Section III – Principes régissant le fonctionnement des services publics
1417.- Les « lois de Rolland ».- Ces différents principes sont généralement dénommés les « lois de Rolland », du nom de l’auteur qui est réputé les avoir dégagés dans les années 1930 (Cours de DES, 1934). On regroupe généralement sous cette appellation les principes de continuité, de mutabilité, d’égalité.
Ces principes recoupent en partie ceux visés par l’article 1er du protocole numéro 26 annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui précise que « les valeurs communes de l’Union concernant les services d’intérêt économique général au sens de l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne comprennent notamment … un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits des utilisateurs ».
§I – Continuité du service public
1418.- Une « loi du service public ».- Il s’agit du seul principe que Louis Rolland a expressément qualifié de « loi du service public ». A l’origine, ce principe est particulièrement important et a permis notamment d’exclure le droit de grève dans les services publics. Par la suite, le droit de grève a acquis une importance réelle, et ce développement a amené la jurisprudence à concilier ce droit et le principe de continuité du service public.
I – Rapports entre le principe de continuité et le droit de grève
1419.- Evolutions.- A l’origine le principe de continuité exclut la possibilité de l’exercice du droit de grève dans les services publics. Par la suite ces deux principes ont dû être conciliés.
A – Exclusion initiale du droit de grève
1420.- Une jurisprudence sévère pour les grévistes.- L’exclusion du droit de grève dans les services publics résulte de l’arrêt Winkell du 7 août 1909 (requête numéro 37317 : Rec., p. 826 et 1296, concl. Tardieu ; S. 1909, III, p. 145, concl. Tardieu, note Hauriou ; RDP 1909, p. 494, note Jèze). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a estimé que l’agent qui se met en grève s’exclut de lui-même du service et, par voie de conséquence, du bénéfice des garanties disciplinaires. En l’espèce, le requérant n’était donc pas recevable à contester son licenciement qui avait pourtant été prononcé sans que lui ait été communiqué au préalable son dossier, comme l’exigeait l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l’exercice 1905.
Comme l’écrivait à l’époque Duguit, la grève était considérée, ni plus ni moins, comme « un crime » contre le service public (Traité de droit constitutionnel, t. 3, de Boccard 1927, p. 221). Sur le même thème Hauriou estimait que « le droit de grève c’est le droit de guerre privé ». Les faits de grève sont « des faits révolutionnaires, des faits de guerre ». En conséquence le gouvernement peut utiliser « le droit de la guerre » et user de « représailles » contre les grévistes (note sur CE, 7 août 1909, Winkell, préc.).
Cette jurisprudence a ensuite été consacrée par la loi du 14 septembre 1941 portant statut des fonctionnaires, ce qui n’est guère surprenant. Toutefois, cette loi vichyste a été déclarée nulle par l’ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine.
B – Conciliation entre droit de grève et principe de continuité
1421.- L’apport du Préambule de la Constitution de 1946.- La position initiale du Conseil d’Etat pouvait aussi s’expliquer par le fait que, jusqu’à une époque récente, il n’existait aucune consécration constitutionnelle du droit de grève.
Cette situation a changé avec le Préambule de la Constitution de 1946 dont l’alinéa 7 prévoit que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ». Ainsi, le droit de grève est reconnu et les auteurs du Préambule de la Constitution invitent le législateur à le règlementer.
Or, si la loi du 19 octobre 1946 relative au statut des fonctionnaires reconnaissait le droit syndical dans la fonction publique, elle demeurait muette sur la question du droit de grève.
1422.- L’interprétation constructive du Préambule par le Conseil d’Etat (arrêt Dehaene).- Le Conseil d’Etat a été amené à statuer sur ce problème à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Dehaene du 7 juillet 1950 (requête numéro 01645, préc.).
Rappelons qu’à cette occasion le Conseil d’Etat a d’abord considéré que le Préambule de la Constitution de 1946, et donc les principes qu’il contient, a une valeur constitutionnelle. Plus tard, le Conseil constitutionnel qualifiera également le droit de grève de principe à valeur constitutionnelle (CC, 28 juillet 1987, numéro 87-230 DC, Loi portant diverses mesures d’ordre social : RFDA 1987, p. 807, note Genevois).
Dans l’arrêt Dehaene, les juges interprètent les dispositions susvisées comme une invitation faite par les rédacteurs de la Constitution au législateur en vue que celui-ci « opère la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte ».
Ainsi, le principe de continuité n’exclut plus l’exercice du droit de grève. Il s’agit désormais de concilier ces deux notions.
1423.- L’insuffisance des lois réglementant le droit de grève dans les services publics.- En cas d’absence de cadre législatif, les juges précisent qu’il appartient au gouvernement de « fixer la nature et la limitation qui doivent être apportées à ce droit … en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ». Ainsi, en l’espèce, le gouvernement pouvait légalement faire interdire et réprimer la participation de chefs de bureau de préfecture à une grève, ce mouvement portant « une atteinte grave à l’ordre public ».
Il est à noter que si la loi n°63-777 du 31 juillet 1963 modifiée relative à certaines modalités de la grève dans les services publics et codifiée aux articles L. 2512-1 et suivants du Code du travail a apporté un certain nombre de précisions sur les conditions d’exercice du droit de grève, le Conseil d’Etat considère que ce texte ne saurait « comme l’indique d’ailleurs son exposé des motifs constituer à (lui seul) l’ensemble de la règlementation du droit de grève annoncée par la Constitution » (CE, 4 février 1966, requête numéro 62479, Syndicat national des fonctionnaires et agents du groupement des contrôles Radio-Electriques, Paul et Longin : Rec., p. 80 ; CJEG 1966, p. 121, concl. Bertrand ; D. 1966, jurispr., p. 720, note Gilli ; JCP G 1966, II, comm. 14802, note Debbasch ; RDP 1966, p. 324, concl. Bertrand.- V. aussi concernant plus spécifiquement la fonction publique territoriale CE, 6 juillet 2016, requête numéro 390031, Syndicat CGT des cadres et techniciens des services publics territoriaux : Rec., p. 756). De fait, ce texte se borne à imposer le dépôt d’un préavis de grève et à interdire les grèves tournantes et les grèves surprise.
Plus récemment, le Conseil d’Etat a rappelé, à propos de la loi n°2007-1224 du 21 août 2007 concernant les transports terrestres réguliers de voyageurs que « en l’absence de la complète législation annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public » (CE, 11 juin 2010, requête numéro 333262, Syndicat Sud-RATP : Rec. tables, p. 606 ; AJDA 2010, p. 1719, concl. Lenica ; JCP A 2011, comm. 2218, note Terrien ; RJEP 2010, comm. 60, concl. Lenica). Le dispositif organisé par cette loi a ensuite inspiré le dispositif de la loi n°2012-375 du 19 mars 2012 relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers.
1424.- Autorité compétente pour réglementer le droit de grève au sein des établissements publics.- Il faut aussi relever qu’il n’appartient pas aux ministres de préciser les modalités d’exercice du droit de grève dans les établissements placés sous leur tutelle (CE, 1er décembre 2004, requête numéro 260551, Onesto : Droit adm. 2005, comm. 19, note Lombard). En effet, cette compétence n’appartient qu’aux seuls dirigeants de l’établissement public concerné. La même solution s’applique, en l’absence de loi, aux organes dirigeants des personnes privées chargées d’une mission de service public, en vertu de leurs pouvoirs généraux d’organisation des services (CE Ass., 12 avril 2013, requête numéro 329570, requête numéro 329683, requête numéro 330539, requête numéro 330847, Fédération FO énergie et mines et a., préc.).
1425.- Cas des distributeurs de produits pétroliers.- Dans le même ordre d’idées, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de valider une limitation au droit de grève de certains opérateurs privés dans le secteur de la distribution de produits pétroliers, au regard de l’objectif de préservation de l’ordre public économique à l’occasion d’une décision du 11 décembre 2015 rendue dans le cadre de la procédure de QPC (CC, 11 décembre 2015, numéro 2015-507 QPC : Dr. adm. 2016, comm. 16, note Boda). Cette décision portait sur l’article L. 671-2 du Code de l’énergie qui prévoit qu’un plan de prévention des ruptures d’approvisionnement de produits pétroliers est établi dans certaines collectivités territoriales de l’outre-mer. Contrairement à l’hypothèse visée par l’arrêt du 12 avril 2013, il ne s’agissait donc pas de transposer la logique de l’arrêt Dehaene dans un service public géré par une personne privée, mais dans une activité purement privée.
1426.- Prolongement de la logique de la jurisprudence Dehaene.- En termes d’exercice du pouvoir de réglementation du droit de grève, le Conseil d’Etat est allé encore plus loin dans la logique de l’arrêt Dehaene à l’occasion des arrêts Hotz et Fédération nationale des syndicats du personnel des industries de l’énergie électrique, nucléaire et gazière du 17 mars 1997 (requête numéro 123912, requête numéro 160684 : AJDA 1997, II, p. 533, note Bellanger et Darcy ; JCP G, IV, comm. 2089 et comm. 2090, obs. Rouault ; Dr. adm. 1997, comm. 209).
Dans l’affaire Hotz, par exemple, le Conseil d’Etat était saisi d’un recours dirigé contre une décision du directeur de la production et du transport d’EDF fixant les modalités de retenue sur salaires en cas de grève des agents de conduite des centrales thermiques ou nucléaires. Le Conseil d’Etat rappelle, tout d’abord, les principes de l’arrêt Dehaene, c’est-à-dire la possibilité pour le gouvernement de prendre une mesure de règlementation du droit de grève en cas de silence du législateur. Cependant, en l’espèce, le gouvernement n’était pas non plus intervenu. Le Conseil d’Etat se réfère alors implicitement à la jurisprudence Jamart (CE Sect., 7 février 1936, requête numéro 43321, préc.), dont l’arrêt Dehaene constitue d’ailleurs une application. Il estime, en effet, que les principes de la jurisprudence Dehaene ne font pas obstacle à ce que les organes chargés de la direction d’un établissement public, agissant en vertu des pouvoirs généraux d’organisation des services placés sous leur autorité, règlementent le droit de grève en vue d’éviter qu’il en soit fait un usage abusif. Par conséquent, le Conseil d’Etat admet que de simples chefs de services peuvent règlementer le droit de grève. Cette solution avait déjà été retenue auparavant pour les directeurs d’administration centrale (CE Sect., 18 janvier 1962, Bernardet : Rec., p. 49 ; D. 1962, jurispr. p. 202, note Leclercq) et les organes exécutifs des collectivités territoriales (CE, 9 juillet 1965, requête numéro 58778, requête numéro 58779, Pouzenc : Rec., p. 421 ; D. 1966, jurispr. p. 720, note Gilli ; JCP G 1967, II, comm. 15058, note Sinay). Dans les arrêts du 17 mars 1997, le Conseil d’Etat va même plus loin puisqu’en l’espèce, ce n’est pas le directeur général d’EDF qui avait pris la mesure contestée, mais, sur délégation, le directeur de la production et du transport.
1427.- Modernisation du considérant de principe de l’arrêt Dehaene.- C’est certainement en raison de ces évolutions que le Conseil d’Etat a changé la rédaction du considérant de principe de l’arrêt Dehaene en précisant que l’autorité compétente pour réglementer le droit de grève dans le silence de la loi n’est pas le gouvernement mais « l’autorité administrative responsable du bon fonctionnement » du service public (CE Ass., 12 avril 2013, requête numéro 329570, requête numéro 329683, requête numéro 330539, requête numéro 330847, Fédération FO énergie et mines et a., préc.).
1428.– Compétence des organes dirigrants des organismes de droit privé responsables d’un service public.– Cette solution a vocation à s’appliquer non seulement aux organes dirigeants des établisemements publics, mais également aux organes dirigeants des organismes de droit privé responsables d’un service public, Dans l’affaire qui fait l’objet de l’arrêt du 12 avril 2013, le directeur général délégué de la société EDF – personne morale de droit privé – était ainsi compétent pour prendre une mesure de réquisition de grévistes.
Cette solution n’a toutefois pas vocation à s’appliquer à tout concessionnaire de service public, mais uniquement aux personnes privées devant être regardées comme les véritables autorités responsables du service public. Ainsi « lorsque (le service public) est concédé, comme c’est le cas pour les autoroutes, à une entreprise privée (le pouvoir de réglementer le droit de grève) appartient, sauf texte particulier, à l’autorité concédante ». S’agissant des autoroutes déléguées par l’Etat, cette réglementation doit donner lieu à un décret du Premier ministre, voire à un arrêté du ministre des Transports dès lors que cette possibilité est prévue par le cahier des charges du contrat (CE, 5 avril 2022, requête numéro 450313, Syndicat CGT de la Société Cofiroute : JCP A 2022, comm. 2221, note Boda ; Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 178, note Muller).
