Introduction
Peut-on, dans l’évolution récente des finances publiques belges, identifier des éléments de rupture ou de continuité ? Pour répondre à cette question, il est important, d’abord, de tenir compte, à la fois, de la tendance historique et du contexte particulier du XXIème siècle. De plus, il faut tenir compte des tendances lourdes qui caractérisent la société belge et qui, dans les décennies à venir, se traduiront probablement par une pression haussière sur les dépenses publiques.
I. La tendance historique
Historiquement, la Belgique appartient à la catégorie des pays à haut niveau d’endettement public. D’une part, le pays est traversé par plusieurs clivages, linguistique, confessionnel et politique, dont on considère généralement qu’ils ont souvent été tenus sous contrôle par des interventions des pouvoirs publics au bénéfice des uns et des autres, et donc par la multiplication des subsides publics. D’autre part, le pays bénéficie d’un large système de couverture sociale, dont on a encore pu voir l’efficacité pendant la crise sanitaire mais dont le coût est important – entre 25 et 30 pour cent du PIB – et le sera encore davantage à l’avenir.
Malgré un niveau de prélèvements publics parmi les plus élevés de l’Union Européenne, l’importance des facteurs de dépenses a conduit à des déficits annuels et, donc, à un endettement élevé. Cependant, la Belgique a aussi périodiquement tenté de réduire ses déficits et endettement. Pour certaines périodes, ce fut avec succès. Mais ces périodes d’assainissement budgétaire sont entrecoupées, souvent autour des crises, de relâchements qui se traduisent par des retours aux niveaux d’endettement ex ante.
Ainsi, on peut décrire l’histoire des finances publiques belges d’après-guerre autour de 4 points de retournement. Une première période couvre la fin de la décennie 1950 et peut être vue comme la conséquence de la reconstruction qui a suivi la guerre. Elle se traduit par un endettement croissant qui atteint 70 % du PIB au point de retournement. Les années 1960 à 1974, caractérisées par une croissance économique exceptionnelle, connaissent une forte baisse du taux d’endettement qui atteint son niveau le plus bas en 1974 (39,78 %). Cependant, la crise de 1974 relance l’endettement qui gonflera pendant près de 20 ans pour atteindre son maximum en 1993.
A partir de 1994 et sous les contraintes du traité de Maastricht, l’endettement est réduit jusqu’à 85,0 % en 2006. La Belgique semble alors se trouver sur une trajectoire qui, si elle est poursuivie pendant quelques années encore, devrait la conduire à l’objectif de 60 % mentionné par le traité. Cependant, la crise financière de 2008 engendre une troisième période de boule de neige et reporte le taux d’endettement à 106,7 % en 2014, soit le niveau de 1986 ! Une nouvelle réduction est alors amorcée, mais elle est de courte durée, puisque, avec la crise sanitaire, 2020 présentera probablement, à son terme, un taux d’endettement de 120 %, soit le niveau de 1993. Ainsi, manifestement, ce sont les crises économiques, et les brusques ruptures de la croissance qu’elles occasionnent, qui constituent les points de retournement de la courbe et lancent une nouvelle période d’endettement croissant.
II. Le contexte du XXIème siècle
Rétrospectivement, on peut penser que la sensibilité chronique des finances publiques belges aux périodes de crise n’augurait rien de bon à l’aube du XXIème siècle. C’est que, sur ces deux premières décennies, le XXIème siècle est, plus que le XXIème siècle d’après-guerre, caractérisé par une succession de crises qui ne laissent guère le répit nécessaire au rétablissement des équilibres de finances publiques. Ce phénomène n’est pas propre à la Belgique et se retrouve, à des degrés divers, dans la plupart des pays de l’Union Européenne et au-delà. Cependant, à la différence d’autres États, la Belgique est entrée dans le siècle avec un niveau d’endettement encore élevé. Or, on constate qu’une crise majeure se traduit en Belgique par un bond du taux d’endettement dont l’ordre de grandeur est proche de 20 points environ en pour cent : de 87,0 à 106,7 % entre 2007 et 2014 ; et de 98,6 à 120 % entre 2019 et 2021.
