LE JUGE DES REFERES
Vu, enregistrée le 24 juillet 2001, la requête présentée pour la ville d’Etampes, représentée par son maire, domicilié à l’hôtel de ville d’Etampes (91152) ; la ville d’Etampes demande que le juge des référés du Conseil d’Etat :
1) annule l’ordonnance du 16 juillet 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a suspendu les effets de l’arrêté du maire d’Etampes du 5 juillet 2001 réglementant la circulation des mineurs de moins de treize ans sur le territoire de la commune et qu’il rejette la demande de suspension présentée par le préfet de l’Essonne ;
2) condamne l’Etat à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l?article L. 761-1 du code de justice administrative ;
la ville d’Etampes soutient que, ainsi qu’il résulte d’une ordonnance en date du 9 juillet 2001 du juge des référés du Conseil d’Etat, une mesure interdisant la circulation des enfants de moins de treize ans non accompagnés par un adulte la nuit, pendant l’été, est légale si elle tend à prévenir des risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elle est édictée ; que le contrat local de sécurité conclu par la ville le 16 mai 2000 souligne le sentiment croissant d’insécurité des habitants de l’ensemble de la zone urbaine de la commune, tant dans le centre-ville que dans la ville-haute ; que la taille relativement réduite de cette zone urbaine de 22 000 habitants, laquelle équivaut à un seul des trois quartiers sensibles d’Orléans, fait obstacle à ce qu’une interdiction de circulation puisse être limitée à des sous-quartiers de la ville ;
Vu l’ordonnance attaquée et l’arrêté du maire d’Etampes en date du 5 juillet 2001 ;
Vu, enregistré le 25 juillet 2001, le mémoire en défense présenté par le préfet de l’Essonne, qui conclut au rejet de la requête par les motifs que le maire a réglementé la circulation des enfants sur l’ensemble du territoire de la commune, sans tenir compte des circonstances locales des différents quartiers ou hameaux ; qu’en particulier le contrat local de sécurité de la ville d’Etampes n’évoque ni le quartier Saint-Gilles, ni celui du Petit-Saint Mars et encore moins les hameaux de Villesauvage, Guignonville, Le Chesnay, Valnay, Pierrefitte et l’Humery, situés dans les zones agricoles de la commune ; que la délinquance des mineurs n’est pas particulièrement importante à Etampes ; que l’atteinte portée à la liberté d’aller et venir est excessive ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative et notamment son livre V ;
Après avoir convoqué à une audience publique d’une part le maire d?Etampes, d’autre part le préfet de l’Essonne ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 26 juillet 2001 à 14h30 à laquelle ont été entendus : – Me Vier, avocat au Conseil d?Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune d’Etampes ; – M. Franck Marlin, maire d’Etampes, Mme Muriel Mibène et M. Bernard Gaillot, ses collaborateurs ; – M. Jean-Paul Torre, représentant du préfet de l?Essonne ;
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 2136-6 du code général des collectivités territoriales, reproduites sous les articles L. 554-1 et L. 554-3 du code de justice administrative, lorsqu’il défère au tribunal administratif un acte qu’il estime contraire à la légalité, le représentant de l?Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué (…). Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension est susceptible d?appel devant le Conseil d’Etat dans la quinzaine de sa notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller d’Etat délégué à cet effet statue dans les quarante-huit heures ;
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, le préfet de l’Essonne a demandé au président du tribunal administratif de Versailles de suspendre l’exécution de l’arrêté du 5 juillet 2001 par lequel le maire d’Etampes a interdit, pour la période du 6 juillet au 6 septembre 2001 et sur tout le territoire de la commune, entre 22 heures et 6 heures, la circulation des mineurs de moins de treize ans non accompagnés d’une personne majeure, et prévu qu’un mineur méconnaissant cette interdiction pourra en cas d’urgence, être reconduit à son domicile par des agents de la police nationale, (lesquels) informeront sans délai le procureur de la République de tous les faits susceptibles de donner lieu à l’engagement de poursuites ou à la saisine du juge des enfants ; que par ordonnance du 16 juillet 2001, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif, statuant en référé, a suspendu l’exécution de l’arrêté du 5 juillet 2001 ; que la commune d’Etampes demande en appel l’annulation de cette ordonnance ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier ainsi que de l’audience tenue par le juge des référés du Conseil d’Etat qu’en édictant ces dispositions le maire a entendu essentiellement contribuer à la protection des mineurs de moins de treize ans contre les dangers auxquels ils sont tout particulièrement exposés dans la ville d’Etampes aux heures susmentionnées, et qui tiennent tant au risque d?être personnellement victimes d’actes de violence qu’à celui d’être mêlés, incités ou accoutumés à de tels actes ;
