructueuse collaboration entre les juridictions nationales et la Cour de justice des Communautés dans le respect mutuel de leurs compétences respectives »11. Le thème de la coopération reste, à cet égard, prégnant dans la jurisprudence de la Cour pour caractériser le mécanisme préjudiciel12.
Certes, la procédure préjudicielle a été inspirée à l’origine par des modèles nationaux qu’il s’agisse notamment des modèles constitutionnels allemands et italiens ou bien encore du modèle français des questions entre les ordres judiciaires et administratifs13. Certes, encore, semblable mécanisme s’est diffusé progressivement comme l’attestent la procédure de demande d’avis à la Cour européenne des droits de l’Homme14, ou bien encore, en France, la mise en place de la procédure de la QPC.
Il n’en reste pas moins que la procédure de l’article 267 TFUE revêt une spécificité propre en ce que, notamment, elle met en rapport des ordres juridiques distincts et autonomes, à la différence des procédures au sein d’un même ordre juridique, et des ordres juridiques intégrés, à la différence de la procédure devant la Cour EDH15.
Collaboration, coopération, dialogue, ces qualificatifs illustrent, à n’en pas douter, son essence en tant que mode de communication institutionnalisé par les traités.
C’est d’abord un mode de communication entre les juridictions nationales et la Cour de justice16 bien sûr, que Pierre Pescatore a pu décrire comme un « lien de communication organique »17 (I), mais sans relation hiérarchique. C’est ensuite un échange sur une question de droit donnée, en interprétation du droit de l’Union ou en appréciation de validité, éclairée par le contexte national et dont la résolution conditionne la solution devant le juge national. A ce titre, le renvoi préjudiciel traduit l’interdépendance entre les ordres juridiques, ordre juridique de l’Union et ordres juridiques nationaux dans un premier temps, mais aussi dorénavant, entre ordres juridiques nationaux par l’intermédiaire du droit de l’Union18. Il est un instrument de mise en contact des normes en dehors de toute hiérarchie (II). Le renvoi préjudiciel trouve tout son intérêt dans le fonctionnement d’un système complexe, entre pluralité de normes, pluralité de juges, voire concurrence entre normes et entre juges19, dont la finalité ultime doit être d’assurer la protection juridictionnelle des personnes privées.
I – Le renvoi préjudiciel, instrument de communication entre juridictions : le réseau européen de juridictions
Multipolarité et interdépendance, sous les auspices de la liberté d’échange entre juges, on retrouve dans le renvoi préjudiciel les caractéristiques du réseau. Ces caractéristiques contribuent à la mise en place d’un réseau européen de juridictions.
Dans cet ordre juridique multipolaire, encore accentué par le double caractère mystérieux et combiné de l’autonomie et de l’intégration du droit de l’Union au droit national, le renvoi préjudiciel peut être présenté comme un instrument de gestion de la pluralité et de la concurrence : il permet une mise en contact des juridictions (A) et ouvre un espace de dialogue entre ces juridictions (B), deux caractéristiques qu’il convient de préserver.
A- Préserver l’ouverture et la mise en contact préjudicielle des juridictions nationales et européenne, à l’encontre de toute restriction européenne ou nationale
Ce qui caractérise en premier lieu le renvoi préjudiciel, c’est sans doute l’ouverture. A ce titre, la Cour l’a toujours défendu au profit des juridictions nationales. C’est là l’objet d’une jurisprudence historique20, abondante et solennelle21 qui s’enrichit aujourd’hui par l’ouverture entre ordres juridiques nationaux.
L’ouverture a d’abord été posée au regard de la hiérarchie juridictionnelle nationale.
Si la « faculté la plus étendue de saisir la Cour de justice » doit être garantie, c’est parce qu’elle est considérée par la Cour de justice comme une liberté du juge national, et de tout juge national, au sein de la hiérarchie juridictionnelle, au nom de la protection du droit de l’Union mais aussi au nom de la protection juridictionnelle des particuliers.
La Cour considère, à la suite du traité22, que toutes les juridictions nationales sont habilitées à, et doivent être libres de, la saisir à titre préjudiciel23, y compris à l’encontre des juges constitutionnels nationaux ou des procédures constitutionnelles nationales. La raison en est fournie par M. l’avocat général Poiares Maduro : « en formulant une demande de décision préjudicielle, la juridiction nationale devient une partie à un débat sur le droit communautaire sans dépendre d’autres autorités ou instances juridictionnelles nationales. Il n’a pas été dans l’intention des rédacteurs des traités qu’elle soit filtrée par une quelconque autre autorité nationale quelle que puisse être la hiérarchie des tribunaux dans l’Etat membre concerné »24.
La restriction de la liberté de procéder à un renvoi préjudiciel aux juridictions suprêmes méconnaîtrait le texte même du traité et constituerait un véritable retour en arrière pour les justiciables, bien peu compatible avec le souci de protection juridictionnelle effective. Comme l’indique M. l’avocat général Geelhoed, les juges nationaux « constituent à la fois une garantie et un contre-pouvoir dans un Etat membre en cas de méconnaissance, par d’autres organes de l’Etat, des obligations qui lui incombent en vertu du traité »25.
Ensuite, la Cour traduit son ouverture sur la formulation des questions préjudicielles. Sa jurisprudence valorise depuis toujours la liberté d’appréciation et l’autonomie du juge national en la matière. La Cour ne s’estime pas habilitée à contrôler les questions. La formule est classique et continuellement reprise : « les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées »26.
La bienveillance de la Cour en la matière peut prendre des formes diverses, et parfois contestées, allant de la pratique de la reformulation de la question27, à la place de l’irrecevabilité, en passant par l’indifférence à la forme de la question ou bien à l’erreur matérielle, jusqu’à l’admission de questions dont on pouvait douter de la recevabilité.
