Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 septembre 2001 et 10 janvier 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS, dont le siège est … ; l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision du 12 juillet 2001 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l’annulation du décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 portant code des marchés publics, ensemble le décret du 7 mars 2001 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, présentée par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la communauté économique européenne ;
Vu la directive n° 92/50/CEE du conseil des communautés européennes du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services modifiée par la directive n° 97/52/CEE ;
Vu la loi du 5 octobre 1938 tendant à accorder au gouvernement les pouvoirs pour réaliser le redressement immédiat de la situation économique et financière du pays ;
Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée ;
Vu la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;
Vu la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence ;
Vu le décret du 12 novembre 1938 portant extension de la réglementation en vigueur pour les marchés de l’Etat aux marchés des collectivités locales et des établissements publics ;
Vu le décret n° 66-887 du 28 novembre 1966, notamment son article 2 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Chantepy, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS,
– les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;
Sur les moyens tirés de l’article 34 de la Constitution :
Considérant que ni l’article 34 de la Constitution ni aucune autre règle de valeur constitutionnelle n’exige que les conditions de passation des marchés passés par l’Etat soient définies par la loi ;
Considérant qu’aux termes de l’article unique de la loi du 5 octobre 1938 : Le gouvernement est autorisé, jusqu’au 15 novembre 1938, à prendre, par décrets délibérés et approuvés en conseil des ministres, les mesures destinées à réaliser le redressement immédiat de la situation économique et financière du pays. Ces décrets, qui auront force de loi, seront soumis à la ratification des Chambres avant le 1er janvier 1939 ; qu’aux termes de l’article 1er du décret du 12 novembre 1938, pris sur le fondement de cette habilitation et avant sa date d’expiration : Les dispositions des textes législatifs et réglementaires relatives à la passation et à l’exécution des marchés de l’Etat peuvent être étendues, par règlements d’administration publique, contresignés par les ministres intéressés et le ministre des finances, et sous réserve des ajustements nécessaires, aux départements, aux communes et aux établissements publics relevant de l’Etat, des départements et des communes ; que, par ce décret, le gouvernement a pu légalement renvoyer à des règlements d’administration publique à intervenir, y compris après la date d’expiration de l’habilitation qu’il tenait de cette loi, le soin d’édicter les mesures d’application de la règle, fixée par lui en vertu de cette habilitation, d’extension aux marchés des collectivités locales, sous réserve des ajustements nécessaires, des dispositions applicables aux marchés de l’Etat ; que, par suite, le Premier ministre tenait des dispositions du décret du 12 novembre 1938, qui n’a pas été légalement abrogé par le décret du 28 novembre 1966, compétence pour étendre aux collectivités locales les règles nouvelles qu’il édictait pour les marchés publics de l’Etat ;
Sur les autres moyens :
Considérant, en premier lieu, que la directive n° 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services prévoit, à son article 9, que les marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe IB sont passés conformément aux articles 14 et 16 ; que les services juridiques sont au nombre des services figurant à l’annexe IB ; qu’il ressort clairement des dispositions des articles 14 et 16 de la directive que les marchés portant sur ces services sont soumis exclusivement, pour leur passation, à deux formalités consistant la première en la définition des prestations par référence à des spécifications techniques, la seconde en l’envoi d’un avis portant sur les résultats de la consultation, la personne responsable du marché pouvant demander que cet avis ne fasse pas l’objet de publication ;
