Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 13/11/2020, 432832
Conseil d’État – 10ème – 9ème chambres réunies
N° 432832
ECLI:FR:CECHR:2020:432832.20201113
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du vendredi 13 novembre 2020
Rapporteur
M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public
M. Laurent Domingo
Avocat(s)
SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 août 2017 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui communiquer la liste des magistrats en fonction dans les services rattachés au ministère de la justice mentionnant le poste occupé et le cursus professionnel et de lui enjoindre de la lui communiquer ou, à défaut, de lui enjoindre de transmettre sa demande aux juridictions auprès desquelles les magistrats exercent leurs fonctions.
Par un jugement n° 1714437/5-2 du 21 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 juillet et 22 octobre 2019, M. B… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses demandes et d’enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de lui communiquer dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, les documents demandés ainsi que les autorisations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés de traitement des fichiers portant sur les magistrats en poste ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,
– les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de M. A… B… ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier en date du 22 mars 2017, M. B… a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, la communication de la liste des magistrats en fonction dans les services rattachés au ministère de la justice, juridictions comprises, notamment celles de la région de Bordeaux, mentionnant le poste occupé et le cursus professionnel. Par une décision du 16 mai 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de communiquer à M. B… le document demandé au motif qu’il n’existait pas en l’état. Le 22 juin 2017, la Commission d’accès aux documents administratifs a rendu un avis favorable à la demande de M. B…. Par une décision du 18 août 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice, a confirmé son refus. Par un jugement du 21 février 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. B… tendant à l’annulation de cette décision. M. B… se pourvoit en cassation contre ce jugement.
2. En premier lieu, la communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public, prévue par les dispositions de l’article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. Cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. En revanche, s’il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, la communication de ces informations n’est pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d’irrégularité au motif que le rapporteur public a communiqué aux parties le sens de ses conclusions sans en expliciter la teneur ne peut qu’être écarté.
3. En deuxième lieu, devant les juridictions administratives et dans l’intérêt d’une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l’instruction, qu’il dirige, lorsqu’il est saisi d’une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S’il décide d’en tenir compte, il rouvre l’instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu’il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et qui est susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d’irrégularité de sa décision. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant le tribunal administratif de Paris que, par une note en délibéré enregistrée le 15 février 2019, M. B… faisait état du refus du rapporteur public de lui communiquer, préalablement à l’audience, la teneur de ses conclusions. Or, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que cette circonstance n’était pas susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire. Il s’ensuit que le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure à défaut de réouverture de l’instruction pour tenir compte de la note en délibéré produite par M. B… ne peut qu’être écarté.
4. En troisième lieu, l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration dispose : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre « . Aux termes du premier alinéa de l’article L. 300-2 du même code : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions « . Ces dispositions n’imposent pas à l’administration d’élaborer un document dont elle ne disposerait pas pour faire droit à une demande de communication. En revanche, constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions les documents qui peuvent être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable.
5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué, qui est suffisamment motivé sur ce point, qu’après avoir relevé qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait au garde des sceaux, ministre de la justice d’établir la liste demandée par M. B…, le tribunal administratif de Paris a jugé que l’extraction des données disponibles dans les systèmes d’information de l’administration et le retraitement de ces informations nécessiterait un travail considérable d’anonymisation des données susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes en cause. Pour statuer ainsi, le tribunal administratif, qui était saisi d’une demande de communication d’une liste d’informations nominatives sur l’affectation et le cursus professionnel des magistrats en activité dont certaines, notamment celles relatives à des activités étrangères à l’exercice de fonctions publiques, sont couvertes par le secret de la vie privée, a recherché, contrairement à ce que soutient M. B…, si le document demandé pouvait être établi par extraction des bases de données dont disposait l’administration. C’est sans erreur de droit que le tribunal, qui n’a pas méconnu les règles régissant la charge de la preuve et n’avait pas, à peine d’irrégularité de sa décision, à faire usage de ses pouvoirs d’instruction, a souverainement estimé, au vu des pièces du dossier qui lui était soumis, que l’extraction de ces informations des bases de données disponibles, leur assemblage en un seul document et l’occultation de certaines d’entre elles pour garantir le respect du secret de la vie privée des magistrats concernés ferait peser une charge de travail déraisonnable sur l’administration.
6. En dernier lieu, il ressort des pièces de la procédure que M. B… demandait au tribunal administratif d’enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de transmettre sa demande aux cours et tribunaux auprès desquels les magistrats exercent leurs fonctions, sur le fondement des dispositions de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration faisant obligation à une administration saisie à tort de transmettre la demande de communication d’un document à l’administration qui détient ce document. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif se serait mépris sur la portée de ses écritures en analysant sa demande comme tendant au prononcé d’une injonction ne peut qu’être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. B… doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de M. B… est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B… et au garde des sceaux, ministre de la justice.
ECLI:FR:CECHR:2020:432832.20201113