Tel est le cas lorsque la recevabilité de la question préjudicielle est appréciée non en tant que telle mais par rapport à la recevabilité de l’affaire devant le juge national et aussi au regard de l’intérêt de la réponse pour le juge national… et pour le dialogue avec la Cour de justice. Telle a été la position de la Cour dans l’affaire OMT sur premier renvoi préjudiciel du juge constitutionnel allemand. La Cour relève que la question n’est pas hypothétique dans la mesure où le droit allemand prévoit de telles situations: « quant à la circonstance ( ….) que le programme d’achat d’obligations souveraines annoncé dans le communiqué de presse n’a pas été mis en œuvre et qu’il ne pourra l’être qu’après l’adoption de nouveaux actes juridiques, il convient de relever qu’elle ne prive pas (…) les recours en cause au principal de leur objet car le droit allemand permet à certaines conditions l’octroi d’une protection juridictionnelle préventive dans une telle situation ? Or s’il est vrai que les recours au principal, visant à prévenir la violation des droits menacés doivent nécessairement se fonder sur des prévisions par nature incertaines, ils n’en sont pas moins autorisés, selon la juridiction de renvoi, par le droit allemand »28. Il suffit alors que « la question préjudicielle réponde à un besoin objectif pour la solution des litiges dont est saisie ladite juridiction »29.
La Cour de justice est confrontée aujourd’hui à de nouvelles tentatives (tentations ?) de contrôler le renvoi préjudiciel30 et de le réserver aux juridictions suprêmes dans leur ordre juridique, au nom du droit constitutionnel à un juge légal. La dualité du droit au juge préjudiciel – droit fondamental constitutionnel/droit fondamental de l’Union – explique, en partie, ce paradoxe31. Ces tentatives sont en porte-à-faux avec la jurisprudence traditionnelle de la Cour, avec le droit à la protection juridictionnelle dans l’Union et enfin en contradiction avec l’esprit du renvoi préjudiciel.
C’est un dialogue qui s’ouvre entre la Cour et les juridictions nationales, voire entre les juridictions nationales devant la Cour de justice.
B- Préserver la coopération et le dialogue, sur le fondement de la réciprocité, loin du dernier mot à la Cour de justice
Si le thème de la coopération ou collaboration sont évoqués de longue date par la Cour de justice, celle-ci lui préfère parfois le terme de dialogue déjà utilisé par Robert Lecourt dans son ouvrage sur l’Europe des juges, puis par M. Bruno Genevois dans ses célèbres conclusions sur l’affaire Cohn-Bendit. Le terme apparaît, à la suite des conclusions de l’avocat général Bot, dans l’arrêt Kempter : « le renvoi préjudiciel repose sur un dialogue de juge à juge, dont le déclenchement dépend entièrement de l’appréciation que fait la juridiction nationale de la pertinence et de la nécessité dudit renvoi »32. Ce qualificatif est repris pour qualifier le protocole 16 à la CEDH par M. D. Spielmann pour le qualifier de « protocole du dialogue »33.
Pourtant, ces qualificatifs – coopération ou dialogue – si souvent employés, que ce soit par la Cour, par les juges nationaux ou par la doctrine, sont aussi dorénavant contestés. A la fiction de la coopération des juges, on oppose ce qui serait la réalité de la soumission du juge national. A la fiction du dialogue, on oppose ce qui serait en fait le monologue et le dernier mot de la Cour de justice. En un mot, les termes mêmes de coopération et de dialogue seraient galvaudés34.
Sans doute – au-delà de savoir ce qu’il faudrait entendre par « dernier mot » et sur quoi porterait ce dernier mot – faut-il voir dans ces divergences d’analyse une divergence de perspectives. L’analyse critique se base sur un raisonnement en termes de hiérarchie : hiérarchie des normes, hiérarchie entre juridictions sur le thème de la soumission des droits et juges nationaux au droit et juge de l’Union. L’analyse positive se base à l’inverse sur un raisonnement en termes de réseau avec l’inexistence d’une hiérarchie normative et juridictionnelle.
C’est en ce dernier sens que se déploie et devrait continuer de se déployer la jurisprudence de la Cour de justice. Des traces peuvent en être trouvées dans les techniques d’échanges d’informations et dans la construction commune d’une décision35.
Le dialogue paraît de ce fait bien vivant36, d’autant plus visible dans les discussions opposant juges nationaux et Cour de justice, et dans les évolutions de jurisprudence de celle-ci.
Il se fonde d’abord sur l’échange d’informations qui est valorisé par la Cour de justice dans l’énoncé de sa question par le juge national depuis l’arrêt
Telemarsicabruzzo37. Pour cela, et depuis lors, elle indique aux juges nationaux que « la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont posées »38. Si les informations sont insuffisantes, la réponse ne sera peut-être pas utile, et/ou pas satisfaisante.
Le texte du traité ne lui permet « ni de connaître des faits de l’espèce, ni de censurer les motifs et objectifs de la demande d’interprétation ». Ce non-empiètement sur les compétences du juge national est précisé : « toute appréciation des faits relève de la compétence du juge national »39. De même, « c’est aux juridictions nationales exclusivement qu’il appartient d’interpréter la législation nationale. Enfin, c’est à la seule juridiction nationale qu’il incombe de définir l’objet des questions qu’elle entend poser à la Cour »40 comme de « tirer les conséquences pour la décision qu’elle est appelée à rendre »41.