En particulier, la crise sanitaire (2019 – 2020) a eu un impact important sur l’économie et les finances publiques de la Belgique. Ainsi, le PIB a reculé de 5,65 % en 2020, avant une croissance très forte (6,27 %) en 2021. En conséquence, le déficit public, qui avait été ramené à – 1,9 % en 2019, a fortement crû, jusqu’à – 9,1 % en 2020, ce qui, sans surprise a poussé le taux d’endettement vers ses niveaux des années 1980 : 97,7 % en 2019, 112,8 % en 2020 et environ 120,0 % en 2021. L’impact est d’autant plus important qu’il vient alors que les effets de la crise précédente – la crise financière de 2008 – commençaient à peine à se dissiper. Depuis lors, la Belgique, singulièrement la Wallonie, a encore connu des inondations catastrophiques, qui impliqueront une prise en charge par les finances publiques régionales. Enfin, la Belgique est aujourd’hui, comme tous les pays de l’Union, impliquée dans la crise et la guerre russo-ukrainiennes, dont on ne connaît pas encore les conséquences économiques et financières exactes, mais dont il faut logiquement s’attendre à ce qu’elle ralentisse l’économie et donc détériore encore davantage la situation des finances publiques. Bref, en synthèse, le contexte dans lequel se meuvent les finances publiques de la Belgique au cours de XXIème siècle, est celui d’une crise quasi-permanente, ou les graphiques du PIB commencent à prendre une forme sinusoïdale : les crises successives effaçant les effets de reprise qu’on avait pu constater temporairement entre chacune d’entre elles…
III. Les perspectives futures
L’endettement étant, par nature, un phénomène dynamique, l’analyse de sa situation à un moment donné, par exemple en 2021, doit tenir compte des perspectives pour le futur telles qu’on peut les entrevoir. Dans le cas de la Belgique, mais aussi probablement de la plupart des pays européens, ces perspectives laissent présager plutôt un accroissement des interventions publiques que le contraire. En effet, on peut donc distinguer au moins 5 évolutions sociétales qui pèsent dans ce sens : la démographie et le vieillissement, les fonctions régaliennes, les fonctions traditionnelles de l’État ainsi que la santé, la réduction des inégalités, la complexité de la société et les besoins d’éducation et de formation, et, enfin, la lutte contre le réchauffement climatique. Le premier changement qui affecte la société belge est lié à sa démographie. Il comporte deux volets : d’une part, la population totale augmente et continuera à augmenter ; d’autre part, et parallèlement, elle vieillit en moyenne. La population de la Belgique est en augmentation constante. En moyenne ce sont environ 50 000 personnes qui s’ajoutent chaque année, par le solde naturel ou par le solde migratoire. Elle était de 11 483 000 au 1er janvier 2020, et, selon le Bureau fédéral du Plan, elle atteindra 12 000 000 en 2040 et 12 700 000 en 2070. A politique inchangée, une population plus nombreuse demande plus de services publics et donc, à productivité inchangée, plus de dépenses. On peut réduire les coûts supplémentaires que la hausse de la population entraîne en augmentant l’efficacité des services publics, singulièrement leur productivité. C’est possible et souhaitable. Cependant, l’augmentation de la productivité ne résout pas tout le problème. D’une part, elle entraînera, elle-même des coûts supplémentaires, au moins dans un premier temps, car elle se nourrit, notamment, d’un meilleur matériel et d’une meilleure formation. D’autre part, elle est peu opérante dans les secteurs à forte implication humaine : l’enseignement, les soins de santé, les crèches,… et impossible dans le secteur des transferts. Bref, il paraît hautement probable que l’augmentation de la population se traduira dans les décennies à venir par une augmentation des dépenses publiques nominales. Cela ne veut pas dire, pour autant, que le ratio des dépenses publiques au PIB devra augmenter lui aussi, car si le PIB augmente plus vite que la population, le dénominateur de la fraction augmentera plus vite, toute autre chose égale, que le numérateur. Cependant, si le PIB augmente moins vite que le nombre d’habitants, alors le rapport (Habitants / PIB) augmentera et, à dépenses par habitant constantes, la part des dépenses publiques dans le PIB augmentera aussi. On voit ici, une fois de plus, l’importance de la croissance économique ou de la décroissance. Or, l’hypothèse d’une baisse du PIB par habitant doit