REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
VU LA PROCEDURE SUIVANTE :
Procédure contentieuse antérieure :
M. AK…L…a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une protestation contre les opérations électorales qui se sont déroulées les 23 et 30 mars 2014 dans la commune de Vénissieux. Ces opérations électorales ont également été déférées au tribunal administratif de Lyon par le préfet du Rhône.
Par un jugement n° 1402367-1402387 du 7 octobre 2014, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces opérations électorales, déclaré M. AF… et Mme E… inéligibles pour une durée d’un an, suspendu leurs mandats et rejeté le surplus de la protestation.
Procédure devant le Conseil d’Etat :
Sous le n° 385555, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 6 novembre 2014, 19 et 20 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme N… O…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler les articles 1er et 5 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 7 octobre 2014 ;
2°) de rejeter la protestation de M. L… et le déféré du préfet du Rhône.
Sous le n° 385604, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 novembre 2014 et 20 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. D… AF…et Mme U… E…demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler les articles 1er, 2, 3 et 6 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 7 octobre 2014 ;
2°) de rejeter la protestation de M. L… et le déféré du préfet du Rhône ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat et de M. L… la somme globale de 5 000 euros à verser à chacun d’entre eux au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Sous le n° 385613, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 novembre 2014 et 16 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. AN… A…W…et M. S… AA…demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Lyon du 7 octobre 2014 en tant qu’il a prononcé l’annulation de l’ensemble des opérations électorales ;
2°) de mettre à la charge de M. L…, M. AF… et Mme E… la somme globale de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu :
– les autres pièces des dossiers ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code électoral ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Guillaume Odinet, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. AA… ;
1. Considérant qu’il résulte de l’instruction que lors du second tour des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 23 et 30 mars 2014 pour l’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires de la commune de Vénissieux, la liste » Avec Michèle O…rassembler les Vénissians et tenir le cap à gauche « , conduite par Mme O…, qui est arrivée en tête en recueillant 4 967 voix, a obtenu 34 sièges sur 49 ; que les trois autres listes en présence ont obtenu, respectivement, 8, 5 et 2 sièges en recueillant, la liste » Osons le bon sens pour Vénissieux » conduite par M. L…, 4 012 voix, la liste » Ensemble pour Vénissieux » conduite par M. A… W…, 2 862 voix et la liste » Vénissieux fait front » conduite par M. AF…, 1 355 voix ; que, sur la protestation de M. L… et le déféré du préfet du Rhône, le tribunal administratif de Lyon a, par un jugement du 7 octobre 2014, annulé ces opérations électorales, déclaré M. AF… et Mme E… inéligibles pour une durée d’un an et suspendu leurs mandats ; que par trois requêtes, qu’il y a lieu de joindre, M. AF… et Mme E… d’une part, M. A… W…et M. AA… d’autre part, Mme O… enfin font appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que la liste conduite par M. AF… comportait quarante-neuf candidats ; que figurait au dossier soumis au tribunal administratif un procès-verbal du 18 mars 2014 établi par un officier de police judiciaire indiquant les noms de vingt-deux candidats de cette liste qui avaient assuré avoir sciemment et en connaissance de cause signé une déclaration de candidature sur la liste » Vénissieux fait front » ; qu’il résultait de quatre autres procès-verbaux, établis dans les mêmes conditions, que quatre autres candidats avaient également déclaré avoir eu l’intention de présenter leur candidature sur la liste conduite par M. AF… ; qu’ainsi vingt-six des candidats de cette liste étaient identifiés comme ayant clairement entendu figurer sur cette liste ;
3. Considérant qu’une note du chef de la sûreté départementale du Rhône indiquait que dix-neuf personnes avaient été entendues et déclaraient avoir été abusées et n’avoir pas eu l’intention d’être candidates sur la liste conduite par M. AF… ; que figuraient au dossier quinze procès-verbaux de ces auditions, établis par des officiers de police judiciaire entre les 5 et 12 mars 2014, qui avaient été anonymisés ; que, toutefois, dès lors que les dix-neuf candidats concernés figuraient parmi les vingt-trois candidats dont les services de police n’avaient pu confirmer la présence volontaire sur la liste conduite par M. AF…, celui-ci et Mme E…, colistière, pouvaient utilement, malgré l’anonymisation des procès-verbaux, d’ailleurs incomplète pour certains d’entre eux, présenter une défense en exposant au tribunal administratif les conditions dans lesquelles chacun de ces vingt-trois candidats avait rejoint la liste » Vénissieux fait front » ; que dès lors, la circonstance que le tribunal administratif se soit fondé, pour regarder la manoeuvre comme établie et déclarer M. AF… et Mme E… inéligibles, sur des procès-verbaux anonymisés, ne peut être regardée comme ayant privé les parties des moyens de contester la fiabilité des preuves ainsi produites et restreint de ce fait leurs droits en méconnaissance du principe d’égalité des armes ; que, pour les mêmes motifs, le moyen tiré d’une violation des stipulations de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit, en tout état de cause, être écarté ;
