Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 18 février 2010, présentée pour la COMMUNE D’ORVAULT, représentée par son maire ; la COMMUNE D’ORVAULT demande au juge des référés du conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 4 février 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l’exécution de la décision de son maire du 19 janvier 2010, et lui a enjoint de respecter la convention de location de la salle l’Odyssée signée avec M. B. ;
2°) de rejeter la demande de MM. B. et D. ;
3°) de mettre à la charge de MM. B. et D. la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a entaché son ordonnance d’insuffisance de motivation en ne répondant pas à la fin de non-recevoir opposée aux conclusions à fin d’injonction ; qu’il a entaché son ordonnance d’une erreur de droit en s’attribuant un pouvoir d’injonction que le juge du fond n’aurait pas en matière de convention d’occupation du domaine public ; que la décision du 19 janvier 2010 a été à tort qualifiée de décision de résiliation de la convention signée le 15 janvier 2010, dès lors qu’il n’est pas possible de considérer que le contrat de location de la salle Odyssée a été conclu à cette date, M. B. n’ayant pas retourné les documents nécessaires ; que les requérants ont contribué eux-mêmes à créer l’urgence ; que la décision du 19 janvier 2010, que le juge des référés a qualifiée à tort de mesure de police administrative, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, présenté par MM. B. et D., qui concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la COMMUNE D’ORVAULT sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent que le juge des référés pouvait prononcer une injonction ; que le contrat a été valablement formé dès lors que, si M. B. a retourné tardivement son dossier, c’est en raison de la décision même du 19 janvier 2010 de ne pas donner suite au contrat ; que l’intervention de cette décision, à un stade avancé de la préparation du spectacle prévu le 11 mars 2010, crée une situation d’urgence ; que cette décision préjudicie gravement à leurs intérêts ; que, s’ils n’ont saisi le juge des référés que le 2 février, c’est pour respecter d’abord la procédure de conciliation prévue par la convention de location de salle ; que la décision du maire porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression, ainsi qu’à la liberté de travailler et à la liberté d’opinion ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son article 10 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué une audience publique, d’une part, la COMMUNE D’ORVAULT et, d’autre part, MM B. et D. ;
Vu le procès-verbal de l’audience du 25 février à 16 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Garreau, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la COMMUNE d’ORVAULT ;
– Me Barthélemy, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. B. et D. ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) » ;
Considérant que la COMMUNE D’ORVAULT a répondu favorablement, le 5 janvier 2010, à une demande de réservation de salle de spectacle qui lui était adressée par M. B. en vue de la tenue d’un spectacle de l’artiste D., dit ; qu’un document intitulé « convention location de salle » a été établi à cette fin, prévoyant la location de la salle « Odyssée » pour le 11 mars 2010 ; que le maire a toutefois signifié à M. B., le 19 janvier 2010, sa décision de « ne pas donner suite à ce dossier de réservation » au motif que le spectacle envisagé était « contraire aux bonnes mœurs », au sens du règlement général d’utilisation des salles de la commune ; que, saisi par MM. B. et D. sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, par l’ordonnance attaquée, fait droit à leur demande tendant à la suspension de l’exécution de la décision du 19 janvier 2010 et a enjoint au maire de respecter la convention permettant la tenue du spectacle programmé le 11 mars 2010 ;
Sur la suspension de la décision du 19 janvier 2010 :
Considérant, en premier lieu, que, si le devis adressé le 5 janvier 2010 à M. B. par la commune spécifiait que son envoi ne valait pas acceptation définitive, il résulte de l’instruction, notamment de l’examen de la pièce intitulée « convention location de salle », que cette convention, signée dès le 12 janvier pour la commune par un adjoint au maire, comporte également la signature de M. B., précédée de la mention « lu et approuvé » et de la date du 15 janvier 2010, dont la commune ne conteste pas l’authenticité ; qu’ainsi, et alors même que la convention n’avait pas encore été retournée par M. B. avec les pièces requises lorsque la décision litigieuse est intervenue le 19 janvier, c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a estimé qu’à cette date, le contrat avait été conclu et que cette décision revenait à empêcher la tenue du spectacle programmé le 11 mars 2010 ;
Considérant, en second lieu, que, lors de l’audience tenue devant le juge des référés du Conseil d’Etat, l’avocat de la COMMUNE D’ORVAULT a fait connaître que celle-ci renonçait au motif tiré de l’atteinte aux bonnes mœurs, au sens du règlement d’utilisation des salles de la commune, pour y substituer ceux tirés, d’une part, des pouvoirs de gestion du domaine communal, qui permettent au maire de prendre des mesures préservant l’intégrité de ce domaine, et, d’autre part, de ses pouvoirs de police générale, qui lui imposent de veiller à la préservation de l’ordre public ; que la commune appelante fait valoir à cet égard que le spectacle de l’artiste était susceptible de donner lieu à des troubles, pouvant en particulier se traduire par des dégradations de la salle communale ;
Considérant toutefois que ces allégations ne sont, pas plus en appel qu’en première instance, étayées par aucun élément, en dehors d’une référence d’ordre général aux polémiques que certaines positions publiques de cet artiste ont pu susciter ; qu’en particulier, il n’est pas soutenu que le contenu de ce spectacle serait par lui-même contraire à l’ordre public ou se heurterait à des dispositions pénales ; qu’à supposer même qu’un risque de désordre ait pu exister, il appartient au maire de concilier l’exercice de ses pouvoirs de police avec la préservation de l’exercice des libertés fondamentales, au nombre desquelles figure la liberté d’expression ; qu’à cet égard, l’impossibilité d’y remédier, le cas échéant, par des mesures appropriées n’est pas davantage établie ; que, dans ces conditions, la décision du 19 janvier 2010, qui revient à interdire la tenue d’un spectacle, constitue une atteinte grave à la liberté d’expression ; qu’en l’absence de tout motif invoqué par la commune de nature à la justifier, cette atteinte est manifestement illégale ;
Considérant que, compte tenu de la gravité de cette atteinte, qui empêche la tenue du spectacle prévu le 11 mars prochain, alors que ses organisateurs avaient ouvert une campagne de réservation, la condition d’urgence requise l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ; que, par suite, c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a prononcé la suspension de la décision du 19 janvier 2010 ;
Sur l’injonction :
Considérant qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte ; que, si ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, il en va autrement lorsque, comme en l’espèce, aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte ; que, dès lors, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes n’est pas allé au-delà des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative en enjoignant au maire de respecter la convention de location de la salle Odyssée, afin de permettre la tenue du spectacle de l’artiste ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE D’ORVAULT n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée ; que ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ; qu’en revanche, il y a lieu, sur le même fondement, de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros à verser à MM. B. et D. ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la COMMUNE D’ORVAULT est rejetée.
Article 2 : La COMMUNE D’ORVAULT versera la somme globale de 1 500 euros à MM. B. et D. en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la COMMUNE D’ORVAULT et à MM. B. et D..