Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L’association Ligue de défense judiciaire des musulmans a demandé au tribunal administratif de Dijon, dans l’instance n° 1502100, d’annuler pour excès de pouvoir la décision du maire de la commune de Chalon-sur-Saône, révélée par un communiqué du 16 mars 2015, de ne plus proposer dans les restaurants scolaires municipaux de menus de substitution aux plats contenant du porc et la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire sur son recours gracieux du 15 mai 2015 dirigé contre cette décision et de mettre à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
L’association Ligue de défense judiciaire des musulmans, Mme A…F…, Mme N… C…et M. K… J…ont demandé au tribunal administratif de Dijon, dans l’instance n° 1502726, d’annuler pour excès de pouvoir la délibération du 29 septembre 2015 du conseil municipal de la commune de Chalon-sur-Saône approuvant le règlement des restaurants scolaires municipaux en ce qu’il n’est plus proposé de menus de substitution aux plats contenant du porc et de mettre à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône au profit de l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement nos 1502100 et 1502726 du 28 août 2017, le tribunal administratif de Dijon a annulé ces trois décisions et a rejeté le surplus des conclusions de ces deux demandes.
Procédure devant la cour
I. Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2017 sous le n° 17LY03323, la commune de Chalon-sur-Saône, représentée par la SELARL Philippe Petit et Associés, avocat, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement nos 1502100-1502726 du 28 août 2017 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter les demandes présentées dans les deux instances n° 1502100 et n° 1502726 devant le tribunal administratif de Dijon ;
3°) de mettre à la charge in solidum de l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans, de Mme F…, de Mme C… et de M. J… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif a méconnu l’obligation d’épuiser son pouvoir juridictionnel en se croyant à tort lié par les avis qu’il avait sollicités de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et du Défenseur des droits ;
– le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que les juges de première instance n’ont pas répondu au moyen de défense tiré de ce que le conseil municipal était tenu d’abroger sa délibération de 1984 qui était illégale en ce qu’elle méconnaissait le principe de neutralité du service public ;
– le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de la méconnaissance du 1 de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990 qui n’était pas soulevé par les parties ;
– le jugement attaqué est irrégulier car insuffisamment motivé sur l’atteinte directe et certaine à la situation des enfants portée par les décisions en litige ;
– c’est à tort que le tribunal administratif a considéré que la demande de première instance n° 1502726 dirigée contre la délibération du 29 septembre 2015 était recevable, dès lors que les moyens de légalité présentés dans cette demande ne concernent pas cette délibération ;
– c’est à tort que le tribunal administratif a considéré que l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans avait intérêt à agir contre la délibération du 29 septembre 2015, dès lors qu’elle ne vise ni ne critique l’économie générale du règlement des restaurants scolaires municipaux et que son champ d’action national ne lui donne pas intérêt pour agir contre la délibération en litige dont les effets sont limités à la commune de Chalon-sur-Saône ;
– en invoquant leur qualité de citoyens français de confession musulmane, Mme F…, Mme C… et M. J… ne justifient pas de leur qualité à contester la délibération du 29 septembre 2015 ;
– le moyen de légalité tiré de la violation de la liberté de conscience et de culte n’est pas fondé, dès lors que les décisions en litige font une stricte application du principe de laïcité et de neutralité du service public dans le respect de cette liberté et qu’elles tiennent compte des contraintes matérielles d’organisation du service public municipal de la restauration scolaire qui a un caractère facultatif, tant pour la commune qui n’est pas tenue de l’organiser que pour les administrés qui ne sont pas obligés d’y recourir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2017, l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans et Mme A…F…, représentés par Me Garderes, avocat, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône au profit de l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 8 novembre 2017, la clôture de l’instruction a été fixée au 27 novembre 2017.
Des observations, enregistrées le 7 mars 2018 après la clôture de l’instruction, ont été présentées par le Défenseur des droits.
II. Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2017 sous le n° 17LY03328, la commune de Chalon-sur-Saône, représentée par la SELARL d’avocats Philippe Petit et Associés, demande à la cour :
1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article R. 811-15 du code de justice administrative, qu’il soit sursis à l’exécution du jugement nos 1502100 et 1502726 du 28 août 2017 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de mettre à la charge in solidum de l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans, de Mme F…, de Mme C… et de M. K… J…la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens critiquant le bien-fondé du jugement attaqué, exposés dans son recours en annulation de ce jugement dont une copie est jointe, sont sérieux et de nature à en justifier l’annulation ainsi que le rejet des demandes de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2017, l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans et Mme A…F…, représentés par Me Garderes, avocat, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône au profit de l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 8 novembre 2017, la clôture de l’instruction a été fixée au 27 novembre 2017.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
– la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, notamment son article 33 ;
– le décret n° 2011-1227 du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire et l’arrêté interministériel du même jour pris pour son application ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 9 octobre 2018 :
– le rapport de M. Alfonsi, président de chambre,
– les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
– les observations de Me Petit, avocat, pour la commune de Chalon-sur-Saône ;
– et les observations de Me Garderes, avocat, pour l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans et pour MmeF… ;
Une note en délibéré, présentée pour la commune de Chalon-sur-Saône, a été enregistrée le 9 octobre 2018 ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un communiqué de presse daté du 16 mars 2015, le maire de Chalon-sur-Saône a fait connaître qu’il avait » décidé de mettre un terme à la pratique installée dans la collectivité depuis 31 ans, qui consistait à proposer un menu de substitution dès lors qu’un plat contenant du porc était servi dans les cantines « .
2. Par une délibération du 29 septembre 2015, le conseil municipal de Chalon-sur-Saône a modifié le règlement intérieur des restaurants scolaires pour n’y plus proposer qu’un seul type de repas.
3. Par ses requêtes susvisées n° 17LY03323 et n° 17LY03328, la commune de Chalon-sur-Saône demande l’annulation et le sursis à exécution du jugement du 28 août 2017 par lequel le tribunal administratif de Dijon, après avoir joint les deux demandes dont l’avaient saisi la Ligue de défense judiciaire des musulmans et quelques personnes physiques, a annulé la décision de son maire et la délibération du conseil municipal. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, qui ont fait l’objet d’une instruction commune, pour qu’elles fassent l’objet d’un même arrêt.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l’article R. 625-3 du code de justice administrative : » La formation chargée de l’instruction peut inviter toute personne, dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à l’éclairer utilement sur la solution à donner à un litige, à produire des observations d’ordre général sur les points qu’elle détermine. // L’avis est consigné par écrit. Il est communiqué aux parties. (…). « .
5. Les personnes sollicitées par un tribunal sur le fondement des dispositions sus rappelées de l’article R. 625-3 n’ont ni la qualité de partie, ni celle d’intervenant à l’instance, et ne peuvent produire, par suite, que des observations d’ordre général à l’exclusion de toute analyse ou appréciation des pièces du dossier, c’est-à-dire sans pouvoir présenter de conclusion ou articuler de moyen se rapportant au litige pendant devant la juridiction qui a sollicité leur avis.
6. Il ressort des pièces du dossier de première instance que l’argumentation relative à la méconnaissance de l’intérêt supérieur des enfants au sens du 1 de l’article 3 de la convention signée à New York le 26 janvier 1990 n’a été présentée que par la seule Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans les observations qu’elle a produites le 30 décembre 2016 en réponse à l’invitation que lui a adressée le tribunal sur le fondement des dispositions de l’article R. 625-3 dans l’instance n° 1502726. Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, les demandeurs, qui n’avaient expressément soulevé ce moyen dans aucune des deux instances susvisées n° 1502100 et 1502726, n’ont, dans aucun de leurs mémoires, développé une argumentation susceptible d’être rattachée à un tel moyen. Il suit de là que la commune appelante est fondée à soutenir qu’en annulant les actes administratifs qui lui étaient déférés sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 3-1 de la convention de New York, qui n’est pas d’ordre public, le tribunal a entaché son jugement d’irrégularité.
7. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées au tribunal administratif de Dijon sous les nos 1502100 et 1502726.
Sur les fins de non-recevoir opposées en première instance :
8. En premier lieu, et contrairement à ce qui est soutenu, il était loisible aux demandeurs, qui souhaitaient obtenir l’annulation de certaines dispositions du règlement des restaurants scolaires de la commune de Chalon-sur-Saône, de déférer au tribunal administratif la délibération par laquelle le conseil municipal a approuvé un tel règlement.
