DEUXIÈME SECTION
(Requête no 23682/13)
ARRÊT
STRASBOURG
22 mars 2016
DÉFINITIF
12/09/2016
Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.
En l’affaire Guberina c. Croatie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Işıl Karakaş, présidente,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 février 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23682/13) dirigée contre la République de Croatie et dont un ressortissant de cet État, M. Joško Guberina (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mars 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me V. Terhaj, avocate à Zagreb, assistée de Me C. Cojocariu, avocat diplômé en Roumanie et exerçant à Londres. Le gouvernement croate (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Š. Stažnik.
3. Le requérant se plaignait d’une application injuste et discriminatoire à son égard de la législation fiscale nationale. Il y voyait une violation de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément et combinés avec l’article 14 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 12.
4. Le 17 juillet 2013, les griefs formulés sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 pris seul et combiné avec l’article 14 de la Convention et sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 12 ont été communiqués au Gouvernement. Le 25 mars 2014, le président de la section à laquelle l’affaire avait été attribuée a décidé, conformément à l’article 54 § 2 c) du règlement de la Cour, d’inviter les parties à soumettre des observations complémentaires relativement aux questions soulevées sur le terrain de l’article 8 pris seul et combiné avec l’article 14 de la Convention.
5. Par ailleurs, l’Union croate des associations de personnes handicapées, le Forum européen des personnes handicapées et l’International Disability Alliance ont produit des observations écrites conjointes en qualité de tiers intervenants (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1969 et réside à Samobor.
A. La genèse de l’affaire
7. Le requérant était propriétaire à Zagreb d’un appartement situé au troisième étage d’un immeuble résidentiel où il vivait avec son épouse et ses deux enfants.
8. En 2003, trois ans après qu’il eut acheté cet appartement, son épouse donna naissance à leur troisième enfant. À la naissance, l’enfant présentait de multiples handicaps physiques et mentaux.
9. Après sa naissance, l’enfant reçut un certain nombre de traitements médicaux et les services sociaux compétents furent chargés d’assurer un suivi constant de son état de santé. En avril 2008, une commission d’experts le déclara atteint d’une paralysie cérébrale incurable, d’un grave retard mental et d’épilepsie. En septembre 2008, les services sociaux lui reconnurent un taux d’incapacité de 100 %.
10. Dans l’intervalle, en septembre 2006, le requérant avait fait l’acquisition d’une maison à Samobor et, en octobre 2008, il vendit son appartement. Il dit avoir acheté ladite maison parce que l’immeuble dans lequel son appartement se trouvait n’était pas équipé d’un ascenseur et n’était donc pas adapté aux besoins de son enfant handicapé et de sa famille. Le requérant indique qu’il lui était en particulier très difficile de faire sortir son fils de l’appartement pour le conduire chez un médecin, à ses séances de kinésithérapie, au jardin d’enfants ou à l’école et de répondre à ses autres besoins sociaux.
B. La procédure relative à la demande d’exonération des droits de mutation déposée par le requérant
11. Le 19 octobre 2006, après avoir acheté la maison de Samobor, le requérant déposa auprès des autorités fiscales une demande d’exonération des droits de mutation. Il s’appuyait sur l’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers, qui prévoyait la possibilité d’exonérer de ces droits une personne qui faisait l’acquisition d’un appartement ou d’une maison afin de répondre à ses besoins de logement, à condition que l’acquéreur ou les membres de sa famille n’eussent pas un autre appartement ou une autre maison adapté (paragraphe 24 ci-dessous). Dans sa demande, le requérant avançait que, situé au troisième étage et non desservi par un ascenseur, l’appartement qu’il possédait ne répondait pas aux besoins de sa famille, car il était très difficile, voire impossible, d’en faire sortir son enfant handicapé, celui-ci se déplaçant en fauteuil roulant. Le requérant arguait donc qu’il avait acheté la maison pour faire face aux besoins de son fils.
12. Le 6 mai 2009, le centre des impôts de Samobor (Ministarstvo Financija – Porezna uprava, Područni ured Zagreb, Ispostava Samobor) rejeta la demande du requérant, invoquant les raisons suivantes :
« L’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers (…) prévoit la possibilité d’accorder une exonération de ces droits aux citoyens qui acquièrent pour la première fois un bien immobilier afin de répondre à leurs besoins de logement, sous réserve que les intéressés remplissent un ensemble de conditions, et notamment la condition que l’acquéreur ou les membres de sa famille n’aient pas un autre appartement ou une autre maison répondant à leurs besoins de logement. Pendant la procédure, il a été établi que l’acquéreur dénommé Joško Guberina avait été propriétaire à Zagreb d’un appartement d’une superficie de 114,49 m2 (…), qu’il a vendu le 25 novembre 2008 (…). Étant donné que la superficie dudit bien immobilier au regard du nombre de membres de la famille proche (cinq personnes) de l’acquéreur satisfaisait aux besoins de logement de celui-ci et de sa famille proche au sens de l’article 11 § 9.3 de la loi sur les droits de mutation immobiliers, et que ledit appartement répondait à tous les besoins de logement en termes d’aménagements techniques, d’hygiène et d’infrastructures de base (électricité, eau et [accès aux] autres services collectifs), conformément à l’article 11 § 9.5 de la loi sur les droits de mutation immobiliers, l’acquéreur ne réunit pas toutes les conditions énoncées à l’article 11 § 9 de la loi susmentionnée. La décision rendue est décrite dans le dispositif. »
13. Le centre des impôts de Samobor ordonna au requérant de payer 83 594,25 kunas (HRK, soit environ 11 250 euros (EUR)) de droits.
14. Le requérant saisit le ministère des Finances (Ministarstvo Financija, Samostalna služba za drugostupanjski upravni postupak (« le ministère ») d’un recours contre cette décision et, le 6 juillet 2009, le ministère rejeta ce recours pour défaut de fondement, se ralliant à la motivation qui avait été avancée par le centre des impôts de Samobor. En sa partie pertinente, sa décision se lisait ainsi :
« L’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers (Journal officiel nos 69/07-153/02) accorde une exonération des droits de mutation immobiliers aux citoyens qui acquièrent leur premier bien immobilier afin de répondre à leurs besoins de logement. Il énonce de plus les conditions que les citoyens doivent réunir pour démontrer qu’il s’agit bien de leur première acquisition immobilière destinée à répondre à leurs besoins de logement. À cet égard, l’une des conditions énoncées au point 9.5 veut que l’intéressé et les membres de sa famille proche n’aient pas d’autre bien immobilier (appartement ou maison) répondant à leurs besoins de logement ; par ailleurs, le point 9.6 dispose que l’intéressé ou les membres de sa famille proche ne doivent être propriétaires ni d’un appartement, d’une maison de vacances ou d’un autre bien d’une valeur importante (parmi les autres biens d’une valeur importante figurent notamment les terrains constructibles), ni de locaux d’entreprise dans lesquels l’intéressé ou des membres de sa famille proche n’exercent pas d’activité [professionnelle] déclarée et dont la valeur est identique à celle du bien immobilier (appartement ou maison) que l’intéressé est en train d’acquérir.
Compte tenu de la logique qui sous-tend les dispositions citées et des circonstances de l’affaire telles qu’établies au-delà de tout doute pendant la procédure, [le ministère] considère que c’est à bon droit que l’autorité de première instance a rejeté la demande d’exonération déposée par l’appelant. (…) Une exonération des droits de mutation immobiliers est accordée à condition que, au moment de l’acquisition [du bien immobilier], le citoyen ou les membres de sa famille proche ne soient pas ou n’aient pas été dans le passé propriétaires d’un autre bien immobilier répondant à leurs besoins de logement ou d’un appartement, d’une maison de vacances ou d’un autre bien immobilier d’une valeur importante. Telle n’étant pas la situation en l’espèce, puisqu’au moment où il a acquis [la maison] l’appelant était propriétaire d’un appartement situé à Zagreb (…) dont la superficie était supérieure à celle du bien qu’il était en train d’acquérir et pour lequel il demandait une exonération, on ne peut considérer que la maison que l’appelant était en train d’acheter était sa première acquisition immobilière destinée à répondre à ses besoins de logement. »
15. Le 7 septembre 2009, le requérant saisit la cour administrative d’appel (Visoki upravni sud Republike Hrvatske), arguant que dans leurs décisions les instances inférieures n’avaient pas tenu compte de la situation spécifique de sa famille, en particulier du handicap de son enfant, et donc des besoins de logement de sa famille. Du point de vue du requérant, il était nécessaire de reconnaître que dans son cas particulier la présence d’un ascenseur dans l’immeuble constituait un impératif infrastructurel du même niveau de priorité que le raccordement à l’eau et à l’électricité. Le requérant soulignait également que la maison était le premier bien immobilier pour lequel il sollicitait une exonération des droits de mutation.
16. Le 21 mars 2012, la cour administrative d’appel, validant le raisonnement exposé par les instances administratives inférieures, rejeta pour défaut de fondement l’action en contentieux administratif introduite par le requérant. Les parties pertinentes de son arrêt étaient ainsi libellées :
« Étant donné que la superficie de l’appartement [dont le requérant était propriétaire] répondait aux besoins des cinq membres de la famille du demandeur (disposition 9.3) et que l’appartement en question était doté des infrastructures de base et des aménagements techniques et d’hygiène requis, le défendeur a conclu à juste titre qu’en l’espèce le demandeur ne réunissait pas les conditions ouvrant droit à une exonération des droits de mutation immobiliers énoncées à l’article 11 § 9 de la loi sur les droits de mutation immobiliers.