L’échange d’informations et le dialogue se poursuivent ensuite après réception de la décision préjudicielle de la Cour. La procédure préjudicielle est fondée sur la finalité de construire en commun une solution devant le juge national : à la Cour de justice, l’interprétation et/ou l’appréciation en validité du droit de l’Union, au juge national, l’application de la décision de la Cour au litige national et la résolution de celui-ci. La décision préjudicielle de la Cour s’insère dans la décision nationale d’où son souci de donner une réponse utile42.
Une telle finalité a été posée dès 1965 par la Cour définissant le « cadre très particulier de la coopération judiciaire instituée par l’article 177 par laquelle juridiction nationale et Cour de justice, dans l’ordre de leurs compétences propres, sont appelées à contribuer directement et réciproquement à l’élaboration d’une décision en vue d’assurer l’application uniforme du droit communautaire dans l’ensemble des Etats membres »43.
Certes, la décision de la Cour « lie le juge national, quant à l’interprétation ou à la validité des actes des institutions de l’Union en cause, pour la solution du litige au principal » ((CJCE, 24 juin 1969, Milch-, Fett- und Eierkontor, 29/68 ; CJCE, Ord, 5 mars 1986, Wünsche, 69/85 ; CJCE, 14 décembre 2000, Fazenda Publica, C-446/98 et CJUE, Gde Ch., 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09. )), mais la Cour rappelle que « lorsqu’elle donne, dans le cadre concret d’un litige pendant devant une juridiction interne, une interprétation du traité, (elle) se borne à déduire de la lettre et de l’esprit de celui-ci la signification des normes communautaires, l’application au cas d’espèce des normes ainsi interprétées étant réservées au juge national »44.
Certes, encore, le principe paraît parfois entamé devant la précision des arrêts préjudiciels. Néanmoins, deux éléments peuvent être remarquées.
Le premier mouvement est celui d’un retour à des rédactions plus classiques liées au texte à interpréter, moins précises45, laissant plus de latitude au juge national. L’apparition d’un esprit de subsidiarité46 dans le cadre préjudiciel47 ainsi qu’un respect de « la plénitude de la compétence du juge national en sa qualité de juge »48 de l’Union pourraient fournir les instruments de cet aiguillage de compétences du contrôle des normes. Dans l’affaire Roquette49, la Cour met également en avant la nécessité d’une coopération loyale qui vaut aussi dans le cadre préjudiciel.
Le second est la préservation systématique d’un nouveau renvoi soit en interprétation soit en appréciation de validité à la Cour de justice50.
Les motifs de nouveau renvoi sont nombreux : difficultés d’application d’une décision précédente de la Cour, manque de clarté, risques substantiels de conflit avec le droit national, risque d’atteinte au principe de sécurité juridique51, évolution du droit national ou du droit de l’Union justifiant une interprétation elle-même évolutive52…
Ce dialogue à la fois vivant et vivifiant car conduisant à des questionnements réciproques s’est révélé dans son exemplarité entre Cour de justice et juges italiens, à la suite de l’affaire Taricco53.
Ainsi, si « dans l’affaire au principal, la Corte Constituzionale soulève la question d’une éventuelle violation du principe de légalité des délits et des peines qui pourrait découler de l’obligation énoncée par l’arrêt Taricco, de laisser inappliquées les dispositions du code pénal en cause compte tenu, d’une part, de la nature matérielle des règles de prescription prévues dans l’ordre juridique italien, qui implique que ces règles soient raisonnablement prévisibles pour les justiciables au moment de la commission des infractions reprochées sans pouvoir être modifiées in pejus de manière rétroactive, et, d’autre part, de l’exigence selon laquelle toute réglementation nationale relative au régime d’incrimination doit être fondée sur une base légale suffisamment précise afin de pouvoir encadrer et orienter l’appréciation du juge national » ; la Cour de justice estime de ce fait qu’il lui appartient de « préciser, compte tenu des interrogations qui ont été soulevées par la juridiction de renvoi au regard de ce principe et qui n’avaient pas été portées à sa connaissance dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Taricco l’interprétation de l’article 325§1 et 2 TFUE opérée par cet arrêt »54.
La Cour laisse ici une plus grande autonomie au législateur national lui laissant le soin de régler la question en droit national : « si le juge national était ainsi amené à considérer que l’obligation de laisser inappliquées les dispositions du code pénal en cause se heurte au principe de laisser inappliquées les dispositions du code pénal en cause se heurte au principe de légalité des délits et des peines, il ne serait pas tenu de se conformer à cette obligation, et ce même si le respect de celle-ci permettrait de remédier à une situation nationale incompatible avec le droit de l’Union (voir par analogie, arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C-213/13, pts 58-59). Il incombe alors au législateur national de prendre les mesures nécessaires ainsi qu’il a été constaté aux points 41 et 42 du présent arrêt »55.
La question préjudicielle n’est pas une question théorique : si la Cour dit pour droit, sa décision s’insère dans un contexte juridique national et contribue ensuite à la construction commune d’une décision. Instrument de communication entre les juridictions, le renvoi préjudiciel a aussi concrétisé la mise en contact et l’interdépendance des ordres et des systèmes juridiques.
II – Le renvoi préjudiciel, instrument de communication entre normes dans un espace juridique pluraliste
Le renvoi préjudiciel est l’instrument fondamental d’un ordre juridique en réseau, caractéristique dont il n’est pas indifférent de constater que la Cour de justice l’associe à l’intégration56 : les « caractéristiques essentielles du droit de l’Union ont donné lieu à un réseau structuré de principes, de règles et de relations juridiques mutuellement interdépendantes liant, réciproquement, l’Union elle-même et ses Etats membres, ainsi que ceux-ci entre eux, lesquels sont désormais engagés comme il est rappelé à l’article 1er, 2ème alinéa TUE, dans un « processus créant une union sans cesse plus étroite entre les Etats membres » »57.
