Le Gouvernement vient d’annoncer à l’issu du Conseil des Ministres du 13 mai 20201 la création prochaine d’une médaille de l’engagement face aux épidémies « afin de récompenser les personnes qui se sont dévouées pendant la crise du Covid-19 » ((https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-le-gouvernement-ressuscite-une-medaille-de-1880-pour-les-soignants_fr_5ebbd7d7c5b6de541b0d8098)). Cette reconnaissance de la Nation est présentée comme la réactivation de la médaille d’honneur des épidémies créée en 1884 à l’occasion de l’épidémie de choléra qui avait frappé Marseille.
Le choix du Gouvernement répond à la logique et aux exigences normatives du droit des ordres et médailles français, aussi appelé droit de la phaléristique2, codifié en partie en 1962 au sein du Code de la Légion d’honneur, de la médaille militaire et de l’ordre national du Mérite3. En effet, son choix était restreint parmi l’ensemble des décorations existantes en France et pouvant être utilisées dans le cas de l’actuelle pandémie.
Le moment exceptionnel que vit la France -et le monde- dû à la Covid-19 a vu l’émergence d’un certain nombre d’actions valeureuses et de comportements héroïques. La question d’un témoignage public de reconnaissance s’est alors rapidement posée.
Dès le 21 mars, l’avocat Eric Morain a proposé de citer à « l’Ordre de la Nation et à l’Ordre de la Légion d’honneur » l’ensemble du personnel hospitalier pour rendre honneur à leur dévouement et à leur courage4. Le député Philippe Gosselin lui a emboîté le pas cinq jours plus tard en demandant la création d’une médaille des épidémies pour la reconnaissance du personnel soignant5. Les initiatives privées se multipliant, à l’image de la Monnaie de Paris qui a lancé mi-avril une médaille de « merci en hommage aux héros de notre quotidien mobilisés pendant la crise sanitaire »6, le Gouvernement a décidé de prendre position officiellement dans le débat.
La récompense des mérites acquis pendant l’épidémie du Covid-19 pouvait être envisagée selon deux voies différentes : soit l’attribution d’une récompense nationale existante (I), soit la création d’une nouvelle décoration (II). Le Gouvernement a opté pour les deux.
I./ L’attribution d’une récompense nationale existante
Le Gouvernement avait le choix entre attribuer l’un des deux ordres nationaux (ordre de la Légion d’honneur et ordre national du Mérite) ou la médaille d’honneur de la santé et des affaires sociales. La communication du Premier Ministre montre que seuls les ordres nationaux ont été retenus : « La promotion civile dans l’ordre national du Mérite du 15 mai sera regroupée cette année avec la promotion ultérieure [celle du 14 juillet] sur la base d’un contingent annuel. Pour cette promotion, comme pour celle dans la Légion d’honneur, les propositions comprendront une part importante de personnes ayant contribué à la lutte contre le virus, à tous les niveaux et dans tous les domaines d’activités. »
Outre le fait de mettre l’accent en premier sur l’ordre national du Mérite (dans le but inavoué de ne pas galvauder la Légion d’honneur), la formulation utilisée pourrait amener à penser que le recours aux ordres nationaux marque la volonté d’un hommage renforcé, à la mesure de la crise sanitaire. En effet, de manière un peu schématique et réductrice, les ordres récompensent des mérites plus importants que le ne font les médailles.
La raison nous semble tout autre et est à chercher au sein des dispositions actuelles du Code de la Légion d’honneur. Les conditions habituelles d’attribution des ordres nationaux requièrent une durée minimum de services (vingt années pour la Légion d’honneur, dix années pour l’ordre du Mérite7), nécessairement absente pour la majorité des « héros du quotidien » dont seules les actions récentes vont pouvoir être prises en compte. L’attribution à titre exceptionnel, bien que prévue par le Code de la Légion d’honneur8 reste dérogatoire. Toutes les personnes ne peuvent donc pas être récompensées par cette voie-là.