1429.- Reprise de la jurisprudence du Conseil d’Etat par le Conseil constitutionnel.- Il faut enfin relever que l’essentiel de la jurisprudence du Conseil d’Etat a été reprise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n°74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail (numéro 79-105 DC : Rec. CC, p. 33 ; Droit soc. 1980, p. 7, note Leymarie et p. 440, note Turpin ; Rev. adm. de l’est de la France 1980, p. 87, note Jarnevic ; D. 1980, p. 101, note Paillet et p. 333, note Hamon ; AJDA 1980, p. 191, note Legrand ; RDP 1979, p. 1705, note Favoreu ; JCP 1981, II, comm. 19547).
Le Conseil constitutionnel reprend ici presque exactement les termes de l’arrêt Dehaene pour poser un principe de conciliation entre la continuité du service public et le droit de grève. En l’espèce, il censure des dispositions de la loi déférée qui permettaient aux présidents des organismes concernés de requérir du personnel en vue d’assurer un service normal. Le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions faisaient obstacle au droit de grève, dont l’utilisation n’aurait plus été efficace. Pour les juges, en effet, une telle interdiction ne pouvait être prévue que pour les agents dont la présence est indispensable en vue d’assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays.
II – Mise en œuvre de la conciliation
1430.- Une conciliation portant sur des principes antagonistes.- En fonction du service public considéré, et des impératifs liés à la continuité de ce service, l’exercice du droit de grève peut être plus ou moins limité. Le législateur a également prévu la possibilité, pour certains services publics, d’instaurer un service minimum ou d’autres aménagements au droit de grève, et certaines modalités d’exercice du droit de grève sont interdites.
A – Relativité du rapport entre droit de grève et principe de continuité
1431.- Interdiction possible du droit de grève.- Selon le service public en cause, les impératifs de continuité du service public seront plus ou moins limitatifs de l’exercice du droit de grève.
Dans certains cas, la nature du service exercé justifie une interdiction totale par le législateur du droit de grève. Cette interdiction concerne, par exemple, les militaires, les policiers, les magistrats ou encore les agents chargés du contrôle et de la protection des matières nucléaires.
Dans le silence de la loi, en application de la jurisprudence Dehaene, et toujours dans l’hypothèse où la nature du service le justifie, le Gouvernement est compétent pour prendre une mesure d’interdiction du droit de grève.
Exemple :
– CE Ass., 23 octobre 1964, requête numéro 56194, Fédération des syndicats chrétiens de cheminots (Rec., p. 484 ; AJDA 1964, p. 682, chr. Puybasset et Puissochet ; JCP 1965, II, comm.14721, note Belorgey ; RDP 1964, p. 1210, concl. Bertrand ; RDP 1965, p. 700, note Waline) : le Conseil d’Etat estime qu’est légale une décision gouvernementale refusant le droit de grève aux gardiens de passages à niveaux.
1432.- Illégalité des mesures d’interdiction non indispensables.- Toutefois, le juge censure de telles interdictions lorsqu’il apparaît que l’intérêt général pouvait être préservé par des mesures moins rigoureuses qu’une interdiction pure et simple.
Exemples :
– CE, 4 février 1981, requête numéro 211731, Fédération CFTC des personnels de l’environnement (AJDA 1981, p. 543, obs. S.S) : une grève des agents chargés de la manœuvre des écluses de la section internationale de la Moselle ne mettrait pas nécessairement en péril, quels qu’en soient les motifs, la date et la durée, soit la conservation des installations et des matériels, soit le fonctionnement d’un service dont la continuité est indispensable à l’action gouvernementale ou à l’ordre public. Ainsi, en interdisant le droit de grève à ceux de ces agents placés sous son autorité, le chef du service de la navigation de Nancy a outrepassé les limites qui peuvent être apportées au droit de grève de ceux-ci.
– CE, 9 décembre 2003, requête numéro 262186, Aguillon et a. (Rec., p. 497 ; AJDA 2004, p. 1138, note Le Bot ; Dr. soc. 2004, p. 172, concl. Stahl ; JCP A 2004, comm. 1054, obs. Moreau et comm. 1096, obs. Maillard Desgrées du Loû ; JCP G. 2004, II, comm. 10076, note Prétot ; RDFA 2004, p. 306, concl. Stahl et note Cassia) : si le préfet, dans le cadre des pouvoirs qu’il tient du 4° de l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales, peut légalement requérir les agents en grève d’un établissement de santé dans le but d’assurer le maintien d’un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins, il ne peut toutefois prendre que les mesures imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public, au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique.
– CE, ord. réf., 27 octobre 2010, requête numéro 343966, Fédération nationale des industries chimiques et a. (Dr. adm. 2010, comm. 157, obs. Andreani) : le préfet peut légalement, sur le fondement de l’article L. 2215-1 4° du Code général des collectivités territoriales, requérir des salariés en grève d’une entreprise privée dont l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public. Il ne peut toutefois prendre que les mesures nécessaires, imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public. En l’espèce, la réquisition de salariés d’un dépôt pétrolier géré par une entreprise privée est justifiée, entre autres, par l’épuisement des stocks de carburant aérien de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, l’incapacité de l’aéroport à alimenter les avions en carburant aérien pouvant conduire au blocage de nombreux passagers, notamment en correspondance, et menacer la sécurité aérienne en cas d’erreur de calcul des réserves d’un avion. Le préfet, après avoir indiqué les motifs de la réquisition, sa durée, les prestations requises, les effectifs requis ainsi que leur répartition, a laissé à l’exploitant de l’établissement le soin d’en gérer l’activité dans ces conditions. Cette circonstance ne constitue pas, selon le juge des référés, une illégalité manifeste au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.
B – Organisation d’un service minimum et autres aménagements
1433.- Service minimum.- Le législateur organise fréquemment un service minimum en vue de concilier le droit de grève et les intérêts généraux auxquels ce droit est susceptible de porter atteinte.
Ainsi, la loi n°84-1286 du 31 décembre 1984 organise un service minimum dans les services de la navigation aérienne.
Dans le silence de la loi, en application de la jurisprudence Dehaene, le gouvernement, et subsidiairement les ministres et les autres chefs de service, sont compétents pour organiser un service minimum.
Exemple :
– CE, 30 novembre 1998, requête numéro 183359, Rosenblatt et a. : le directeur d’un centre hospitalier est compétent pour prévoir, en cas de grève d’une durée illimitée des infirmiers spécialisés en anesthésie et réanimation, un tableau du service minimum.
1434.- Cas des services de transports terrestres réguliers de voyageurs.- De même, la loi n°2007-1224 du 12 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs prévoit, quant à elle, qu’en cas de grève, l’employeur définit un « plan de prévisibilité » dans lequel il est précisé que « les salariés informent, au plus tard 48 heures avant de participer à la grève, le chef d’entreprise de leur intention d’y participer ». Ainsi, cette loi met en place une obligation de déclaration individuelle en vue de participer à une grève. Dans un arrêt du 19 mai 2008, Syndicat SUD RATP (requête numéro 312329 : Rec., p. 588 ; AJDA 2008, p.1718, note Chifflot ; JCP A 2008, act. 492 ; JCP G 2008, I, comm. 191, chron. Plessix ; RJEP 2008, comm. 32, concl. Lenica) le Conseil d’Etat a estimé que ces dispositions devaient être interprétées comme établissant l’obligation, pour le salarié, de déclarer au chef d’entreprise son intention de participer à la grève au moins 48 heures avant d’y participer lui-même. Est ainsi censurée l’interprétation de la RATP selon laquelle la déclaration préalable devait être faite 48 heures avant le début de la grève fixé par le préavis ou, pour les agents n’étant pas en service le premier jour de grève, 48 heures avant la date de reprise effective de leur service.
1435.- Pouvoir de réquisition.- Relève également de la règlementation du droit de grève l’exercice d’un droit de réquisition.
En particulier, l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales permet au préfet, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative générale « en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police … (de) réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien (…) ».
A l’occasion d’un arrêt du 9 décembre 2003, Aguillon (requête numéro 262186, préc.), le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé que ce pouvoir de réquisition pouvait être exercé à l’égard de grévistes. Toutefois, le préfet « ne peut (…) prendre que les mesures imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public ».
Exemple :
– Dans l’affaire Aguillon, le préfet avait entendu requisitionner l’ensemble des sages-femmes d’un établissement hospitalier en vue de permettre la poursuite d’une activité complète du service « dans les conditions existantes avant le déclenchement du mouvement de grève». En prescrivant une telle mesure générale, sans envisager le redéploiement d’activités vers d’autres établissements de santé ou le fonctionnement réduit du service, et sans rechercher si les besoins essentiels de la population ne pouvaient être autrement satisfaits compte tenu des capacités sanitaires du département, le préfet a pris une décision entachée d’une illégalité manifeste qui porte une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève.
Dans une ordonnance du 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques (requête numéro 343966, préc.), le juge des référés du Conseil d’Etat a précisé que l’autorité compétente pouvait également requisitionner « les salariés en grève d’une entreprise privée dont l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public ».
1436..- Droit d’accueil des élèves dans les écoles maternelles et primaires.- Enfin, pour ce qui concerne les écoles maternelles et primaires, la loi n° 2008-790 du 20 août 2008 créée un droit d’accueil au profit des élèves (Code de l’éducation, art. L. 133-2 à L. 133-12). Il résulte notamment de cette loi que les communes doivent mettre en place le service d’accueil dès lors que le nombre des personnes qui ont déclaré leur intention de participer à la grève est égal ou supérieur à 25 % du nombre de personnes qui exercent des fonctions d’enseignement dans cette école. Pour l’organisation de ce service public, qui est complémentaire du service public de l’éducation, l’Etat verse aux communes une compensation financière. Il a été jugé qu’une commune ne pouvait utilement se prévaloir des difficultés éventuelles d’organisation du dispositif d’accueil, ni de l’absence de volontaires au sein des services municipaux pour assurer le dispositif d’accueil (CE, 7 octobre 2009, requête numéro 325829, Commune de Plessis-Pâté : Rec. 922 ; JCP A 2009, comm. 2273, note Raimbault ; RLCT 2010, p. 53, note Guglielmi et Koubi).
C – Interdiction de certaines modalités d’exercice du droit de grève
1437.- Interdictions découlant de la définition même de la grève.- En droit public, comme en droit privé, la grève se définit comme « un arrêt collectif et concerté du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles » (Cass. Soc. 23 octobre 2007, pourvoi numéro 06-17.802, D. 2008, p. 662, note Bugada). On peut déjà tirer deux enseignements de cette définition. D’une part, la prohibition de la grève pour motifs politiques, même si naturellement la protestation contre un projet de loi gouvernemental peut conduire à mêler motifs professionnels et motifs politiques. D’autre part, seuls les agents publics peuvent exercer le droit de grève, à l’exclusion des usagers. Si cette assertion semble évidente, elle permet notamment de considérer que des étudiants bloquant les locaux de leur université ne sauraient en aucun cas être qualifiés de grévistes. Enfin « la grève perlée » qui consiste à exécuter le travail au ralenti, partiellement, ou dans des conditions défectueuses, n’est pas une grève au sens légal du terme dès lors qu’il ne s’agit pas d’un arrêt de travail.
1438.- Interdictions prévues par la loi.- La loi n° 63-777 du 31 juillet 1963, actuellement codifiée aux articles L. 2512-1 et s. du Code du travail, encadre partiellement l’exercice du droit de grève dans les services publics.
L’article L. 2512-2 interdit la grève surprise en imposant que toute grève dans les services publics soit précédée par un préavis qui doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l’autorité hiérarchique ou à la direction de l’établissement, de l’entreprise ou de l’organisme intéressé. Ce préavis doit mentionner le champ géographique et l’heure du début ainsi que la durée, limitée ou non, de la grève envisagée.
L’article L. 2512-3 interdit quant à lui la grève tournante par échelonnements successifs ou par roulement affectant les divers secteurs ou catégories professionnelles d’un même établissement ou service. En revanche, les grèves tournantes affectant non pas les différents départements d’une même entreprise mais plusieurs services publics différents – énergie, transports, etc. – n’est pas visée par les textes.
Est également interdite la grève sur le tas, qui consiste en une occupation des lieux de travail. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section Legrand du 11 février 1966 (requête numéro 65509 : Rec : p. 110) : « les locaux ne sauraient être utilisés à des fins autres que celles correspondant aux besoins des services publics auxquels ils sont directement affectés ».
Tout comportement relevant de l’une ou l’autre de ces pratiques prohibées est susceptible de faire l’objet de poursuites disciplinaires en sus des retenues sur salaire qu’implique le fait de faire grève.
§II – Mutabilité
1439.- Adaptations du service public.- Ce principe suppose que le régime des services publics doit pouvoir être adapté en fonction de l’évolution des besoins sociaux et des exigences de l’intérêt général.
Au niveau du droit de l’Union européenne, il est ainsi prévu de réexaminer la portée du service universel « à la lumière des évolutions sociale, économique et technologique, compte tenu, notamment, de la mobilité et des débits de données à la lumière des technologies les plus couramment utilisées par la majorité des abonnés » (PE et Cons. UE, directive n° 2002/22/CE, 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, art. 15).