L’Union européenne a pour particularité d’organiser cette communication entre normes, dont le premier exemple historiquement est constituée par les droits fondamentaux. Faut-il rappeler que les droits fondamentaux communautaires ont été dégagés par la Cour suite à des contestations et des questions préjudicielles de juges allemands, traduisant la mise en contact et l’ouverture dans un espace juridique unique (A) ?
Ces relations peuvent conduire à des mises en concurrence et à des conflits58. Concurrence et conflits peuvent se produire de manière classique en droit de l’Union, avec le droit national, ou bien dans une forme renouvelée, conflits et concurrence entre droits nationaux mais par le canal du droit de l’Union, conduisant à un « réseau de pyramides », selon la formule de M. le professeur Fulchiron. Dans les deux hypothèses, le renvoi préjudiciel paraît l’instrument le mieux adapté pour réguler le rapport des normes dans cet espace juridique59 (B).
A- Ouverture des systèmes juridiques et mise en contact des normes dans un espace homogène
Le texte même de l’article 267 illustre l’ouverture et la communication des systèmes juridiques. Il suffit de lire l’alinéa suivant pour s’en convaincre : « lorsqu’une telle question (d’interprétation ou d’appréciation de validité du droit de l’Union) est soulevée devant une juridiction d’un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question ». Cela explique que le renvoi préjudiciel ait permis l’affirmation précoce de l’effet direct du droit communautaire dans un mouvement consubstantiel. On reprendra sur ce point l’arrêt Van Gend en Loos confirmé et amplifié dans l’avis 2/13 : « le rôle de la Cour de justice dans le cadre de l’article 177 (…) confirme que les Etats ont reconnu au droit communautaire une autorité susceptible d’être invoquée par leurs ressortissants devant ces juridictions »60.
L’article 267 mérite sur ce point d’être lu aux diverses lumières de l’article 19§1er puisque, dans cette logique, juges nationaux et Cour de justice partagent des fonctions communes, celle d’abord, au nom de « la préservation des garanties spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union », de contribuer à « assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union »61. Ils partagent ensuite celle de garantir la protection juridictionnelle dans l’Union européenne : « l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’Etat de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie la charge d’assurer le contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union non seulement à la Cour, mais également aux juridictions nationales » ((CJUE, Gde Ch., 27 février 2018, Association syndicale des juges portugais, C-64/16, pt 32. )).
Ces fonctions s’exercent grâce à la mise en contact formalisée des systèmes juridiques dans le renvoi préjudiciel.
Le pluralisme trouve son illustration dans la rédaction de l’arrêt préjudiciel par la Cour et notamment dans la présentation du cadre juridique qui ouvre la décision. Précédant les questions posées par le juge national, la Cour énonce les différentes règles en présence, droit international, CEDH, droit de l’Union, droit national62. Notamment, le renvoi en interprétation illustre l’interpénétration des ordres juridiques : sur un même territoire, une même personne, une même question juridique peut être soumises à des sources distinctes, autonomes et intégrées.
Si la Cour de justice a toujours réfléchi à la comparaison des droits63 afin des trouver la solution la mieux adaptée aux caractéristiques de son ordre juridique64, à n’en pas douter, cette comparaison a été favorisée par le renvoi préjudiciel. Le mouvement historique d’emprunt aux droits nationaux s’est enrichi par un retour vers les droits nationaux du droit de l’Union, soit que ceux-là découvrent de nouveaux principes (notions, régimes…) sous l’influence du droit de l’Union, soit que les principes (notions, régimes, …) existant se métamorphosent. A bien des égards, le renvoi préjudiciel paraît un vecteur déterminant de ces emprunts réciproques.
Dans ce système ouvert, il convient d’organiser une mise en cohérence des compétences juridictionnelles ce que permet le renvoi préjudiciel65. Pourtant, la mise en œuvre de cette répartition se révèle très subtile et en chantier permanent : le terme de régulation, par sa fluidité, prend alors toute sa signification.
Illustration novatrice de cet espace juridique et du rôle du renvoi préjudiciel est donnée dans le cadre d’une procédure hybride entre droit national et droit européen : « lorsqu’un acte d’une autorité nationale (…) s’insère dans un processus décisionnel de l’Union » et dès lors que « il résulte de la répartition des compétences opérée dans le domaine considérée (…) que l’acte pris par l’autorité nationale est une étape nécessaire d’une procédure d’adoption d’un acte de l’Union dans laquelle les institutions de l’Union ne disposent que d’une marge d’appréciation limitée ou inexistante, de sorte que l’acte national lie les institutions de l’Union », alors « c’est aux juridictions nationales de connaître des irrégularités dont un tel acte national serait éventuellement entaché, en saisissant le cas échéant la Cour à titre préjudiciel »66.
Enfin, liée à l’espace de liberté, sécurité et justice, une nouvelle mise en contact s’est faite jour dans la procédure préjudicielle, celle entre ordres juridiques nationaux sous l’égide du droit de l’Union, avec un regard d’un droit national sur l’autre. Ce regard va jusqu’à estimer que le système judiciaire ne fonctionne pas selon les règles de l’Etat de droit. Le mandat d’arrêt européen est un grand pourvoyeur de ce nouveau phénomène. C’est donc le droit de l’Union qui doit trouver à s’appliquer, dans ses procédures (notamment préjudicielle) et ses principes, le tout sous les auspices de l’article 2 TUE67. Cet article 2 traduit en effet l’homogénéité juridique dans l’Union européenne.
