Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 2000347 du 16 octobre 2020, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Besançon, avant de statuer sur la demande de M. B… A… tendant à l’annulation de la décision du 25 novembre 2019 par laquelle le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de procéder à l’échange de son permis de conduire syrien contre un permis français, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat en soumettant à son examen les questions suivantes :
1. Lorsqu’elle statue expressément, postérieurement au 18 avril 2019, sur une demande d’échange de permis présentée antérieurement à cette date par le bénéficiaire du statut de réfugié, l’apatride ou l’étranger ayant obtenu la protection subsidiaire, l’autorité compétente est-elle tenue d’appliquer à cette demande, quelle qu’en soit la date, la nouvelle réglementation lui imposant de vérifier l’existence d’un accord de réciprocité entre la France et l’Etat ayant délivré le permis dont l’échange est sollicité ?
2. Les conditions d’échange et de reconnaissance d’un permis de conduire délivré par un Etat n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen doivent-elles au contraire être appréciées à la date à laquelle l’étranger a présenté sa demande d’échange de permis ? En particulier, la nouvelle réglementation, issue de l’arrêté du 9 avril 2019, imposant désormais à l’autorité compétente de vérifier l’existence d’un accord de réciprocité entre la France et l’Etat ayant délivré le permis dont l’échange est sollicité par un bénéficiaire du statut de réfugié, un apatride ou un étranger ayant obtenu la protection subsidiaire n’est-elle jamais opposable à un étranger qui a déposé sa demande avant le 19 avril 2019 ?
3. En cas de réponse négative aux questions posées (ci-dessus), à quel moment les conditions d’échange et de reconnaissance d’un permis de conduire délivré par un Etat n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen et, en particulier, celles correspondant à l’application de la nouvelle réglementation mentionnée (ci-dessus), sont-elles susceptibles d’être « cristallisées » ? Cette « cristallisation » peut-elle correspondre à la date à laquelle la décision implicite mentionnée (précédemment) est réputée être née, même si l’autorité compétente s’est expressément prononcée après cette date, ou bien, dans le cas où l’autorité compétente a mis en œuvre les dispositions, mentionnées du D de l’article 7 de l’arrêté du 12 janvier 2012 ou a demandé à l’intéressé de compléter son dossier dans les conditions (précitées), doit-il être tenu compte des diligences ainsi exercées ?
4. Quelles que soient les réponses apportées, le bénéficiaire du statut de réfugié, l’apatride ou l’étranger ayant obtenu la protection subsidiaire qui a déposé une demande d’échange de permis avant le 19 avril 2019 peut-il utilement se prévaloir, devant l’administration ou le juge, de l’article L. 221-4 du code des relations entre le public et l’administration, en faisant valoir qu’il se trouverait, à une date déterminée, dans une situation juridique définitivement constituée interdisant à l’autorité compétente de lui opposer la réserve mentionnée au A du I de l’article 5 de l’arrêté du 12 janvier 2012 ?
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de la route ;
– l’arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d’échange des permis de conduire délivrés par les Etats n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen, modifié notamment par l’arrêté du 9 avril 2019 ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. François Charmont, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
Rend l’avis suivant :
1. Aux termes de l’article R. 222-3 du code de la route : « Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat ni membre de l’Union européenne, ni partie à l’accord sur l’Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an après l’acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l’article D. 221-3 Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière, après avis du ministre de la justice et du ministre chargé des affaires étrangères. Au terme de ce délai, ce permis n’est plus reconnu et son titulaire perd tout droit de conduire un véhicule pour la conduite duquel le permis de conduire est exigé ». Pour l’application de ces dispositions, l’article 5 de l’arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d’échange des permis de conduire délivrés par les Etats n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen dispose que : « I. ― Pour être échangé contre un titre français, tout permis de conduire délivré par un Etat n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen doit répondre aux conditions suivantes : / A. ― Avoir été délivré au nom de l’Etat dans le ressort duquel le conducteur avait alors sa résidence normale, sous réserve qu’il existe un accord de réciprocité entre la France et cet Etat conformément à l’article R. 222-1 du code de la route. Seul le dernier titre délivré peut être présenté à l’échange (…) ».
2. Dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 19 avril 2019, le I de l’article 11 du même arrêté du 12 janvier 2012 disposait que : « I. Les dispositions du A du I de l’article 5 ne sont pas applicables au titulaire d’un permis de conduire délivré par un Etat n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen possédant un titre visé au I de l’article 4 comportant la mention « réfugié » ». Ces dispositions ont toutefois été abrogées par l’article 1er de l’arrêté du 9 avril 2019 modifiant l’arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d’échange des permis de conduire délivrés par les Etats n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen, qui a été publié au Journal officiel de la République française le 18 avril 2019 et est entré en vigueur le lendemain de sa publication.
3. D’une part, sauf dispositions expresses contraires, il appartient à l’autorité administrative de statuer sur les demandes dont elle est saisie en faisant application des textes en vigueur à la date de sa décision. Il en va notamment ainsi, en l’absence de texte y dérogeant, des décisions que l’administration est amenée à prendre, implicitement ou expressément, sur les demandes d’échange de permis de conduire qui lui sont présentées en application des dispositions citées au point 1.
4. D’autre part, si l’article L. 221-4 du code des relations entre le public et l’administration dispose que : « Sauf s’il en est disposé autrement par la loi, une nouvelle réglementation ne s’applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur ou aux contrats formés avant cette date », le dépôt d’une demande d’échange de permis de conduire ne saurait être regardé comme instituant, au profit du demandeur, une situation juridique définitivement constituée à la date de ce dépôt. Par suite, la circonstance qu’une demande d’échange de permis de conduire a été déposée avant l’entrée en vigueur des modifications introduites par l’arrêté du 9 avril 2019 ne saurait faire obstacle à ce que ces modifications lui soient applicables.
5. Ainsi, lorsque l’administration statue, à compter du 19 avril 2019, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur des dispositions ayant rendu applicable aux bénéficiaires du statut de réfugié, aux apatrides ou aux étrangers ayant obtenu la protection subsidiaire, la condition d’existence d’un accord de réciprocité pour tout échange d’un permis de conduire délivré par un Etat n’appartenant ni à l’Union européenne ni à l’Espace économique européen, il lui appartient de vérifier le respect de cette condition, y compris pour les demandes qui ont été déposées avant le 19 avril 2019.
6. Il en va ainsi même si la décision de refus prise postérieurement au 19 avril 2019 fait suite à une demande, déposée par un bénéficiaire du statut de réfugié, un apatride ou un étranger ayant obtenu la protection subsidiaire, qui a donné lieu, avant cette date, à une première décision de rejet, expresse ou implicite, fondée sur l’absence d’accord de réciprocité. L’illégalité susceptible d’entacher ce premier refus est en effet sans incidence sur le bien-fondé de la décision qui, postérieurement au 19 avril 2019, abroge ce premier refus, lequel n’est pas créateur de droit, et oppose un nouveau refus fondé sur l’absence, à la date de la nouvelle décision, d’accord de réciprocité entre la France et l’Etat ayant délivré le permis. Dans un tel cas, il appartient seulement à l’intéressé, s’il s’y croit fondé, de demander à être indemnisé des conséquences dommageables du premier refus d’échange de permis de conduire qui lui a été opposé.
7. Enfin, la circonstance que l’administration, saisie d’une demande déposée avant le 19 avril 2019, aurait mis en œuvre les dispositions de l’article 7 de l’arrêté du 12 janvier 2012 relatives à la vérification de l’authenticité du titre de conduite délivré par l’Etat étranger, ou aurait demandé à l’intéressé de compléter son dossier, est sans incidence sur les textes qu’il lui appartient d’appliquer à la date à laquelle elle statue.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Besançon, à M. B… A… et au ministre de l’intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.