1440.- Illustration en matière contractuelle.- En droit interne, ce principe trouve d’abord à s’appliquer en matière contractuelle. En effet, même s’il n’est jamais mentionné expressément, c’est le principe de mutabilité qui justifie que l’administration dispose vis-à-vis de son cocontractant d’un pouvoir de modification et de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général (CE, 10 janvier 1902, requête numéro 94624, Compagnie nouvelle de gaz de Deville-lès-Rouen, préc.). Cette règle est plus clairement exprimée dans l’arrêt Compagnie générale française des tramways du 11 mars 1910 (requête numéro 16178, préc.). Selon cet arrêt les règles du service public, même pour un service délégué « impliquent pour l’administration le droit, non seulement d’approuver les horaires des trains au point de vue de la sécurité et de la commodité de la circulation, mais encore de prescrire les modifications et les additions nécessaires pour assurer, dans l’intérêt du public, la marche normale du service ».
1441.- Illustrations concernant les usagers et les agents de l’administration.- L’application de ce principe permet également d’expliquer pourquoi les usagers ne sont pas en principe recevables à contester une modification des règles de fonctionnement ou d’organisation des services publics.
Exemple :
– CE, 12 février 1982, requête numéro 27098, requête numéro 27099, requête numéro 27100, Université de Paris VII (Rec., p. 70 ; D. 1983, inf. rap. p.233, obs. Delvolvé) : le statut des usagers du service public de l’enseignement supérieur étant défini par des textes législatifs et règlementaires, le droit aux avantages qui en résultent est subordonné au maintien en vigueur de ces textes. Par suite, en ne prévoyant pas de dispositions transitoires pour permettre aux étudiants de troisième cycle d’achever leurs études dans l’établissement où ils les ont commencées, une décision de refus de renouvellement d’habilitation ne méconnaît aucun droit acquis des étudiants en cours d’études.
Le même principe s’applique aux agents des services publics, qu’ils soient titulaires ou bien contractuels.
Exemple :
– CE, 11 octobre 1995, requête numéro 142644, Institut géographique national (Rec., p. 620) : l’autorité compétente peut « fixer et modifier librement les dispositions statutaires qui régissent les agents des services publics, même contractuels, et notamment celles qui sont relatives aux conditions de leur rémunération ».
Comme les cocontractants de l’administration, les usagers ne bénéficient pas en principe d’un droit au maintien des services publics (CE Sect., 27 janvier 1961, requête numéro 38661, Vannier : Rec., p. 60, concl. Kahn).
Exemple :
– CE, 2 mars 2010, requête numéro 325255, Réseau ferré de France (JCPA 2010, comm. 2149, note Terrien ; Rev. Dr. transports, 214, note Martin) : Réseau ferré de France a pu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, décider la fermeture de la section de ligne en cause où le trafic avait cessé depuis décembre 1980 et alors qu’aucune perspective de reprise n’était prévue.
1442.- Limites au principe de mutabilité.- Il en va autrement, cependant, s’il s’agit de services publics obligatoires visés par la loi ou par la Constitution.
Par ailleurs, si le gestionnaire d’un service public administratif dispose de larges pouvoirs d’organisation, il ne peut toutefois décider d’en modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement que pour des motifs en rapport avec les nécessités de ce service (CE Sect., 26 juillet 1985, requête numéro 50132, Association « Défense des intérêts des lecteurs de la Bibliothèque Nationale » : Rec., p. 478). Plus précisément, cette modification doit être justifiée par l’existence de troubles à l’ordre public ou de difficultés particulières en ce qui concerne l’organisation et la gestion du service public (V. à propos de la pratique des menus de substitution dans le cadre de la restauration scolaire CE, 11 décembre 2020, requête numéro 426483, Commune de Chalon-sur-Saône : AJDA 2021, p. 461, concl. Cytermann ; Dr. adm. 2021, comm. 16, note Eveillard ; JCP A 2020, act. 737, obs. Touzeil-Divina ; JCP A 2021, comm. 2026, note Pauliat.- V. également dans la même affaire CAA Lyon, 26 octobre 2018, requête numéro 17LY03323, requête numéro 17LY03328, Commune de Châlon-sur-Saône : JCP A 2018, alerte 17, note Roux ; JCP A 2018, comm. 2188, comm. Touzeil-Divina).
Les usagers, comme les agents des services publics, bénéficient d’autres protections visant à les mettre à l’abri de mesures arbitraires.
Tout d’abord, l’administration est tenue, lorsqu’elle prend des mesures modifiant l’organisation ou le fonctionnement d’un service public, de respecter les lois et les règlements en vigueur.
S’agissant plus spécialement des usagers, ceux-ci ont également le droit au fonctionnement normal du service, ce qui signifie que l’administration doit respecter les règles juridiques qui le régissent, tant que ces règles n’ont pas été modifiées. C’est ce qui a été jugé par le Conseil d’Etat dans un arrêt Vincent du 25 juin 1969 précisant que les nouveaux horaires d’ouverture d’un bureau de poste qui étaient en cause ne devaient pas avoir « pour effet de limiter dans des conditions anormales le droit d’accès de l’usager au service public postal » (requête numéro 69449 : Rec., p. 334 ; AJDA 1969, p. 555, chron. Dewost et Denoix de Saint Marc).
1443.- Cas des téléservices.- C’est la même idée qui sous-tend la jurisprudence récente relative à la création de téléservices par l’administration. Si le pouvoir réglementaire peut mettre en place un téléservice obligatoire, et ainsi aménager l’accès aux services publics, les évolutions qu’elle met en œuvre ne sauraient répondre qu’à sa seule convenance et avoir pour effet d’en limiter l’accès.
Ainsi, dans un arrêt Conseil national des barreaux, La Cimade et a. du 3 juin 2022 (requête numéro 452798, requête numéro 452806, requête numéro 454716 : AJDA 2022, p. 1509, chron. Pradines et Janicot ; Comm. com. électr. 2022, comm. 62, note Belkacem ; Dr. adm. 2022, comm. 35, note Eveillard ; JCP A 2022, act. 403, obs. Youhnovski Sagon ; JCP A 2022, comm. 2213, note Koubi ; JCP A 2022, comm. 2258, note Habchi JCP G 2022, act. 1059, obs. Martinez ; Petites affiches 2022, n°10, p. 34 ; RFDA 2022, p. 761, concl. Domingo), le Conseil d’Etat énonce que le pouvoir réglementaire ne peut édicter une obligation de recourir à un téléservice « qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits ». Il doit pour cela tenir compte « de l’objet du service, de la complexité des démarches (…) et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l’outil numérique (…) ainsi que de celles du public concerné, notamment (…) de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement ».
Ici c’est la prise en compte du « public concerné » qui est susceptible de générer des difficultés et qui exige des mesures d’accompagnement, pour des raisons de compétence linguistique, mais également de compétence en matière d’outils numériques, ce qui renvoie à la notion récente « d’illettrisme électronique » ou en encore « d’illectronisme » qui concerne 17% de la population, soit près de 13 millions de personnes en France, selon une étude récente de la Défenseure des droits (Dématérialisation des services publics : trois ans après où en est-on ?, Dossier de presse, février 2022).
Il existe donc une gradation dans les mesures que doit prendre l’autorité compétente lorsqu’elle met en place un téléservice en vue de garantir à tous un accès au service public.
Dans certains cas, le téléservice peut être obligatoire, et cela sans qu’aucune alternative ne soit aménagée, parce que le public concerné est censé être rompu à l’outil informatique. A titre d’exemple, l’article D. 612-1 du Code de l’éducation précise que « la procédure nationale de préinscription dans une formation initiale du premier cycle de l’enseignement supérieur (…) est dématérialisée et gérée par un téléservice national, dénommé Parcoursup, placé sous la responsabilité du ministre chargé de l’enseignement supérieur ». Dans d’autres cas, le recours au téléservice est obligatoire, mais des aménagements sont prévus. Ainsi, par exemple, l’article R. 5411-2 du Code du travail précise que si « l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi est faite par voie électronique auprès de Pôle emploi (…) A défaut de parvenir à s’inscrire lui-même par voie électronique, le travailleur recherchant un emploi peut procéder à cette inscription dans les services de Pôle emploi, également par voie électronique, et bénéficier le cas échéant de l’assistance du personnel de Pôle emploi». Enfin, dans d’autres hypothèses, une alternative physique à la dématérialisation est prévue. C’est le cas, par exemple, en matière d’impôt sur le revenu, conformément à l’article l 1649 quater B quinquies du Code général des impôts, lorsque le contribuable n’a pas accès à une connexion internet.
1444.- Non rétroactivité des mesures réglementaires aménageant le fonctionnement des services.-
Enfin, les modifications apportées par l’administration ne peuvent valoir que pour l’avenir, en application de la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 25 juin 1948, Société du journal l’Aurore (requête numéro 94511, préc.). Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat précise que le prix des consommations en électricité ne peut pas être calculé sur la base d’un tarif qui est entré en vigueur postérieurement à la date à laquelle ces consommations ont été réalisées.
§III – Egalité
1445.- Sources du principe d’égalité.- Le principe d’égalité trouve sa source dans les articles 1 et de la Constitution et 1 et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En droit interne, il s’agit d’un principe de valeur constitutionnelle mais il est aussi à l’origine de plusieurs principes généraux du droit.
1446.- Un principe aux multiples facettes.- Le principe d’égalité comporte de nombreux aspects : égalité devant l’accès aux emplois publics, égalité devant l’impôt, égalité devant la loi, etc.
S’agissant des questions liées au fonctionnement des services publics, il convient surtout de mentionner le principe de neutralité du service public, qui est une notion très liée à celle d’égalité. Doivent également être relevés le principe d’égal accès au service public ainsi que le principe d’égalité de traitement des usagers du service public.
I – Egalité et neutralité
1447.- Caractère apolitique du service public.- Le principe de neutralité, qui constitue un aspect du principe d’égalité de traitement entre les usagers, comporte lui-même deux principaux aspects.
Il est d’abord censé faire échec à la politisation du service public.
Exemples :
– TA Lille, 18 décembre 2007, requête numéro 0601575, Desurmont (AJDA 2008, p.709, note Deliancourt) : le principe de neutralité s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques. Ce principe fait également obstacle à ce que soit attribué à une école le nom d’un homme politique en activité.
– TA Caen, 26 avril 2010, requête numéro 1000282, Préfet du Calvados : le fait d’accrocher dans une mairie le portrait de Philippe Pétain parmi les portraits des chefs d’Etat français depuis 1871 est contraire au principe de neutralité du service public.
– CAA Bordeaux, 26 octobre 2010, requête numéro 10BX00170, Commune de Billère : les graffitis réalisés à l’initiative du maire de Billère, sur le thème de l’accueil des étrangers en France, opposent la devise de la République aux termes de honte, précarité et arbitraire. Par ces graffitis, qui expriment une critique explicite de l’application de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, le maire de Billère a entendu prendre parti dans un conflit de nature politique, et a ainsi méconnu le principe de neutralité.
– TA Grenoble, 29 mars 2023, requête numéro 2301656 (Dr. adm. 2023, alerte 64, Tarlet) : L’apposition, au-dessus de l’entrée principale de l’hôtel de ville de Grenoble, d’une banderole portant l’inscription « Grenoble s’engage contre la retraite à 64 ans » et le logo de la ville, révèle l’existence d’une décision du maire de procéder à cet affichage. Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques. En l’état de l’instruction, le moyen invoqué tiré de la violation de ce principe est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Eu égard au contexte polémique actuel dans lequel s’inscrit le message figurant sur la banderole, l’atteinte immédiate à l’intérêt public qui s’attache au respect du principe de neutralité des services publics, portée par l’apposition de cette banderole à l’entrée de l’hôtel de ville, doit être regardée comme suffisamment grave pour justifier que, sans attendre le jugement de la requête au fond, la décision attaquée soit suspendue. La condition d’urgence de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative est ainsi remplie.
1448.- Laïcité et service public.- Le principe de neutralité se veut ensuite garant de la laïcité du service public, conformément à l’article 1er de la Constitution qui garantit le caractère laïc de la République française.
Exemple :
– CE, 7 août 2008, requête numéro 310220, Fédération chrétienne des témoins de Jehovah de France : pour prévenir les risques de dérives sectaires de mouvements qui revendiquent un but religieux, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires peut signaler les références d’un ouvrage relatant le témoignage d’un ancien membre des témoins de Jéhovah et reproduire la couverture de l’ouvrage. Cette décision ne méconnaît ni le principe de neutralité et de laïcité de la République, ni l’obligation d’impartialité qui s’impose à l’autorité administrative, ni le principe de liberté du culte.
1449.- Echec à d’autres formes de prosélytisme.- Plus généralement, le principe de neutralité a vocation à s’appliquer pour faire échec au prosélytisme, quel que soit son objet.
