Conseil d’État
N° 388299
ECLI:FR:CESEC:2015:388299.20151130
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
Mme Anne Iljic, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
lecture du lundi 30 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 février et 28 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la délibération n° CT 20-04-2014 du conseil territorial de Saint-Martin du 30 octobre 2014, relative à l’instauration d’un prélèvement forfaitaire de 30 %, libératoire de l’impôt sur le revenu, assis sur une partie des sommes versées au titre du revenu de solidarité active.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment son article 74 ;
– le code de l’action sociale et des familles ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Anne Iljic, auditeur,
– les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 novembre 2015, présentée par le préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ;
1. Considérant que, par la délibération attaquée, le conseil territorial de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin a institué un prélèvement forfaitaire de 30 %, libératoire de l’impôt sur le revenu, assis sur la part de l’allocation de revenu de solidarité active au financement de laquelle cette collectivité contribue en application du deuxième alinéa du I de l’article L. 262-24 du code de l’action sociale et des familles ; que cette délibération prévoit que cet impôt est prélevé à la source par la caisse d’allocations familiales compétente, située à la Guadeloupe, et versé par cet organisme au comptable public de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin dans les dix jours qui suivent le paiement des allocations ; que ce prélèvement est assorti des mêmes contrôles, sanctions et garanties que ceux prévus par le code général des impôts de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin en matière de taxe générale sur le chiffre d’affaires ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : » La loi fixe les règles concernant (…) l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures (…) » ; qu’aux termes de l’article 74 de la Constitution : » Les collectivités d’outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République. Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante, qui fixe : (…) – les compétences de cette collectivité ; (…) La loi organique peut également déterminer, pour celles de ces collectivités qui sont dotées de l’autonomie, les conditions dans lesquelles : – le Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi ; (…) » ;
3. Considérant que la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin est, en vertu de l’article L.O. 6311-1 du code général des collectivités territoriales, une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution et dotée de l’autonomie ; qu’il résulte des dispositions combinées des articles L.O. 6342-1, L.O. 6343-1, L.O. 6343-2, L.O. 6343-4 et L.O. 6351-2 du même code que le Conseil d’Etat, saisi par le représentant de l’Etat dans la collectivité d’un recours contentieux contre un acte du conseil territorial de la collectivité intervenant dans le domaine de la loi, statue sur la conformité de cet acte au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux de la France et des principes généraux du droit ;
4. Considérant qu’en vertu de l’article L.O. 6314-3 du code général des collectivités territoriales : » La collectivité fixe les règles applicables dans les matières suivantes : 1° Impôts, droits et taxes dans les conditions prévues à l’article L.O. 6314-4 (…) » ; qu’aux termes de l’article L.O. 6314-4 de ce code : » III. Sans préjudice de l’exercice par la collectivité de sa compétence en matière d’impôts, droits et taxes, l’Etat peut instituer des taxes destinées à être perçues à l’occasion des missions d’intérêt général qui lui incombent dans le cadre de ses compétences. » ;
Sur la compétence de la collectivité pour imposer une fraction du revenu de solidarité active :
5. Considérant qu’il résulte des dispositions citées au point précédent que la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin est notamment compétente en matière d’impôt sur le revenu, sous réserve des conditions prévues aux 1° et 1° bis du I de l’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales relatives à la durée de résidence ;
