Contexte : Dans cette décision rendue le 17 janvier 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme sa position sur le délai de prescription applicable à l’action en responsabilité fondée sur le défaut d’un produit mis en circulation après l’entrée en vigueur de la directive n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985 mais avant sa transposition par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998.
Litige : Le 23 mai 1996, une personne reçoit une injection du vaccin contre l’hépatite B et le 1er juillet de la même année, le diagnostic de la sclérose en plaques est posé. Elle assigne, avec son conjoint, la laboratoire (Glaxosmithkline) en référé expertise courant 2010 puis, le 7 février 2013, en responsabilité et indemnisation. Le laboratoire oppose la presription à ces demandes. La cour d’appel de Montpellier retient la fin de non-recevoir. Un pourvoi est dirigé contre son arrêt.
Solution : La Cour de cassation censure une telle analyse après avoir énoncé, au visa de l’article 2226 du code civil, ensemble l’article 1382 du même code, tel qu’interprété à la lumière de l’article 10 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, que :
« il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04 et du 15 avril 2008, Impact, C-268/06) que l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ».
La première chambre civile en déduit que :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’action en responsabilité extra contractuelle dirigée contre le producteur d’un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l’expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet sur ce point d’une interprétation conforme au droit de l’Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, permettant seule au demandeur de mesurer l’étendue de son dommage et d’avoir ainsi connaissance de celui-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisé ».
Analyse : Pour saisir pleinement le contexte juridique dans lequel s’inscrit cette décision, il y a lieu de se reporter à nos développements précédant au sujet de l’arrêt de principe rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 mai 2015.
Il sera seulement rappelé qu’aux termes de cette décision, la Cour de cassation avait cassé un arrêt de la cour d’appel de Poitiers qui avait retenu l’application directe de l’article 10 de la directive prévoyait un délai de prescription de 3 ans et déclaré ainsi irrecevable l’action introduite par le demandeur par actes des 7 et 8 décembre 2009 pour une vaccination réalisée en 1995 aux motifs que :
« Vu l’article 2226 du code civil, ensemble l’article 1382 du même code, tel qu’interprété à la lumière de l’article 10 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ;
Attendu qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04 et du 15 avril 2008, Impact, C-268/06) que l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité du fait des produits défectueux engagée par M. X…, l’arrêt retient que le vaccin ayant été mis en circulation au mois de décembre 1989, soit après le délai de transposition de la directive, mais avant l’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, les règles du droit interne relatives à la prescription doivent être interprétées à la lumière de celle-là, la loi de 1998 étant inapplicable en l’espèce, de sorte qu’en application de l’article 10 de la directive, l’action en réparation de la victime se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle elle a ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le fabricant d’un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l’expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet sur ce point d’une interprétation conforme au droit de l’Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d’application, le second par fausse application » (Cass. 1re civ., 15 mai 2015, n° 14-13.151, Bull. I, n° 117, Gaz. Pal. 1er et 2 juillet 2015, p. 15. obs. N. Blanc ; JCP G 2015, n° 881, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2015, p. 635, obs. P. Jourdain).
Dans un arrêt plus récent encore, la première chambre civile avait encore cassé un arrêt de la cour d’appel de Lyon qui avait déclaré irrecevable une action introduite en référé en 2002 et en 2009 au fond pour une vaccination contre l’hépatite B suivie d’une sclérose en plaques apparue en 1997 aux motifs que :
« Attendu que, pour déclarer irrecevable comme prescrite cette action, l’arrêt retient que le vaccin a été mis en circulation après le délai de transposition de la directive précitée et avant l’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, transposant la directive aux articles 1386-1 et suivants du code civil, que la directive est directement applicable en droit interne à compter du 30 juillet 1988, que son article 10 prévoit une prescription de trois ans dont le point de départ est fixé à la date de la connaissance du défaut du produit, et que M. X… a eu connaissance de l’existence d’un risque possible d’apparition de sa maladie au plus tard, en 2002, lorsqu’il a sollicité une expertise en référé ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le producteur d’un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l’expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet sur ce point d’une interprétation conforme au droit de l’Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, permettant seule au demandeur de mesurer l’étendue de son dommage et d’avoir ainsi connaissance de celui-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d’application, le second par fausse application » (1re Civ., 16 novembre 2016, n° 15-26.018, Resp. civ. et assur. 2017, note 17, note S. Hocquet-Berg).
La Cour de cassation avait ainsi jugé, après avoir écarté l’existence de doute raisonnable quant à l’interprétation de l’article 10 de la directive que l’article 2270-1 (ancien) du code civil, à la lumière de la directive, doit s’entendre de la même façon que l’article 2270 (ancien) était lui-même interprété contra legempar la jurisprudence qui fixait, avant d’être consacrée par l’article 2226 du code civil issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le point de départ du délai de prescription à la date de consolidation du dommage (Cass. 1reciv. 15 juin 2016, n° 15-20.022, à paraître au Bulletin, ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 276, note L. Bloch ; D. 2016, p. 2052, note J. Mattiussi).
La question restait cependant de savoir si la Cour de cassation entendait aussi écarter, pour cette même période intermédiaire, l’application de l’article 11 de la directive, qui fixe à l’exercice de l’action un délai de forclusion de 10 ans commençant à courir à la date de mise en circulation.
En toute logique, comme nous enseigne la décision commentée, la réponse est positive : ni le délai de prescription de 3 ans, ni le délai de forclusion de 10 ans ne peuvent être opposés aux victimes d’un produit, tel le vaccin contre l’hépatite B, mis en circulation avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998. Seul le délai de droit commun leur est opposable, en l’occurrence le délai de 10 ans à compter de la consolidation du dommage.
En l’espèce, le demandeur a franchi le premier obstacle tiré de la prescription de sa demande mais il lui reste de nombreux autres à affronter pour pouvoir prétendre à une indemnisation de ses préjudices, comme celui de la preuve du défaut du vaccin contre l’hépatite B ou du lien de causalité avec la sclérose en plaques.