AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler la décision du 27 juin 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de Bourgogne Franche-Comté lui a infligé des amendes d’un montant total de 23 000 euros sur le fondement de l’article L. 8115-1 du code du travail et, à titre subsidiaire, d’en réduire le montant à 5 400 euros. Par un jugement n° 1802213 du 28 mai 2019, le tribunal administratif de Dijon a ramené à 5 400 euros le montant des amendes et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt n° 19LY02960 du 5 novembre 2020, la cour administrative d’appel de Lyon a, sur l’appel de la ministre du travail, annulé ce jugement en tant qu’il réduit à 5 400 euros le montant de l’amende et rejeté la demande présentée devant le tribunal administratif de Dijon par la société Distribution Casino France, ainsi que son appel incident.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’État les 4 janvier, 26 mars et 30 septembre 2021, la société Distribution Casino France demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la ministre du travail et de faire droit à son appel incident ou, subsidiairement, de réduire substantiellement le montant des amendes ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code du travail ;
– la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;
– la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
– l’ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la Société Distribution Casino France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite d’un contrôle effectué par l’inspection du travail dans l’établissement de la société Distribution Casino France situé à Montbard, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Bourgogne Franche-Comté a prononcé, par une décision du 27 juin 2018, à l’encontre de cette société, des amendes d’un montant global de 23 000 euros en application de l’article L. 8115-1 du code du travail pour avoir plusieurs fois méconnu, pendant la période du 22 mai au 25 juin 2017, s’agissant de deux salariés, les dispositions régissant la durée quotidienne du travail, la durée hebdomadaire du travail, la durée quotidienne de repos minimal et le repos hebdomadaire. Saisi par cette société d’une demande tendant à l’annulation ou, à titre subsidiaire, à la minoration de ces amendes, le tribunal administratif de Dijon a, par un jugement du 28 mai 2019, ramené à 5 400 euros le montant des amendes et rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société. Celle-ci se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 5 novembre 2020 par lequel, faisant droit à l’appel de la ministre du travail, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement en tant qu’il avait réduit le montant des amendes et rejeté les conclusions de la demande de la société ainsi que son appel incident.
2. Aux termes de l’article L. 8115-1 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance : » L’autorité administrative compétente peut, sur rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1, et sous réserve de l’absence de poursuites pénales, soit adresser à l’employeur un avertissement, soit prononcer à l’encontre de l’employeur une amende en cas de manquement : / 1° Aux dispositions relatives aux durées maximales du travail fixées aux articles L. 3121-18 à L. 3121-25 et aux mesures réglementaires prises pour leur application ; / 2° Aux dispositions relatives aux repos fixées aux articles L. 3131-1 à L. 3131-3 et L. 3132-2 et aux mesures réglementaires prises pour leur application (…) « .
3. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8115-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits sanctionnés, antérieure à celle résultant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : » Le montant maximal de l’amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés par le manquement. »
4. Aux termes de l’article L. 8115-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2018 : » Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l’autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges « .
5. Il appartient au juge administratif, statuant comme juge de plein contentieux sur une contestation portant sur une sanction que l’administration inflige à un administré, de faire application, le cas échéant, d’une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l’infraction a été commise et celle à laquelle il statue.
6. En l’espèce et à ce titre, d’une part, l’article 18 de la loi du 10 août 2018, entré en vigueur postérieurement à la date à laquelle les manquements reprochés ont été commis, a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l’employeur par une amende, seule ouverte jusque-là par les articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement, qui constitue, par rapport à l’amende, une sanction plus douce. D’autre part, en revanche, les dispositions de l’article 95 de la loi du 5 septembre 2018, qui ont modifié l’article L. 8115-3 en rehaussant le montant maximal de l’amende encourue de 2 000 à 4 000 euros par travailleur concerné, présentent le caractère de dispositions répressives plus sévères qui ne peuvent être appliquées à des manquements commis antérieurement à leur entrée en vigueur. Il s’ensuit que sont applicables en l’espèce les dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, telles que citées aux points 2 et 4 ci-dessus dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018, ainsi que les dispositions du premier alinéa de l’article L. 8115-3 du même code, telles que citées au point 3 ci-dessus dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 7 avril 2016 et antérieure à la loi du 5 septembre 2018.
7. Ces dispositions du code du travail permettent à l’autorité administrative de sanctionner, de manière distincte, d’un avertissement ou d’une amende d’un montant maximal de 2 000 euros par travailleur concerné chaque manquement constaté aux dispositions mentionnées aux 1° à 5° de l’article L. 8115-1, en prenant en compte, conformément à l’article L. 8115-4, les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. C’est, par suite, sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que le pouvoir de sanction de l’administration n’était pas limité au prononcé d’une seule amende par catégorie de manquements et par travailleur concerné.
8. Toutefois il appartient au juge administratif, lorsqu’il est saisi comme juge de plein contentieux d’une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de l’article L. 8115-1 du code du travail, d’examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision. Par suite, en écartant comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 8115-5 du code du travail imposant le respect d’une procédure contradictoire préalablement au prononcé de la sanction, au motif que la procédure contradictoire organisée par les articles L. 8115-1 et suivants du code du travail se poursuivrait devant le juge de plein contentieux et qu’il n’appartiendrait à ce dernier de se prononcer que sur le bien-fondé et le montant de l’amende infligée, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.
9. Dès lors, la société Distribution Casino France est fondée à demander, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les derniers moyens du pourvoi, l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Distribution Casino France au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 5 novembre 2020 de la cour administrative d’appel de Lyon est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.
Article 3 : L’Etat versera à la société Distribution Casino France une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Distribution Casino France et à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.