Exemples :
– CE, 15 octobre 2014, requête numéro 369965, Confédération nationale des associations familiales catholiques (Dr. adm. 2015, comm. 14, note Eveillard) : en application du Code de l’éducation, les autorités chargées du service public de l’éducation nationale doivent apporter aux élèves de l’enseignement public une information relative à la lutte contre les discriminations fondées notamment sur l’orientation sexuelle, information pour laquelle elles peuvent avoir recours à l’intervention d’associations spécialisées en la matière. L’information ainsi apportée doit être adaptée aux élèves auxquels elle est destinée, notamment à leur âge, et être délivrée dans le respect du principe de neutralité du service public de l’éducation nationale et de la liberté de conscience des élèves. Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, sur son site internet, l’association « Ligne Azur » présentait l’usage de drogues comme susceptible de « faire tomber les inhibitions » et comme « purement associé à des moments festifs » sans mentionner l’illégalité de cette pratique, et elle définissait la pédophilie comme une « attirance sexuelle pour les enfants », sans faire état du caractère pénalement répréhensible des atteintes ou agressions sexuelles sur mineurs. Le site renvoyait, en outre, à une brochure intitulée « Tomber la culotte », laquelle incitait à la pratique de l’insémination artificielle par sperme frais, interdite par le Code pénal. Même si le site internet n’avait pas entendu faire preuve de complaisance à l’égard de tels comportements, en la seule absence de mention du caractère illégal de ces pratiques, la décision du ministre d’inviter les recteurs à relayer cette campagne de communication relative à la « Ligne azur » portait atteinte au principe de neutralité du service public de l’éducation nationale.
– CAA Nancy, 14 février 2008, requête numéro 07NC00335, Association Couleurs gaies (JCP A 2008, comm. 2132, note Ach) : la lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle revêt un caractère d’intérêt général qui justifie l’annulation du refus d’agrément opposé par le rectorat de Nancy-Metz à une association dès lors qu’elle s’est « engagée à respecter le principe de neutralité et à ne faire aucun prosélytisme ».
La jurisprudence sur ces questions demeure très nuancée. Ainsi, les principes de neutralité et de laïcité du service public ne s’opposent toutefois pas à la prise en compte du fait religieux, laquelle est nécessaire dans certaines hypothèses. Il est essentiel, par ailleurs, d’appréhender ces principes dans le cadre spécifique des services de l’éducation nationale ainsi que d’évoquer leur application aux agents des services publics. On évoquera enfin la question de l’extension du champ du principe de laïcité dans l’espace public.
A – Nécessité de prendre en compte le fait religieux
1450.- Cas des services de restauration.- Ceci étant l’administration peut difficilement éviter le fait religieux, ce qui est le cas particulièrement pour les services de restauration qui doivent prendre en compte, dans une certaine mesure, les croyances religieuses. Cette prise en compte est toutefois à géométrie variable, selon que les usagers sont contraints ou non de recourir à ces services.
Ainsi, concernant les prisons, le Conseil d’Etat a jugé qu’il appartient à l’administration pénitentiaire, qui n’est pas tenue de garantir aux détenus, en toute circonstance, une alimentation respectant leurs convictions religieuses, de permettre, dans toute la mesure du possible eu égard aux contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements et dans le respect de l’objectif d’intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires, l’observance des prescriptions alimentaires résultant des croyances et pratiques religieuses (CE, 10 février 2016, requête numéro 385929, Khadar : Rec., p. 26 ; AJDA 2016, p. 1127, note Bioy, concl. Guyomar ; JCP A 2016, act. 145, obs. Erstein.- V. aussi CE, 25 février 2015, requête numéro 375724, Stojanovic : Rec. tables, p. 675 ; JCP A 2015, act. 243, obs. Erstein). Pour ce qui concerne les cantines scolaires, en revanche, les contraintes sont moindres. En effet, le Conseil d’Etat a récemment jugé que si les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, il n’existe toutefois aucune obligation de proposer aux usagers des menus confessionnels (CE, 11 décembre 2020, requête numéro 426483, Commune de Chalon-sur-Saône, préc.– V. aussi CAA Toulouse, 26 janvier 2023, requête numéro 21TL01230, Commune de Beaucaire : Dr. adm. 2023, alerte 37, obs. Roux).
1451.- Cas des des piscines publiques.- C’est le même type de raisonnement – très nuancé – qui a été adopté par le juge des référés du Conseil d’Etat, statuant pour la première fois dans le cadre de la procédure de référé laïcité, concernant l’accès aux piscines municipales, dans une ordonnance Commune de Grenoble du 21 juin 2022 (requête numéro 464648 : AJCT 2022, p. 451, note Le Chatelier ; AJDA 2022, p. 1736, note Bioy ; Dr. adm. 2022, comm. 38, note Eveillard ; JCP A 2022, comm. 2237, note Eck ; RFDA 2022, p. 689, note Schoettl et Camby). Etait ici en cause la modification de la réglementation des tenues de bain qui devaient être « faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade » et « ajustées près du corps », seules étant interdites « les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse », ce qui permettait le port d’un burkini, cette tenue couvrant entièrement le corps à l’exception du visage, des mains et des pieds.
S’inspirant de sa décision Commune de Chalon-sur-Saône du 11 décembre 2020 (requête numéro 426483, préc.), le juge rappele d’abord que le gestionnaire d’un service public n’est pas, en principe, tenu de prendre en compte les convictions religieuses des usagers lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service. Il lui est toutefois loisible de le faire, dès lors que les principes de laïcité et de neutralité du service public n’y font pas obstacle. Dans ce cas, le gestionnaire du service public doit veiller à ce que les adaptations ne portent pas atteinte à l’ordre public et ne nuisent pas au bon fonctionnement du service. Au cas d’espèce, le nouveau règlement de baignade adopté par la ville de Grenoble est jugé « fortement dérogatoire à la règle commune » et « sans réelle justification ». En conséquence, « (il) est de nature à affecter tant le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public, que l’égalité de traitement des usagers ». Il est à noter que cette décision n’implique pas une interdiction totale du burkini dans les piscines municipales : son autorisation est possible dès lors qu’elle n’est pas limitée à cette seule tenue et qu’elle a pour effet de conférer une sorte de privilège aux personnes qui les portent.
1452.- Cas de la location d’un local appartenant à une collectivité publique à une association cultuelle.- Le juge administratif a également été amené à se prononcer sur possibilité pour une personne publique de louer un local à une association aux fins d’y installer un lieu de culte. Selon une interprétation libérale de la loi du 9 décembre 1905 il est possible de donner à bail à une association un local communal « dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité (…) dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ». Ceci implique également qu’une « commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte » et qu’elle ne peut également « décider qu’un local lui appartenant (…) sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel » (CE, 7 mars 2019, requête numéro 417629, Commune de Valbonne : AJDA 2019, p. 980, chron. Malverti et Beaufils ; Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 167, note Soler-Couteaux ; Dr. adm. 2019, comm. 35, note Eveillard ; JCP A 2019, act. 178, obs. Erstein ; JCP A 2019, comm. 2108, note Chamard-Heim).
Ces dernières années, c’est souvent du point de vue de la laïcité que la question de la neutralité a été abordée. Il convient d’aborder cette question du point de vue des usagers du service public, principalement dans le domaine de l’éducation, puis de celui des fonctionnaires et agents publics. On envisagera également la question de l’extension du principe de laïcité dans l’espace public.
B – Neutralité et usagers du service public de l’éducation
1453.- Position initiale du Conseil d’Etat.- La question des signes d’appartenance à une religion a alimenté la jurisprudence notamment à travers l’avis du Conseil d’Etat Kherouaa du 27 novembre 1989 (numéro 346893 : AJDA 1990, p. 39, note J.-P. C. ; RFDA 1990, p. 1, note Rivero) qui concerne spécifiquement le service public de l’éducation.
Les juges relèvent en l’espèce que le droit à une formation scolaire est un moyen de contribuer à l’épanouissement de l’enfant et surtout « à l’exercice de ses responsabilités d’homme et de citoyen ». La notion de citoyenneté apparaît ici primordiale, l’exercice de la liberté de conscience, et plus précisément la manifestation des convictions religieuses, ne devant pas faire obstacle à l’accomplissement des missions dévolues à l’école. A ce titre, le Conseil d’Etat relève que le service public de l’éducation doit inculquer aux usagers « le respect de l’individu, de ses origines et de ses différences, garantir et favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes ».
Le Conseil d’Etat tire de ces considérations deux conséquences majeures.
Tout d’abord, la manifestation d’appartenance à une religion n’est pas incompatible en soi avec le principe de laïcité. Ceci est justifié par le fait que cette manifestation « constitue l’exercice de la liberté d’expression ».
Cependant, cette liberté comporte des limites, lorsque cette manifestation « constitue un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande qui porterait atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, perturberait les activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, troublerait l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public ».
Cet avis a donné lieu à une jurisprudence très nuancée.
Exemples :
– CE, 2 novembre 1992, requête numéro 130394, Kherouaa (préc.) : le Conseil d’Etat est saisi de la légalité d’un recours dirigé contre le règlement intérieur d’un collège dont un article interdisait le port de tout signe distinctif notamment d’ordre religieux. Les juges estiment que « par la généralité de ses termes, cet article institue une interdiction générale et absolue en méconnaissance … notamment de la liberté d’expression reconnue aux élèves dans le cadre des principes de neutralité et de laïcité de l’enseignement public ».
– CE Ass., 14 avril 1995, requête numéro 157653, Koen et Consistoire central des israélites de France (Rec., p. 168, concl. Aguila ; AJDA 1995, p. 501, chron. Stahl et Chauvaux ; D. 1995, p. 481, note Koubi ; JCP 1995, comm. 22437, note Nguyen Van Tuong ; RDP 1996, p. 867, note Haguenau ; RFDA 1995, p. 585, concl. Aguila) : le Conseil d’Etat est saisi d’un recours dirigé contre un refus d’inscription d’un élève de confession juive en classe préparatoire. Cette mesure était notamment motivée par le fait que le candidat avait demandé une dispense pour les cours du samedi matin, alors que le règlement intérieur de l’établissement prévoyait que tous les cours étaient obligatoires. Le Conseil d’Etat estime que « les contraintes inhérentes au travail des élèves en classe de mathématiques supérieures font obstacle à ce qu’une scolarité normale s’accompagne d’une dérogation systématique à l’obligation de présence le samedi, dès lors que l’emploi du temps comporte un nombre important de cours et de contrôles de connaissances organisés le samedi matin ».
1454.- Remise en cause de la jurisprudence du Conseil d’Etat par la loi n°2004-228 du 15 mars 2004.- La loi n°2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a remis en cause cette jurisprudence.
Sur le fond, le texte rompt avec la règle très nuancée définie dans les affaires Kherouaa. Elle entend ainsi répondre aux deux critiques majeures que cette jurisprudence suscitait : elle posait un risque soit d’intransigeance, soit de laxisme des règlements intérieurs ; elle faisait peser une responsabilité excessive sur les chefs d’établissement puisqu’il n’existait pas de règles claires et précises pouvant faire l’objet d’une application uniforme.
L’article 1er de la loi qui porte création de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation précise que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Le même article ajoute que « le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ».
1455.- Interrogations concernant cette loi.- Si elle paraît claire dans sa formulation, la loi a néanmoins suscité un certain nombre d’interrogations.
Tout d’abord, il peut paraître surprenant que son champ d’application ne concerne que les écoles, collèges et lycées publics alors que le principe de laïcité a vocation à s’appliquer à l’ensemble des services publics.
Exemple :
– CE, ord. réf., 6 mai 2008, requête numéro 315631, Bounemcha : les autorités gestionnaires d’une cité universitaire doivent respecter « tant les impératifs d’ordre public, de neutralité du service public et de bonne gestion des locaux que le droit de chaque étudiant à pratiquer, de manière individuelle ou collective et dans le respect de la liberté d’autrui, la religion de son choix ».
Au sein même de l’Education nationale, les dispositions susvisées ne s’appliquent pas aux établissements d’enseignement supérieur ce qui peut également entraîner des difficultés.
Exemple :
– CE, 28 juillet 2017, requête numéro 390740, Boutaleb et a. (Rec. tables, p. 447 ; AJDA 2017, p. 2084, note Juston et Guilbert ; Dr. adm. 2018, comm. 5, note Eveillard) : les instituts de formation paramédicaux étant des établissements d’enseignement supérieur, leurs élèves ont, lorsqu’ils suivent des enseignements théoriques et pratiques en leur sein, la qualité d’usagers du service public. Ils sont, en cette qualité, sauf lorsqu’ils suivent un enseignement dispensé dans un lycée public, libres de faire état de leurs croyances religieuses, y compris par le port de vêtement ou de signes manifestant leur appartenance à une religion, sous réserve de ne pas perturber le déroulement des activités d’enseignement et le fonctionnement normal du service public notamment par un comportement revêtant un caractère prosélyte ou provocateur. En revanche, lorsqu’ils effectuent un stage dans un établissement de santé chargé d’une mission de service public, les élèves infirmiers doivent respecter les obligations qui s’imposent aux agents du service public hospitalier (V. sur ce point infra). S’ils bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre du service public. Lorsque les élèves infirmiers effectuent leur stage dans un établissement n’ayant aucune mission de service public, ils doivent respecter, le cas échéant, les dispositions du règlement intérieur de cet établissement qui fixent les conditions dans lesquelles ses agents peuvent faire état de leurs croyances religieuses.