Les arguments exposés dans le cadre de l’action en contentieux administratif ne sont pas de nature à justifier un revirement de décision sur cette question administrative. La cour estime donc que la décision litigieuse n’a pas enfreint la loi au détriment du demandeur. »
17. Le 25 mai 2012, le requérant saisit la Cour constitutionnelle (Ustavni sud Republike Hrvatske). Invoquant l’article 14 de la Constitution, il alléguait entre autres que compte tenu des besoins de logement spécifiques de sa famille résultant du handicap de son enfant, il avait fait l’objet d’une discrimination à raison d’une application selon lui injuste de la législation fiscale en vigueur. Il avançait en particulier que les autorités administratives compétentes n’avaient pas corrigé l’inégalité factuelle inhérente à sa situation particulière eu égard à la signification ordinaire que revêt l’expression « infrastructures de base requises pour répondre aux besoins de logement » de sa famille.
18. Le 26 septembre 2012, entérinant le raisonnement exposé par les instances inférieures, la Cour constitutionnelle rejeta pour défaut de fondement le recours constitutionnel formé par le requérant au motif qu’il n’y avait pas eu violation des droits constitutionnels de celui-ci. En particulier, la Cour constitutionnelle conclut que les autres griefs formulés par le requérant ne soulevaient aucune question sous l’angle du droit à un procès équitable.
19. La décision de la Cour constitutionnelle fut signifiée au représentant du requérant le 11 octobre 2012.
C. Autres informations pertinentes
20. Le Gouvernement a présenté un rapport daté du 6 novembre 2013 émanant du ministère de la Politique sociale et de la Jeunesse (Ministarstvo socijalne politike i mladih), qui indiquait qu’une allocation mensuelle de 1 000 HRK (environ 130 EUR) avait été versée pour l’enfant du requérant pendant la période comprise entre le 19 janvier 2006 et le 10 septembre 2012 et qu’une allocation de 625 HRK (environ 80 EUR) était versée pour lui depuis le 11 septembre 2012. De plus, ce rapport précisait que l’enfant avait pris part à diverses activités thérapeutiques et à des programmes de l’aide sociale, et que du 29 juin 2010 au 2 octobre 2011 l’épouse du requérant avait bénéficié d’un statut spécial lié au handicap de son enfant et perçu notamment une somme mensuelle de 2 500 HRK (environ 300 EUR).
21. Le requérant chiffre à quelque 80 000 HRK (environ 10 400 EUR) ses dépenses annuelles destinées à faire face aux besoins particuliers de son enfant. Sur cette somme, 28 800 HRK étaient consacrés à la kinésithérapie, 4 500 HRK aux séances d’orthophonie, 900 HRK à la consultation d’un neuropédiatre, 7 200 HRK aux médicaments, 21 175 HRK à l’achat d’un fauteuil roulant (auxquels sont venus s’ajouter 8 900 HRK d’aide de l’État), 7 200 HRK à la natation thérapeutique et 9 150 HRK au transport quotidien jusqu’au centre d’accueil de jour pendant dix mois.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le droit interne pertinent
1. La Constitution
22. Les dispositions de la Constitution de la République de Croatie (Ustav Republike Hrvatske, Journal officiel nos 56/1990, 135/1997, 8/1998, 113/2000, 124/2000, 28/2001, 41/2001, 55/2001, 76/2010, 85/2010 et 5/2014) pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :
Article 14
« Toute personne en République de Croatie jouit de ses droits et libertés sans distinction, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance, d’éducation ou de situation sociale.
Tous les individus sont égaux devant la loi. »
Article 34
« Le domicile est inviolable.
(…) »
Article 35
« Toute personne a droit au respect et à la protection par la loi de sa vie privée et familiale, de sa dignité, de sa réputation et de son honneur. »
Article 48
« Le droit à la propriété est garanti.
(…) »
2. La loi sur la Cour constitutionnelle
23. En sa partie pertinente en l’espèce, l’article 62 de la loi sur la Cour constitutionnelle (Ustavni zakon o Ustavnom sudu Republike Hrvatske, Journal officiel no 49/2002) se lit ainsi :
Article 62
« 1. Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle d’un recours constitutionnel si elle estime que l’acte individuel d’un organe de l’État, d’une collectivité locale ou régionale, ou d’une personne morale détentrice de l’autorité publique qui a statué sur ses droits et obligations ou sur un soupçon ou une accusation relatifs à un acte criminel, a entraîné dans son chef une violation des droits de l’homme ou des libertés fondamentales ou du droit à l’autonomie locale et régionale garanti par la Constitution (ci-après « droit constitutionnel »).
2. S’il existe une autre voie de recours permettant de redresser la violation [alléguée] du droit constitutionnel, le justiciable doit avoir exercé cette voie de recours avant de pouvoir former un recours constitutionnel.
(…) »
3. La loi sur les droits de mutation immobiliers
24. La disposition pertinente en l’espèce de la loi sur les droits de mutation immobiliers (Zakon o porezu na promet nekretnina, Journal officiel nos 69/1997, 26/2000, 127/2000 et 153/2002), qui était en vigueur à l’époque des faits, se lisait ainsi :
Article 11
« Est exonéré des droits de mutation immobiliers :
(…)
9. tout citoyen qui acquiert son premier bien immobilier (appartement ou maison) afin de répondre à ses besoins de logement, à condition que :
(…)
9.3. la superficie du bien en question, selon le nombre de membres que compte la famille proche du citoyen, ne dépasse pas :
(…)
– pour cinq personnes : 100 m2
(…)
9.5. le citoyen ou les membres de sa famille proche n’aient pas un autre bien immobilier (appartement ou maison) répondant à leurs besoins de logement. Entre dans cette catégorie tout logement doté des infrastructures de baseet des aménagements techniques et d’hygiène requis (…)
9.6. le citoyen et les membres de sa famille proche ne soient pas propriétaires d’un appartement, d’une maison de vacances ou d’un bien immobilier d’une valeur importante. Entrent dans cette catégorie les terrains constructibles et les locaux d’entreprise dans lesquels le citoyen ou des membres de sa famille proche n’exercent pas d’activité [professionnelle] déclarée et dont la valeur est identique à celle du bien immobilier (appartement ou maison) que le citoyen est en train d’acquérir.
(…)
15. les citoyens qui se sont déjà prévalus une première fois de leur droit à une exonération des droits de mutation immobiliers en vertu des points 9, 11 et 13 [du présent article] ne peuvent bénéficier d’une nouvelle exonération de ces droits. »
4. Le règlement sur l’accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées ou à mobilité réduite
25. Les dispositions pertinentes en l’espèce du règlement sur l’accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées ou à mobilité réduite (Pravilnik o pristupačnosti građevina osobama s invaliditetom i smanjene pokretljivosti, Journal officiel nos 151/2005 et 61/2007) sont ainsi libellées :
« Article 1
Le présent règlement énonce les conditions à réunir et les moyens à déployer pour assurer la facilité d’accès, la mobilité, le séjour et le travail des personnes handicapées ou à mobilité réduite (« l’accessibilité ») ainsi que [les moyens à déployer] pour améliorer l’accessibilité des immeubles (…) résidentiels (…) »
Article 2
L’accessibilité, l’amélioration de l’accessibilité et [les méthodes employées pour] la mise en conformité avec l’impératif d’accessibilité des bâtiments visé à l’article 1 du présent règlement doivent être assurées au moyen de normes obligatoires de conception et de construction des bâtiments aux fins de doter les bâtiments des éléments d’accessibilité requis et/ou de les mettre en conformité avec les conditions d’utilisation des dispositifs d’aide [à la mobilité] destinés aux personnes handicapées (…) conformément au présent règlement.
(…)
III. Éléments d’accessibilité de base
Article 7
Les éléments d’accessibilité de base sont :
A. les éléments d’accessibilité permettant de franchir les différences de hauteur ;
(…)
Article 9
Aux fins du franchissement des différences de hauteur dans les locaux utilisés par des personnes à mobilité réduite, il est possible de recourir aux éléments d’accessibilité suivants : (…) un ascenseur (…)
(…)
Article 12
Ascenseurs
« Un ascenseur sera utilisé comme élément d’accessibilité pour le franchissement des différences de hauteur et il doit obligatoirement être installé dès lors que les différences de hauteur à franchir sont supérieures à 120 cm à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments.
(…) »
5. La loi de prévention des discriminations
26. La loi de prévention des discriminations (Zakon o suzbijanju diskriminacije, Journal officiel no 85/2008) est ainsi libellée en ses parties pertinentes :
Article 1
« 1) La présente loi assure la protection et la promotion de l’égalité en tant que valeur suprême de l’ordre constitutionnel de la République de Croatie ; elle crée les conditions pour une égalité des chances et prévoit une protection contre les discriminations fondées sur la race, l’origine ethnique, la couleur de peau, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, l’adhésion à un syndicat, l’éducation, la situation sociale, matrimoniale ou familiale, l’âge, l’état de santé, l’invalidité, le patrimoine génétique, l’identité de genre, les propos tenus ou l’orientation sexuelle.
2) Au sens de la présente loi, on entend par discrimination le fait de mettre une personne ou ses proches dans une situation désavantageuse sur l’un des fondements énumérés au paragraphe 1 du présent article.
(…) »
Article 8
« La présente loi s’applique à l’ensemble des organes de l’État, (…) des personnes morales et des personnes physiques (…) »
Article 16 § 1
« Quiconque s’estime, en raison d’une discrimination, lésé dans l’un de ses droits peut demander la protection de ce droit par le biais d’une action dans le cadre de laquelle la détermination de ce droit sera la question principale, et peut également demander une protection dans le cadre d’une instance distincte régie par l’article 17 de la présente loi. »
Article 17
« 1. Quiconque se dit victime d’une discrimination au sens des dispositions de la présente loi peut demander en justice :
1) une décision constatant que le défendeur a violé le droit du demandeur à un traitement égal ou qu’un acte ou une omission du défendeur risque de conduire à la violation de ce même droit (demande de constat de discrimination) ;
2) une décision interdisant au défendeur de commettre tout acte violant ou risquant de violer le droit du demandeur à l’égalité de traitement ou l’adoption de mesures visant à mettre fin à la discrimination ou à ses conséquences (demande d’interdiction ou de cessation d’une discrimination) ;
3) la réparation du dommage matériel ou moral causé par la violation des droits protégés par la présente loi (demande de réparation) ;
4) un jugement constatant une violation du droit à l’égalité de traitement, à publier dans les médias aux frais du défendeur. »
27. En 2009, l’office croate des droits de l’homme (Ured za ljudska prava Vlade Republike Hrvatske) publia un manuel sur la mise en œuvre de la loi de prévention des discriminations (Vodič uz Zakon o suzbijanju diskriminacije, « le manuel »). Ce manuel explique notamment que l’article 16 de la loi de prévention des discriminations offre au justiciable deux voies de recours. En vertu de cette disposition, une personne qui se dit victime d’une discrimination peut engager une action portant sur l’objet principal du litige, ou opter pour une procédure civile distincte régie par l’article 17 de cette loi.
