Contexte : Par cette décision rendue le 8 février 2017, la première chambre civile apporte une importante précision sur l’étendue de la condamnation in solidum d’une clinique et d’un chirurgien, lorsque la première est condamnée à réparer l’entier dommage et le second à la seule perte de chance de l’éviter.
Litige : Courant 2006, un chirurgien, exerçant son activité à titre libéral, réalise au sein d’une clinique privée une intervention au laser destinée à remédier à la presbytie dont est atteinte une patiente. A la suite de cette intervention, la patiente présente une infection nosocomiale qui est prise en charge par le chirurgien jusqu’à son transfert, en urgence, au centre universitaire de Grenoble au sein duquel sont pratiquées successivement deux greffes de la membranes amniotiques. Après avoir obtenu une expertise, la victime assigne en responsabilité et en indemnisation la clinique et le chirurgien. A hauteur d’appel, la clinique est déclarée responsable des suites de l’infection nosocomiale. Le chirurgien n’ayant pas prescrit de collure adapté la veille de l’intervention puis lors des consultations postérieures, ni fait les prélèvements nécessaires et n’ayant pas sollicité d’avis extérieur autorisé devant la persistance des symptômes est également jugé responsable mais seulement pour avoir fait perdre une chance à la patiente de stopper l’infection en cours et ses graves conséquences. La clinique et la chirurgien sont condamnés in solidum à réparer l’entier dommage. Le chirurgien forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble.
Solution : La première chambre civile casse l’arrêt attaqué en jugeant, au visa de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique, que :
« le dommage consécutif à une perte de chance correspond à une fraction des différents chefs de préjudice subis qui est déterminée en mesurant la chance perdue et ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l’acte médical ; qu’en présence de coresponsables dont l’un répond du dommage corporel et l’autre d’une perte de chance, il ne peut être prononcé une condamnation in solidum qu’à concurrence de la partie du préjudice total de la victime à la réalisation duquel les coresponsables ont l’un et l’autre contribué ;
(…) que, pour juger M. X… responsable in solidum avec la clinique du dommage survenu à Mme Y… et le condamner in solidum à payer à celle-ci une indemnité en réparation de son préjudice corporel et à rembourser à la caisse ses débours, l’arrêt relève que le praticien est responsable des suites de l’infection et que sa prise en charge a fait perdre une chance à Mme Y… de stopper l’infection en cours et ses graves conséquences ;
Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Analyse : La perte de chance est un préjudice indemnisable en cas de disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. En matière médicale, il est fréquemment impossible d’imputer avec certitude au professionnel de santé la réalisation des atteintes corporelles invoquées par la victime, dans la mesure où elles auraient pu survenir même sans sa faute. En l’occurrence, sans les fautes relevées à l’encontre du chirurgien ophtalmologiste, il n’était pas certain qu’une infection nosocomiale ne serait pas survenue ou que ses conséquences auraient été moindres. Dès lors, la cour d’appel en a justement déduit que « le praticien est responsable des suites de l’infection et que sa prise en charge a fait perdre une chance à Mme Y… de stopper l’infection en cours et ses graves conséquences ».
De son côté, la clinique est, sur le fondement des dispositions de l’alinéa 2 de l’article L. 1142-1, I du code de la santé publique, responsable de plein droit des atteintes corporelles provoquées par l’infection nosocomiale. Elle doit donc être condamnée à réparer l’entier dommage en résultant.
Le praticien étant tenu de la seule réparation d’une perte de chance qui « doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Cass. 1re civ., 9 avril 2002, n° 00-13.314, Bull. I, n° 116 ; Gaz. Pal. 2003, 2, somm. 1289, obs. F. Chabas), il ne pouvait être condamné, comme le rappelle l’arrêt commenté, qu’à réparer « une fraction des différents chefs de préjudices subis » qui « ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l’acte médical ».
Même si la question de l’articulation entre perte de chance et condamnation in solidum s’est nécessairement déjà posée, c’est -semble-t-il- la première fois que la Cour de cassation y apporte une réponse formelle et de bon sens, en jugeant que « une condamnation in solidum qu’à concurrence de la partie du préjudice total de la victime à la réalisation duquel les coresponsables ont l’un et l’autre contribué ».
En l’état de deux condamnations à réparer les atteintes corporelles de la victime dans des proportions différentes, la victime ne peut donc s’adresser au praticien que dans la limite de ce qu’il lui doit au titre de la perte de chance, tandis qu’elle peut réclamer l’entier dommage à la clinique, à charge pour cette dernière d’exercer ultérieurement un recours contre la praticien qui sera lui aussi limité à la somme qu’il doit à la victime au titre de la perte de chance.