Ensuite, il était loin d’être sûr que l’interdiction prescrite soit uniformément appliquée et qu’elle pouvait régler les problèmes qu’elle était supposée résoudre.
Pour tenter d’élucider ces difficultés d’interprétation, le ministre de l’Education nationale a voulu préciser le texte dans une circulaire du 27 mai 2004. Selon cette circulaire « les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive ».
La légalité de ces dispositions de la circulaire a été confirmée par le Conseil d’Etat à l’occasion de son arrêt Union française pour la cohésion nationale du 10 octobre 2004 (requête numéro 269077 : préc.). La Cour européenne des Droits de l’homme a confirmé quant à elle que la loi du 15 mars 2004 n’était pas contraire à l’article 9 de la Convention qui reconnaît le droit de manifester sa religion (CEDH, 4 décembre 2008, affaire numéro 31645/04, Kervanci c/ France et CEDH, 4 décembre 2008, affaire numéro 27058/05, Dogru c/ France : AJDA 2009, p. 882, chron. Flauss.- Solution confirmée par CEDH, 17 juillet 2009, affaire numéro 43563/08, affaire numéro 14308/08, affaire numéro 18527/08, affaire numéro 29134/08, affaire numéro 25463/08, affaire numéro 27561/08, Tuba Aktas c/ France : AJDA 2009, p. 2077, note Gonzalez).
En dépit de cette circulaire, d’autres problèmes se sont posés.
Exemples :
– CE, ord. réf., 8 octobre 2004, requête numéro 272926, El Hussein (JCP A 2005, comm. 1849, note Tawil) : l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation prévoit que sont autorisés les « accessoires communément portés par les élèves, en dehors de toute signification religieuse ». La question qui se pose alors est de savoir s’il faut considérer que le bandana porté comme un foulard islamique constitue un signe religieux ostentatoire. En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’Etat estime qu’il n’apparaissait pas « que l’administration, en décidant de maintenir en permanence Mlle El Hussein tout en poursuivant un dialogue avec sa famille, ait procédé à une application de la loi du 15 mars 2004 qui serait entachée d’une illégalité manifeste alors même qu’un doute existe, en l’état de l’instruction, sur le motif du port d’un bandana par la jeune élève ».
– CE, 5 décembre 2007, requête numéro 285394, Singh (Rec., p. 463 ; RFDA 2008, p. 529, concl. Keller) : est fondée la décision d’exclusion d’un lycée d’un élève de confession sikh au motif que le sous-turban, ou keshi sikh, qu’il portait dans l’enceinte de l’établissement constitue un signe par lequel il manifeste ostensiblement son appartenance à une religion.
1456.- Bilan de la loi.- Ceci étant, la loi paraît avoir obtenu immédiatement le succès escompté : alors qu’en 2003, on a compté 1500 signes ostensibles, 600 seulement ont été recensés à la rentrée 2005 et seulement 47 décisions ont été prononcées à l’issue de la procédure de dialogue avec les familles prévue par la loi (Lettre de la justice administrative, n°9, octobre 2005, p.1). Il faut toutefois mettre en balance ces chiffres avec les statistiques récentes concernant les écoles « hors contrat », pour lesquelles les dispositions de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation ne s’apppliquent pas. Même si seulement 30 % de ces écoles sont de nature confessionnelle, l’augmentation de leur nombre est constante puisque d’après les statistiques du ministère elles étaient 976 en 2019 contre 351 en 2012.
Une nouvelle circulaire du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse du 9 novembre 2022 a récemment pointé la montée des phénomènes d’atteinte à la laïcité, en particulier par le biais du port de tenues signifiant une appartenance religieuse (NOR : MENG2232014C). Elle met en place un plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires qui insiste sur le « suivi et l’accompagnement méthodologiques, juridiques et humains des situations sensibles qu’il s’agit désormais de rendre systématiques dans les premier et second degrés ».
On doit enfin relever que la question de la neutralité dans le domaine de l’enseignement public ne se limite pas à la question du port de signes ou de tenues vestimentaires.
Exemples :
– CAA Lyon, 18 septembre 2007, requête numéro 07LY00704, Charles X c. IA-DSDEN Haute-Loire (AJDA 2008, p.105, note Toulemonde) : un prêtre a intérêt à agir contre la décision d’un inspecteur d’académie d’autoriser un conseil d’école à organiser la semaine scolaire selon la règle d’un mercredi matin travaillé sur deux. Comme le prévoit en effet l’article L. 141-3 du Code de l’éducation : « Les écoles élémentaires vaquent un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent à leurs enfants, l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires ». S’il est vrai que l’organisation du temps scolaire arrêtée par l’inspecteur d’académie fait obstacle à ce que l’instruction religieuse puisse être dispensée un mercredi matin sur deux, « cette seule circonstance ne constitue pas une atteinte à la liberté de l’instruction religieuse ».
C – Neutralité des agents des services publics
1457.- Des règles strictes définies à l’origine par le Conseil d’Etat.- Si la jurisprudence antérieure à la loi du 15 mars 2004 était nuancée s’agissant d’usagers du service public de l’éducation, elle appréciait – et elle apprécie encore – plus sévèrement l’application du principe de laïcité s’agissant de fonctionnaires ou plus généralement d’agents publics.
Dans un avis Demoiselle Marteaux du 3 mai 2000 (requête numéro 217017 : RFDA 2001, p. 146, concl. Schwartz ; AJDA 2000, p. 602, chron. Guyomar et Collin ; RRJ 2001, p. 2107, étude Armand), le Conseil d’Etat a ainsi estimé que « le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ».
1458.- Des règles tardivement reprises par le législateur.- Ces solutions ont été reprises tardivement par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016 qui a modifié l’article 25 du titre I du statut général de la fonction publique qui précise désormais que « dans l’exercice de ses fonctions, (le fonctionnaire) est tenu à l’obligation de neutralité. (Il) exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ».
1459.- Illustrations.- Cette règle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des agents publics et pas seulement à ceux de l’enseignement public.
Exemples :
– CAA Lyon, 27 novembre 2003, requête numéro 03LY0192, Ben Abdallah : AJDA 2003, p. 1951 ; JCP A 2003, comm. 2026, obs. Taillefait ; JCP G 2003, I, comm. 182, obs. Aubin) : le port, par la requérante, qui détient, eu égard à sa fonction de contrôleur du travail, des prérogatives de puissance publique, d’un foulard dont elle a expressément revendiqué le caractère religieux, et le refus réitéré d’obéir à l’ordre qui lui a été donné de le retirer, alors qu’elle était avertie de l’état non ambigu du droit applicable a, dans les circonstances de l’espèce, constitué une faute grave de nature à justifier légalement la mesure de suspension dont elle a fait l’objet.
– CE, 15 octobre 2003, requête numéro 244428, Odent (JCP A 2003, comm. 2003, note Jean-Pierre ; AJFP janvier 2004, p. 31, obs. Guillaumont ; AJDA 2003, p. 1959 ; D. 2003, inf. rap. p. 2279 ; Cah. fonct. publ., mars 2004, 232, obs. Guyomar ; Comm. com. électr. 2004, comm. 11, obs. Lepage) : constitue une faute disciplinaire, le fait pour un fonctionnaire d’utiliser l’adresse électronique de son service а des fins personnelles d’échanges entrepris en sa qualité de membre de l’Association pour l’unification du christianisme mondial.
– CAA Versailles, 6 octobre 2011, requête numéro 09VE02048, Abderahim : le port d’un bandana est assimilé à un signe religieux ce qui justifie le licenciement d’une assistante maternelle pour faute grave.
– CE, 12 février 2020, requête numéro 418299 (JCP G 2020, comm. 236, note Viala) : les praticiens étrangers qui sont accueillis en tant que stagiaires associés dans un établissement public de santé doivent respecter les obligations qui s’imposent aux agents du service public hospitalier. A ce titre, s’ils bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre du service public. Pour juger que le requérant avait manqué à ces obligations, la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que, alors même que la barbe qu’il portait ne pouvait, malgré sa taille, être regardée comme étant par elle-même un signe d’appartenance religieuse, il avait refusé de la tailler et n’avait pas nié que son apparence physique pouvait être perçue comme un signe d’appartenance religieuse. En se fondant sur ces seuls éléments, par eux-mêmes insuffisants pour caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public, sans retenir aucune autre circonstance susceptible d’établir que le requérant aurait manifesté de telles convictions dans l’exercice de ses fonctions, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit.
1460.- Le cas particulier de l’enseignement public.- Concernant les services de l’enseignement, le fait que le candidat ait des convictions religieuses affirmées et qu’il ait poursuivi ses études dans des établissements confessionnels ne constitue pas un motif valable interdisant son recrutement dans la fonction publique (CE, 25 juillet 1939, requête numéro 62361, Demoiselle Beis : Rec., p. 524.- V. aussi CE, 3 mai 1950, requête numéro 98284, Demoiselle Jamet : Rec., p. 247).
Une question plus délicate se pose lorsque c’est un ministre du culte qui souhaite accéder à la fonction publique, notamment aux métiers de l’enseignement. Une loi du 30 octobre 1886, codifiée à l’article L. 141-5 du Code de l’éducation précise sur ce point que « dans les établissements du premier degré publics, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ».
En revanche, il n’existe pas de texte équivalent concernant l’enseignement secondaire. Dans le célèbre arrêt Abbé Bouteyre du 10 mai 1912, le Conseil d’Etat avait confirmé la décision du ministre de l’Education refusant à un écclesiastique le droit de se présenter à un concours d’agrégation de philosophie (requête numéro 46027 : Rec., p. 533 ; D. 1914, III, p. 74, concl. Heilbronner ; S. 1912, III, p. 145, note Hauriou.- V. également confirmant cette solution dans la même affaire (CE, 30 juillet 1920, Abbé Bouteyre : Rec., p. 794). Si le Conseil d’Etat n’est jamais expressément revenu sur cette jurisprudence, il est toutefois douteux qu’elle reflète l’état du droit positif. Dans une décision Spagnol du 7 juillet 1970, le tribunal administratif de Paris a ainsi jugé qu’était illégal une décision refusant d’admettre un ecclésiastique à participer au concours d’agrégation d’anglais (Rec., p. 851). Surtout, il ressort d’un avis de l’Assemblée générale du Conseil d’Etat du 21 septembre 1972 que « si les dispositions constitutionnelles qui ont établi la laïcité de l’Etat et celle de l’enseignement imposent la neutralité de l’ensemble des services publics et en particulier la neutralité du service de l’enseignement à l’égard de toutes les religions, elles ne mettent pas obstacle par elles- mêmes à ce que des fonctions de ces services soient confiées à des membres du clergé » (EDCE, n°55, p. 422). En d’autres termes, il n’y aurait plus d’opposition entre le statut d’écclésiastique et des fonctions d’enseignant dès lors que la personne concernée respecte strictement le principe de neutralité.
C’est dans ce sens que s’est plus récemment prononcé le Conseil d’Etat et la Commision de déontologie de la fonction publique, dans une décision et un avis qui ne concernent toutefois pas l’enseignement secondaire. Tout d’abord, dans un arrêt SNESUP du 27 juin 2018 le Conseil d’Etat a jugé qu’un ministre du culte peut être élu président d’université celui-ci étant alors tenu « eu égard à la neutralité des services publics qui découle également du principe de laïcité, à ne pas manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions ainsi qu’à un devoir de réserve en dehors de l’exercice de ces fonctions » (requête numéro 419595 : AJDA 2018, p. 1364 ; AJFP 2019, p. 51, obs. Aubin ; Dr. adm. 2018, comm. 60, note Eveillard ; JCP A 2018, comm. 585 ; JCP G 2018, comm. 2331, concl. Dieu). Suivant la même logique, la Commission de déontologie de la fonction publique a ensuite estimé, dans un avis du 6 novembre 2020, qu’un magistrat pouvait cumuler ses fonctions avec celles de diacre de l’Eglise catholique (avis numéro 2020/5, 6 novembre 2020 : Dr. adm. 2021, Alerte 5, obs. Roux), à condition également de faire preuve d’une stricte neutralité.
D – L’extension du champ du principe de laïcité dans l’espace public
1461.- Un principe de laïcité longtemps cantonné.- Du point de vue des pouvoirs étatiques, tel qu’il a été appréhendé par la jurisprudence du Conseil d’Etat, le principe de laïcité a longtemps été doublement cantonné aux seuls services publics et aux seuls agents du service public.
On l’a vu, la loi n°2004-228 du 15 mars 2004, en interdisant le port de tenues ou signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse aux élèves des écoles primaires, lycées et collèges de l’enseignement public a prévu une exception pour cette catégorie particulière d’usagers du service public. Cette interdiction est alors strictement cantonnée à cette catégorie d’usagers.