Considérant que ni l’article 372-2 du code civil, selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l’enfant sont confiées par la loi à ses père et mère, qui ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation, ni les articles 375 à 375-8 du même code selon lesquels l’autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents, et si la santé ou la moralité d’un mineur sont en danger, prononcer des mesures d’assistance éducative, ni, enfin, les pouvoirs généraux que les services de police peuvent exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ne font obstacle à ce que, pour contribuer à la protection des mineurs, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu’il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales ;
Considérant toutefois que la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la double condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu?elles soient adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte ;
Considérant qu’il résulte des pièces du dossier, et notamment du contrat local de sécurité de la ville d’Etampes, d’une part que le taux général de délinquance et spécialement celui de la délinquance des mineurs sont élevés dans cette ville et d’autre part que l’insécurité qui en résulte concerne aussi bien le centre ville que les quartiers périphériques (Guinette, saint Michel, saint Martin, saint Pierre) ; que si les cités de Guinette, Croix de Venailles, Emmaüs et les alentours des deux gares du RER semblent particulièrement sensibles, la taille réduite de cette ville de 22000 habitants et la grande mobilité des bandes de délinquants rendraient irréaliste une réglementation limitée à ces seules fractions de quartiers ; que même s’il n’est pas établi que la délinquance soit spécifiquement imputable aux mineurs de treize ans, il reste que la protection de ces mineurs justifie des mesures destinées à prévenir les risques qu’ils encourent en circulant seuls la nuit dans la ville ; que les mesures contenues dans l?arrêté municipal susmentionné ne méconnaissent par elles-mêmes ni les dispositions du code de procédure pénale relatives aux contrôles d’identité ni, dès lors qu’elles ne sont applicables qu’en cas d’urgence, celles de l’exécution forcée ; que ces mesures sont adaptées aux circonstances ; que s’il paraît excessif par rapport aux fins poursuivies que l’interdiction de circulation commence dès 22 heures, il n?y a cependant pas lieu de suspendre, en tant qu’il concerne la zone urbaine, l’exécution de l’arrêté susmentionné, dès lors que le maire s’est engagé devant le juge des référés à le modifier pour repousser de 22 à 23 heures le début de la période nocturne réglementée ;
Considérant en revanche qu’ainsi que le soutient le préfet et que le reconnaît le maire, la réglementation susmentionnée n’a aucune raison d’être appliquée en dehors de la partie urbanisée de la commune, qui comprend notamment les hameaux de Villesauvage, Guignonville, Le Chesnay, Valnay, Pierrefitte et l’Humery, et couvre plus de la moitié du territoire municipal ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune d’Etampes est fondée à demander la réformation de l’ordonnance attaquée, en tant qu’elle a suspendu l’application générale de l’arrêté du 5 juillet 2001 du maire d’Etampes au lieu de n’en suspendre les effets qu’en dehors de la partie urbanisée de la commune ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’appliquer ces dispositions ;
O R D O N N E :
Article 1er : Jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le déféré du préfet de l’Essonne présenté contre l’arrêté du maire d’Etampes du 5 juillet 2001 réglementant la circulation des mineurs de moins de treize ans sur le territoire de la commune d’Etampes, les effets de cet arrêté sont suspendus sur la partie non urbanisée de la commune.
Article 2 : L’ordonnance du 16 juillet 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune d’Etampes est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune d’Etampes, au préfet de l’Essonne et au ministre de l’intérieur. Copie en sera transmise au procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Evry.