Le CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 mai 2017 par le Conseil d’État (ordonnance n° 410833 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association En Marche ! par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-651 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 167-1 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code électoral ;
– la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
– la loi n° 88-277 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
– la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées pour l’association requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 30 mai 2017 ;
– les observations présentées pour les groupes parlementaires Les Républicains, Union des démocrates et des indépendants par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 30 mai 2017 ;
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 mai 2017 ;
– les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 30 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article L. 167-1 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. – Les partis et groupements peuvent utiliser les antennes du service public de radiodiffusion et de télévision pour leur campagne en vue des élections législatives. Chaque émission est diffusée par les sociétés nationales de télévision et de radiodiffusion sonore.
« II. – Pour le premier tour de scrutin, une durée d’émission de trois heures est mise à la disposition des partis et groupements représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale.
« Cette durée est divisée en deux séries égales, l’une étant affectée aux groupes qui appartiennent à la majorité, l’autre à ceux qui ne lui appartiennent pas.
« Le temps attribué à chaque groupement ou parti dans le cadre de chacune de ces séries d’émissions est déterminé par accord entre les présidents des groupes intéressés. À défaut d’accord amiable, la répartition est fixée par les membres composant le bureau de l’Assemblée nationale sortante, en tenant compte notamment de l’importance respective de ces groupes ; pour cette délibération, le bureau est complété par les présidents de groupe.
« Les émissions précédant le deuxième tour de scrutin ont une durée d’une heure trente : elles sont réparties entre les mêmes partis et groupements et selon les mêmes proportions.
« III. – Tout parti ou groupement politique qui n’est pas représenté par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale a accès, à sa demande, aux émissions du service public de la communication audiovisuelle pour une durée de sept minutes au premier tour et de cinq minutes au second, dès lors qu’au moins soixante-quinze candidats ont indiqué, dans leur déclaration de candidature, s’y rattacher pour l’application de la procédure prévue par le deuxième alinéa de l’article 9 de la loi n°88-277 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.
« L’habilitation est donnée à ces partis ou groupements dans des conditions qui seront fixées par décret.
« IV. – Les conditions de productions, de programmation et de diffusion des émissions sont fixées, après consultation des conseils d’administration des sociétés nationales de télévision et de radiodiffusion, par le conseil supérieur de l’audiovisuel.
« V. – En ce qui concerne les émissions destinées à être reçues hors métropole, le conseil supérieur de l’audiovisuel tient compte des délais d’acheminement et des différences d’heures.
« VI. – Les dépenses liées à la campagne audiovisuelle officielle sont à la charge de l’État ».
2. L’association requérante soutient qu’en traitant différemment les partis et groupements politiques selon qu’ils sont ou non représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale, les dispositions contestées porteraient atteinte aux articles 3 et 4 de la Constitution et aux articles 6 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ainsi, en effet, ces dispositions ne permettraient pas de refléter l’importance dans le débat électoral de formations politiques nouvelles et contribueraient à faire obstacle à leur émergence, en méconnaissance du pluralisme des courants d’idées et d’opinions. En outre, la différence de traitement instituée par le législateur, qui conduit à l’attribution d’un accès très limité aux émissions du service public de la communication audiovisuelle pour les groupements et partis non représentés à l’Assemblée nationale, méconnaîtrait l’égalité devant le suffrage et le principe d’égalité devant la loi.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les paragraphes II et III de l’article L. 167-1 du code électoral.
– Sur le fond :
4. Selon le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». L’article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».
5. Aux termes du troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions est un fondement de la démocratie.
6. Il découle des dispositions citées aux paragraphes 4 et 5 que, lorsque le législateur détermine entre les partis et groupements politiques des règles différenciées d’accès aux émissions du service public de la communication audiovisuelle, il lui appartient de veiller à ce que les modalités qu’il fixe ne soient pas susceptibles de conduire à l’établissement de durées d’émission manifestement hors de proportion avec la participation de ces partis et groupements à la vie démocratique de la Nation.
7. Les dispositions contestées distinguent les partis et groupements représentés à l’Assemblée nationale par un groupe parlementaire et ceux qui ne le sont pas. Les premiers bénéficient, sur les antennes du service public de la communication audiovisuelle, d’une durée d’émission de trois heures mise à leur disposition au premier tour et d’une durée d’une heure trente au second tour, réparties en deux séries égales entre les partis et groupements qui appartiennent à la majorité et ceux qui ne lui appartiennent pas. Les partis et groupements qui ne sont pas représentés par des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale ont un accès aux émissions du service public pour une durée de sept minutes au premier tour et de cinq minutes au second tour dès lors qu’au moins soixante-quinze candidats ont déclaré s’y rattacher pour l’application de la procédure prévue par le deuxième alinéa de l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 mentionnée ci-dessus.
