Contexte : Cette décision rendue le 29 mars 2017 précise les conditions auxquelles est subordonnée la substitution de l’office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) en cas de défaut d’assurance du professionnel de santé déclaré responsable.
Litige : A la suite de la pose de bridges effectuée en 2002 par un chirurgien-dentiste, un patient présente différents troubles. Devant le juge judiciaire, il assigne en responsabilité et indemnisation le praticien ainsi que l’ONIAM en raison du défaut d’assurance civile professionnelle pour l’activité de dentiste de ce dernier ainsi que de son placement en liquidation judiciaire. La cour d’appel retient la responsabilité du chirurgien-dentiste mais déboute la victime de sa demande tendant à contraindre l’ONIAM à se substituer au praticien dont l’assureur est défaillant. Un pourvoi en cassation est formé par le patient victime.
Solution : La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs suivants :
« Mais attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ; que, selon le II du même texte, dans sa version antérieure à celle issue de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004, lorsque la responsabilité d’un professionnel, ou d’un établissement, service ou organisme mentionné au I n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvrent droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par l’article D. 1142-1 du même code, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’incapacité ; qu’en vertu de l’article L. 1142-22, l’ONIAM est notamment chargé de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale dans les conditions définies au II de l’article L. 1142-1 des dommages occasionnés par la survenue d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale ainsi que des indemnisations qui lui incombent, le cas échéant, en application de l’article L. 1142-15 ;
Attendu, ensuite, que la victime d’un dommage, lié à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins et présentant le caractère de gravité requis par les articles L. 1142-1, II, et D. 1142-1, peut recourir à la procédure de règlement amiable facultative, confiée aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI) ; que les articles L. 1142-14 et L. 1142-15, ce dernier dans sa version antérieure à la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002, prévoient que, lorsque la CRCI estime que la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée, l’assureur de celui-ci adresse une offre d’indemnisation à la victime, que, si l’assureur s’abstient de faire une offre ou encore si le responsable du dommage n’est pas assuré ou si la couverture d’assurance prévue à l’article L. 1142-2 est épuisée, l’ONIAM est substitué à l’assureur, que l’acceptation d’une offre de l’office vaut transaction, que l’office est subrogé, à concurrence des sommes versées par lui, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou son assureur et, enfin, qu’en cas de silence ou de refus explicite de la part de l’assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable du dommage n’est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l’assureur ou le responsable à verser à l’office une somme au plus égale à 15 % de l’indemnité qu’il alloue ; que, selon les articles L. 1142-17 et L. 1142-20, si la commission estime que le dommage est indemnisable au titre de la solidarité nationale, l’ONIAM adresse une offre d’indemnisation à la victime et celle-ci dispose du droit d’action en justice contre l’office si aucune offre ne lui a été présentée ou si elle n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite ;
Attendu qu’il ressort de ces dispositions que, lorsque la procédure de règlement amiable n’a pu aboutir, en l’absence d’avis d’indemnisation, d’offre présentée à la victime ou d’acceptation par celle-ci de l’offre présentée, ou lorsque la victime n’a pas souhaité y recourir, celle-ci peut agir en justice contre le professionnel de santé, l’établissement, service ou organisme auquel elle impute la responsabilité de son dommage, et son assureur, sur le fondement de l’article L. 1142-1, I, ou encore contre l’ONIAM, si elle estime que son dommage est indemnisable au titre de la solidarité nationale, sur le fondement des articles L. 1142-1, II, et L. 1142-20 ; qu’il s’en déduit que les articles L. 1142-15, régissant la procédure de règlement amiable, et L. 1142-22, relatif aux missions d’indemnisation de l’ONIAM, n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer un droit d’agir en justice contre celui-ci au titre de dommages engageant la responsabilité d’un professionnel de santé, du seul fait que ce dernier n’était pas assuré ;
Attendu qu’ayant, à bon droit, énoncé que la faculté de substitution de l’ONIAM à l’assureur, prévue à l’article L. 1142-15, relève de la procédure spécifique de règlement amiable et ne saurait étendre le champ de la solidarité nationale au-delà des dispositions fixées par l’article L. 1142-1, II, qui n’appréhendent pas l’intervention de l’ONIAM au titre de la solidarité nationale dans le cas où la responsabilité du professionnel de santé est engagée, la cour d’appel en a exactement déduit que l’ONIAM ne pouvait être tenu d’indemniser les dommages subis par M. Y…, engageant la responsabilité du praticien ».
Analyse : C’est une solution plutôt contestable qui a été ici retenue par la Cour de cassation jugeant que l’ONIAM n’est pas tenu de se substituer à l’assureur défaillant en dehors de la procédure de règlement amiable.
Il convient de rappeler que la procédure de règlement n’est ni toujours possible ni nécessairement souhaitée par les demandeurs en indemnisation. En effet, la recevabilité d’une demande d’indemnisation devant une commission de conciliation et d’indemnisation est subordonnée à un seuil de gravité des atteintes dommageables (C. santé publique, article D. 1142-1 du code de la santé publique). Les troubles dentaires atteignent rarement ce seuil de gravité. En l’occurrence, il est donc très probable que la victime n’a en réalité pas eu le choix et ne pouvait que saisir le juge judiciaire d’une demande en réparation des préjudices causés par le chirurgien-dentiste fautif.
En outre, et en tout état de cause, le recours à la procédure de règlement amiable n’est que facultative. La victime peut ne pas souhaiter y recourir pour diverses raisons. Elles peuvent tenir au fait que la victime ne peut pas bénéficier de l’aide juridictionnelle, si elle souhaite être assistée d’un avocat, ou aux imperfections de la procédure, comme par exemple l’absence de possibilité d’émettre des dires avant le dépôt du rapport d’expertise définitif ou bien l’inopposabilité du rapport d’expertise à l’ONIAM (Cass. 1re civ., 4 mai 2012, n° 11-12.775).
Quoi qu’il en soit, aux termes de l’arrêt commenté, si la victime n’a pas recouru à cette procédure de règlement amiable, elle se trouve dans l’impossibilité de contraindre l’ONIAM à se substituer au praticien dont la responsabilité a été reconnue mais qui n’a pas souscrit à une assurance de responsabilité civile professionnelle, pourtant obligatoire depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (C. santé publique, article L. 1142-2).
Pour la Cour de cassation, « la faculté de substitution de l’ONIAM à l’assureur, prévue à l’article L. 1142-15, relève de la procédure spécifique de règlement amiable ». Si une interprétation littérale de ce texte récent peut être invoquée en faveur de cette analyse, il faut cependant relever que la Cour de cassation n’a pas toujours privilégié ce procédé d’interprétation, notamment lorsqu’il s’est agi de permettre aux juges du fond d’appliquer les dispositions de l’article L. 1142-18 du code de la santé publique qui ne vise pourtant que la commission (Cass. 1re civ., 10 mars 2010, n° 09-11.270, Bull. I, n° 63 ; Resp. civ. et assur. 2010, étude 5 par S. Hocquet-Berg. V. également Cass. 1re civ., 22 novembre 2017, n° 16-24.769).
Sans doute, la Cour de cassation a-t-elle estimé que l’intention du législateur était de réserver la substitution de l’ONIAM aux seules hypothèses dans lesquels le dommage atteint une certaine gravité. A cet égard, elle a peut-être raison. Mais dans ce cas, c’est la loi qui nous paraît devoir être modifiée afin de généraliser l’obligation de substitution de l’ONIAM à toutes les situations dans lesquelles la garantie d’un assureur de responsabilité ne peut être mobilisée, quelle qu’en soit la raison.