Conseil d’Etat
statuant
au contentieux
N° 176611
Publié au recueil Lebon
AVIS SECTION
M. Gentot, président
Mlle Mignon, rapporteur
M. Arrighi de Casanova, commissaire du gouvernement
lecture du vendredi 5 avril 1996
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu, enregistré le 3 janvier 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le jugement du 20 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Lyon, avant de statuer sur la demande de M. Guy X… tendant à la décharge des pénalités afférentes aux cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1982, 1984 et 1985, a décidé, par application des dispositions de l’article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du Contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) le principe selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu’elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer aux auteurs des infractions commises avant son entrée en vigueur n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, est-il applicable aux majorations de droits pour mauvaise foi ?
2°) dans l’affirmative, pour déterminer la loi applicable, convient-il de se placer, s’agissant de plein contentieux, à la date à laquelle le juge de l’impôt statue et sinon à quelle autre date ?
3°) le juge de l’impôt doit-il appliquer d’office la majoration la moins forte lorsque le requérant n’en conteste pas expressément le taux ?
4°) pour déterminer, le cas échéant, si les nouvelles dispositions de l’article 1729 du code général des impôts constituent une sanction plus douce que celles qui ont été appliquées au contribuable, faut-il comme le demande l’administration prendre en compte le montant de la majoration de 40% et les intérêts de retard que le nouveau texte permet de cumuler ?
5°) le juge fiscal doit-il condamner lui-même le requérant à payer la majoration de droits pour mauvaise foi et, dans l’affirmative, a-t-il le pouvoir de moduler le taux de cette majoration pour tenir compte de la gravité de la fraude commise par l’intéressé ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 et notamment son préambule ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 publié par le décret n° 81-76 du 29 janvier 1981 ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 et, notamment, son article 12 aux termes duquel : « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par un jugement qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision sur le fond de l’affaire jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai » ;
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret n° 63-766 du 30 juillet 1963, modifié, par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mlle Mignon, Auditeur,
– les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
1° – Le principe selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu’elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, s’étend aux majorations de droits pour mauvaise foi prévues par l’article 1729-1 du code général des impôts. En effet, dès lors qu’elles présentent le caractère d’une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu’elles visent et n’ont pas pour objet la seule réparation d’un préjudice pécuniaire, ces majorations constituent, même si le législateur a laissé le soin de les établir et de les prononcer à l’autorité administrative, des sanctions soumises au principe de nécessité des peines tel qu’il résulte de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
2° et 3° – Dès lors qu’une contestation propre aux pénalités a été présentée au juge de l’impôt, il appartient à celui-ci d’examiner d’office s’il y a lieu de faire application de la loi répressive nouvelle plus douce. Dans cette hypothèse, en effet, il ne pourrait statuer sur le moyen dont il est saisi, sans méconnaître lui-même le champ d’application de la loi dans le temps. Pour déterminer la loi applicable à la pénalité contestée devant lui, le juge de l’impôt doit, comme juge de plein contentieux, se placer à la date à laquelle il statue.
4° – Aux termes du I a) de l’article 2 de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières, repris au premier alinéa de l’article 1727 du code général des impôts : « Le défaut ou l’insuffisance dans le paiement ou le versement tardif de l’un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts donnent lieu au versement d’un intérêt de retard qui est dû indépendamment de toutes sanctions ». Le III du même article repris à l’article 1729-I du code précité, dispose, quant à lui, que « Lorsque la déclaration ou l’acte mentionné au II font apparaître une base d’imposition ou des éléments servant à la liquidation de l’impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti : 1°) de l’intérêt de retard visé au paragraphe I … 2°) et d’une majoration de 40% si la mauvaise foi de l’intéressé est établie … ». Il résulte de ces dispositions que les intérêts de retard n’ont pas le caractère d’une sanction mais celui d’une réparation du préjudice pécuniaire subi par le Trésor en cas de paiement insuffisant ou tardif ou en cas de défaut de paiement de l’impôt. Par suite, pour déterminer si les dispositions de l’article 1729-I du code général des impôts dans leur rédaction résultant de la loi du 8 juillet 1987 instituent une sanction plus douce que celle prévue par la législation en vigueur avant l’intervention de cette loi, il convient de ne prendre en compte que le taux de majoration prévu par le nouveau texte en cas d’absence de bonne foi à l’exclusion des intérêts de retard. Pour procéder à la comparaison qu’impliquent les principes énoncés ci-dessus, il y a lieu de ne prendre en compte que la part de majorations qui, en vertu des règles antérieurement applicables, présentait le caractère d’une sanction. Il convient donc d’en défalquer la fraction correspondant aux intérêts qui étaient en tout état de cause maintenus lorsque le juge était conduit à prononcer la décharge des pénalités. Il suit de là que le juge ne doit appliquer le taux de 40 % que s’il ressort du dossier que cette comparaison en fait apparaître le caractère moins sévère.
5° – Lorsqu’il y a lieu de faire application de la loi répressive nouvelle plus douce, le juge de l’impôt doit substituer lui-même les pénalités résultant de l’application de cette loi aux majorations établies par l’administration. La loi précitée du 8 juillet 1987, comme celle antérieurement en vigueur, qui proportionne les pénalités selon les agissements commis par le contribuable, a prévu l’application de taux de majorations différents selon la qualification qui peut être donnée au comportement de celui-ci. Le juge de l’impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur la qualification retenue par l’administration, doit appliquer le taux de majoration prévu en ce cas par la loi sans pouvoir le moduler pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Il sera notifié à M. Guy X…, au tribunal administratif de Lyon et au ministre de l’économie et des finances.