6. La loi sur les litiges administratifs
28. La disposition pertinente de la loi sur les litiges administratifs (Zakon o upravnim sporovima, Journal officiel nos 20/2010, 143/2012 et 152/2014) est ainsi libellée :
Article 76
« 1. Une procédure close par un jugement sera rouverte à la demande d’une partie :
1) si, dans un arrêt définitif, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de droits et libertés fondamentaux et s’est ce faisant écartée du jugement rendu par le [tribunal administratif],
(…) »
B. La pratique pertinente
1. La pratique pertinente relative aux discriminations
29. Le 9 novembre 2010, dans l’affaire no U-III-1097/2009, la Cour constitutionnelle croate, appelée à statuer sur une allégation selon laquelle une décision du Parlement établissait une discrimination fondée sur l’affiliation politique d’un député, a prononcé l’irrecevabilité du recours pour non-épuisement des voies de recours. Elle a conclu que l’appelant n’avait exercé ni les voies de recours administratives disponibles ni les voies de droit offertes par la loi de prévention des discriminations. Elle a toutefois refusé de déterminer quel était le lien entre les diverses voies de recours possibles dans une affaire soulevant des allégations de discrimination, considérant qu’il appartenait en premier lieu aux tribunaux compétents de trancher cette question.
30. Dans ses décisions no U-III-815/2013 du 8 mai 2014 concernant des allégations de discrimination en matière d’octroi de prestations sociales et no U-III-1680/2014 du 2 juillet 2014 portant sur des allégations de discrimination dans le domaine de l’emploi, la Cour constitutionnelle a confirmé sa jurisprudence s’agissant de l’existence de voies de recours dans le cadre de la loi de prévention des discriminations.
31. Le Gouvernement fait référence aux arrêts de la Cour suprême nos Gž‑41/11-2 et Gž-25/11-2 du 28 février 2012 et no Gž-38/11-2 du 7 mars 2012 par lesquels la Cour suprême a fait droit à des actions pour discrimination fondée sur l’orientation sexuelle qui avaient été engagées sur le terrain de la loi de prévention des discriminations.
2. La pratique pertinente relative à l’application de la législation fiscale
32. Le Gouvernement cite également la jurisprudence du tribunal administratif (Upravni sud Republike Hrvatske) et de la cour administrative d’appel concernant des affaires dans lesquelles ces deux juridictions ont rejeté des actions par lesquelles les appelants contestaient le refus de leur accorder une exonération des droits de mutation immobiliers au motif qu’ils n’avaient pas satisfait à l’ensemble des conditions énoncées à l’article 11 § 9.5 et 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers (arrêts rendus dans les affaires no Us-4028/2009-4 du 1er juin 2011, no Us‑14106/2009-4 du 16 mai 2012 et no Us‑3042/2011-4 du 19 septembre 2013, et arrêt de la cour administrative d’appel no Usž-269/2012-4 du 23 janvier 2013, par lequel cette juridiction a confirmé une décision relative à l’exonération des droits au regard de l’article 11 § 9.3, 11 § 9.5 et 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers).
33. Dans chacune de ces affaires, les autorités administratives ont procédé à une étude approfondie de biens de valeur comparable afin de déterminer si l’appelant avait un bien immobilier d’une valeur importante au sens de l’article 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers.
III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Les Nations unies
1. La Convention relative aux droits des personnes handicapées
34. Les parties pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), A/RES/61/106, du 24 janvier 2007, ratifiée par la Croatie le 15 août 2007, sont ainsi libellées :
Article 2
Définitions
« Aux fins de la présente Convention :
(…)
On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ;
(…) »
Article 3
Principes généraux
« Les principes de la présente Convention sont :
(…)
b) La non-discrimination ;
(…)
f) L’accessibilité ;
(…) »
Article 4
Obligations générales
« 1. Les États Parties s’engagent à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. À cette fin, ils s’engagent à :
a) Adopter toutes mesures appropriées d’ordre législatif, administratif ou autre pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention ;
b) Prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées ;
c) Prendre en compte la protection et la promotion des droits de l’homme des personnes handicapées dans toutes les politiques et dans tous les programmes ;
d) S’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible avec la présente Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics et les institutions agissent conformément à la présente Convention ;
e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée ;
(…)
2. Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, chaque État Partie s’engage à agir, au maximum des ressources dont il dispose et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale, en vue d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, sans préjudice des obligations énoncées dans la présente Convention qui sont d’application immédiate en vertu du droit international.
(…) »
Article 5
Égalité et non-discrimination
« 1. Les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi.
2. Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.
3. Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés.
4. Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention. »
Article 7
Enfants handicapés
« 1. Les États Parties prennent toutes mesures nécessaires pour garantir aux enfants handicapés la pleine jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, sur la base de l’égalité avec les autres enfants.
2. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants handicapés, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
(…) »
Article 9
Accessibilité
« 1. Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. Ces mesures, parmi lesquelles figurent l’identification et l’élimination des obstacles et barrières à l’accessibilité, s’appliquent, entre autres :
a) Aux bâtiments, à la voirie, aux transports et autres équipements intérieurs ou extérieurs, y compris les écoles, les logements, les installations médicales et les lieux de travail ;
b) Aux services d’information, de communication et autres services, y compris les services électroniques et les services d’urgence.
(…) »
Article 19
Autonomie de vie et inclusion dans la société
« Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :
a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ;
b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ;
(…) »
Article 20
Mobilité personnelle
« Les États Parties prennent des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible, y compris en :
a) Facilitant la mobilité personnelle des personnes handicapées selon les modalités et au moment que celles-ci choisissent, et à un coût abordable ;
b) Facilitant l’accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d’assistance, formes d’aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité, notamment en faisant en sorte que leur coût soit abordable ;
(…) »
Article 28
Niveau de vie adéquat et protection sociale
« 1. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquats, et à une amélioration constante de leurs conditions de vie et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap.
(…) »
2. La pratique du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies
35. Dans son Observation générale no 2 (2014) sur l’article 9 : Accessibilité, CRPD/C/GC/2, du 22 mai 2014, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies notait :
« 1. L’accessibilité est primordiale pour que les personnes handicapées puissent vivre de façon indépendante et participer pleinement à la vie sociale dans des conditions d’égalité. Si elles n’ont pas accès au milieu physique, aux transports, à l’information et aux moyens de communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, les personnes handicapées ne bénéficient pas des mêmes possibilités de participer à leurs sociétés respectives.
(…)
29. Il est utile d’incorporer dans la législation des normes relatives à l’accessibilité qui définissent les différents domaines qui doivent être accessibles, par exemple l’environnement physique dans les lois relatives à la construction et à la planification, les transports dans les lois relatives aux transports publics aériens, ferroviaires, routiers et fluviaux et maritimes, et l’information et la communication ainsi que les services offerts au public dans les lois y relatives. Toutefois, la question de l’accessibilité devrait aussi être traitée dans les lois générales ou spécifiques sur l’égalité des chances, l’égalité et la participation dans le contexte de l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap. Le déni d’accès devrait être clairement défini comme un acte de discrimination illégal. Les personnes handicapées qui se sont vu refuser l’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication et aux services offerts au public devraient disposer de voies de recours juridiques efficaces. Lorsqu’ils définissent les normes relatives à l’accessibilité, les États parties doivent tenir compte de la diversité des personnes handicapées et faire en sorte que l’accessibilité soit garantie à toutes ces personnes, quels que soient leur sexe, leur âge et leur type de handicap. Pour tenir compte de la diversité des personnes handicapées au regard de l’accessibilité, il faut notamment reconnaître que certaines ont besoin d’une aide humaine ou animalière pour bénéficier pleinement de l’accessibilité (par exemple une assistance personnelle, une interprétation en langue des signes, une interprétation en langue tactile ou des chiens guides d’aveugles). Il faut stipuler, par exemple, qu’interdire l’entrée des chiens guides d’aveugles dans un bâtiment ou espace ouvert particulier constituerait un acte illégal de discrimination fondée sur le handicap. »
3. La pratique du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies
36. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies notait dans son Observation générale no 5 : Personnes souffrant d’un handicap, E/1995/22, du 9 décembre 1994 :
« III. Obligation d’éliminer la discrimination pour raison d’invalidité
15. Aussi bien de jure que de facto, les personnes souffrant d’un handicap font depuis toujours l’objet d’une discrimination qui se manifeste sous diverses formes – qu’il s’agisse des tentatives de discrimination odieuse, telles que le déni aux enfants souffrant de handicap de la possibilité de suivre un enseignement, ou des formes plus subtiles de discrimination que constituent la ségrégation et l’isolement imposés matériellement ou socialement. Aux fins du Pacte, la « discrimination fondée sur l’invalidité » s’entend de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence motivée par une invalidité, ou la privation d’aménagements adéquats ayant pour effet de réduire à néant ou de restreindre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits économiques, sociaux ou culturels. Ce sont aussi bien la négligence, l’ignorance, les préjugés et les idées fausses que l’exclusion, la différenciation ou la ségrégation pures et simples, qui bien souvent empêchent les personnes souffrant d’un handicap de jouir de leurs droits économiques, sociaux ou culturels sur un pied d’égalité avec le reste des êtres humains. C’est dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement, des transports, de la vie culturelle et en ce qui concerne l’accessibilité des lieux et services publics que les effets de cette discrimination se font particulièrement sentir. »
37. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a réaffirmé son Observation générale no 5 dans son Observation générale no 20 : La non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, E/C.12/GC/20, du 2 juillet 2009, dans les termes suivants :
« B. Toute autre situation
27. La discrimination varie selon les contextes et les époques. La catégorie « toute autre situation » doit donc être appréhendée de façon souple afin de rendre compte d’autres formes de traitement différencié qui n’ont pas de justification raisonnable et objective et sont comparables aux motifs que le paragraphe 2 de l’article 2 cite expressément. Ces motifs supplémentaires sont généralement connus lorsqu’ils reflètent l’expérience de groupes sociaux vulnérables qui ont été marginalisés ou continuent de subir une marginalisation. (…)
Le handicap
28. Dans son Observation générale no 5, le Comité a défini la discrimination à l’égard des personnes handicapées comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence motivée par une invalidité ou la privation d’aménagements adéquats ayant pour effet de réduire à néant ou de restreindre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits économiques, sociaux ou culturels ». La privation d’aménagements raisonnables devrait être insérée dans la législation nationale en tant que forme interdite de discrimination fondée sur le handicap. Les États parties doivent remédier à la discrimination qui se manifeste par exemple par des interdictions de l’exercice du droit à l’éducation, ou par l’absence d’aménagements raisonnables dans les lieux publics tels que les établissements publics de santé et sur le lieu de travail ainsi que dans les lieux privés ; en effet, si la conception et l’aménagement du lieu de travail ne permettent pas l’accès des personnes en fauteuil roulant, celles-ci ne peuvent exercer dans les faits leur droit au travail. »
B. Le Conseil de l’Europe
1. La Recommandation Rec(2006)5 du Comité des Ministres
38. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la Recommandation Rec(2006)5 du Comité des Ministres aux États membres sur le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société : améliorer la qualité de vie des personnes handicapées en Europe 2006-2015, du 5 avril 2006, est ainsi libellée :
« 1.2. Principes fondamentaux et objectifs stratégiques
1.2.1. Principes fondamentaux
Les États membres continueront d’œuvrer dans le cadre des droits de l’homme et de la lutte contre la discrimination afin d’accroître l’autonomie, la liberté de choix et la qualité de vie des personnes handicapées, et de provoquer une prise de conscience du handicap comme faisant partie de la diversité humaine.