Dans son arrêt L.M., la Cour rappelle « que le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre. (…) Ainsi, lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, les États membres peuvent être tenus, en vertu de ce même droit, de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de sorte qu’il ne leur est pas possible non seulement d’exiger d’un autre État membre un niveau de protection national des droits fondamentaux plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union, mais également, sauf dans des cas exceptionnels, de vérifier si cet autre État membre a effectivement respecté, dans un cas concret, les droits fondamentaux garantis par l’Union »68.
C’est à la Cour qu’il revient d’exercer une fonction nouvelle et délicate, celle de comparer les droits nationaux ou à tout le moins apprécier la comparaison faite par les juges nationaux dès lors qu’elle doit se pencher sur les exceptions au principe de confiance mutuelle. C’est à la Cour qu’il revient de prendre en compte les risques d’atteinte à l’Etat de droit dans l’Union européenne permettant ainsi le déclenchement de procédures en manquement pour violation de l’article 2 TUE. Le renvoi préjudiciel trouve ici son prolongement traditionnel dans le domaine des valeurs de l’Union.
Pour répondre à ces nouveaux défis, le renvoi préjudiciel a permis la mise en pratique du nouveau principe de confiance mutuelle, principe qui paraît particulièrement adapté à ce nouvel espace juridique. Au-delà qualitativement de la reconnaissance mutuelle, la confiance mutuelle présuppose une certaine homogénéité juridique fondée sur le respect des valeurs de l’article 2 TUE dont on peut rappeler qu’elles sont partagées par l’Union et ses Etats membres. Cela explique que « tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose lui-même sur la confiance réciproque entre ces derniers (…), ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Plus spécifiquement, le principe de confiance mutuelle impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit »69.
B- Pacifier le rapport de normes par la régulation préjudicielle : le dialogue des juges et non la hiérarchie des normes
Sur le fondement d’une homogénéité substantielle, la Cour de justice a développé le principe de confiance mutuelle dont on peut considérer qu’il englobe un certain nombre d’autres principes, comme la reconnaissance ou l’équivalence. Pour assurer une homogénéité formelle, et dans le cadre préjudiciel, la Cour de justice a consacré, dans l’arrêt Costa c/ENEL, le principe de primauté à rebours de la hiérarchie des normes70. Ce principe sert d’aiguillage quant à la norme applicable entre droit national et droit de l’Union.
Les rapports du renvoi préjudiciel avec la primauté méritent à ce titre d’être explorés. Si le renvoi préjudiciel a permis l’affirmation historique de la primauté, la procédure ne sert pas pour autant de justificatif direct à l’interprétation de la Cour de justice au contraire de la jurisprudence sur l’effet direct. La jurisprudence Simmenthal consacre une première évolution en la matière car renvoi préjudiciel et primauté y paraissent indissolublement liés à travers les pouvoirs du juge national71.
C’est dans l’arrêt Melki et Abdeli que l’utilisation respective de la primauté et de l’article 267 TFUE semble se transformer dans le sens d’une valorisation du second, plus ouvert, aux dépens du premier, plus clivant. Cette inversion de lumière justifie la formulation très diplomatique employée par la Cour « dans la mesure où le droit national prévoit l’obligation de déclencher une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité qui empêcherait le juge national de laisser immédiatement inappliquée une disposition législative nationale qu’il estime contraire au droit de l’Union, le fonctionnement du système instauré par l’article 267 TFUE exige néanmoins que ledit juge soit libre, d’une part, d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union et, d’autre part, de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, ladite disposition législative nationale s’il la juge contraire au droit de l’Union »72.
L’interpénétration normative a pu entraîner la question de l’assimilation du contrôle de primauté au contrôle de constitutionnalité et/ou leur équivalence, qui est souvent en débat devant les juges constitutionnels eux-mêmes, et dont la mise en lumière s’est faite à propos d’une jurisprudence de la Cour constitutionnelle autrichienne de mars 2012 sur la Charte des droits fondamentaux73. Cette assimilation a été rejetée par la Cour de justice sur le fondement du principe d’autonomie. Plus épineuse est la question de l’équivalence des protections constitutionnelles et européennes, principe reconnu par la Cour dans ses arrêts de 1976, Rewe et Comet ((CJCE, 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, et, Comet, 45/76. )). La Cour avait déjà été confrontée à ce principe concernant une procédure constitutionnelle espagnole et le principe de responsabilité de l’Etat pour violation du droit de l’Union74.
Paradoxalement, demander au juge national de préciser le contexte juridique et factuel de l’affaire pour donner une réponse utile conduit la Cour de justice à se pencher sur le droit national. Le juge national est parfois aussi demandeur non seulement d’une interprétation par la Cour de justice du droit de l’Union mais aussi de l’appréciation de la compatibilité au regard de celui-ci du droit national. La dissociation de l’interprétation du droit de l’Union et de l’application au droit national est alors difficile75, comme l’a montré la célèbre affaire relative au prix de l’essence en France76. Les risques de rapprochement, voire de chevauchement des compétences juridictionnelles se font alors de plus en plus nombreux, conduisant à une potentielle confusion.
De même, l’interprétation du droit de l’Union ne doit pas être nécessairement considérée, que ce soit par le juge national ou par la Cour, dans une logique de contrariété (ou non) avec le droit national77. Les risques de conflit avec les juridictions nationales notamment lorsque sont en cause des éléments fondamentaux de l’ordre juridique national s’en trouvent accrus.
L’affaire Taricco et ses suites en fournissent un exemple comme en permettent la solution en ouvrant une marge d’appréciation au droit national dans une logique d’objectif et non de moyen. L’arrêt M.A.S.et MB renoue ainsi d’une certaine manière avec les conclusions de l’avocat général Roemer sur l’affaire Marimex : « c’est par conséquent dans les principes de son ordre national que le juge doit trouver les éléments lui permettant de donner son plein effet à la règle communautaire, il se trouve en face d’une obligation de résultat et non de moyen »78.
