Les riches interventions de ce deuxième colloque annuel lavallois sur les finances publiques1, pour lequel je souhaite remercier très chaleureusement les intervenants, ont permis d’appréhender les différents chemins dans lesquels peut s’inscrire la gouvernance financière publique après 2022, notamment à l’aune du droit de l’union européenne.
Il était d’autant plus urgent de s’interroger sur cette question que le « cadre budgétaire européen ne s’est pas – ou peu – adapté à un environnement macroéconomique qui a été totalement bouleversé. Même avant le choc sanitaire, le cadre intellectuel qui prévalait lors de la rédaction des règles, caractérisé́ par la méfiance vis-à-vis des politiques budgétaires expansionnistes, était remis en cause par les faits. Ce cadre apparaît aujourd’hui encore plus décalé́ dans un contexte post-Covid caractérisé́ par la hausse massive des dettes publiques, la faiblesse des taux d’intérêt et la création d’une capacité́ d’endettement et d’intervention au niveau européen »2.
Force est de constater que, depuis le début de la crise liée à l’épidémie de la Covid-19, les États européens convergent autour de quatre idées force. En premier lieu, la maîtrise de la trajectoire de la dette publique apparaît plus que jamais comme une question déterminante, au détriment de celle du déficit. En deuxième lieu, il est admis que les critères de convergence posés dans le cadre du traité de Maastricht ont été conçus dans un contexte économique plus favorable que le contexte actuel et qu’ils doivent être adaptés à un cycle économique. En troisième lieu, il faut établir une règle de dépenses qui soit contra-cyclique, tant en période de récession qu’en période de croissance ; ce qui n’est pas sans rappeler ce que préconisait J.-M. Keynes pour qui l’État doit, par ses dépenses publiques, tenter de parvenir au plein emploi, puis lorsque celui-ci est atteint il doit réduire ses interventions. Enfin, en quatrième lieu, les sanctions pour déficit excessif ne sont plus crédibles et doivent être remplacées par des incitations, les États devant impérativement s’approprier les règles européennes plutôt que de les subir.
A ces enjeux vient s’ajouter celui tout aussi sensible et intéressant de la lutte contre le dérèglement climatique. Les finances publiques ont longtemps été appréciées sous le prisme des idéologies financières, les libéraux préférant un État en retrait, des dépenses régaliennes et une fiscalité faible, les keynésiens quant à eux faisant l’éloge des dépenses publiques dès lors qu’elles permettent d’atteindre le plein emploi3. Dans ces idéologies classiques aucune place n’est faite aux enjeux climatiques. Or, de nombreuses organisations internationales appellent de leurs vœux la prise en compte par l’ingénierie financière publique des enjeux climatiques. C’est le cas du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)4, de l’Organisation pour la coopération et de développement économiques5 ou bien encore de l’Union européenne6.
La France a choisi, pour tenir les engagements qu’elle a pris lors de l’Accord de Paris en 20177, de présenter tous les ans son budget sous forme de « budget vert ». Ce dispositif recouvre, d’une part, une nouvelle classification des dépenses budgétaires et fiscales en fonction de leur impact environnemental et, d’autre part, une identification des recettes à caractère environnemental. Sur la forme, le budget vert se présente comme une annexe au projet de loi de finances dénommé rapport sur l’impact environnemental du budget. Cette annexe a été présentée à la représentation nationale en 2020 et en 2021, lors de la discussion du projet de loi de finances. Pour 2022, les dépenses favorables à l’environnement atteignent 32,5 milliards d’euros (contre 29,8 en 2021). Les crédits budgétaires favorables à l’environnement recouvrent principalement les dépenses en faveur du développement des énergies renouvelables (6,9 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022), les dépenses pour l’accompagnement de la transition énergétique (2,2 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022) et les taxes affectées aux agences de l’eau (2,2 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022).
Les outils budgétaires dont s’est doté l’Etat pour contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique ne manquent pas qu’il s’agisse de la fiscalité verte (avec notamment la composante carbone des taxes intérieures de consommation), des dépenses fiscales (qui représentent 3,4 milliards en 2022) ou des dépenses publiques (comme les subventions d’exploitation ou les programmes d’investissement d’avenir).
Les critiques sont nombreuses avec un point de crispation concernant la fiscalité environnementale. Tantôt accusée d’avoir des taux trop faibles8, tantôt de privilégier l’enjeu climatique à la protection de la biodiversité9, la fiscalité verte mérite une réflexion approfondie pour sanctionner les comportements nuisibles à l’environnement et poursuivre en même temps un objectif de justice fiscale. Les gilets jaunes ou les plus récents convois de la liberté illustrent l’équilibre fondamental et subtile à trouver entre transition écologie et équité fiscale et territoriale.
Au fond, le financement de la transition écologique est un enjeu d’avenir, encore en construction, pour lequel « l’actuel renoue avec l’ancien. Les lignes de faille historiques du droit budgétaire national en termes de rapport au temps long et de fragmentation de l’action publique jouent de concert au moment de définir et de mettre en œuvre une stratégie de moyen long terme. Il ne s’agit plus ici de poser des trajectoires de retour à l’équilibre des comptes publics mais de tracer le chemin critique d’une transition écologique et de redressement socio-économique qui prendra forcément du temps »10. Ce sera là tout l’enjeu du troisième colloque annuel lavallois sur les finances publiques qui se tiendra en 2023.
- Organisé avec le soutien de Laval agglomération et du département de la Mayenne. [↩]
- Ph. Martin, J. Pisani-Ferry, X. Ragot, Pour une refonte du cadre budgétaire européen, Les notes du conseil d’analyse économique, n° 63, avril 2021. [↩]
- V. Par exemple, M. Duverger, Finances publiques, PUF, 1956, p. 228 et s. [↩]
- GIEC, Sixième rapport d’évaluation du GIEC : changement climatique 2022, février 2022. [↩]
- V. par exemple, OCDE, L’Observateur annuel de l’action climatique. Aider les pays à progresser vers le zéro net, 2021, 47 p. [↩]
- V. notamment le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) no 401/2009 et (UE) 2018/1999 (dit « loi européenne sur le climat »). [↩]
- V. Le « collaboratif de Paris sur les budgets verts ». [↩]
- Inspection générale des finances, Conseil générale de l’économie, Conseil général de l’environnement et du développement durable, Evaluation de l’impact environnemental et économique de la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les émissions de polluants atmosphériques, octobre 2018, p. 42. [↩]
- Ph. Billet, R. Dufal, « Chronique de fiscalité française. Tour d’horizon des principales évolutions législatives des cinq dernières années », Revue juridique de l’environnement, 2021/1, pp. 161-181. [↩]
- R. Degron, L. Stroeymeyt, « Le budget vert de l’État français: quelle genèse et quel contenu pour quels horizons et effets? », Gestion et finances publiques, 2021/2, p. 11. [↩]