Le Plan tient dûment compte des instruments, traités et programmes européens et internationaux pertinents, et notamment des travaux en cours sur le projet de convention internationale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées.
(…)
1.3. Lignes d’action clés
(…)
Les personnes handicapées devraient pouvoir vivre de manière aussi indépendante que possible, et notamment choisir leurs lieu et mode de résidence. La vie autonome et l’intégration sociale ne sont possibles que si la personne vit au sein de la société. Pour faciliter la vie dans la société (no 8), il faut mettre en place des politiques stratégiques favorisant le passage d’une prise en charge en établissement à des structures de vie au sein de la société allant de logements indépendants à des unités d’habitation protégées, dans des établissements de petite taille où la personne puisse trouver un soutien. Cela suppose également une approche coordonnée visant à mettre en place des services de proximité axés sur l’usager et des structures de soutien centrées sur la personne.
(…)
2.7. Principes fondamentaux
Les principes fondamentaux régissant le présent Plan d’action sont les suivants :
– non-discrimination ;
– égalité des chances ;
– pleine participation à la société de toutes les personnes handicapées;
(…)
4.3. Personnes handicapées ayant des besoins d’assistance élevés
(…)
4.4. Enfants et jeunes handicapés
Les autorités responsables doivent évaluer soigneusement les besoins des enfants handicapés et de leurs familles afin de leur proposer des mesures d’assistance permettant aux enfants de grandir au sein de leur famille, de s’intégrer dans la société et de partager la vie et les activités des autres enfants. Les enfants handicapés doivent recevoir une éducation qui enrichisse leur vie et leur permette d’exprimer au maximum leur potentiel.
Grâce à des services de qualité et à des structures d’assistance aux familles, ces enfants peuvent avoir une enfance riche et épanouie et acquérir les bases nécessaires à une vie d’adulte autonome et active dans la société. Il est donc important que les décideurs prennent en compte les besoins des enfants handicapés et de leurs familles lorsqu’ils conçoivent les politiques relatives aux personnes handicapées et les politiques générales concernant les enfants et les familles. »
2. La Résolution de l’Assemblée parlementaire 1642 (2009) sur l’accès aux droits des personnes handicapées, et la pleine et active participation de celles-ci dans la société, réaffirmée par la Recommandation 1854 (2009) de l’Assemblée parlementaire du 26 janvier 2009
39. La Résolution de l’Assemblée parlementaire 1642 (2009) sur l’accès aux droits des personnes handicapées, et la pleine et active participation de celles-ci dans la société se lit ainsi dans ses parties pertinentes :
« 8. L’Assemblée estime que, pour permettre la participation active des personnes handicapées à la société, il est impératif de respecter leur droit de vivre au sein de la collectivité. Elle invite les États membres :
(…)
8.2. à proposer une assistance adaptée et durable, essentiellement en moyens humains et matériels (en particulier financiers), aux familles qui s’occupent d’un proche handicapé à domicile ;
(…)
12. Pour l’Assemblée, créer une société pour tous implique un accès égal de tous les citoyens à l’environnement dans lequel ils vivent (…) »
C. L’Union européenne
40. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000/C 364/01) sont les suivantes :
Article 21
Non-discrimination
« 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.
2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. »
Article 26
Intégration des personnes handicapées
« L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté. »
41. Le 17 juillet 2008, dans l’affaire no C-303/06 (EU :C :2008 :415), S. Coleman contre Attridge Law et Steve Law, la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est posé la question de savoir si la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail devait être interprétée en ce sens que l’interdiction de discrimination directe fondée sur le handicap se limite aux employés qui sont eux-mêmes handicapés ou si le principe de l’égalité de traitement et de l’interdiction de la discrimination directe s’applique aussi à un employé qui n’est pas lui-même handicapé mais qui est traité de manière moins favorable du fait du handicap de son enfant, auquel il dispense l’essentiel des soins dont celui-ci a besoin compte tenu de son état de santé. À cet égard, la CJUE a conclu :
« 56. (…) la directive 2000/78 et, notamment, ses articles 1er et 2, paragraphes 1 et 2, sous a), doivent être interprétés en ce sens que l’interdiction de discrimination directe qu’ils prévoient n’est pas limitée aux seules personnes qui sont elles-mêmes handicapées. Lorsqu’un employeur traite un employé n’ayant pas lui-même un handicap de manière moins favorable qu’un autre employé ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable et qu’il est prouvé que le traitement défavorable dont cet employé est victime est fondé sur le handicap de son enfant, auquel il dispense l’essentiel des soins dont celui-ci a besoin, un tel traitement est contraire à l’interdiction de discrimination directe énoncée audit article 2, paragraphe 2, sous a). »
42. Le 16 juillet 2015, dans l’affaire no C-83/14 (EU :C :2015 :480), CHEZ Razpredelenie Bulgaria AD, la Grande Chambre de la CJUE s’est posé la question de la discrimination indirecte fondée sur l’origine ethnique concernant l’interprétation de la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et elle s’est en particulier demandé si le principe de l’égalité de traitement ne devait bénéficier qu’aux personnes qui se caractérisent effectivement par l’origine raciale ou ethnique concernée ou s’il devait aussi bénéficier aux personnes qui ne se caractérisent pas par l’originale raciale ou ethnique en question mais n’en subissent pas moins un traitement moins favorable pour ces motifs. La partie pertinente de l’arrêt se lit ainsi :
« 56. (…) la jurisprudence de la Cour, déjà rappelée au point 42 du présent arrêt, en vertu de laquelle le champ d’application de la directive 2000/43 ne peut, eu égard à son objet et à la nature des droits qu’elle vise à protéger, être défini de manière restrictive, est, en l’occurrence, de nature à justifier l’interprétation selon laquelle le principe de l’égalité de traitement auquel se réfère ladite directive s’applique non pas à une catégorie de personnes déterminée, mais en fonction des motifs visés à l’article 1er de celle-ci, si bien qu’il a vocation à bénéficier également aux personnes qui, bien que n’appartenant pas elles-mêmes à la race ou à l’ethnie concernée, subissent néanmoins un traitement moins favorable ou un désavantage particulier pour l’un de ces motifs (voir, par analogie, arrêt Coleman, C‑303/06, EU:C:2008:415, points 38 et 50). »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 PRIS ISOLÉMENT ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
43. Le requérant se plaint d’une application injuste et discriminatoire de la législation fiscale nationale. Il invoque l’article 14 de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1, qui sont ainsi libellés :
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
44. Le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas soulevé l’allégation de discrimination devant les autorités administratives qui ont statué sur sa demande d’exonération des droits de mutation immobiliers. Il avance en particulier que le requérant n’a ni invoqué les dispositions de la loi de prévention des discriminations dans son recours contre la décision de première instance, ni soulevé la question dans le cadre de son action devant la cour administrative d’appel. Il estime que le requérant aurait pu engager une action civile en réparation distincte en vertu de la loi de prévention des discriminations mais qu’il ne s’est pas prévalu de cette possibilité. Il considère donc que l’intéressé n’a pas exercé les voies de recours internes, selon lui effectives, concernant ses allégations de discrimination. Il concède que la Cour constitutionnelle n’a pas fondé sa décision d’irrecevabilité sur un non-épuisement des voies de recours, mais il soutient, sans s’en expliquer davantage, que la disposition relative à l’épuisement des voies de recours figurant dans la loi sur la Cour constitutionnelle avait un champ d’application et un sens différents de ceux de la disposition correspondante dans la Convention. Il ajoute que dans son recours constitutionnel le requérant n’a pas cité la disposition exacte de la Constitution qui garantissait le droit de propriété.