La question de l’aiguillage des compétences pour le contrôle des normes a trouvé une nouvelle illustration devant les évolutions du droit de l’Union et de procédures complexes mêlant autorités nationales et autorités européennes79. A n’en pas douter, le renvoi préjudiciel sert d’ailleurs à organiser l’aiguillage entre les compétences de la Cour de justice et celles des juges nationaux quant au contrôle des normes.
La jurisprudence classique a toujours affirmé une « nette séparation »80, (ou répartition81), des compétences entre elle-même et le juge national et constamment réitérée82, l’affirmation prenant toute sa valeur dans le cadre préjudiciel : au juge national, le droit national83 ; au juge de l’Union, le droit de l’Union. Illustration de cet aiguillage est donnée bien sûr par l’affaire Arcelor devant le Conseil d’Etat français et la Cour de justice84.
Le problème principal venait du fait que le principe d’égalité n’est pas entendu de la même manière en droit français et, à l’époque, en droit communautaire. Le Conseil d’Etat saisi de la violation du droit constitutionnel français d’égalité a rejeté le moyen au motif que le droit français ne s’oppose pas au traitement identique de situations différentes. Le conflit entre droit constitutionnel français et la directive ne pouvait donc prospérer sur ce point. Il n’était donc pas utile de renvoyer à la Cour. La solution aurait-elle été différente sur ce point en cas d’invocation du principe communautaire ? Il est difficile de le dire, et la Cour de justice, suivant en cela les conclusions de son avocat général, n’a pas estimé opportun de revenir sur la question malgré la réaffirmation de la conception communautaire du principe général d’égalité sous sa double facette85. La précision apportée par la Cour à la question du Conseil d’Etat mérite d’être citée : « estimant que les secteurs de la sidérurgie du plastique et de l’aluminium se trouvent dans une situation comparable, la juridiction de renvoi vise à savoir si le législateur communautaire a par l’exclusion des secteurs du plastique et de l’aluminium du champ d’application de la directive 2003/87 violé ce principe à l’égard du secteur de la sidérurgie. Le renvoi préjudiciel ne porte donc que sur la question de savoir si le législateur communautaire a violé ledit principe par un traitement différencié et non justifiable de situations comparables »86. Ainsi la conception française a été contrôlée par le juge national et le « supplément » communautaire l’est par la Cour de justice. Les juridictions nationales doivent donc aussi respecter les compétences de la Cour de justice. La Cour l’a rappelé tant en ce qui concerne son pouvoir d’interprétation87 que son pouvoir de contrôle de validité88 lié au recours en annulation, et encore avec force face aux jurisprudences nationales fondées sur l’ultra vires.
Pour conclure, si le renvoi préjudiciel a été beaucoup étudié par la doctrine, s’il a été beaucoup défendu par la Cour de justice, il fait aussi, à l’heure actuelle, l’objet de critiques et de remises en cause. A l’aune du paysage européen actuel, dans lequel les rencontres et, de ce fait, les conflits entre normes et juges se multiplient, sa place mérite d’être préservée et valorisée dans le réseau de juridictions et de normes, et bien évidemment au profit du justiciable.
- Ibid., p. 350. [↩]
- CJUE, Ass. Pl., avis 1/09 du 8 mars 2011, Juridiction du brevet, pt 83. [↩]
- Ibid., pt 85. [↩]
- Le dialogue des juges, Actes du colloque du 28 avril 2006, ULB, Bruylant, 2006, Cahiers de l’Institut d’Etudesde la Justice, 2007, n°9. [↩]
- R. Mehdi et H. Labayle, « Dédale au Conseil d’Etat : QPC et renvoi préjudiciel dans l’affaire Jacob », RFDA, sept-oct. 2016, n°5, p. 1003. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 27 février 2018, Association syndicale des juges portugais, C-64/16, notamment pts 30-32. [↩]
- Un exemple typique de cette valorisation-protection du renvoi préjudiciel par la Cour de justice est fourni par l’avis 1/91 du 14 décembre 1991, EEE, spéc. pt 63. [↩]
- CJUE, Ass. Pl., avis 2/13 du 18 décembre 2014, pt 176 ; voir aussi sur ces différents points CJUE, Gde Ch., 6 mars 2018, Achméa, C-284/16. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 4 octobre 2018, Commission c/France, C-416/17, pts 113-114. [↩]
- François Ost et M. Van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Publications des Facultés universitaires de Saint-Louis, Bruxelles, 2002 [↩]
- M. Lagrange, concl. sur CJCE, 6 avril 1962, Bosch, 13/61. Le thème de la coopération est repris très rapidement dans la jurisprudence de la Cour : ainsi, CJCE, 1er décembre 1965, Schwarze, 16/65. [↩]
- Emblématique est, à cet égard, l’arrêt de la CJUE, Gde Ch., 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10. [↩]
- M. Lagrange, « L’action préjudicielle dans le droit interne des Etats membres et en droit communautaire », RTDE, 1974, p. 268. [↩]