6. Considérant que, pour instituer l’imposition en litige, le conseil territorial de la collectivité de Saint-Martin a supprimé l’exonération d’impôt sur le revenu jusqu’alors prévue au 9° de l’article 81 du code général des impôts de ce territoire en tant qu’elle concernait une fraction du revenu de solidarité active ; qu’il suit de là ainsi que de ce qui a été énoncé au point 5 de la présente décision que, contrairement à ce qui est soutenu, la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin était compétente pour instituer une telle imposition, qui se rattache à l’impôt sur le revenu, alors même que la politique sociale n’est pas au nombre des matières, énumérées à l’article L.O. 6314-3, dans lesquelles il lui appartient de fixer les règles et qu’elle n’était pas habilitée, à la date de la délibération attaquée, à adapter les dispositions législatives relatives au revenu de solidarité active ;
Sur l’institution d’un prélèvement à la source :
7. Considérant d’une part, qu’il résulte des dispositions précitées de la Constitution qu’il appartient à une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de celle-ci d’exercer pleinement la compétence que lui a conférée le législateur organique lorsque, intervenant dans un domaine réservé, en métropole, au législateur par l’article 34 de la Constitution, elle crée un régime juridique et ne diffère pas son entrée en vigueur ; qu’il revient à cette collectivité, lorsqu’elle exerce des compétences qui relèvent, en principe, du domaine de la loi, d’assortir les éventuelles mises en cause des droits et principes constitutionnellement protégés des garanties de nature à permettre que ces mises en cause soient conformes à la Constitution ; qu’il s’ensuit que lorsqu’elle définit, dans le cadre de ses compétences, une imposition, la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin doit déterminer de manière complète et suffisamment précise son assiette, son taux, ainsi que ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition ;
8. Considérant, d’autre part, que l’article 4A du code général des impôts de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin soumet à l’impôt sur le revenu les personnes ayant leur domicile fiscal sur son territoire à raison de l’ensemble de leurs revenus ; que, dès lors que les impositions qu’institue cette collectivité portent sur une assiette pour laquelle elle est compétente, il lui est loisible, sous réserve du respect des dispositions du II de l’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales relatives aux modalités de recouvrement des impôts directs et taxes assimilées dans ce territoire, de prévoir que leur recouvrement est effectué par voie de prélèvement à la source par l’organisme payeur des revenus imposés, quand bien même ce dernier ne serait pas domicilié… ; que, dans le cas où un organisme payeur établi sur le territoire européen de la France ou dans un département d’outre-mer s’abstiendrait de procéder aux diligences qui lui incombent, le recouvrement relèverait des modalités déterminées par une convention d’assistance administrative en matière fiscale conclue avec les autorités françaises ;
9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le conseil territorial de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, qui n’a attribué à la caisse d’allocations familiales compétente pour son territoire, dont le siège est situé à la Guadeloupe, aucune compétence nouvelle, pouvait légalement prévoir que cette dernière procéderait au prélèvement à la source de l’imposition instituée par la délibération attaquée ; qu’il suit de là que le préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin n’est pas fondé, par les moyens qu’il invoque, à demander l’annulation pour excès de pouvoir de cette délibération ;
10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin est rejetée.
Article 2 : L’Etat versera à la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, à la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin et à la ministre des outre-mer.
Analyse
Abstrats : 19-01-01-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES. GÉNÉRALITÉS. TEXTES FISCAUX. TEXTE APPLICABLE (DANS LE TEMPS ET DANS L’ESPACE). – COLLECTIVITÉS DE L’ARTICLE 74 DE LA CONSTITUTION – SAINT-MARTIN – FACULTÉ D’INSTITUER UN PRÉLÈVEMENT À LA SOURCE PAR UN ORGANISME NON DOMICILIÉ À SAINT-MARTIN – EXISTENCE – MODALITÉS.
46-01-01 OUTRE-MER. DROIT APPLICABLE. GÉNÉRALITÉS. – COLLECTIVITÉ DE L’ARTICLE 74 DE LA CONSTITUTION – EXERCICE D’UNE COMPÉTENCE NORMATIVE DANS LE DOMAINE DE LA LOI – 1) PRINCIPE – CONDITIONS – INTERDICTION DE L’INCOMPÉTENCE NÉGATIVE – 2) APPLICATION À L’EXERCICE DE LA COMPÉTENCE FISCALE – CONDITIONS [RJ1].