Le refus de recourir à la médaille d’honneur de la santé et des affaires sociales, créée par décret du 2 février 20129 et récompensant « les personnes, qu’elles soient ou non de nationalité française qui, dans leur activité professionnelle ou à titre bénévole, ont rendu des services honorables dans le domaines sanitaire et social », s’explique pour deux raisons. D’une part, cette décoration relève du Ministère des Solidarités et de la Santé, qui en est le créateur. Un possible conflit d’intérêt pouvait exister quant à l’opportunité de récompenser des personnes ne relevant pas du domaine sanitaire. C’est pourquoi la nouvelle décoration dépendra administrativement de Matignon. D’autre part, médaille d’honneur de la santé et des affaires sociales jouit actuellement d’un statut particulier puisque, après deux promotions, le ministère des Affaires sociales et de la Santé d’alors a décidé d’en suspendre l’attribution dans l’attente d’une étude plus approfondie de son dispositif. Malgré la question n° 55627 posée par le député Jacques Cresta en 201410, aucune évolution n’est à signaler depuis, cette médaille étant de facto suspendue.
Le recours au décorations existantes ne permettant pas pleinement de récompenser celles et ceux récompenser ceux qui se sont particulièrement dévoués pendant les périodes de maladies épidémiques, il ne restait donc au Gouvernement que la solution de la création d’une nouvelle décoration.
II./ La création d’une nouvelle décoration
Pour créer une médaille ad hoc pour la crise sanitaire actuelle, le Gouvernement n’a eu qu’à se plonger dans le riche passé français des décrets en termes de phaléristique, plusieurs décorations ayant existé par le passé.
Son choix s’est porté sur la médaille d’honneur des épidémies, créée par décret du 31 mars 188511 et destinée à récompenser « les personnes qui se sont particulièrement signalées par leur dévouement pendant des maladies épidémiques ». Cette médaille, après avoir été remaniée à diverses occasions12, fut supprimée en août 196213 lors de la création de l’actuelle médaille d’honneur du Service de santé des armées, aux conditions d’attribution plus restreintes.
La médaille d’honneur de l’hygiène, instituée en 1912 et abolie en 193814, destinée à récompenser les actions qui ne seraient pas prises en compte par la médaille des épidémies, aurait pu également inspirer le Gouvernement pour distinguer les mérites sanitaires des mérites non-sanitaires. Celui-ci a préféré une décoration unique pour montrer l’unité des efforts de la Nation.
Il faut noter que le choix d’une médaille ancienne présente un avantage économique non négligeable : les moules fabrication existent déjà à la Monnaie de Paris, réduisant ainsi les coûts de production.
Les différents éléments communiqués le 13 mai montrent que le Gouvernement s’inscrit dans la tradition d’un point de vue normatif.
Il a été décidé de créer trois échelons (bronze, argent, or), pour distinguer l’importance des mérites acquis. Cette mesure est habituelle en droit de la phaléristique et reprend ce qui existait pour la médaille des épidémies, en supprimant toutefois l’échelon vermeil15, jugé trop peu distinctif de l’échelon or.
Une agrafe « covid-19 » sera associée à la médaille. C’est de nouveau une constante dans les décrets récents de création de décorations, destinée à ancrer une médaille générique au sein d’un événement ponctuel en cours. C’est par exemple le cas avec la médaille de la sécurité intérieure16.
L’attribution à titre posthume est également prévue, ce qui est habituel et fait sens au sein d’une épidémie mortelle.
Une nouveauté est à signaler, c’est la possibilité de décerner la future médaille « à titre individuel ou collectif (personnel d’une entreprise ou d’une association) ». Cette disposition, surprenante, est la réponse donnée à la question du chiffre potentiellement élevé du nombre d’attributions qui pourrait poser problème. Comment être sûr de récompenser tout le monde sans créer de sentiment d’oubli ? Et ne va-t-on pas trop récompenser ? C’est un choix politique qui sera à faire lors de la précision des conditions d’attribution (catégories des personnes concernées ; nature, nombre et durée des actes pris en compte ; établissement d’une commission d’attribution, etc.), certaines décorations étant décernées de manière restreinte, d’autres plus largement. Il convient toutefois de constater qu’en temps exceptionnels, le nombre d’attributions est nécessairement et proportionnellement très élevé. La Croix de guerre 1914-1918 fut ainsi accordée à plus de deux millions de personnes.