1462.- L’interdiction du voile intégral.- La loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 est allée plus loin dans ce sens en interdisant le port du voile intégral, en prohibant la dissimulation du visage non seulement dans le cadre des services publics, mais également dans l’espace public, c’est-à-dire, selon l’article 2 de la loi, sur les voies publiques ainsi que dans les lieux ouverts au public ou affectés à un service public. Cette loi a été jugé conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH, 1er juillet 2014, affaire numéro 43835/11, SAS c/ France : JCPA 2014, comm. 2355, note Dieu).
Le Conseil constitutionnel a considéré que les pratiques sanctionnées par cette loi « peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ». Il mentionne également que le législateur a estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité » (CC, 7 octobre 2010, numéro 2010-613 DC : AJDA 2010, p. 1273, note Verpeaux ; D. 2011, p. 1166, note Cayla ; JCP G 2010, comm. 1018, note Mathieu et comm. 1043, note Levade ; RFDC 2011, p. 548, note Fatin-Rouge, Stefanini et Philippe).
1463.- La notion de « vivre-ensemble républicain ».- Ce qui est donc en cause ici, plus largement que le principe de laïcité, c’est « le socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles du vivre-ensemble républicain » (B. Plessix, Droit administratif général, Lexisnexis 2016, p. 806).
Cette notion inspire de plus en plus la jurisprudence administrative. On en trouve néanmoins une illustration intéressante, dans le domaine de la police spéciale des étrangers, dans un arrêt Aberkane du 27 novembre 2013 (requête numéro 365587 : Rec., p. 304). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a estimé qu’est légal le décret s’opposant à l’acquisition de la nationalité française, pour « défaut d’assimilation », par une personne qui « refuse d’accepter les valeurs essentielles de la société française et notamment l’égalité entre les hommes et les femmes ».
En revanche, on peut considérer que la notion de « vivre ensemble » est au centre de toute une série de problématiques qui ont été récemment soumises au juge administratif et qui concernent le champ d’extension des principes de neutralité et de laïcité.
On notera à titre liminaire que cette problématique ne concerne pas que le juge administratif. Ainsi, dans une décision récente, la Cour de cassation a pu considérer qu’en l’absence de cadre législatif et réglementaire, un conseil de l’ordre des avocats pouvait légalement interdire le port de signes, notamment religieux, et cela de manière « à assurer l’égalité des avocats et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables, élément constitutif du droit à un procès équitable », cette interdiction étant «nécessaire pour témoigner de sa disponibilité à tout justiciable » (Cass. civ.1, 2 mars mars 2022, Dr. adm. 2022, alerte 63, obs. Roux).
1464..- Le cas des crèches de noël.- On peut ainsi mentionner la jurisprudence du Conseil d’Etat sur les crèches de noël. Dans deux décisions pour le moins nuancées, le Conseil d’Etat opère une distinction entre les « bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public », dans lesquels l’installation d’une crèche est, sauf circonstances particulières, non conforme au principe de neutralité des personnes publiques, et les « autres emplacements publics » dans lesquels une installation est possible à condition qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse (CE Ass., 9 novembre 2016, requête numéro 395122, Commune de Melun et requête numéro 395223, Fédération de la libre pensée de Vendée : AJCT 2017, p. 90, obs. de la Morena et Yazi-Roman ; AJDA 2016, p. 2375, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; D. 2016, p. 2456, entretien Maus ; Dr. adm. 2017, comm. 18, note Eveillard ; RFDA 2017, p. 127, note Morange.- V. également CAA Marseille, 3 avril 2017, requête numéro 15MA03863, Garcia : JCPA 2017, comm. 2216, note Dounot.- CAA Douai, 16 novembre 2017, requête numéro 17DA00054, M. C…A…- CAA Marseille, 20 septembre 2021, numéro 20MA02679, Commune de Beaucaire).
1465.- Propriété publique, manifestation cultuelle et signes religieux.- La question de savoir si une propriété publique peut accueillir une manifestation cultuelle où se voir apposer un signe religieux dépend de la question de savoir si celui-ci est un édifice cultuel ou un autre bien public. Le domaine public cultuel est composé des édifices du culte – principalement catholiques – édifiés avant la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat. Evidemment, ces édifices dédiés à l’exercice du culte ne sont pas concernés par le principe de neutralité. Il se pose toutefois un certain nombre de difficultés qui sont toutes liées à la question de la délimitation du domaine public cultuel. En effet, comme le précise l’article 28 de la loi 1905, concernant les autres biens, il est interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement que ce soit, à l’exception des édifices servant aux cultes, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Si ces dispositions n’ont pas de caractère rétroactif (CE, avis, 28 juillet 2017, requête numéro 408920 : AJDA 2017, p. 1589), les personnes publiques ont l’obligation de retirer les emblèmes religieux postérieurs à la loi de 1905 et ne pas en ériger de nouveaux (CE, 25 octobre 2017, requête numéro 396990, Fédération morbihannaise de la Libre pensée et a. : Rec., p. 446 ; Dr. adm. 2018, comm. 7, note Eveillard ; JCP A 2017, comm. 2277, note Pauliat). Cette solution s’applique y compris pour les signes ou emblèmes religieux érigés sur le domaine privé d’une commune (CE, 11 mars 2022, requête numéro 454076, Commune de Saint-Pierre d’Alvey : AJDA 2022, p. 970, chron. Pradines et Janicot : Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 150, note Chamard-Heim ; Dr. adm. 2022, comm. 24, notre Eveillard ; JCP A 2022, act. 208, obs. Erstein ; JCP A 2022, comm. 2134, note Roux ; RFDA 2022, p. 523, note Le Roux).
1466.- Le cas des parents accompagnateurs de sorties scolaires.- Une autre difficulté concerne les parents accompagnateurs de sorties scolaires, et plus particulièrement le port du voile par les mères des enfants. Dans une décision Osman du 22 novembre 2011 (requête numéro 1012015, Osman : AJDA 2011, p. 2319, obs. de Montecler ; AJDA 2012, p. 163, note Hennette-Vauchez ; Dr. adm. 2012, comm. 16, note Taillefait ; JCP A 2011, comm. 2384, concl. Restino ; D. 2012, p. 72, note Girard) le tribunal administratif de Montreuil avait considéré, en combinant principe de laïcité et théorie de la collaboration occasionnelle – mais sans toutefois recourir expressément à cette notion – que si les parents d’élèves participant au service public de l’éducation bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur leur religion ou sur leurs opinions, le principe de neutralité de l’école laïque fait obstacle à ce qu’ils manifestent, dans le cadre de l’accompagnement d’une sortie scolaire, par leur tenue ou par leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Cette solution doit être rapprochée d’une décision plus ancienne du Conseil d’Etat qui avait expressément qualifié une accompagnatrice dans le cadre d’une sortie scolaire de « collaboratrice occasionnelle du service public » dans une affaire où il était question de l’engagement de la responsabilité de l’Etat à son égard (CE Sect., 13 janvier 1993, requête numéro 63044 et requête numéro 66929, Galtié : Rec., p. 11).
Cette appréciation a toutefois été démentie par le Conseil d’Etat à l’occasion d’une étude du 23 décembre 2013, demandée par le Défenseur des droits en application de l’article 19 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011. Le Conseil d’Etat pose ici une règle aussi nuancée que celle issue de l’avis Kherouaa (numéro 346893, préc.). Les juges précisent d’abord que les parents accompagnateurs sont de simples usagers. Ils ne sont donc pas directement concernés par « les exigences de neutralité religieuse ». Toutefois, les juges rappellent que la liberté des convictions religieuses doit être conciliée « avec les exigences particulières découlant des principes de laïcité et de neutralité des pouvoirs publics ». Ainsi, « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ». L’autorité compétente, en l’occurrence le ministre de l’Education nationale ou la direction de l’établissement, peut donc accepter ou non la présence des mères accompagnatrices voilées. Dans ce sens, les directeurs d’établissements peuvent s’appuyer sur la circulaire Chatel du 27 mars 2012 qui recommande de rappeler les principes de laïcité et de neutralité dans les enseignements scolaires, et qui vise notamment le cas des accompagnants scolaires. En l’absence de loi la responsabilité d’interdire ou non le port de signes religieux à ces accompagnants repose sur les chefs d’établissement, ce qui peut donner lieu à des différences notables d’un établissement à l’autre (sur cette question V. encore TA Nice, 9 juin 2015, requête numéro 1305386 : AJDA 2015, p. 1933, notre Brice-Delajoux.- CAA Lyon, 23 juillet 2019, requête numéro 17LY04351 : JCPA 2019, comm. 2307, note Philip-Gay).
Ces solutions, qui rappellent les nuances de la jurisprudence Kherouaa, pouvaient être remises en cause par une loi. C’est ce qui est finalement arrivé suite à l’entrée en vigueur de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. L’article L. 111-1 du Code de l’éducation est complété par un alinéa qui précise que « les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs ». L’article L. 141-5-1 du même code est complété par un autre alinéa qui précise que l’interdiction de porter des signes ou des tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse « s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement ».
1467.- Le cas des marchés.- Dans un sens également favorable à l’extension du champ du principe de laïcité, le Conseil d’Etat a estimé, dans un arrêt Halfon et a. du 23 décembre 2011 (requête numéro 323309 : Rec., p. 646 ; AJDA 2012, p. 833, note Marliac ; BJCL 2012, p. 34, concl. Aladjidi, Dr. Adm. 2012, comm. 29, note Fleury ; JCP A 2012, comm. 2281, note Dieu) que si des commerçants qui exercent leur activité professionnelle au sein des halles et marchés municipaux bénéficient du droit de demander des dérogations au règlement fixant les jours et heures d’ouverture de ces lieux pour motifs religieux, le maire peut refuser de telles dérogations si elles sont de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du marché, et notamment à sa continuité. La solution peut paraître ici surprenante puisqu’elle applique le principe de continuité non pas à des agents publics, mais à des usagers de ce service public.
1468.- Le cas des tablissements privés gérant un service public.- Enfin, la Cour de cassation, privilégiant une approche matérielle à une approche organique, a considéré que les principes de neutralité et de laïcité doivent être appliqués dans les établissements privés gérant un service public (Cass. Soc., 19 mars 2013, pourvoi numéro n°12-11.690, Abibouraguimane : AJDA 2013, p. 1069, note Dreyfus ; D. 2013, p. 1026, note Lokiec et Porta ; Dr. soc. 2013, p. 388, étude Dockès). Tel est le cas pour les salariés d’une caisse primaire d’assurance maladie. La Cour fait ici application des dispositions du Code du travail qui autorisent les restrictions à la liberté religieuse des salariés dès lors qu’elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, qu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et qu’elles sont proportionnées au but recherché (V. notamment C. trav., art. L. 1121-1).
1469.- Le cas des crèches pour enfants en bas âge.- En revanche, dans une décision très remarquée, la Cour de cassation a considéré que le principe de laïcité n’a pas vocation à s’appliquer dans les établissements privés non gestionnaires d’un service public. C’est le cas pour une crèche privée, qui même si elle exerce une mission d’intérêt général et si elle perçoit des financements publics, ne saurait être considérée comme étant en charge d’une mission de service public, à défaut de contrôle exercé sur elle par une personne publique (Cass. Soc., 19 mars 2013, pourvoi numéro 11-28.845, Association Baby Loup : AJDA 2013, p. 1069, note Dreyfus ; D. 2013, p. 761, obs. Rome et p. 956, concl. Aldigé ; Dr. adm. 2013, comm. 35, note Brice-Delajoux ; JCP G 2013, comm. 542, note Corrignan-Carsin ; JCP A 2013, comm. 2131, note Dieu ; JCP A 2013, comm. 2132, note Vila ; JCP S 2013, comm. 1146, note Bossu ; Rev. dr. soc. 2013, p. 388, note Dockès ; Rev. dr. trav. 2013, p. 385, étude Adam et 2014, p. 94, étude Calvès). L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, après un nouveau pourvoi contre l’arrêt rendu sur renvoi par la cour d’appel de Paris (CA Paris, 27 novembre 2013, pourvoi numéro 13/02981 : AJCT 2014, p. 63, obs. Dreyfus ; D. 2014, p. 65, note Mouly ; Dr. soc. 2014, p. 4, note Ray et p. 100, étude Laronze), a confirmé qu’une entreprise privée qui n’est pas en charge d’une mission de service public n’est pas soumise au principe constitutionnel de laïcité et à l’exigence de neutralité religieuse qui en découle (Cass. Ass. plénière, 25 juin 2014, pourvoi numéro 13-28.369 : AJCT 2014, p. 337, tibune de La Morena ; AJDA 2014, p. 1293, obs. Pastor ; D. 2014, p. 1536, entretien Radé ; Dr. ouvrier 2014, p. 835, note Wolmark ; Dr. soc. 2014, p. 811, note Mouly ; RDT 2014, p. 607, note Adam ; JCP S 2014, comm. 1297, note Bossu). Toutefois, elle considère, contrairement à la chambre sociale, que les restrictions à la liberté de manifester sa religion résultant du règlement intérieur de la crèche est légale au regard des dispositions combinées des articles L. 1121-1 et 1321-3 du Code du travail, dès lors qu’elles sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». La Cour prend ici notamment en considération la taille de la structure et le nombre réduit de salariés qui conduit nécessairement le personnel à être en contact avec les enfants et leurs parents, et cela quelle que soit la nature exacte de leurs fonctions.