8. Il est loisible au législateur, lorsqu’il donne accès aux antennes du service public aux partis et groupements politiques pour leur campagne en vue des élections législatives, d’arrêter des modalités tendant à favoriser l’expression des principales opinions qui animent la vie démocratique de la Nation et de poursuivre ainsi l’objectif d’intérêt général de clarté du débat électoral. Le législateur pouvait donc, en adoptant les dispositions contestées, prendre en compte la composition de l’Assemblée nationale à renouveler et, eu égard aux suffrages qu’ils avaient recueillis, réserver un temps d’antenne spécifique à ceux des partis et groupements qui y sont représentés.
9. Toutefois, en ce cas, il appartient également au législateur de déterminer des règles propres à donner aux partis et groupements politiques qui ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale un accès aux antennes du service public de nature à assurer leur participation équitable à la vie démocratique de la Nation et à garantir le pluralisme des courants d’idées et d’opinions. Les modalités selon lesquelles le législateur détermine les durées d’émission attribuées aux partis et groupements qui ne disposent plus ou n’ont pas encore acquis une représentation à l’Assemblée nationale ne sauraient ainsi pouvoir conduire à l’octroi d’un temps d’antenne manifestement hors de proportion avec leur représentativité, compte tenu des modalités particulières d’établissement des durées allouées aux formations représentées à l’Assemblée nationale.
10. En l’espèce, d’une part, les dispositions contestées fixent à trois heures pour le premier tour et une heure trente pour le second tour les durées d’émission mises à la disposition des partis et groupements représentés à l’Assemblée nationale par un groupe parlementaire, quel que soit le nombre de ces groupes. Elles limitent en revanche à sept minutes au premier tour et cinq minutes au second tour les temps d’antenne attribués aux autres partis et groupements dès lors qu’ils sont habilités conformément au second alinéa du paragraphe III de l’article L. 167-1 du code électoral. D’autre part, pour l’ensemble des partis et groupements relevant du paragraphe III de l’article L. 167-1 du code électoral, les durées d’émission sont fixées de manière identique, sans distinction selon l’importance des courants d’idées ou d’opinions qu’ils représentent. Ainsi, les durées d’émission dont peuvent bénéficier ces partis et groupements peuvent être significativement inférieures à celles dont peuvent bénéficier les formations relevant du paragraphe II de l’article L. 167-1 du code électoral et ne pas refléter leur représentativité.
11. Dès lors, les dispositions contestées peuvent conduire à l’octroi de temps d’antenne sur le service public manifestement hors de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation de ces partis et groupements politiques. Les dispositions contestées méconnaissent donc les dispositions du troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution et affectent l’égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée.
12. Par conséquent, les paragraphes II et III de l’article L. 167-1 du code électoral doivent être déclarés contraires à la Constitution.
– Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
13. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration.
14. En premier lieu, l’abrogation des paragraphes II et III de l’article L. 167-1 du code électoral aurait pour effet d’ôter toute base légale à la détermination par le conseil supérieur de l’audiovisuel, sur le fondement du paragraphe IV du même article, rapproché des dispositions de l’article 16 de la loi du 30 septembre 1986 mentionnée ci-dessus, des durées des émissions de la campagne électorale en vue des élections législatives dont les premier et second tours doivent se tenir les 11 et 18 juin 2017. En outre, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement. Par conséquent, il y a lieu de reporter au 30 juin 2018 la date de l’abrogation des dispositions contestées.
15. En second lieu, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée, et en vue des élections législatives des 11 et 18 juin 2017, l’application du paragraphe III de l’article L. 167-1 du code électoral doit permettre, pour la détermination des durées d’émission dont les partis et groupements politiques habilités peuvent bénéficier, la prise en compte de l’importance du courant d’idées ou d’opinions qu’ils représentent, évaluée en fonction du nombre de candidats qui déclarent s’y rattacher et de leur représentativité, appréciée notamment par référence aux résultats obtenus lors des élections intervenues depuis les précédentes élections législatives. Sur cette base, en cas de disproportion manifeste, au regard de leur représentativité, entre le temps d’antenne accordé à certains partis et groupements qui relèvent du paragraphe III de l’article L. 167-1 du code électoral et celui attribué à certains partis et groupements relevant de son paragraphe II, les durées d’émission qui ont été attribuées aux premiers doivent être modifiées à la hausse. Cette augmentation ne peut, toutefois, excéder cinq fois les durées fixées par les dispositions du paragraphe III de l’article L. 167-1 du code électoral.
D É C I D E :
Article 1er.- Les paragraphes II et III de l’article L. 167-1 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées par les paragraphes 14 et 15.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mai 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 31 mai 2017.
JORF n°0128 du 1 juin 2017 texte n° 25
ECLI:FR:CC:2017:2017.651.QPC