- Il n’est d’ailleurs pas indifférent de noter que le protocole 16 s’ouvre sur le considérant suivant : « l’extension de la compétence de la Cour pour donner des avis consultatifs renforcera l’interaction entre la Cour et les autorités nationales et consolidera ainsi la mise en œuvre de la Convention conformément au principe de subsidiarité ». [↩]
- F.G. Jacobs, « Le renvoi préjudiciel, un modèle pour d’autres systèmes transnationaux ? », in La Cour de justice de l’Union européenne sous la présidence de Vassilios Skouris (2003-2015), Bruylant, 2015, p. 271. [↩]
- Th. Von Danwitz, « Le dialogue de juge à juge », in La Cour de justice de l’Union européenne sous la présidence de Vassilios Skouris (2003-2015), Bruylant, 2015, p. 713. [↩]
- P. Pescatore, Le droit de l’intégration, Bruylant, 2005, reprint, spéc. p. 89. [↩]
- En ce sens, CJUE, Ass. Pl., Avis 2/13, préc. pt 193. On pense ainsi aux domaines de l’asile et du mandat d’arrêt européen. Sur ce dernier point, voir notamment, CJUE, 25 juillet 2018, AY, C-268/17, spéc. pt 28. [↩]
- Par exemple CJCE, Gde Ch., 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophone et germanophone, C-305/05, ou encore, CJCE, Gde Ch., 17 novembre 2009, Président du Conseil des Ministres c/Région Sardaigne, C-169/08…. [↩]
- CJCE, 6 avril 1962, Bosch, 16/61 ; CJCE, 16 janvier 1974, Rheinmulhen, 166/73. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10. [↩]
- CJCE, 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06 ; CJUE, 9 mars 2010, ERG, C-378/08 ; CJUE, Gde Ch., 22 juin 2010, Melki et Abdeli, préc. [↩]
- Dans une jurisprudence abondante, CJCE, 6 avril 1962, Bosch, 16/61 ; CJCE, 16 janvier 1974, Rheinmulhen, 166/73. [↩]
- M. Poiares Maduro, concl. sur CJCE, Gde Ch., 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06, pt 19. [↩]
- L.A. Geelhoed, concl. sur CJCE, 9 décembre 2003, Commission c/Italie, C-128/00, spéc. pt 59. [↩]
- CJUE, 25 juillet 2018, AY, C-268/17, spéc. pt 25. [↩]
- Si la pratique de la reformulation est contestée comme enlevant une part de pouvoir au juge national, la pratique inverse, d’irrecevabilité de la question l’est tout autant. C’est donc une voie médiane et mesurée qui doit être trouvée par la Cour. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 16 juin 2015, P. Gauweiler, Bruno Bandulet e.a., C-62/14, pt 27-28. [↩]
- Pt 28. Voir aussi, CJCE, 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93. [↩]
- D. Sarmiento, « Should constitutional courts be guardians of the duty to make a preliminary reference?”, A blog about European Union Law, 26 juin 2019: : https://despiteourdifferencesblog.wordpress.com/2019/06/26/should-constitutional-courts-be-guardians-of-the-duty-to-make-a-preliminary-reference/. [↩]
- TC espagnol, aff. STC 37/2019 : : https://www.tribunalconstitucional.es/es/transparencia/informacion-publica/Lists/ResolucionesDictadas/Attachments/228/Resolución%20de%20Secretar%C3%ADa%20General%20(censurada).pdf. [↩]
- CJCE, Gde Ch., 12 février 2008, Kempter, C-2/06, spéc. pt 42. [↩]
- D. Spielmann, CCDH, 78ème réunion, discours du 27 juin 2013. [↩]
- P. Gaïa, « Unité et divergences de jurisprudences constitutionnelles et supranationales : respect du droit, irrégularité et dialogues – Une relecture à partir du droit constitutionnel national », in L’office du juge constitutionnel face aux exigences supranationales, X. Magnon, P. Esplugas-Labatut, W. Mastor, S. Mouton (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 93, spéc. pp. 109-124. [↩]
- Sur ces questions, voir la thèse de J. Andriantsimbazovina, L’autorité des décisions de justice constitutionnelles et européennes sur le juge administratif français, Conseil constitutionnel, Cour de justice des Communautés européennes, Cour européenne des droits de l’Homme, LGDJ, Bibliothèque de droit public, T. 192, 1998. [↩]
- B. Genevois, « Cour européenne des droits de l’Homme et juge national : dialogue et dernier mot », in Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, La conscience des droits, Dalloz, 2011, p. 281. [↩]
- CJCE, 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo, C-320/90. [↩]
- CJCE, 11 mai 2000, Gascogne Limousin Viandes SA c/OFIVAL, Aff. C-56/99, spéc. point 25. [↩]
- CJCE, 9 mai 2008, Danske Svineproducenter, C-491/06, spéc. pt 23. [↩]
- CJCE, Gde Ch., 6 mars 2018, Segro et Horvárth, C-52/16 et C-113/16, spéc. pt 98. [↩]
- CJCE, 29 avril 1982, Pabst & Richarz, 17/81, pt 12. [↩]
- Par exemple, CJCE, 16 juillet 1992, Meilicke, C-83/91. [↩]
- CJCE, 1er décembre 1965, Firma G. Schwarze c/Einfuhr und Vorratsstelle fûr Getreide und Futtermittel, 16/65. GACJUE, T. 1, comm. 51, F. Fines. [↩]
- CJCE, 27 mars 1963, Da Costa, 28/62. [↩]
- Parmi les divers exemples de cette précision enlevant toute latitude au juge national, que l’on peut donner, voir, CJCE, 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01. [↩]
- Voir en ce sens, « La subsidiarité et le juge communautaire », RAE, 1998, n° 1-2, n° spéc. [↩]