1470.- Apports de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.- La notion de « mieux-vivre ensemble » républicain est au centre de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Cette loi à pour ambition de lutter contre ce qui est souvent appelé le séparatisme, ce qui renvoie à une forme radicale de communautarisme ou de repli identitaire qui rentre directement en conflit avec les valeurs républicaines.
Entre autres choses, l’article 1er, I de la loi édicte une obligation de neutralité à laquelle sont assujettis les salariés de droit privé participant à l’exécution d’une mission de service public. L’organisme en charge du service public – qu’il soit public ou privé – doit également veiller à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations.
Suivant la même logique, l’article 1er, II de la loi précise que lorsqu’un contrat de la commande publique a pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’un service public, son titulaire est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public.
Est introduit un nouvel article L.2122-34-2 dans le Code général des collectivités territoriales rappelant l’obligation de neutralité imposée au maire, ses adjoints et conseillers délégués, dans les attributions exercées au nom de l’Etat (on pense naturellement aux fonctions d’officier de police judiciaire et aux fonctions exercées en matière d’état civil).
Afin d’assurer le respect par les services publics locaux du principe de neutralité et de l’engagement républicain, le contrôle du représentant de l’Etat est précisé s’agissant des décisions qui porteraient une atteinte grave au principe de neutralité du service public. Lorsque l’acte attaqué est de nature à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, la suspension de l’acte formulée par le préfet sera prononcée le cas échéant par le tribunal dans le délai de 48 heures, avant de faire l’objet le cas échéant d’une annulation au fond (article L.2131-6 alinéa 5 du Code général des collectivités territoriales).
II – Egalité des usagers devant le service public
1471.- Egalité d’accès et égalité de traitement.- Les usagers ont le droit à un égal accès au service public et d’être traités de la même façon. Toutefois, l’existence de tels principes n’exclut pas la légalité de certains types de discriminations réalisées entre les usagers. Ainsi, des conditions peuvent être posées en vue de limiter l’accès à un service public si ces conditions présentent un caractère objectif.
Exemple :
– Seules les personnes ayant obtenu le baccalauréat peuvent en principe s’inscrire en première année de licence à l’université.
Il en va de même lorsque la capacité maximale d’accueil du service public est atteinte.
Exemple :
– CE, 22 mars 2021, requête numéro 429361, Commune de Besançon (JCP A 2021, comm. 2123, note Pauliat ; JCP A 2021, act. 204, obs. Erstein) : il appartient aux collectivités territoriales ayant fait le choix d’instituer un service public de restauration scolaire de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les élèves puissent bénéficier de ce service public, d’autre part, qu’elles ne peuvent légalement refuser d’y admettre un élève sur le fondement de considérations contraires au principe d’égalité. Pour autant, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent légalement refuser d’y admettre un élève lorsque, à la date de leur décision, la capacité maximale d’accueil de ce service public est atteinte.
1472.- Différences de situation objectives.- Des différences de situation objectives peuvent également justifier des différences de traitement, d’un point de vue tarifaire où autre.
Exemples :
– CE, 10 octobre 2014, requête numéro 368206, Région Nord-Pas-de-Calais : il est possible de fixer des tarifs plus élevés sur les lignes de chemin de fer qui assurent aux usagers un voyage plus rapide et plus confortable.
– CE, 24 juillet 2019, requête numéro 424260, Fondation pour l’Ecole et alii : compte tenu de la liberté reconnue aux établissements d’enseignement privés qui ne sont pas liés à l’Etat par contrat en matière de programmes d’enseignement et de déroulement de la scolarité pour l’enseignement du second degré, la différence de traitement consistant à n’organiser, pour les élèves qui y sont scolarisés, qu’une seule session d’examen dans chaque matière se déroulant, à l’exception d’une d’entre elles, à la fin du second trimestre de terminale, alors que les autres candidats sont examinés au cours de trois sessions successives, étagées au long des deux années de première et de terminale, est justifiée par une différence de situation qui est en rapport direct avec l’objet du I de l’article 9 de l’arrêté du 16 juillet 2018, dans sa rédaction issue de l’arrêté du 26 mars 2019 et qui n’est pas manifestement disproportionnée. Ces dispositions ne méconnaissent pas l’égalité de traitement entre candidats à un même diplôme.
1473.- Différenciations tarifaires.- De la même façon, le principe d’égalité de traitement peut s’accommoder de différenciations tarifaires entre les usagers, les cas des différenciations possibles ayant été définis par le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section Denoyez et Chorques du 10 mai 1974 (requête numéro 88032, requête numéro 88148 : Rec., p. 274 ; AJDA 1974, p. 298, chron. Franc et Boyon ; D. 1975, p.393, note Tedeschi ; Rev. Adm. 1974, p. 440, note Moderne ; RDP 1975, p. 467, note Waline).
Le Conseil d’Etat était saisi dans cette affaire d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une délibération instituant les tarifs du péage du pont de l’île de Ré. La délibération prévoyait l’édiction de trois tarifs : le premier pour les habitants de l’île, le second pour les habitants non-insulaires du département et le dernier pour les autres usagers. Le Conseil d’Etat précise que de telles discriminations sont possibles dans trois hypothèses : lorsque la loi le prévoit ; lorsqu’il existe un motif d’intérêt général ; lorsqu’il existe une différence de situation appréciable entre les différentes catégories d’usagers. Les deux premières hypothèses n’étant pas applicables en l’espèce, il s’agissait de savoir s’il existait « une différence de situation appréciable » entre les trois catégories visées par la délibération pouvant justifier des différenciations tarifaires. Le Conseil d’Etat adopte une solution nuancée. En effet, s’il est possible de discriminer les usagers qui n’habitent pas dans le département concerné, les juges estiment qu’il n’est pas légal d’opérer une distinction entre les différents habitants du département, selon qu’ils résident ou non sur l’île.
Plus généralement, le Conseil d’Etat a décidé que la redevance versée à une personne privée contre une prestation qui lui est fournie « devait être établie selon des critères objectifs et rationnels, dans le respect du principe d’égalité entre les usagers du service public et des règles de la concurrence » (CE, 16 juillet 2007, requête numéro 293229, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital .- CE, 7 octobre 2009, requête numéro 309499, Société d’équipement de Tahiti et des Iles.- CE, 21 mai 2010, requête numéro 309734, Société polynésienne des eaux et de l’assainissement.- CAA Marseille, 17 juin 2010, requête numéro 08MA04049, Communauté de communes de Calvi Balagne.– V. également CE, 18 juillet 2008, requête numéro 291602, SNCF).
Plus récemment le Conseil d’Etat a précisé qu’une « redevance pour service rendu peut être légalement établie à la condition, d’une part, que les opérations qu’elle est appelée à financer ne relèvent pas de missions qui incombent par nature à l’Etat et, d’autre part, qu’elle trouve sa contrepartie directe dans une prestation rendue au bénéfice propre d’usagers déterminés » (CE, 28 novembre 2018, requête numéro 413839, SNCF Réseau : JCP 2019, comm. 2125, note Pauliat).
1474.- Egalité d’accès aux services publics facultatifs.- Des règles particulières s’appliquent également aux services publics à caractère facultatif, qui sont ceux que les personnes publiques n’ont pas légalement l’obligation d’assurer. Il peut s’agir notamment – pour ce qui concerne les communes – de crèches municipales, d’écoles de musique ou encore de centres aérés.
La jurisprudence relative à ces services publics s’est notamment développée dans le cadre des discriminations à l’accès au service ainsi qu’aux différences de traitement opérées entre leurs usagers.
Le Conseil d’Etat a notamment précisé la notion de différence de situation appréciable qui est susceptible d’autoriser les différenciations.
Exemple :
– CE, 13 mai 1994, requête numéro 116549, Commune de Dreux (Rec., p. 233 ; AJDA 1994, p.652, obs. Hecquard-Théron ; RFDA 1994, p.711, concl. Daël) : le Conseil d’Etat est saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une délibération d’un conseil municipal prévoyant que l’école de musique communale ne peut accueillir que les enfants dont les parents ont leur domicile dans cette commune, ainsi que les élèves adultes qui y habitent. Pour les autres élèves, la délibération contestée exige qu’un financement extérieur soit apporté. Le Conseil d’Etat relève que le service assuré est un service public non obligatoire « dont l’objet n’exclut pas que son accès puisse être réservé à certaines catégories d’élèves ». Ainsi, le principe d’égalité n’est pas violé si cet accès est limité aux élèves « qui ont un lien particulier avec la commune et se trouvent de ce fait dans une situation différente de l’ensemble des autres usagers potentiels du service ». Pour autant, le Conseil d’Etat annule la délibération contestée. En effet, pour les juges, tous les élèves potentiels qui sont scolarisés ou qui travaillent dans la commune ont un lien particulier avec elle. Par conséquent, il était illégal d’exclure des prestations assurées les élèves adultes qui travaillent à Dreux, sans y résider.
Plus récemment, l’article L. 313-3 du Code de l’éducation issue de la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017 a précisé que lorsqu’il existe une cantine des écoles primaires « l’inscription (..) est un droit pour tous les enfants scolarisés ». Le même texte précise « (qu’il) ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille ». Le Conseil d’Etat a toutefois jugé qu’il n’est pas illégal de refuser d’admettre un élève au service de restauration scolaire si, à la date de cette décision, la capacité maximale d’accueil de ce service public est atteinte (CE, 22 mars 2021, requête numéro 429361, Commune de Besançon : AJDA 2021, p. 959, chron. Beaufils et Malverti ; JCP A 2021, comm. 2123, note Pauliat ; JCP G 2021, act. 414 ; JCP A 2021, act. 204, obs. Erstein).
1475.- Egalité de traitement dans le cadre des services publics facultatifs.- Dans sa jurisprudence récente, le Conseil d’Etat s’est également montré de plus en plus favorable à reconnaître que des différences de traitement entre les usagers pouvaient être motivées par des circonstances liées à l’intérêt général.
Cette reconnaissance a pu d’abord être observée dans le cadre des services publics facultatifs à caractère social.
Exemple :
– CE, 20 janvier 1989, requête numéro 89691, Centre communal d’action sociale de la Rochelle (Rec., p. 8 ; AJDA 1989, p.398, obs. Prétot) : le Conseil d’Etat était ici saisi de la question de la légalité d’une délibération fixant les tarifs applicables à une crèche. Ces tarifs variaient en fonction d’un quotient familial calculé à partir des ressources des familles ainsi que du nombre de personnes les composant. Le Conseil d’Etat estime que « l’intérêt général qui s’attache à ce que la crèche puisse être utilisée par tous les parents … sans distinction selon les disponibilités financières dont dispose chaque foyer » justifie une telle discrimination. Toutefois, une limite est instituée : « les tarifs les plus élevés doivent demeurer inférieurs au coût de fonctionnement de la crèche ».
Ainsi, l’intérêt général visé par le Conseil d’Etat réside dans la volonté de faciliter l’accès au service public. De façon assez paradoxale, l’inégalité de traitement apparaît donc comme un moteur de l’égalité d’accès des usagers. La condition limitative des discriminations s’explique de la même façon : il s’agit d’éviter une différenciation trop grande entre les tarifs institués, qui risquerait d’exclure les personnes bénéficiant de revenus hauts et moyens.
Cependant, ce qui était valable pour les crèches a longtemps été exclu pour d’autres services publics à caractère facultatif et notamment pour les écoles de musique, ainsi que l’a décidé le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section Ville de Tarbes du 26 avril 1985 (requête numéro 41169 : Rec., p. 119, concl. Lasserre ; AJDA 1985, p. 409, chron. Hubac et Schoettl ; D. 1985, p. 592, note Hamon ; RFDA 1985, p. 707, concl. Lasserre). Le Conseil d’Etat annulait ici la délibération d’un conseil municipal établissant un nouveau barème des droits d’inscription à une école de musique, élaborés à partir d’un quotient familial. Les juges estimaient, en effet, qu’aucune nécessité d’intérêt général ne justifiait une différenciation fondée sur les seules différences de ressources entre les usagers.
Par conséquent, on peut estimer que le Conseil d’Etat établissait une distinction entre les services publics facultatifs culturels ou à vocation sociale et les services publics facultatifs de loisirs. En effet, l’intérêt général d’un égal accès de tous les candidats usagers aux services publics n’était reconnu que pour les services relevant de la première catégorie.