45. Le requérant soutient qu’il a dûment épuisé les voies de recours disponibles devant les autorités administratives et la Cour constitutionnelle. Il considère en particulier que les griefs qu’il a soulevés au niveau interne concernant la discrimination découlant d’une application, à ses dires injuste, de la législation fiscale n’étaient pas différents au point d’exiger un examen de la discrimination alléguée distinct de celui du grief relatif aux droits patrimoniaux. Il ajoute qu’en épuisant ainsi dûment les voies de recours administratives, il n’était pas tenu de former, dans le même but, un autre recours sur le terrain de la loi de prévention des discriminations. En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, en présence de plusieurs voies de recours potentiellement effectives, un requérant n’est tenu de n’en exercer qu’une seule. Le requérant soutient que, quoi qu’il en soit, la Cour constitutionnelle n’a pas fondé sa décision d’irrecevabilité sur un non‑épuisement des voies de recours, ce qui indique, d’après lui, qu’il a dûment épuisé les voies de recours disponibles devant les autorités administratives. De plus, il aurait correctement formulé ses griefs devant la Cour constitutionnelle et se serait plaint en substance d’une atteinte discriminatoire à ses droits patrimoniaux liée à une application, à ses yeux injuste, de la législation fiscale.
2. Appréciation de la Cour
46. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci. L’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 70-71, 25 mars 2014, et Gherghina c. Roumanie (déc.) [GC], no 42219/07, § 85, 9 juillet 2015).
47. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg ; il commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention (Vučković et autres, précité, § 72).
48. Cependant, si une personne a plusieurs recours internes à sa disposition, elle est en droit d’en choisir un susceptible d’aboutir au redressement de son principal grief. En d’autres termes, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 34, 29 avril 1999, Moreira Barbosa c. Portugal (déc.), no 65681/01, CEDH 2004‑V, Jeličić c. Bosnie-Herzégovine (déc.), no 41183/02, CEDH 2005‑XII, et Jasinskis c. Lettonie, no 45744/08, § 50, 21 décembre 2010).
49. La Cour note d’emblée qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que la loi de prévention des discriminations offre deux voies de recours au justiciable qui cherche une protection contre la discrimination. En particulier, un justiciable peut soulever son grief de discrimination dans le cadre d’une procédure visant à faire statuer sur l’objet principal du litige ou opter pour une procédure civile distincte, comme le prévoit l’article 17 de cette loi (paragraphes 26-27 ci-dessus).
50. En l’espèce, le requérant a soutenu pendant la procédure administrative que les autorités fiscales compétentes n’avaient pas réservé à sa situation un traitement différent lorsqu’elles avaient statué sur sa demande d’exonération des droits de mutation immobiliers, qu’il motivait par ses besoins de logement résultant du handicap de son enfant et les besoins de sa famille. Cependant, la cour administrative d’appel a jugé que ces arguments étaient dénués de pertinence et elle a refusé de se prononcer en faveur du requérant (paragraphes 15-16 ci-dessus). La Cour estime que le requérant a ainsi soulevé en substance un grief de discrimination relatif à ses droits patrimoniaux dans le cadre de cette procédure administrative (comparer avec Glor c. Suisse, no 13444/04, § 55, CEDH 2009). Dès lors, pour satisfaire aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention, il n’était pas tenu d’exercer dans un but pratiquement identique une autre voie de recours prévue par la loi de prévention des discriminations (paragraphe 48 ci‑dessus).
51. En tout état de cause, la Cour note que la Cour constitutionnelle n’a pas fondé l’irrecevabilité du recours constitutionnel du requérant sur un non-épuisement des voies de recours, contrairement à ce qu’elle avait fait dans d’autres affaires de discrimination dans lesquelles les appelants n’avaient pas dûment épuisé les voies de recours disponibles devant les instances nationales inférieures (paragraphes 29-30 ci-dessus). Partant, la Cour n’a aucune raison de douter que le requérant a dûment fait usage des voies de recours ouvertes devant les autorités administratives et judiciaires (Vladimir Romanov c. Russie, no 41461/02, § 52, 24 juillet 2008, Bjedov c. Croatie, no 42150/09, § 48, 29 mai 2012, et Zrilić c. Croatie, no 46726/11, § 49, 3 octobre2013).
52. S’agissant de l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant, dans son recours constitutionnel, n’a pas cité la disposition exacte de la Constitution garantissant le droit à la propriété, la Cour note que l’intéressé a expressément invoqué l’article 14 de la Constitution, qui consacre la protection contre la discrimination, et qu’il s’est plaint d’une discrimination résultant d’une application selon lui injuste de la législation fiscale pertinente (paragraphe 17 ci-dessus). En soulevant explicitement son grief de discrimination, lequel était en substance lié à ses droits patrimoniaux, le requérant a donné à la Cour constitutionnelle l’occasion que l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir redresser les violations alléguées contre eux (voir, parmi beaucoup d’autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 144-146, CEDH 2010, Lelas c. Croatie, no 55555/08, § 51, 20 mai 2010, Karapanagiotou et autres c. Grèce, no 1571/08, § 29, 28 octobre 2010, Bjedov, précité, § 48, Tarbuk c. Croatie, no 31360/10, § 32, 11 décembre 2012, et Jaćimović c. Croatie, no 22688/09, §§ 40-41, 31 octobre 2013).
53. La Cour rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement. Constatant également que les griefs du requérant ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle les déclare recevables.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
54. Le requérant soutient que, pour établir son obligation d’acquitter les droits de mutation en question, les autorités nationales se sont appuyées sur une disposition selon lui imprécise et imprévisible, sans évaluer dûment les circonstances particulières de la cause. Il ajoute qu’elles n’ont pas examiné la proportionnalité de l’atteinte à ses droits patrimoniaux. Il estime donc que le refus de l’exonérer des droits de mutation immobiliers a fait peser sur lui une charge individuelle exorbitante et contraire à l’article 1 du Protocole no 1. S’il admet que les autorités croates disposent d’une ample marge d’appréciation en matière fiscale, il avance que, selon la jurisprudence constante de la Cour, elles ne peuvent exercer ce pouvoir discrétionnaire d’une manière incompatible avec l’article 14 de la Convention.
55. Le requérant indique que les autorités nationales ont donné de l’article 11 § 9.5 de la loi sur les droits de mutation immobiliers une interprétation selon laquelle l’appartement dont il avait été propriétaire répondait aux besoins de logement de sa famille compte tenu de sa superficie (article 11 § 9.3 de la loi sur les droits de mutation immobiliers) et des autres infrastructures de base et que l’exonération des droits de mutation lui a donc été refusée. D’autres critères, comme la valeur du bien dont il avait été propriétaire (article 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers), n’ont selon lui eu aucune incidence sur l’appréciation effectuée par les autorités nationales dans son cas. Le requérant en déduit que dans les affaires comparables à la sienne, pour pouvoir décider d’exonérer ou non des droits de mutation immobiliers l’acquéreur d’un nouveau bien propre à l’habitation, il fallait, selon la loi applicable, déterminer principalement si le bien que l’intéressé possédait antérieurement était adapté. Cependant, d’après lui, les autorités croates n’ont pas dûment apprécié les circonstances de sa cause et elles l’ont donc à l’évidence privé des moyens procéduraux adéquats pour la protection de ses droits.
56. Le requérant n’aurait pas sollicité de statut préférentiel et il se serait contenté de demander aux autorités de l’exonérer des droits de mutation étant donné les circonstances particulières de son cas. Il n’aurait évidemment pas sollicité cette exonération aux fins d’un enrichissement sans cause. En effet, il aurait vendu son ancien appartement dans le but d’acquérir un bien moins spacieux adapté aux besoins de sa famille, lesquels auraient été déterminés par le handicap de son fils.
57. En outre, l’accessibilité, caractéristique essentielle d’un logement aux yeux du requérant, constituerait une infrastructure de base à fournir de manière égale à tous. Ainsi, toute différence de traitement à cet égard s’assimilerait à une discrimination. De plus, à la lumière du principe de l’aménagement raisonnable, les décisions des autorités croates, lesquelles n’auraient pas adapté les définitions qu’elles utilisaient au regard des besoins particuliers des personnes handicapées, tendraient à indiquer une discrimination indirecte ou une discrimination résultant d’un défaut de traitement différencié de personnes se trouvant dans une situation significativement différente.
58. En l’espèce, la discrimination aurait été fondée sur un handicap par association au regard des besoins du fils du requérant, dont les autorités nationales compétentes n’auraient pas tenu compte. En particulier, les autorités auraient apprécié les infrastructures de base requises dans un logement approprié en se fondant sur les besoins de personnes valides, et en ignorant le fait que pour une personne handicapée la présence d’un ascenseur était fondamentale et indispensable pour répondre à l’impératif d’un logement accessible facilement et sans obstacle. Les autorités lui auraient donc fait subir une discrimination en ne donnant pas à l’expression « bien répondant aux besoins de logement d’une famille » une interprétation tenant compte de l’accessibilité du bien en question. Ce traitement discriminatoire n’aurait reposé sur aucune justification raisonnable, surtout dès lors que, d’après le requérant, le défaut d’accessibilité avait empêché son fils de quitter l’appartement et ainsi restreint tous ses autres droits, comme le droit à un traitement médical adéquat, à l’éducation et à l’épanouissement personnel. Cette situation aurait par ricochet affecté toute la famille, la contraignant à faire face au problème d’accessibilité et aussi à supporter une charge financière importante du fait du handicap de l’enfant.
b) Le Gouvernement
59. Le Gouvernement admet qu’il y a eu atteinte aux droits patrimoniaux du requérant, mais il considère que cette atteinte était légale, qu’elle poursuivait le but légitime de ménager les finances publiques et qu’elle était proportionnée. Plus précisément, il affirme que l’État dispose d’une ample marge d’appréciation en matière fiscale et que les autorités nationales sont les mieux placées pour effectuer une appréciation au cas par cas. Il estime qu’en l’espèce les autorités nationales ont suffisamment pris en compte la situation personnelle du requérant mais qu’elles ont considéré que celui-ci ne pouvait être exonéré des droits de mutation, car il n’avait pas satisfait aux obligations énoncées dans la législation nationale applicable.