- J. Dupont-Lassalle, « La subsidiarité juridictionnelle, instrument de l’intégration communautaire ? », Droit et société, 2012/1, p. 47. [↩]
- A. Barav, « La plénitude de compétence du juge national en sa qualité de juge communautaire », in Mélanges en hommage à Jean Boulouis, Dalloz, 1991. [↩]
- CJCE, 22 octobre 2002, Roquette Frères, Aff. C-94/00. [↩]
- CJCE, Ord. 5 mars 1986, Wünsche, C-69/85. [↩]
- CJCE, 13 janvier 2004, Kühne et Heitz, C-453/00 ou encore CJCE, Gde Ch., 12 septembre 2008, Kempter, C-2/06. [↩]
- CJCE, 27 mars 1963, Da Costa et 9 juillet 1969, Portelange, pour l’interprétation. CJCE, 13 mai 1981, ICI. Comme le révèle la référence dans la jurisprudence de la Cour à « l’état actuel du droit de l’Union ». [↩]
- CJCE, Gde Ch., 8 septembre 2015, Taricco, C-105/14 et CJUE, Gde Ch., 5 décembre 2017, M.A.S et MB, C-42/17 ; voir Nicoletta Perlo, « Du dualisme au pluralisme, la protection intégrée des droits fondamentaux en Italie », in Intégration et Droits de l’homme, J. Andriantsimbazovina (dir), Paris, Mare & Martin, 2018, pp. pp. 179-196. [↩]
- CJUE, M.A.S et MB, pts 27-28. [↩]
- Pt 61. [↩]
- On relira à cet égard, avec fruits, le commentaire de Pierre Pescatore sur l’article 177 CEE in V. Constantinesco, J.P. Jacqué, R. Kovar, D. Simon, Traité instituant la CEE, Commentaire article par article, Economica, 1992. [↩]
- Avis 2/13, préc., pt 167. [↩]
- F. Ost et M. Van de Kerchove, « Repenser la coexistence des ordres – repenser leurs relations », in Traité des rapports entre ordres juridiques, B. Bonnet (Dir°), LGDJ, 2016, p. 151. [↩]
- Voir sur cette question « Repenser les outils de l’articulation des ordres juridiques » les différentes contributions de P. Deumier, E. Picard, C. Grewe, L. Azoulai et E. Dubout, M. Guyomar, J.S. Bergé, D. Simon, M. Forteau, in Traité des rapports entre ordres juridiques, B. Bonnet (Dir°), LGDJ, 2016, pp. 497-652 [↩]
- CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos, 26/62. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 6 mars 2018, Achméa, préc. pts 35-37 ; CJCE, 16 décembre 1981, Foglia c/Novello, 244/80. [↩]
- Par exemple, sur l’asile et les réfugiés, CJCE, Gde Ch., 17 février 2009, Elgafaji, C-465/07 ; Gde Ch. 2 mars 2010, Salahadin, C-175/08, e.a. ; ou encore Gde Ch. 17 juin 2010, Bolbol, C-31/09. [↩]
- P. Pescatore, “Le recours dans la jurisprudence de la CJCE à des normes déduites de la comparaison des droits des Etats membres », RIDC, 1980, 32-2, p. 337 ; A Von Bogdandy, « European Law beyond ‘ever closer Union’- repositioning the concept, its thrust and the ECJ’ comparative methodology”, European Law Journal, Vol. 22, n°4, July 2016, p. 519. [↩]
- L’exemple type en est fourni par les droits fondamentaux jurisprudentiels, CJCE, 14 mai 1974, Nold, 4/73, pt 14. [↩]
- Voir sur ce point, l’arrêt très éclairant de la Cour de justice, Gde Ch., 19 décembre 2018, Silvio Berlusconi, C-219/17. [↩]
- Ibid, spéc., pt 45-46. [↩]
- CJUE, Gde Ch. 25 juillet 2018, L.M., C-216/18 PPU, pt 35 ; même jour, M.L., C-220/18 PPU, pt 48. [↩]
- Spéc. pts 35 et 37. [↩]
- Ibid. pt 36. [↩]
- B. Bonnet, « Les droits européens, facteurs de bouleversement de la hiérarchie des normes, facteurs de bouleversement de l’Etat, autour des articles 54, 55 et 88-1 de la Constitution », in La Constitution européenne de la France, H. Gaudin (Dir°), Dalloz, 2017. [↩]
- CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, spéc. pts 52-53, déjà annoncé dans l’arrêt CJUE, Gde Ch., 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C-555/07. [↩]
- CJUE, 11 septembre 2014, A c/B, C-112/13. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 26 janvier 2010, Transportes Urbanos, C-118/08. [↩]
- Voir en ce sens, F. Fines, Grands arrêts de la CJUE, T.1, comm. 51, Dalloz, 2014. [↩]
- CJCE, 29 janvier 1985, Cullet/Leclerc, 231/83, pt 9 ; ou encore, sur le prix du livre en France, CJCE, 10 janvier 1985, Leclerc c/Au Blé Vert, 229/83. [↩]
- Les affaires Segro et Horvárth est typique à cet égard, CJUE, Gde Ch., 6 mars 2018, C-52/16 et C-113/16, spéc. pt 37. [↩]
- K. Roemer, concl. sur CJCE, 7 mars 1972, Marimex, 84/71. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 19 décembre 2018, Silvio Berlusconi, C-219/17, pt 41. [↩]
- CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/ENEL, 6/64. [↩]
- CJCE, 29 novembre 1978, Pigs Marketing Board, 83/78. [↩]
- CJUE, Gde Ch., 15 janvier 2013, Josef Križan, C-416/10. [↩]
- Encore réaffirmée dans une affaire complexe, CJUE, Gde Ch., 19 décembre 2018, Silvio Berlusconi, C-219/17. [↩]
- CE, Ass., 8 février 2007, Soc. Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, Rec. 55, concl. M. Guyomar ; CJCE, Gde Ch., 16 décembre 2008, Soc. Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, C-127/07, concl. M. Poiares Maduro. [↩]
- CJCE, Arcelor, préc., spéc. pt 23. [↩]
- Ibid., pt 24. [↩]
- CJCE, 6 octobre 1982, CILFIT, 283/81. [↩]
- CJCE, 22 octobre 1987, Foto-Frost, 314/85. [↩]
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