46-01-02-07 OUTRE-MER. DROIT APPLICABLE. STATUTS. – EXERCICE D’UNE COMPÉTENCE NORMATIVE DANS LE DOMAINE DE LA LOI – 1) PRINCIPE – CONDITIONS – INTERDICTION DE L’INCOMPÉTENCE NÉGATIVE – 2) APPLICATION À L’EXERCICE DE LA COMPÉTENCE FISCALE – A) CONDITIONS [RJ1] – B) FACULTÉ D’INSTITUER UN PRÉLÈVEMENT À LA SOURCE PAR UN ORGANISME NON DOMICILIÉ À SAINT-MARTIN – EXISTENCE – MODALITÉS.
Résumé : 19-01-01-02 Dès lors que les impositions qu’institue cette collectivité portent sur une assiette pour laquelle elle est compétente, il est loisible à la collectivité de Saint-Martin, sous réserve du respect des dispositions du II de l’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales relatives aux modalités de recouvrement des impôts directs et taxes assimilées dans ce territoire, de prévoir que leur recouvrement est effectué par voie de prélèvement à la source par l’organisme payeur des revenus imposés, quand bien même ce dernier ne serait pas domicilié sur son territoire, dès lors que ces revenus sont versés par cet organisme à des personnes qui ont leur domicile fiscal sur ce territoire. Dans le cas où un organisme payeur établi sur le territoire européen de la France ou dans un département d’outre-mer s’abstiendrait de procéder aux diligences qui lui incombent, le recouvrement relèverait des modalités déterminées par une convention d’assistance administrative en matière fiscale conclue avec les autorités françaises.
46-01-01 1) Il appartient à une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution d’exercer pleinement la compétence que lui a conférée le législateur organique lorsque, intervenant dans un domaine réservé, en métropole, au législateur par l’article 34 de la Constitution, elle crée un régime juridique et ne diffère pas son entrée en vigueur. Il revient à cette collectivité, lorsqu’elle exerce des compétences qui relèvent, en principe, du domaine de la loi, d’assortir les éventuelles mises en cause des droits et principes constitutionnellement protégés des garanties de nature à permettre que ces mises en cause soient conformes à la Constitution…. ,,2) Lorsqu’elle définit, dans le cadre de ses compétences, une imposition, une telle collectivité d’outre-mer doit donc déterminer de manière complète et suffisamment précise son assiette, son taux, ainsi que ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition.
46-01-02-07 1) Il appartient à une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution d’exercer pleinement la compétence que lui a conférée le législateur organique lorsque, intervenant dans un domaine réservé, en métropole, au législateur par l’article 34 de la Constitution, elle crée un régime juridique et ne diffère pas son entrée en vigueur. Il revient à cette collectivité, lorsqu’elle exerce des compétences qui relèvent, en principe, du domaine de la loi, d’assortir les éventuelles mises en cause des droits et principes constitutionnellement protégés des garanties de nature à permettre que ces mises en cause soient conformes à la Constitution…. ,,2) a) Lorsqu’elle définit, dans le cadre de ses compétences, une imposition, la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin doit donc déterminer de manière complète et suffisamment précise son assiette, son taux, ainsi que ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition…. ,,b) Dès lors que les impositions qu’institue cette collectivité portent sur une assiette pour laquelle elle est compétente, il lui est loisible, sous réserve du respect des dispositions du II de l’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales relatives aux modalités de recouvrement des impôts directs et taxes assimilées dans ce territoire, de prévoir que leur recouvrement est effectué par voie de prélèvement à la source par l’organisme payeur des revenus imposés, quand bien même ce dernier ne serait pas domicilié sur son territoire, dès lors que ces revenus sont versés par cet organisme à des personnes qui ont leur domicile fiscal sur ce territoire. Dans le cas où un organisme payeur établi sur le territoire européen de la France ou dans un département d’outre-mer s’abstiendrait de procéder aux diligences qui lui incombent, le recouvrement relèverait des modalités déterminées par une convention d’assistance administrative en matière fiscale conclue avec les autorités françaises.
[RJ1] Cf., sur l’interdiction de l’incompétence négative, CE, 16 octobre 2013, Société Electricité de France et Société Orange, n° 358701 359137, T. pp. 395-527-721.