être désormais prise au sérieux, vu le contexte de crises répétées du XXIème siècle. Sur une base 2007 = 100, le PIB réel par habitant est resté inférieur à sa valeur initiale jusqu’en 2014 pour la Belgique et 2015 pour la Zone Euro. Il se trouvera fort probablement largement en-dessous de cette valeur en 2020. A côté de l’augmentation globale de la population, un second phénomène démographique est de nature à faire augmenter le niveau des dépenses publiques : le vieillissement de la population. L’âge moyen de la population belge tend à augmenter, ce qui se traduit par une part grandissante des personnes en âge de retraite. L’espérance de vie était de 79,5 et 84,1 ans pour les hommes et les femmes, respectivement, en 2019. Elle passerait à 83,7 et 86,7 ans en 2040 et à 88,1 et 89,7 ans en 2070, pour ces deux groupes, respectivement. En conséquence, la part de la population en âge de retraite (fixé, ici, uniformément à 65 ans) augmente sensiblement : de 16,8 % en 2000, elle est passée de 19,3 % en 2020, et augmentera encore jusqu’à plus de 26 % en 2070. Une telle évolution a un impact non négligeable sur le coût des politiques publiques – on fait abstraction ici des coûts privés – liées à l’âge, ce qu’on appelle les coûts du vieillissement. On pense, spontanément, aux pensions, à l’évidence. Mais d’autres secteurs sont aussi sensibles à l’âge : les soins de santé, les allocations familiales, les allocations de chômage,… Au total ces dépenses représentent largement plus de 30 % du PIB en 2020. Le Conseil Supérieur des Finances présente, annuellement, un Rapport contenant une évaluation du coût budgétaire du vieillissement. La dernière édition date de 2020. Dans les conditions de la projection, entre 2019 et 2040, les coûts totaux liés au vieillissement augmenteront de 5 points de PIB, passant de 24,8 % du PIB de 2019 à 29,8 % du PIB de 2040. Par la suite, les taux se stabilisent et même baissent légèrement (29,1 % en 2070), sous l’effet de l’hypothèse générale d’une croissance constante du PIB. La comparaison entre 2019 et 2020 est particulièrement éclairante : les coûts bondissent de près de 6 points de PIB, se situant au niveau le plus élevé de toute la période considérée.
Pour les autres fonctions de l’État, on ne dispose pas de travaux aussi précis que ceux du Conseil Supérieur des Finances. Néanmoins, la Belgique est un état de droit. A un tel état incombent certaines missions qu’il est anormal et peu souhaitable de négliger. Ainsi, les citoyens et les citoyennes ont droit à une justice efficace et suffisamment rapide pour que ses jugements soient encore pertinents et utiles au moment où ils sont rendus. De la même façon, nul n’est servi par l’acceptation implicite de zones grises où des maffias locales et, parfois supra-locales, menacent la population et se livrent, en bénéficiant d’une large impunité, à des activités délinquantes ou criminelles qui mettent en danger la santé des individus et exploitent les hommes et les femmes dans des conditions inhumaines et dégradantes en ayant recours à la violence. L’état est, à juste titre, préoccupé de stabilité économique et d’une plus grande justice sociale, mais il ne peut se dédouaner des autres missions. Ses missions régaliennes ne sauraient être ignorées. Dans le domaine de la sécurité, des champs nouveaux sont apparus à la suite de l’évolution technologique. En particulier, la sécurité informatique (dite aussi cybersécurité) est devenue un enjeu de première importance pour les entreprises et aussi les particuliers. Face à une innovation quasi permanente, les autorités publiques devraient élargir la gamme de leurs services et surtout investir dans de nouveaux types de matériel, dans le recrutement de techniciens qualifiés et dans la formation continue du personnel. La santé a déjà été abordée dans le cadre du vieillissement. On s’attend à une hausse des dépenses publiques qui y sont liées de 7,9 % du PIB en 2019 à 10,4 % du PIB en 2070. La crise sanitaire de 2020 a mis en lumière l’importance exceptionnelle de ce secteur, pour lequel, probablement, en dehors même du vieillissement, des moyens supplémentaires devront être consacrés à la formation du personnel, aux capacités de tests, au développement de médicaments et de vaccins dans un contexte de collaboration internationale. En particulier, ils paraît urgent de former davantage de médecins, hommes et femmes, et de soignants et soignantes de toutes les catégories.