La situation a toutefois évolué avec les arrêts de Section du 29 décembre 1997, Commune de Gennevilliers et Commune de Nanterre, à l’occasion desquels le Conseil d’Etat a aligné le régime juridique appliqué aux services publics facultatifs de loisirs sur celui jusqu’alors réservé aux services publics facultatifs à vocation sociale (requête numéro 157425, requête numéro 134341 : Rec., p. 499 ; AJDA 1998, p. 102, chron. Girardot et Raynaud ; Droit adm. 1998, comm. 41 ; JCP 1998, I, comm. 165, chron. Petit ; LPA mai 1998, n°59, note Alloiteau ; Rev. adm. 1998, p. 406, note Pontier ; RDP 1998, p.899, note Borgetto et p. 539, concl. Stahl). Dans la seconde affaire, il était ainsi question de tarifs différenciés en fonction des ressources familiales et du nombre des personnes composant le foyer pour l’accès à un conservatoire de musique et de danse. Le Conseil d’Etat relève qu’il existe un intérêt général qui s’attache à ce que le conservatoire puisse être fréquenté par les élèves qui le souhaitent, sans distinction selon leurs possibilités financières. Par conséquent, dans la mesure également où les droits les plus élevés restent inférieurs au coût par élève du fonctionnement de l’école, le principe d’égalité n’a pas été violé en l’espèce.
Cette jurisprudence a finalement été reprise par la loi n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions qui dispose dans son article 147 que « les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif peuvent être fixés en fonction des revenus des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer. Les droits les plus élevés ainsi fixés ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée ».
1476.- Gratuité et égalité de traitement.- Plus récemment, s’est posée la question de savoir si la gratuité de l’accès aux musées, résultant de décisions du centre des monuments nationaux et de l’établissement public du musée du Louvre pouvait implicitement exclure les jeunes non ressortissants d’un Etat de l’Union européenne et de l’Espace économique européen et notamment les résidents irréguliers sur le territoire d’un de ces Etats (CE Sect., 18 janvier 2013, requête numéro 328230, Association SOS Racisme : AJDA 2013, p. 674, chron. Glaser et p. 1010, concl. Hedary ; JCP A 2013, act. 71, obs. Touvier ; JCP A 2013, comm. 2091, note Pauliat). Les juges considèrent qu’il existe un motif d’intérêt général qui justifie de favoriser l’accès à la culture des jeunes usagers, dès lors qu’ils ne disposent pas, en général, des ressources leur permettant de fréquenter les musées et d’en devenir des usagers assidus. En conséquence « il était loisible aux établissements concernés de distinguer les personnes qui ont vocation à résider durablement sur le territoire national, des autres, la gratuité concédée devant avoir pour résultat de rendre durable la fréquentation habituelle des institutions concernées et n’ayant donc nécessairement pas de justification pour les personnes qui ne sont pas appelées à séjourner durablement sur le territoire ».
§IV – La question de la gratuité des services publics
1432.- Une gratuité possible mais pas obligatoire.- S’il n’existe pas de principe général de gratuité des services publics, la gratuité pour les usagers pour certains de ces services publics peut être instituée par un texte.
I – Absence d’un principe de gratuité
1478.- Contenu de la notion de gratuité.- Les auteurs s’accordent pour estimer qu’il n’existe pas de principe de gratuité qui s’applique directement aux différents services publics. Qui plus est, la notion même de gratuité peut être définie de façon différente.
Si l’on entend la notion de gratuité dans un sens général, il est clair qu’elle est inconcevable. En effet, tout service public a un coût de fonctionnement. Or, si le service est gratuit pour l’usager, il sera nécessairement financé par le contribuable.
En revanche, si l’on entend la notion de gratuité dans un sens plus restreint, l’idée est plus acceptable. En effet, certains services publics sont gratuits pour les usagers, même s’ils sont financés, par ailleurs, par le contribuable. C’est le cas, par exemple, des services de l’état civil ou encore du service d’enlèvement des ordures ménagères lorsqu’il est financé par une taxe.
Cependant, même si, dans un sens restreint, la gratuité des services publics est concevable, son existence, en tant que principe de fonctionnement s’imposant directement aux différents services publics, a été clairement déniée par la jurisprudence.
Exemple :
– CE Ass., 10 juillet 1996, requête numéro 168702, requête numéro 168734, requête numéro 169631, requête numéro 169951, Société Direct Mail promotion (Rec., p. 277 ; AJDA 1996, p. 189, note Maisl ; RFDA 1997, p. 115, concl. Denis-Linton) : saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre un décret relatif à la rémunération de certains services rendus par l’INSEE, le Conseil d’Etat relève « (qu’) aucun principe général du droit ni aucune disposition législative ne font obstacle à ce que les services rendus par l’INSEE énumérés par le décret fassent l’objet d’une rémunération ».
Il faut enfin noter, comme on l’a vu, qu’au regard du droit de l’Union européenne, le service public n’est pas envisagé en dehors du marché, mais dans le marché. Le libéralisme économique dont s’inspire le droit de l’Union européenne paraît en effet guère conciliable avec l’idée de gratuité. La notion de gratuité a été en quelque sorte remplacée par celle de « service universel » qui sous-tend l’idée de mise à disposition des personnes les plus démunies d’un service de qualité, non pas gratuit, mais dont le coût est abordable.
II – Possibilité d’instituer la gratuité de certains services publics
1479.- Une gratuité contraire à la logique de fonctionnement des SPIC.- S’il n’existe pas de principe de gratuité des services publics, rien n’empêche le législateur d’instituer la gratuité de tel ou tel service public.
Bien évidemment, cette possibilité ne peut concerner que les services publics administratifs. Pour les services publics industriels et commerciaux, en effet, la gratuité n’aurait aucun sens, ces services se caractérisant justement par le fait qu’ils sont financés par les redevances versées par les usagers. Ceci étant, on n’omettra pas ici de rappeler que le législateur peut parfaitement qualifier d’établissement public industriel et commercial une personne publique dont l’activité est en réalité purement administrative et dont les prestations peuvent être gratuites (V. sur ce point supra Troisième partie, Chapitre deux, Section deux).
1480.- Une gratuité possible pour les usagers des SPA.- Pour les services publics administratifs, en revanche, la gratuité appliquée aux usagers est davantage la norme. Sur ce point, il est cependant utile de réaliser une distinction entre les services publics administratifs à caractère obligatoire et les services publics facultatifs.
A – Services publics obligatoires
1481.- Gratuité des services publics obligatoires.- Il s’agit des services que les collectivités publiques sont légalement tenues d’assurer. En principe, leurs prestations sont gratuites, ce qui peut être expressément prévu par les textes.
Exemples :
– L’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 proclame que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ». Cette exigence s’applique à l’enseignement supérieur. Toutefois, elle « ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants » (CC, 11 octobre 2019, n°2019-809 QPC, UNEDESEP et a. : AJDA 2019, p. 2627, note Verpeaux ; Dr. adm. 2020, comm. 3, note Lanneau ; RFDA 2019, p. 1127, note Roblot-Troizier).
– L’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit la gratuité de l’eau fournie par les réseaux publics pour la lutte contre l’incendie.
– L’article L. 324-1 du Code des relations entre le public et l’administration précise que la réutilisation d’informations publiques est gratuite.
– La loi n°2015-1779 du 28 décembre 2015 énonce un principe de gratuité des modalités de la réutilisation des informations du secteur public.
1481.- Exceptions à la gratuité en cas de prestations personnalisées.- Cependant, des redevances peuvent être exigées lorsqu’il apparaît que les usagers ont directement bénéficié de prestations personnalisées, c’est-à-dire de prestations qui excèdent celles normalement réalisées par le service concerné. Cette solution est justifiée par le fait que, dans de tels cas, le service public a fonctionné non pas dans l’intérêt général, mais dans l’intérêt propre de son bénéficiaire.
Exemple :
– CE, 19 février 1998, requête numéro 49338, requête numéro 49809, SARL Pore gestion (Rec., p. 77 ; LPA 14 septembre 1998, p. 2, note Moderne) : le Conseil d’Etat reconnaît la légalité de l’institution d’une redevance mise à la charge de brocanteurs exerçant sur un « marché aux puces ». Les juges considèrent en effet que les frais supplémentaires représentés par les interventions de la commune dans les domaines de la circulation, de la sécurité et de la salubrité excédent « les besoins normaux » auxquels elle est tenue de pourvoir dans l’intérêt général.
On retrouve la même logique dans les dispositions de l’article L. 211-11 du Code de sécurité intérieure. Cet article précise que « les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d’y assurer un service d’ordre lorsque leur objet ou leur importance le justifie ». Il prévoit surtout que « les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d’ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l’ordre sont tenues de rembourser à l’Etat les dépenses supplémentaires qu’il a supportées dans leur intérêt ». Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que dans ce cas l’organisateur de l’événement n’a pas autorité sur les forces de l’ordre : il est un usager du service et en aucun un délégataire du service de la police (CE, 16 mars 2021, requête numéro 448010, Société d’exploitation de l’Arena : Rec. tables, p. 807).
En application des dispositions susvisées, il a été jugé que toute personne physique ou morale pour le compte de laquelle un tel service d’ordre est assuré par les services de police ou de gendarmerie est tenue de rembourser à l’Etat les dépenses correspondantes, et cela que l’activité en cause présente ou non un caractère lucratif (CE, 11 mai 2022, requête numéro 449370, Association Moto-club de Nevers et de la Nièvre : Dr. adm. 2022, comm. 33, notre Eveillard ; JCP A 2022, act. 368, obs. Erstein). En outre, si les activités concourant au maintien de l’ordre public sont en principe des activités gratuites, il en va autrement lorque « (les) prestations de service d’ordre exécutées en raison des nécessités du maintien de l’ordre public par les forces de police et de gendarmerie qui sont directement imputables à l’événement et qui vont au-delà des besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir ». Il en va ainsi s’agissant de l’organisation d’épreuves du championnat du monde moto « Superbike » au regard du nombre de spectateurs de cette manifestation (Ibid.).
1483.- Prestations constituant le prolongement normal d’activités obligatoires.- A l’opposé, les juges estiment que des prestations qui constituent le prolongement normal d’activités obligatoires doivent également être gratuites. Cette question se pose notamment à propos des missions du service départemental de lutte contre l’incendie et de secours. Selon l’article L. 1424-2 du Code général des collectivités territoriales ce service exerce « 1° la prévention et l’évaluation des risques de sécurité civile ; 2° La préparation des mesures de sauvegarde et l’organisation des moyens de secours ; 3° La protection des personnes, des biens et de l’environnement ; 4° Les secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ». L’article L. 742-11 du Code de sécurité intérieure précise quant à lui que toutes ces dépenses sont prises en charge par le service départemental d’incendie et de secours. Il s’agit d’une conséquence du principe de gratuité des secours dont l’origine remonte à l’ordonnance royale de Louis XIV du 11 mars 1733. L’article L. 1424-42 du Code général des collectivités territoriales indique toutefois que « le service départemental d’incendie et de secours n’est tenu de procéder qu’aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions de service public définies à l’article L. 1424-2. S’il a procédé à des interventions ne se rattachant pas directement à l’exercice de ses missions, il peut demander aux personnes bénéficiaires une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d’administration ». L’application de ces dispositions fait l’objet de solutions nuancées.
Exemples :
– CE, 5 décembre 1984, requête numéro 48639, De Arias c/Ville de Versailles (Rec., p. 399 ; Quot. Jur. 30 avril 1985, note Moderne ; AJDA 1985, p. 104, note J. C.) : le Conseil d’Etat est saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision mettant à la charge de la victime d’un accident de la circulation ses frais de transport par des sapeurs-pompiers à l’hôpital. Cette décision était fondée sur les dispositions du Code général des collectivités territoriales qui prévoient que si la commune doit supporter les frais d’intervention des sapeurs-pompiers, « les frais exposés pour des prestations particulières qui ne relèvent pas de la nécessité publique » sont à la charge des personnes secourues. Le Conseil d’Etat a pourtant annulé la décision contestée au motif que le transport par les sapeurs-pompiers a été « le prolongement normal des missions de secours d’urgence » qui leur sont normalement dévolues.
– CAA Douai, 5 juillet 2005, requête numéro 05DA00005, SDIS de l’Eure (AJDI 2006, p. 144) : les interventions effectuées par un service d’incendie et de secours qui ont pour seul objet la désincarcération de personnes bloquées dans un ascenseur affecté par un défaut de fonctionnement ne peuvent être regardées comme se rattachant directement à l’exercice des missions de prévention des risques de sécurité civile, d’organisation des moyens de secours, de protection des personnes et de secours d’urgence aux accidentés dévolues au service d’incendie et de secours par l’article L. 1424-2 précité du Code général des collectivités territoriales ». Par suite, la cour juge que le SDIS est fondé, en application des dispositions de l’article L. 1424-42 du Code général des collectivités territoriales, à demander « aux personnes bénéficiaires » de telles interventions une participation aux frais.
B – Services publics facultatifs
1484.- Possibilité de fixer des redevances.- Il s’agit des différents services institués dans un intérêt général par des collectivités publiques, alors même qu’elles n’avaient aucune obligation légale de les créer. Dans ce cas de figure, il n’existe aucun obstacle de principe qui interdise de subordonner les prestations de ces services au versement d’une redevance. Toutefois, comme on l’a vu, l’institution de telles redevances doit respecter le principe d’égalité de traitement entre les usagers du service public.
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