Il reste cependant plusieurs interrogations sur lesquelles le Gouvernement ne s’est pas prononcé. En premier lieu, il lui faudra déterminer si cette décoration est une médaille commémorative (elle récompense alors tous les participants à un événement, même pour un engagement minime) ou une médaille d’honneur (elle récompense alors seulement des mérites spécifiques, répondant à une classification stricte de gradation des actions).
En second lieu, il devra décider si cette décoration récompense uniquement les personnes qui ont œuvré d’une manière ou d’une autre à la lutte contre l’épidémie, ou si elle prend en compte aussi les victimes de la pandémie. À l’instar de la médaille des blessés militaires (décret du 17 août 201617) ou civils de guerre (décret du 1er juillet 191818) ou de la médaille nationale de reconnaissance aux victimes de terrorisme (décret du 12 juillet 201619), cette décoration pourrait récompenser les victimes du coronavirus. Si cette attribution est inhabituelle en phaléristique, puisqu’elle ne récompense aucun mérite particulier, elle est un témoignage de solidarité envers ceux qui ont souffert dans leur chair du virus.
- https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2020-05-13/la-reconnaissance-de-la-nation-a-l-egard-de-ceux-qui-se-sont (sauf information contraire, consultation en date du 13 mai 2020 pour tous les sites cités). [↩]
- La phaléristique est la science auxiliaire de l’Histoire ayant pour objet l’étude des ordres, médailles et décorations. Le droit de la phaléristique trouve ses racines dans les premières règles des ordres hospitaliers à la fin du XI° siècle. [↩]
- Décret n° 62-1472 du 28 novembre 1962 portant Code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire (JO 7 décembre 1962, p. 11988) ; modifié par le décret n° 2008-1007 du 21 nov. 2018 (JO 22 nov. 2018, texte n° 270). Le décret de 2018 a incorporé dans le Code de la Légion d’honneur les dispositions du décret n°63-1196 du 3 décembre 1963 portant création d’un ordre national du Mérite. [↩]
- https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-la-legion-dhonneur-pour-le-personnel-hospitalier-3956923 [↩]
- https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-la-legion-dhonneur-pour-le-personnel-hospitalier-3956923 [↩]
- https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/soignantes-eboueurs-caissieres-une-medaille-monnaie-paris-heros-quotidien_33069387.html [↩]
- Art. R.18 et R.174 Code LH. [↩]
- R. 25 à R. 27 et R.178 Code LH. [↩]
- JO 10 fév. 2012, p. 2063. [↩]
- JO 4 jan. 2016, p. 65. [↩]
- JO 9 avril 1885, p. 1865. [↩]
- Notamment par le décret du 15 avril 1892 (JO 30 avril 1892, p. 2173), décret du 22 juillet 1899 (JO 1er août 1899, p. 5196), et décret du 30 sept. 1909 (JO 3 oct. 1909, p.10027). [↩]
- Décret du 30 août 1962 (JO 1er sept. 1962, p. 8575). [↩]
- Décret du 13 janvier 1912 (JO 5 mai 1912, p. 4210) et décret du 18 fév. 1938 (JO. 22 fév. 1938, p. 2163). Cette médaille fut remplacée par l’ordre de la Santé publique, lui-même remplacé en 1963 par l’ordre national du Mérite. [↩]
- Art. 1er, arrêté du 27 avril 1892 (JO 30 avril 1892, p. 2173). [↩]
- Art. 4 décret n° 2012-424 du 28 mars2012 (JO 30 mars 2012, p. 5764). [↩]
- Décret n° 2016-1130 du 17 août 2016 (JO 19 août 2016, texte n° 12). [↩]
- Décret 1er juillet 1918 (JO 3 juillet 1918, p. 5770). [↩]
- Décret n° 2016-949 du 12 juillet 2016 (JO 13 juillet 2016, texte n° 5). [↩]