Si on s’en tient aux statistiques officielles, la Belgique est parvenue à contenir la hausse des inégalités qu’on constate dans d’autres pays. En 2018, la Belgique se situait à la 5ème position des pays de l’Union Européenne pour le coefficient de Gini calculé sur la base du revenu disponible (25,7), derrière la Slovaquie (20,9), la Slovénie (23,4), la Tchéquie (24,0) et la Norvège (24,8), mais devant la Suède (27,0), les Pays-Bas (27,4), le Danemark (27,8), la France (28,5), la moyenne de la Zone Euro (30,6) et de l’Union Européenne (30,4) ou encore l’Allemagne (31,1). De plus, entre 1995 et 2018, ce coefficient a diminué de 3,3 points. Ce résultat remarquable doit être mis au crédit du système de protection sociale belge, ce qui montre tout l’intérêt de le maintenir en place. Il faudra, cependant, attendre les prochaines publications pour mesurer l’impact de la crise de 2020 sur cette statistique. Une stratégie de réduction des inégalités a deux volets. Le volet curatif qui soutient le revenu des personnes lorsque celles-ci ne sont pas en état de se procurer des revenus primaires (allocations familiales, chômage, pension) ou se trouvent en difficulté (maladie, invalidité). C’est ce volet que couvre la sécurité sociale. Mais la réduction des inégalités a aussi un volet préventif. Il s’agit, cette fois, de donner au plus grand nombre les moyens de se procurer des revenus primaires suffisants. De ce point de vue, de puissants facteurs de lutte contre la pauvreté et de réduction des inégalités sont liés aux politiques de santé et d’éducation. Ainsi, en 2018, le taux de risque de pauvreté est quatre fois plus élevé pour les personnes avec un niveau d’éducation bas comparées aux personnes avec un niveau d’éducation élevé. On trouve ici une justification au soutien public aux politiques d’éducation et de formation.
Depuis le XIXème siècle déjà, nos sociétés tendent à devenir plus complexes. Cela se marque de diverses façons. Il y a, d’une part, la complexité des relations sociales et économiques qui se traduit, notamment, par la multiplication des dispositifs légaux. Il y a l’internationalisation qui contraint à mieux comprendre les langues et les cultures du monde. Il y a, surtout, les développements techniques et technologiques qui, certes, améliorent la productivité et donnent accès à des services nouveaux, mais qui requièrent aussi des connaissances nouvelles parfois difficiles à acquérir.
A côté de la réduction des inégalités, la complexification de la société, et le niveau croissant des exigences en matière de connaissances et de compétences justifient le financement public de l’éducation en ce compris l’enseignement supérieur, qui est un puissant levier de maîtrise de la complexité.
Contrairement au vieillissement, il n’existe pas de comité scientifique chargé d’estimer les coûts que la nécessaire réduction des émissions de CO2 entraînera, et aucune section, au sein du Conseil Supérieur des Finances, n’est chargée de formuler des avis à destination du gouvernement. La littérature scientifique elle-même aborde peu la question des coûts et encore moins celle des coûts budgétaires. Il est vrai que même les hypothèses de la réflexion font défaut. Ainsi, à ce stade, rien n’a été décidé quant aux agents économiques qui supporteront in fine la charge, l’État, les ménages ou les entreprises, ou sur la façon de répartir cette charge entre ces trois catégories d’agents. La Belgique est dotée d’un Plan National Energie-Climat 2021-2030 (PNEC). Ainsi, la Belgique entend réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 35 %, en 2030, par rapport au niveau de 2005 pour les secteurs non-ETS, c’est-à-dire les ménages et la plupart des entreprises. C’est un défi considérable, même si l’objectif final devrait plutôt être une suppression totale des émissions nettes en 2050. Si le plan est précis quant à l’objectif pour 2030, il ne donne pas de façon détaillée les mesures qui permettront de l’atteindre. Même si on ne dispose pas actuellement de données chiffrées précises sur les coûts qu’une telle réduction représentent, pour l’économie en général et pour les pouvoirs publics en particulier, on ne peut exclure que ceux-ci soient importants. Certes, une partie du résultat peut être obtenue via une taxe carbone, qu’il faudra faire accepter à la population, mais pour le surplus les politiques d’isolation des bâtiments publics ou d’innovation énergétique auront un coût. A titre indicatif, certaines études estiment qu’il sera, de toute façon, impossible d’atteindre les objectifs climatiques généraux (limiter le réchauffement à 1,5°) sans le recours à des techniques d’élimination du dioxyde de carbone existant, et estiment à environ 40 – 100 $ le coût de la capture et du stockage d’une tonne de CO2. Si on applique mécaniquement ce prix, par exemple à 50 millions de tonnes, on aboutit à un ordre de grandeur grossier de 2 à 5 milliards de dollars par an (on suppose que la source de production de carbone n’est pas éliminée et donc qu’il faut reproduire l’élimination et le stockage chaque année).