9. En second lieu, la décision contestée du maire de Chalon-sur-Saône et les modifications du règlement des restaurants scolaires approuvées par la délibération attaquée du conseil municipal de cette commune sont susceptibles d’affecter la situation des élèves de confession musulmane qui fréquentent les restaurants scolaires des écoles publiques de Chalon-sur-Saône. Ces modifications soulèvent par ailleurs des questions qui, par leur objet et leurs implications, excèdent les circonstances strictement locales. Dans ces conditions, une association à ressort national comme la Ligue de défense judiciaire des musulmans, qui s’est donné pour objet de » lutter contre toutes les formes de discrimination religieuse et tout acte commis en raison de l’appartenance d’une personne ou d’un groupe à la religion et/ou à la communauté musulmane « , doit être regardée comme présentant un intérêt à agir contre de tels actes.
10. Il résulte de ce qui vient d’être dit que les fins de non-recevoir opposées par la commune de Chalon-sur-Saône aux demandes tendant à l’annulation actes en litige présentées en première instance tant par la Ligue de défense judiciaire des musulmans que, d’ailleurs, par des personnes physiques qui ont justifié avoir des enfants scolarisés dans la commune, doivent être écartées.
Sur la légalité des actes attaqués :
11. Le gestionnaire d’un service public administratif facultatif, qui dispose de larges pouvoirs d’organisation, ne peut toutefois décider d’en modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement que pour des motifs en rapport avec les nécessités de ce service.
12. Les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que, en l’absence de nécessité se rapportant à son organisation ou son fonctionnement, les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ou philosophique.
13. Il est constant que, depuis 1984, les restaurants scolaires des écoles publiques de Chalon-sur-Saône proposaient à leurs usagers des menus alternatifs leur permettant de bénéficier de repas répondant aux bonnes pratiques nutritionnelles sans être contraints de consommer des aliments prohibés par leurs convictions religieuses. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, pendant les trente et une années qu’elle a duré, cette pratique aurait provoqué des troubles à l’ordre public ou été à l’origine de difficultés particulières en ce qui concerne l’organisation et la gestion du service public de la restauration scolaire. Il suit de là qu’en se fondant exclusivement sur les principes de laïcité et de neutralité du service public pour décider de mettre un terme à une telle pratique, le maire de Chalon-sur-Saône et le conseil municipal de Chalon-sur-Saône ont entaché leur décision et délibération attaquées d’erreur de droit.
14. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de leur demande, l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans et les autres requérants sont fondés à demander l’annulation de la décision par laquelle le maire de Chalon-sur-Saône a mis fin à la pratique des menus alternatifs dans les restaurants scolaires de la commune ainsi que celle de la délibération du 29 septembre 2015 par laquelle le conseil municipal de cette même commune a approuvé la modification du règlement intérieur des restaurants scolaires en ce que ce dernier dispose désormais, en son point IV, qu’un » seul type de repas sera proposé à l’ensemble des enfants inscrits au restaurant scolaire « .
Sur la requête n° 17LY03328 à fin de sursis à exécution :
15. Par le présent arrêt, la cour a statué sur la requête n° 17LY03323 de la commune de Chalon-sur-Saône tendant à l’annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Dijon. Les conclusions de sa requête n° 17LY03328 tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement étant, dès lors, privées d’objet, il n’y a pas lieu d’y statuer.
Sur les frais du litige :
16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des défendeurs, qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances, la somme que la commune de Chalon-sur-Saône demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu non plus, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans présentées sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 17LY03328 tendant au sursis à l’exécution du jugement du 28 août 2017 du tribunal administratif de Dijon.
Article 2 : Le jugement du 28 août 2017 du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 3 : La décision, révélée par communiqué de presse du 16 mars 2015, du maire de Chalon-sur-Saône mettant fin à la pratique des menus alternatifs dans les restaurants scolaires et la délibération du 29 septembre 2015 en tant que, par celle-ci, le conseil municipal de Chalon-sur-Saône a approuvé les dispositions figurant au point IV du règlement des restaurants scolaires prévoyant qu’un » seul type de repas sera proposé à l’ensemble des enfants inscrits au restaurant scolaire « , sont annulées.
Article 4 : Les conclusions des parties tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Chalon-sur-Saône, à l’association Ligue de défense judiciaire des musulmans, à Mme A…F…, à Mme N… C…et à M. K… J….
Copies pour information en seront adressées au Défenseur des droits, à la commission nationale consultative des droits de l’homme et au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l’audience du 9 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Régis Fraisse, président de la cour,
MM. B…I…et Jean-François Alfonsi, présidents de chambre,
M. H…E…et MmeM…, présidents assesseurs,
MM. L…D…et G…L…, premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2018.
Nos 17LY03323 et 17LY03328