4. Considérant, en second lieu, que la circonstance que les pièces du dossier soumis au tribunal administratif ont été mises à la disposition des parties au greffe de ce tribunal et ne leur ont pas été directement adressées ne saurait être regardée comme portant atteinte au principe d’égalité des armes, au caractère contradictoire de la procédure ou, en tout état de cause, aux stipulations de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Sur les opérations électorales :
5. Considérant qu’il résulte de l’instruction, après levée de l’anonymat des témoignages sur la demande de la 3ème sous-section du contentieux du Conseil d’Etat, que M. G… V…, Mme J… H…, M. C… AJ…, Mme AM… Q…et Mme AL…AG…, candidats figurant sur la liste » Vénissieux fait front « , ont déclaré, lors de leurs auditions par des officiers de police judiciaire, qu’ils avaient signé une déclaration de candidature sur cette liste à l’issue d’un démarchage au cours duquel elle leur avait été expressément présentée comme disposant du soutien du Front national ; qu’en particulier, M. V… déclare s’être vu proposer, ainsi que son épouse, de reconstituer la liste Front national qui s’était présentée en 2008 ; que Mme H… et M. AJ… déclarent avoir explicitement interrogé les personnes venues solliciter leur signature sur les liens de la liste avec le Front national ; que les personnes effectuant le démarchage ont présenté à Mme AG… un tract sur lequel apparaissait le nom du Front national ; que M. AB… AE…, autre candidat figurant sur la liste » Vénissieux fait front « , a également déclaré avoir signé une déclaration de candidature à l’issue d’un démarchage au cours duquel il lui avait été présenté un tel tract et où une ambiguïté avait été maintenue quant au soutien dont disposait la liste » Vénissieux fait front » ;
6. Considérant qu’il résulte également de l’instruction que Mme X…I…, M. M… P…, M. B… AD…, M. N… Y…, Mme K… AI…et M. T… AH…, candidats figurant sur cette liste, ont déclaré, lors de leurs auditions par des officiers de police judiciaire, que leur signature avait été obtenue par des personnes s’étant clairement présentées comme appartenant au Front national et ayant uniquement sollicité un soutien permettant à une liste du Front national de participer aux élections municipales, sans faire état du fait qu’elles sollicitaient une candidature sur la liste » Vénissieux fait front » conduite par M. AF… ; qu’en particulier, Mme AI… déclare qu’une des personnes venues solliciter sa signature, ainsi que celle de M. AH…, leur a présenté une carte de membre du Front national ;
7. Considérant qu’il résulte enfin de l’instruction que, parmi les autres candidats figurant sur cette liste, Mme AC… Z…a déclaré, lors de son audition par un officier de police judiciaire, n’avoir signé aucune déclaration et n’avoir pas été démarchée, ce dont atteste son fils, et Mme F… R…a déclaré, lors de son audition, avoir fourni les renseignements demandés au cours du démarchage dont elle a fait l’objet avant de refuser de figurer sur la liste au motif que le Front national n’était pas son parti ;
8. Considérant, en premier lieu, que si, ainsi que le soutiennent M. AF… et Mme E…, les relations entre la liste conduite par M. AF… et le Front national ont fait l’objet d’une large publicité et de multiples explications au cours de la campagne électorale, celles-ci sont cependant intervenues alors que les candidatures avaient déjà été recueillies et la liste déjà déposée ; qu’en outre, il résulte de l’instruction que M. et Mme V…, Mme R…, M. AJ…, Mme H… et M. AD…, ayant ainsi appris par la presse que la liste conduite par M. AF… ne disposait pas du soutien du Front national, ont demandé leur retrait de cette liste à M. AF… ou au préfet du Rhône, dès avant leur audition par les services de police judiciaire ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de l’instruction que, lors des élections municipales qui se sont tenues en 2008, M. AF… conduisait une liste intitulée » Vénissieux fait front » et disposant alors du soutien du Front national ; que dès lors, les circonstances que certains des candidats ayant déclaré avoir été trompés figuraient sur la liste conduite par M. AF… en 2008 et que les déclarations de candidature pour les élections municipales de 2014 portaient l’intitulé de la liste » Vénissieux fait front » ne sont pas, eu égard à l’ambiguïté ainsi entretenue sur les soutiens réels de la liste, de nature à démontrer que les candidats ayant signé auraient eu connaissance de ces soutiens ; qu’il résulte d’ailleurs de l’instruction qu’aucun des candidats ayant reconnu avoir procédé à des opérations de démarchage, dont M. AF…, n’a déclaré avoir, au cours de telles opérations, cherché à dissiper l’ambiguïté ainsi créée sur les soutiens de la liste ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’exclusion de M. AF… du Front national aurait fait l’objet d’une publicité telle qu’elle ne pouvait être ignorée des candidats, même de ceux ayant déjà figuré sur une liste soutenue par le Front national ;