Considérant qu’aux termes de l’article 30 du code des marchés publics : Les marchés publics qui ont pour objet : 1° Des services juridiques ; …. sont soumis, en ce qui concerne leur passation, aux seules obligations relatives à la définition des prestations par référence à des normes, lorsqu’elles existent, ainsi qu’à l’envoi d’un avis d’attribution…. Les contrats ayant pour objet la représentation d’une personne publique en vue du règlement d’un litige ne sont soumis qu’aux dispositions du présent article ainsi que des titres Ier et II du présent code ; qu’aux termes de son article 78 : Après transmission au représentant de l’Etat des pièces nécessaires à l’exercice de son contrôle, s’agissant des collectivités territoriales, ou réception de ces pièces par le représentant de l’Etat s’agissant des établissements publics de santé, le marché est notifié au titulaire par la personne responsable du marché. Les contrats ayant pour objet la représentation d’une personne publique en vue du règlement d’un litige ne sont pas transmis au représentant de l’Etat ;
Considérant que la distinction opérée par les dispositions de ces deux articles entre les contrats ayant pour objet la représentation d’une personne publique en vue du règlement d’un litige et les autres services juridiques, notamment ceux qui constituent des prestations de conseil juridique, ne porte ni sur la procédure de passation de ces marchés, qui est unique, qui n’impose pas de mise en concurrence préalable et qui ne fixe aucune contrainte quant au choix du prestataire, ni sur leur soumission aux dispositions des titres Ier et II, mais sur l’absence de soumission des premiers à l’article 78 et aux titres IV à VI du code ; qu’en procédant à cette distinction et en soumettant les marchés de services juridiques à d’autres règles que celles régissant leur passation, ces articles ne méconnaissent pas les objectifs de la directive n° 92/50/CEE, qui se borne à définir les règles applicables à la passation des marchés publics de services ;
Considérant que si l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée, dans sa rédaction issue de la loi du 7 avril 1997 dispose : En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel, ces dispositions ne concernent que les documents élaborés au cours de l’exécution du marché de services juridiques, et non pas les pièces du marché lui-même ; qu’aucune disposition des articles 30 et 78 précités ne porte atteinte à ce secret ; que le moyen tiré de ce que ce secret serait méconnu par l’obligation de passer des contrats écrits, y compris en matière de représentation en justice, manque en fait dès lors que l’article 11, applicable à ces marchés en vertu de l’article 30, les exonère de cette formalité ; que si l’article 30 soumet les marchés de services juridiques autres que ceux ayant pour objet la représentation en justice aux dispositions du titre V du code relatives au contrôle des marchés, ce contrôle ne porte que sur les marchés proprement dits, et non pas sur les documents élaborés en exécution de ces marchés, comme les consultations adressées par un avocat à son client ; qu’ainsi il ne porte pas davantage atteinte au secret des relations entre l’avocat et son client ; que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire ne pouvait édicter des règles portant atteinte à ce secret doit par voie de conséquence être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, que l’article 12 du code des marchés publics, qui fixe la liste des pièces constitutives du marché, et notamment son objet, son prix et sa durée, ne porte aucune atteinte à l’indépendance des avocats ; que si l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS soutient que la fixation a priori de la durée du marché est impossible, s’agissant notamment des contrats de représentation en vue du règlement d’un litige, l’article 12 prévoit que cette durée peut être remplacée par l’indication de dates prévisionnelles de début et d’achèvement d’exécution ;
Considérant, en troisième lieu, que si l’article 18 du code des marchés publics, applicable aux marchés de services juridiques en vertu de l’article 30, ne prévoit pas que ces marchés puissent être conclus à prix provisoires, et si l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS soutient que la fixation a priori d’un prix définitif est impossible, en matière de représentation en justice, dès lors que la durée de la prestation ne peut être définie à l’avance, l’article 16 prévoit que le prix du marché peut être unitaire, la rémunération globale du cocontractant étant alors fonction des quantités réellement exécutées ; que par suite, et en toute hypothèse, le moyen tiré de ce que ces articles méconnaîtraient le principe d’indépendance des avocats doit être écarté ; qu’aucune disposition des articles 30 et 78 ne méconnaît davantage ce principe d’indépendance ;
Considérant enfin que le code des marchés publics ne comporte aucune disposition organisant la résiliation ou la modification unilatérale des marchés ; que par suite le moyen tiré de ce qu’il contreviendrait aux prérogatives des avocats en la matière manque en fait ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS n’est pas fondé à demander l’annulation du décret du 7 mars 2001 portant code des marchés publics ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D’APPEL DE PARIS, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.