60. En particulier, le Gouvernement expose que l’article 11 de la loi sur les droits de mutation immobiliers disposait clairement que l’exonération des droits de mutation ne serait accordée que si toutes les conditions énoncées dans ladite disposition étaient remplies. Il considère que dans le cas du requérant deux conditions n’ont pas été réunies. Premièrement, il indique que l’appartement dont le requérant était propriétaire au moment où il a fait l’acquisition de la maison satisfaisait objectivement, selon les autorités, aux critères d’un logement adéquat pour le requérant et sa famille. Il ajoute que cet appartement était doté des infrastructures de base et des aménagements techniques et d’hygiène requis, et que les autorités fiscales n’avaient aucune latitude pour apprécier l’expression « besoins de logement ». De l’avis du Gouvernement, les autorités fiscales n’étaient ni à même d’évaluer objectivement les besoins de logement spécifiques des personnes demandant une exonération ni compétentes pour le faire. Deuxièmement, le Gouvernement avance que le requérant ne remplissait pas la condition relative à la valeur du bien dès lors qu’il avait été, selon les autorités, propriétaire d’un appartement d’une valeur importante. L’absence d’ascenseur dans le bâtiment ne serait donc pas pertinente. La législation nationale applicable aurait en réalité eu pour but de consentir des exonérations destinées à aider les particuliers faisant l’acquisition de leur premier bien immobilier, et notamment ceux ne possédant pas de bien d’une valeur importante. Dans le cas d’espèce, les autorités croates n’auraient pas outrepassé leur marge d’appréciation et elles auraient estimé que le requérant n’avait pas besoin de pareille aide financière, ce qui les aurait conduites à rejeter sa demande d’exonération. Par conséquent, le requérant n’aurait pas eu à supporter de charge individuelle exorbitante.
61. Par ailleurs, le requérant n’aurait pas subi de traitement discriminatoire lié au handicap de son enfant, sa demande d’exonération ayant été rejetée en raison de sa situation financière. L’État ayant cherché à protéger les personnes financièrement défavorisées, ce refus aurait reposé sur une justification objective et raisonnable. Le requérant n’aurait pas appartenu à cette catégorie de personnes dans la mesure où il aurait été propriétaire d’un appartement satisfaisant.
62. De plus, en qualité de partie à la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), l’État croate aurait mis en œuvre un certain nombre de mesures positives visant à assurer l’accessibilité des bâtiments aux handicapés, et près de 70 % des bâtiments publics à Zagreb auraient été adaptés à cette fin. En outre, à l’occasion d’une visite récente en Croatie, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des handicapés aurait salué les efforts déployés par l’État dans ce sens. En ce qui concerne en particulier les exonérations des droits de mutation prévues par la loi sur les droits de mutation immobiliers, l’État, faute de pouvoir répondre aux besoins de toutes les catégories vulnérables, aurait principalement destiné ces mesures positives aux personnes financièrement défavorisées. Cependant, il aurait aussi instauré en faveur des personnes handicapées divers avantages fiscaux, axés notamment sur les revenus et les services de santé. De plus, dans le cadre de la mise en conformité de ses activités avec les normes internationales applicables, l’État aurait adopté une stratégie nationale (2007-2015) pour l’égalité des chances à l’intention des personnes handicapées et il se serait activement employé à introduire diverses mesures aux niveaux national et local pour répondre aux besoins de cette catégorie de personnes.
c) Les tiers intervenants
63. Les tiers intervenants soutiennent que, dans son appréciation du respect par l’État de ses obligations conventionnelles à l’endroit des personnes handicapées, la Cour devrait prendre en considération les normes pertinentes édictées par la CDPH concernant en particulier les notions d’accessibilité, de non-discrimination et d’aménagement raisonnable. Ils estiment qu’il existe un lien étroit entre accessibilité et aménagement raisonnable, ces deux éléments ayant selon eux vocation à assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice effectifs de leurs droits sur un pied d’égalité avec les autres. Ils indiquent que des différences existent toutefois entre ces deux notions, car à leurs yeux l’accessibilité générale devrait être assurée en anticipation des besoins d’accessibilité de la population handicapée tandis que l’aménagement raisonnable inclurait des mesures spécifiquement destinées à une personne handicapée donnée et devant être mises en œuvre immédiatement.
64. D’après les tiers intervenants, le droit international des droits de l’homme exige désormais d’interdire la discrimination par association, laquelle concernerait des cas de discrimination à l’égard d’un individu qui serait fondée non pas sur des caractéristiques propres audit individu mais sur les relations que celui-ci entretient avec une autre personne qui présente les caractéristiques en cause. Ce principe serait bien établi dans plusieurs pays d’Europe et également défini dans la loi de prévention des discriminations adoptée par la Croatie. En outre, les mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme appelleraient de plus en plus les États à prendre des mesures positives visant à rendre les logements accessibles aux personnes présentant un handicap. Les États membres de l’Union européenne, en particulier, auraient commencé à introduire les mesures pertinentes, qui engloberaient également des allégements ou des exonérations d’impôts et de taxes.
65. Les personnes handicapées devraient être en mesure d’exercer leurs droits sans discrimination. Qui plus est, vivre dans des logements difficiles d’accès entraverait la participation à la vie locale et conduirait à l’isolement ainsi qu’à la ségrégation des personnes handicapées et de toute leur famille. En particulier, le défaut d’aménagement raisonnable reviendrait à une discrimination fondée sur le handicap.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
66. La Cour note que le requérant se plaint pour l’essentiel d’une application discriminatoire de la législation fiscale pertinente. Il y voit une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1. La Cour examinera donc son grief sous cet angle en se fondant sur les principes applicables découlant de sa jurisprudence relative à l’article 14 de la Convention.
67. La Cour l’a toujours dit, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses. L’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 dépasse donc la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque État de garantir. Elle s’applique aussi aux droits additionnels, pour autant qu’ils relèvent du champ d’application général de l’un des articles de la Convention, que l’État a volontairement décidé de protéger (voir, parmi beaucoup d’autres, E.B. c. France [GC], no43546/02, §§ 47-48, 22 janvier 2008, et Carson et autres c. Royaume-Uni [GC], no 42184/05, § 63, CEDH 2010).
68. La Cour a établi dans sa jurisprudence que seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable, ou « situation », sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire au regard de l’article 14 (Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, § 86, CEDH 2013).
69. De manière générale, pour qu’un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables (X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 98, CEDH 2013). Toute différence de traitement n’emporte toutefois pas automatiquement violation de l’article 14. Une différence de traitement est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’existe pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 56, CEDH 2013, Weller c. Hongrie, no 44399/05, § 27, 31 mars 2009, et Topčić-Rosenbergc. Croatie, no 19391/11, § 36, 14 novembre 2013).
70. En outre, l’article 14 de la Convention n’interdit pas aux Parties contractantes de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles » entre eux. De fait, le droit de jouir des droits garantis par la Convention sans être soumis à discrimination est également transgressé lorsque, sans justification objective et raisonnable, les États n’appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les situations sont sensiblement différentes (Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000‑IV, Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 51, CEDH 2006‑VI, et Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 44, CEDH 2009).
71. La Cour a également admis que peut être considérée comme discriminatoire une politique ou une mesure générale qui a des effets préjudiciables disproportionnés sur une catégorie de personnes, même si elle ne vise pas spécifiquement cette catégorie, et qu’une discrimination potentiellement contraire à la Convention peut résulter d’une situation de fait (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007‑IV, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 388, CEDH 2012). Il n’en va toutefois ainsi que si cette politique ou cette mesure manquent de justification « objective et raisonnable », c’est‑à‑dire si elles ne poursuivent pas un « but légitime » ou s’il n’existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité » entre les moyens employés et le but visé (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 161, CEDH 2014).
72. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. L’étendue de cette marge varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. Il en va de même de la nécessité de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles » entre eux (Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 88, CEDH 2011).
73. D’une part, une ample latitude est d’ordinaire laissée à l’État lorsqu’il s’agit, par exemple, de prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale (Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 109, CEDH 2014). Cette latitude vaut également pour les mesures prises dans le domaine de la fiscalité. Cependant, ces mesures doivent être mises en œuvre d’une manière non discriminatoire et satisfaire à l’exigence de la proportionnalité (R.Sz. c. Hongrie, no 41838/11, § 54, 2 juillet 2013). D’autre part, lorsqu’une restriction des droits fondamentaux s’applique à une catégorie de population particulièrement vulnérable qui a dans le passé subi d’importantes discriminations, la marge d’appréciation dont l’État dispose se trouve alors nettement réduite et seules des considérations très fortes doivent amener celui-ci à appliquer la restriction en question. Ce raisonnement, qui remet en question certaines classifications en tant que telles, se justifie par le fait que ces catégories ont fait l’objet par le passé de traitements défavorables aux conséquences durables, qui ont abouti à leur exclusion de la société. De tels traitements peuvent être dus à une législation appliquée à tous les individus de manière stéréotypée sans possibilité d’évaluer de façon individualisée leurs capacités et leurs besoins. La Cour a déjà identifié un certain nombre de ces catégories vulnérables, victimes de différences de traitement en raison de leurs caractéristiques ou de leur situation, notamment de leur handicap (Glor, précité, § 84, Alajos Kiss c. Hongrie, no 38832/06, § 42, 20 mai 2010, et Kiyutin c. Russie, no 2700/10, § 63, CEDH 2011). De plus, toutes les actions relatives aux enfants handicapés doivent poursuivre en priorité l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 34 ci-dessus, article 7 § 2 de la CDPH). Cependant, en tout état de cause, indépendamment de la marge d’appréciation dévolue à l’État, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (voir, entre autres, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 126, CEDH 2012).