IV. Rupture ou continuité ?
Ainsi, pour poser, de façon pertinente, la question de la rupture ou de la continuité, il faut d’abord s’accorder sur la référence : en d’autres termes, rupture ou continuité par rapport à quoi ? Si on considère la situation au regard du passé et dans la perspective des décennies à venir, on peut distinguer 3 cas de rupture.
Il y a d’abord, une première rupture manifeste entre la trajectoire de désendettement qu’on observait entre 1995 et 2006 (de 120 à 85 % PIB) et celle qui suit la crise financière, de 2008 à 2020 (de 85 à 112,8 % PIB). On a donc considéré, cette fois, et contrairement à ce qui s’était produit en 2008, que l’État pouvait et devait réduire l’impact de la crise pour les citoyens et les entreprises, évidemment, au prix d’un endettement public sensiblement plus marqué.
Il a ensuite une deuxième rupture dans le coût de la dette, qui rend la première rupture soutenable ou plus soutenable car, après tout, qu’importe le montant de la dette si son coût est nul (du moins à court terme) ? Or, depuis 1985, les taux d’intérêt qui affectent la dette belge ont, en moyenne, été divisés par 5. Ainsi, pour un même niveau d’endettement (100 % du PIB), les charges d’intérêt payées sur la dette belge sont passés de 10,0 % du PIB en 1985 à 1,9 % du PIB en 2021. Certes, on assiste, ces derniers mois, à une remontée des taux de rendements des emprunts publics, mais cette hausse est restée modeste et se trouve plus qu’entièrement compensée par la relance de l’inflation. Dès lors, en termes réels, les taux d’intérêt des emprunts publics belges restent largement négatifs et le sont même davantage que dans le passé.
Cela implique une troisième rupture plus générale, celle-là européenne, sur l’acceptation des déficits et donc d’un endettement croissant dans le cadre d’une politique monétaire et budgétaires keynésiennes, c’est-à-dire largement accommodantes, qui, pour ce qu’on en sait actuellement, ont permis de limiter les conséquences économiques, sociales et sanitaires de la crise. Cette rupture-là comporte un aspect philosophique de long terme. Elle devra être discutée au sein de l’Union et de la Zone Euro.
Dès lors, pour le futur, faut-il penser à un retour à la “continuité”, c’est-à-dire, en fait, un retour à l’application du traité de Maastricht et du Pacte de Stabilité et de croissance ? Probablement, mais à un terme qui est difficile à anticiper actuellement et dans un contexte différent. Différent, en effet, d’une part parce qu’on ne peut pas exclure une autre crise, d’une nature encore inconnue, qui relancerait le phénomène de sinusoïde évoqué ci-dessus. D’autre part, parce que même en l’absence de nouvelle crise, les évolutions socio-démographiques attendues pour la et les prochaines décennies impliquent mécaniquement, à politique inchangée, une nouvelle augmentation des dépenses publiques dont l’ordre de grandeur est de 5 à 10 points de pour cent du PIB. Il ne paraît donc plus très réaliste de s’attacher à des chiffres fétiches et difficiles à justifier du point de vue théorique, comme les 3 % ou les 60 % du traité, mais il s’agira plutôt, raisonnablement, de limiter ou arrêter la croissance de l’endettement public et, surtout, de contrôler l’évolution de son coût.
Enfin, en toute hypothèse, la stabilisation des variables de finance publique ne semble réaliste à long terme qu’à la condition d’une période suffisamment longue de croissance stable. Pour atteindre cet objectif, la Belgique compte sur une certaine relance économique – on rêve de 2 % par an à moyen – long terme, alimentée, d’une part, par la hausse de la productivité et, d’autre part et surtout, par une hausse du taux d’emploi. Celui-ci est passé de 67,6 % en 2010 à 70,5 % en 2019. L’objectif est d’atteindre 80 % à l’horizon d’une décennie.
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