10. Considérant, en troisième lieu, que si la large médiatisation donnée, après le dépôt de la liste par M. AF…, à la question de son enregistrement ainsi qu’à l’ouverture d’une enquête préliminaire et l’audition des candidats par la police judiciaire sont susceptibles d’avoir eu une influence, après la déclaration de candidature de ces derniers, sur leur volonté de figurer sur la liste, cette seule circonstance ne saurait cependant être regardée comme de nature à démontrer que l’ensemble des candidats ayant déclaré avoir été trompés ont changé d’avis quant à leur intention de figurer sur la liste ; qu’il résulte au contraire de l’instruction que, ainsi qu’il a été dit au point 9, plusieurs d’entre eux avaient demandé à être retirés de cette liste avant même leur audition par les services de police ;
11. Considérant, dès lors, qu’il résulte de l’instruction que le consentement de plusieurs candidats à figurer sur la liste » Vénissieux fait front » a été obtenu par l’effet de manoeuvres ayant consisté à les tromper sur la réalité des soutiens dont disposait cette liste ou sur la portée de l’engagement qu’ils prenaient et que l’inscription de deux candidates résultait de déclarations de candidatures qui n’avaient pas été signées de leur main ou avaient été utilisées contre leur volonté ; que le dépôt de la liste » Vénissieux fait front « , dans des conditions répondant aux exigences du code électoral, n’aurait donc pas été possible sans ces manoeuvres ;
12. Considérant qu’il appartient au juge de l’élection, lorsqu’il constate une ou plusieurs manoeuvres de cette nature, de rechercher si, eu égard aux résultats des opérations électorales, elles ont altéré la sincérité du scrutin dans son ensemble ; que, dans l’affirmative, il lui appartient d’annuler l’intégralité des opérations électorales ; que, dans la négative, il lui appartient seulement d’annuler, le cas échéant, l’élection des candidats figurant sur la liste irrégulièrement constituée ;
13. Considérant qu’eu égard au nombre de voix obtenues par la liste » Vénissieux fait front » et aux écarts de voix entre les trois autres listes présentes au second tour, la participation de cette liste irrégulièrement constituée a porté atteinte à la sincérité du scrutin dans son ensemble ;
14. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé les opérations électorales auxquelles il a été procédé les 23 et 30 mars 2014 pour l’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires de la commune de Vénissieux dans leur intégralité ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation du jugement en tant qu’il a suspendu les mandats de M. AF… et Mme E… :
15. Considérant qu’aux termes de l’article L. 250-1 du code électoral : » Le tribunal administratif peut, en cas d’annulation d’une élection pour manoeuvres dans l’établissement de la liste électorale ou irrégularité dans le déroulement du scrutin, décider, nonobstant appel, la suspension du mandat de celui ou de ceux dont l’élection a été annulée. / (…) » ;
16. Considérant qu’eu égard à la nature et à la gravité des manoeuvres relevées ainsi qu’à leur caractère délibéré, c’est à bon droit que les premiers juges ont suspendu les mandats de M. AF… et Mme E…, qui en ont bénéficié ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation du jugement en tant qu’il a déclaré M. AF… et Mme E… inéligibles :
17. Considérant qu’aux termes de l’article L. 118-4 du code électoral : » Saisi d’une contestation formée contre l’élection, le juge de l’élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manoeuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. / (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d’un grief tiré de l’existence de manoeuvres, le juge de l’élection peut, le cas échéant d’office, et après avoir, dans cette hypothèse, recueilli les observations des candidats concernés, prononcer une telle sanction si les manoeuvres constatées présentent un caractère frauduleux, et s’il est établi qu’elles ont été accomplies par les candidats concernés et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ;
18. Considérant que les manoeuvres mentionnées au point 11 présentent, eu égard notamment à leur nature et à leur ampleur, un caractère frauduleux ; qu’ainsi qu’il a été dit au point 13, ces manoeuvres ont eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ; qu’il résulte de l’instruction, et n’est d’ailleurs pas contesté, que M. AF… a lui-même participé à leur accomplissement ; qu’eu égard à leur nature et à leur gravité, celui-ci n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif l’a déclaré inéligible pendant une durée d’un an ; qu’en raison du caractère suspensif de l’appel formé par l’intéressé, cette durée court à compter de la date de lecture de la présente décision ;
19. Considérant, en revanche, qu’il n’est pas établi que Mme E… aurait elle-même accompli certaines des manoeuvres frauduleuses relevées ; que dès lors, celle-ci est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l’a déclarée inéligible ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat et de M. L…, qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes ; qu’elles font également obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de M. AF… et de Mme E… qui ne sont pas, dans l’instance introduite par M. A… W…et M. AA…, les parties perdantes ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par M. L… ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’article 2 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 7 octobre 2014 est annulé en tant qu’il déclare Mme E… inéligible pour une durée d’un an.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. AF… et Mme E… et les requêtes de Mme O… et de M. A… W…et M. AA… sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. L… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme N…O…, à M. D… AF…, à M. AN… A…W…, à M. AK… L…et au ministre de l’intérieur.