74. Enfin, en ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l’article 14 de la Convention, la Cour a déjà jugé que, lorsqu’un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (D.H. et autres c. République tchèque, précité, § 177, Kurić et autres, précité, § 389, et Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 85, CEDH 2013).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
i. Sur le point de savoir si les faits à l’origine du grief relèvent de l’article 1 du Protocole no 1
75. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que les circonstances de l’espèce, qui concernent des questions de fiscalité, relèvent du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 et que l’article 14 de la Convention trouve donc à s’appliquer. Elle ne voit aucune raison d’en juger autrement (voir, par exemple, Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 59, CEDH 2008).
ii. Sur le point de savoir si du fait du handicap de son fils la situation du requérant s’assimile à « toute autre situation » au sens de l’article 14 de la Convention
76. La Cour a déjà dit que l’état de santé d’une personne, notamment un handicap et divers problèmes de santé, relève de l’expression « toute autre situation » employée à l’article 14 de la Convention (Glor, précité, § 80, Kiyutin, précité, § 57, et I.B. c. Grèce, no 552/10, § 73, CEDH 2013).
77. En l’espèce, le requérant ne se plaint pas d’un traitement discriminatoire lié à son propre handicap mais se dit plutôt victime d’un traitement défavorable fondé sur le handicap de son fils, avec lequel il vit et auquel il prodigue des soins. En d’autres termes, la présente affaire pose la question de savoir dans quelle mesure le requérant, qui n’appartient pas lui‑même à une catégorie désavantagée, souffre néanmoins d’un traitement moins favorable pour des motifs liés au handicap de son enfant (paragraphes 41-42 ci-dessus).
78. À cet égard, la Cour rappelle que l’expression « autre situation » a généralement reçu dans sa jurisprudence une interprétation large (Carson et autres, précité, § 70) ne se limitant pas aux caractéristiques qui présentent un caractère personnel en ce sens qu’elles sont innées ou inhérentes à la personne (Clift c. Royaume-Uni, no 7205/07, §§ 56-59, 13 juillet 2010). Par exemple, une question de discrimination s’est posée dans des affaires où la situation du requérant, qui constituait le fondement allégué du traitement discriminatoire, était déterminée en fonction de la situation de sa famille, par exemple le lieu de résidence de ses enfants (Efe c. Autriche, no 9134/06, § 48, 8 janvier 2013). Il s’ensuit que, eu égard à son objectif et à la nature des droits qu’il vise à protéger, l’article 14 de la Convention couvre également les cas dans lesquels un individu est traité moins favorablement du fait de la situation ou des caractéristiques protégées d’une autre personne.
79. La Cour conclut donc que le traitement discriminatoire dont le requérant se plaint à raison du handicap de son enfant, avec lequel il entretient des liens personnels étroits et auquel il prodigue des soins, s’analyse en une forme de discrimination fondée sur le handicap qui est couverte par l’article 14 de la Convention.
iii. Sur le point de savoir s’il existait une différence de traitement entre personnes se trouvant dans des situations comparables ou un défaut de traitement différencié entre personnes se trouvant dans des situations sensiblement différentes
80. La Cour note ensuite que le requérant se plaint que l’application de la législation nationale relative aux droits de mutation immobiliers lui a fait subir un traitement discriminatoire par rapport à d’autres personnes faisant l’acquisition d’un bien immobilier afin de répondre à leurs besoins de logement dans des circonstances où le logement dont elles étaient propriétaires n’était pas adapté aux besoins de leur famille. En particulier, le requérant affirme qu’en vendant son appartement, situé au troisième étage d’un immeuble résidentiel à Zagreb, et en emménageant dans une maison à Samobor, il avait pour la première fois créé des conditions de logement adaptées à la situation de sa famille après la naissance de son fils handicapé. En effet, l’immeuble résidentiel dans lequel se trouvait son appartement ne disposait pas d’un ascenseur, si bien qu’à mesure que son fils grandissait, il devenait de plus en plus difficile pour le requérant et sa famille de le faire sortir de l’appartement pour le conduire chez un médecin, à ses séances de kinésithérapie, au jardin d’enfants ou à l’école et pour satisfaire à ses autres besoins sociaux (paragraphe 10 ci-dessus).
81. La Cour note que les parties ne contestent pas que le fils du requérant présentait des handicaps profonds et multiples et qu’il avait besoin d’attention et de soins permanents. C’est aussi le constat qui ressort sans ambiguïté du rapport établi par les services sociaux, qui reconnurent à l’enfant un taux d’incapacité de 100 % (paragraphe 9 ci-dessus). Il y a donc lieu de se demander si l’appartement du requérant pouvait passer pour un logement adapté aux besoins de sa famille après la naissance de son fils handicapé.
82. De l’avis de la Cour, il ne fait aucun doute que l’appartement du requérant à Zagreb, dont celui-ci avait fait l’acquisition trois années avant la naissance de son fils et qui se situait au troisième étage d’un immeuble résidentiel dépourvu d’ascenseur, faisait gravement obstacle à la mobilité de son fils et mettait par conséquent en péril son épanouissement personnel ainsi que son aptitude à atteindre son potentiel maximum, si bien que l’enfant avait les plus grandes difficultés à prendre pleinement part à la vie locale ainsi qu’aux activités éducatives, culturelles et sociales offertes aux enfants. L’absence d’ascenseur a forcément dégradé la qualité de vie de la famille du requérant, et en particulier de son fils. La situation de ce dernier pourrait être comparée à celle d’une personne valide qui, par exemple, possède un appartement situé au troisième étage d’un immeuble résidentiel mais ne dispose pas des moyens appropriés pour y accéder ou n’a qu’un accès limité aux équipements collectifs requis.
83. La Cour estime donc qu’en cherchant à remplacer l’appartement en question grâce à l’acquisition d’une maison qui était adaptée aux besoins de sa famille le requérant se trouvait dans une situation comparable à celle d’une personne qui remplace un appartement ou une maison en faisant l’acquisition d’un autre bien immobilier doté, pour reprendre les termes de la législation fiscale nationale applicable, des infrastructures de base et des aménagements techniques requis (paragraphe 24 ci-dessus). Sa situation différait toutefois au regard du sens à donner à l’expression « infrastructures de base requises », laquelle, compte tenu du handicap de son fils et des normes internationales en la matière (paragraphes 25 et 34-42 ci-dessus), englobait en l’espèce l’accès à des aménagements tels qu’un ascenseur.
84. Cependant, la Cour note que le centre des impôts de Samobor a considéré que, étant donné la superficie de l’appartement dont le requérant avait été propriétaire à Zagreb, la présence d’infrastructures comme le raccordement à l’électricité et à l’eau et l’accès à d’autres services collectifs, on ne pouvait affirmer que l’intéressé n’avait pas disposé d’un logement répondant aux besoins de sa famille. Par conséquent, le requérant s’est vu refuser l’exonération des droits de mutation pour l’achat d’un bien répondant aux besoins de logement de sa famille, nonobstant les arguments avancés par lui pour décrire les besoins spécifiques auxquels celle-ci devait répondre du fait du handicap de son enfant (paragraphes 11-12 ci-dessus).
85. Cette décision a été confirmée par le ministère des Finances et par la cour administrative d’appel, lesquels ont fait valoir que l’on ne pouvait affirmer que le requérant, en achetant la maison, avait acquis un bien destiné à répondre à ses besoins de logement, étant donné que, de leur point de vue, l’appartement dont il avait été propriétaire était doté des infrastructures de base requises. Là encore, comme le centre des impôts de Samobor, le ministère et la cour administrative d’appel n’ont tenu aucun compte des besoins spécifiques résultant pour la famille du requérant du handicap de l’enfant. De plus, la cour administrative d’appel a écarté pour défaut de pertinence les arguments présentés par le requérant à cet égard (paragraphes 15-16 ci-dessus). La Cour constitutionnelle s’est, elle aussi, abstenue d’examiner cette question (paragraphe 18 ci-dessus).
86. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il ne fait aucun doute que les autorités nationales compétentes n’ont pas reconnu la spécificité factuelle de la situation du requérant concernant les infrastructures de base et les aménagements techniques requis pour répondre aux besoins de logement de sa famille. En l’espèce, les autorités nationales ont adopté une position exagérément restrictive, ne tenant aucun compte des besoins particuliers du requérant et de sa famille, lorsqu’elles ont appliqué au cas des intéressés le critère des « infrastructures de base requises », par opposition à d’autres cas où des éléments tels que la superficie d’un appartement, son raccordement à l’électricité et à l’eau ou l’accès à d’autres services collectifs auraient pu passer pour des infrastructures de base suffisantes.
87. Il reste à rechercher si le fait d’avoir traité le requérant de la même manière que n’importe quel acquéreur d’un bien immobilier reposait sur une justification objective et raisonnable (paragraphes 70 et 74 ci-dessus).
iv. Sur le point de savoir s’il existait une justification objective et raisonnable
88. Pour justifier les décisions prises par les autorités nationales, le Gouvernement avance deux arguments. Il indique premièrement que la législation nationale applicable énonçait des critères objectifs permettant d’établir la présence des infrastructures de base requises pour qu’un logement fût considéré comme adéquat, ne laissant ainsi aux autorités administratives et fiscales aucune marge pour une interprétation au cas par cas, et deuxièmement que le requérant ne remplissait pas les conditions de ressources qui lui auraient permis de bénéficier d’une exonération des droits de mutation immobiliers.
89. Force est de constater qu’avec le premier argument, le Gouvernement admet pratiquement que les autorités nationales compétentes n’étaient pas habilitées à veiller à l’existence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé dans le cas particulier du requérant. Partant, contrairement à ce qu’exige l’article 14 de la Convention, elles n’ont pas été en mesure de justifier de manière objective et raisonnable le fait qu’elles n’ont pas corrigé l’inégalité factuelle propre au cas du requérant (paragraphe 60 ci-dessus).
90. La Cour ne méconnaît pas qu’il revient au premier chef aux autorités nationales, et tout particulièrement aux instances juridictionnelles, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Glor, précité, § 91). Elle note néanmoins que la disposition pertinente de la loi sur les droits de mutation immobiliers est libellée en des termes plutôt généraux et qu’elle se réfère simplement aux « infrastructures de base » et aux « aménagements techniques et d’hygiène requis » (paragraphe 24 ci-dessus, article 11 § 9.5 de la loi sur les droits de mutation immobiliers).
91. Elle observe par ailleurs que d’autres dispositions pertinentes de la législation nationale contiennent des indications sur la question des conditions élémentaires d’accessibilité des personnes handicapées. Ainsi, le règlement sur l’accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées ou à mobilité réduite considère la présence d’un ascenseur comme l’un des éléments d’accessibilité de base pour celles-ci (paragraphe 25 ci-dessus). Toutefois, rien ne donne à penser qu’en l’espèce l’une ou l’autre des autorités nationales compétentes ait tenu compte de ces dispositions de la législation nationale susceptibles d’étoffer la signification des termes employés dans la loi sur les droits de mutation immobiliers.
92. De plus, la Cour note qu’en adhérant aux exigences énoncées dans la CDPH, l’État défendeur s’est engagé à prendre en considération les principes pertinents qui y sont édictés, comme ceux de l’aménagement raisonnable, de l’accessibilité et de la non-discrimination à l’endroit des personnes handicapées s’agissant de leur pleine participation à tous les aspects de la vie sociale dans des conditions d’égalité (paragraphes 34-37 ci-dessus). Elle relève que dans ce domaine, les autorités nationales ont, comme le Gouvernement l’indique, mis en œuvre certaines mesures pertinentes (paragraphe 62 ci-dessus), mais qu’en l’espèce elles n’ont fait aucun cas des obligations internationales que l’État s’était engagé à respecter.
93. Il s’ensuit donc que, contrairement à ce que le Gouvernement affirme, le problème qui se pose en l’espèce n’est pas que la législation nationale applicable n’a laissé aucune marge pour une appréciation au cas par cas des demandes d’exonération des droits de mutation immobiliers formées par des personnes se trouvant dans une situation identique à celle du requérant. Dans le cas présent, le problème réside plutôt dans les modalités concrètes d’application de la législation nationale, lesquelles n’ont pas suffisamment pris en compte les impératifs découlant des spécificités du cas du requérant liées au handicap de son enfant et, en particulier, à l’interprétation de l’expression « infrastructures de base requises » s’agissant du logement d’une personne handicapée (comparer avec Topčić‑Rosenberg, précité, §§ 40-49).
94. Qui plus est, selon le second argument avancé par le Gouvernement, le requérant s’est vu refuser l’exonération des droits de mutation immobiliers en raison de sa situation financière, et en particulier de la valeur de l’appartement dont il était précédemment propriétaire à Zagreb. Le motif de ce refus aurait été que l’exonération prévue par la loi sur les droits de mutation immobiliers visait à protéger les personnes financièrement défavorisées, dont, de l’avis du Gouvernement, le requérant ne faisait pas partie (paragraphe 61 ci-dessus).
95. La Cour estime qu’en principe la volonté de protéger les personnes financièrement défavorisées par le biais de mesures d’exonération fiscale adéquates peut être considérée comme une justification objective pour le traitement discriminatoire allégué. D’ailleurs, il apparaîtrait que la question de la situation financière d’un individu sollicitant une exonération des droits de mutation immobiliers entrait en ligne de compte conjointement avec d’autres facteurs pour l’appréciation des obligations fiscales de l’intéressé (paragraphe 32 et également paragraphe 24 ci-dessus, article 11 § 9.5 et 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers).
96. Cependant, dans le cas particulier du requérant, la Cour note qu’il ressort de toutes les décisions prises par les autorités nationales compétentes que si l’exonération des droits de mutation immobiliers a été refusée au requérant, c’est parce que l’appartement dont celui-ci avait été propriétaire à Zagreb passait pour être doté des infrastructures de base requises pour répondre aux besoins de logement de sa famille (paragraphes 12, 14 et 16 ci-dessus). Seul le ministère des Finances a fait référence (paragraphe 14 ci‑dessus) aux conditions de ressources énoncées dans la disposition pertinente de la loi sur les droits de mutation immobiliers (paragraphe 24 ci‑dessus, article 11 § 9.6 de la loi sur les droits de mutation immobiliers). Le ministère n’a toutefois pas procédé à une appréciation concrète des aspects financiers pertinents dans le cas du requérant, alors qu’il s’agissait d’une pratique bien établie que les autorités nationales avaient déjà mise en œuvre dans d’autres affaires où cette disposition avait été invoquée (paragraphe 33 ci-dessus).
97. Par conséquent, admettre l’argument avancé par le Gouvernement dans ce sens conduirait la Cour à spéculer sur la pertinence concrète de la situation financière du requérant pour sa demande d’exonération des droits de mutation immobiliers au sens de la législation nationale applicable (comparer avec Glor, précité, § 90). La Cour ne saurait donc accueillir l’argument selon lequel la protection des personnes financièrement défavorisées constituait la raison justifiant le traitement discriminatoire dont le requérant se plaint.
98. À la lumière de ce qui précède, et en particulier en l’absence d’une évaluation pertinente de toutes les circonstances de l’affaire par les autorités nationales compétentes, la Cour estime que celles-ci n’ont pas produit de justification objective et raisonnable pour la non-prise en compte, lors de l’appréciation de l’obligation fiscale du requérant, de l’inégalité inhérente à la situation de celui-ci.
99. La Cour conclut donc à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
100. La Cour se trouve ainsi dispensée d’examiner séparément le grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément (voir, par exemple, Zeman c. Autriche, no 23960/02, § 42, 29 juin 2006).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 ET 14 DE LA CONVENTION
101. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile résultant d’une application selon lui injuste et discriminatoire de la législation fiscale nationale. Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention.
102. Le Gouvernement conteste cette thèse.
103. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que l’inégalité de traitement dont le requérant se dit victime a été suffisamment prise en compte dans l’appréciation ci-dessus, qui a conduit au constat d’une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1. Par conséquent, elle conclut que si ledit grief est également recevable, il n’y a pas lieu d’examiner séparément les mêmes faits sous l’angle des articles 8 et 14 de la Convention (voir, par exemple, Mazurek c. France, no 34406/97, § 56, CEDH 2000‑II, et Efe, précité, § 55).
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 12 À LA CONVENTION
104. Enfin, le requérant voit une discrimination dans les modalités d’application de la législation fiscale. Il estime que celles-ci n’ont pas opéré de distinction entre sa situation et le cas général relevant des dispositions pertinentes sur les exonérations des droits de mutation immobiliers. Il invoque l’article 1 du Protocole no 12.
105. Le Gouvernement conteste cette thèse.
106. La Cour a déjà conclu que les modalités d’application de la législation fiscale, lesquelles n’ont pas opéré de distinction entre la situation du requérant et le cas général relevant des dispositions pertinentes sur les exonérations des droits de mutation immobiliers, s’analysaient en une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
107. Eu égard à ce constat, la Cour juge superflu de rechercher séparément si, en l’espèce, il y a également eu violation de l’article 1 du Protocole no 12 à la Convention (comparer avec Sejdić et Finci, précité, § 51, et Savez crkava « Riječ života » et autres c. Croatie, no 7798/08, §§ 114-115, 9 décembre 2010).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
108. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
109. Le requérant réclame pour dommage matériel un montant de 11 010 euros (EUR), correspondant aux droits de mutation immobiliers qu’il dit avoir été contraint de payer. Il sollicite en outre 10 000 EUR pour préjudice moral.
110. Le Gouvernement estime que les prétentions du requérant sont excessives, infondées et non étayées.
111. En ce qui concerne la demande formulée pour dommage matériel, eu égard à ses conclusions relatives à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 99 ci-dessus) concernant la discrimination subie par le requérant dans le contexte de l’application de la législation fiscale nationale, la Cour estime qu’elle ne peut pas spéculer sur l’ampleur des obligations fiscales du requérant dans son pays, et en particulier sur la question de savoir si la situation financière de l’intéressé justifiait une exonération des droits de mutation immobiliers (paragraphes 95‑97 ci-dessus). Se trouvant ainsi dans l’impossibilité d’apprécier la demande pour dommage matériel présentée par le requérant, la Cour renvoie à la possibilité offerte à celui-ci de solliciter la réouverture de la procédure en vertu de l’article 76 de la loi sur les litiges administratifs (paragraphe 28 ci-dessus), qui permettrait un nouvel examen de sa demande par une juridiction interne.
112. Par ailleurs, la Cour estime que le requérant a dû éprouver un dommage moral que le seul constat de violation de la Convention ne suffit pas à réparer. Statuant en équité, elle alloue au requérant 5 000 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
113. Le requérant demande également 11 652,49 EUR et 4 900 livres sterling (environ 6 800 EUR) pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour.
114. Le Gouvernement estime que la demande du requérant est infondée et non étayée.
115. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard aux documents en sa possession et aux critères rappelés ci-dessus, la Cour juge raisonnable d’accorder au requérant la somme de 11 500 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
C. Intérêts moratoires
116. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 8 pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, ou sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 12 ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en kunas, au taux applicable à la date du règlement :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour préjudice moral,
ii. 11 500 EUR (onze mille cinq cent euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 22 mars 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley Naismith, Greffier
Işıl Karakaş, Présidente