REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juin et 25 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Claude A, demeurant … ; M. A demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler le jugement du 13 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 21 juin 2005 par laquelle le directeur général délégué de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) de Bourgogne a refusé de lui communiquer l’entier dossier se rapportant aux opérations de préemption, d’acquisition et de revente du domaine rural situé au lieu-dit Margis sur le territoire de la commune de Beaumont-la-Ferrière (Nièvre) ; 2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler cette décision et d’enjoindre à la SAFER de Bourgogne de lui communiquer ce dossier dans un délai d’un mois à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 250 euros par jour de retard ; 3°) de mettre à la charge de la SAFER de Bourgogne la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 88-465 du 28 avril 1988 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique : – le rapport de M. Jean-Luc Matt, chargé des fonctions de Maître des Requêtes, – les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. JeanClaude A et de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la SAFER de Bourgogne, – les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. A demande l’annulation du jugement du 13 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du directeur général délégué de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) de Bourgogne refusant de lui communiquer l’entier dossier se rapportant aux opérations de préemption, d’acquisition et de revente du domaine rural situé au lieudit Margis sur le territoire de la commune de Beaumont-la-Ferrière (Nièvre) ; Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre. (…) / L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique » ; Considérant que la circonstance que le demandeur ait pu avoir, dans le passé, communication de documents administratifs, notamment à l’occasion d’instances devant des juridictions, n’est pas de nature à justifier légalement le refus de faire droit à la demande tendant à ce que ceux-ci lui soient communiqués sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 ; Considérant qu’en jugeant que la demande de M. A présentait un caractère abusif au motif que l’intéressé aurait déjà eu accès, dans le cadre d’une procédure contentieuse, aux documents dont il demande la communication, le tribunal administratif de Dijon a ainsi commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, M. A est fondé à demander l’annulation du jugement attaqué ; Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, et de statuer sur la demande de M. A présentée devant le tribunal administratif de Dijon ; Sur la fin de non-recevoir opposée par la SAFER de Bourgogne : Considérant que M. A s’est rendu à la SAFER de Bourgogne le 17 novembre 2004 et a fait dresser ce jour un constat d’huissier des termes duquel il ressort que la SAFER a été saisie d’une demande de communication de documents sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 ; que la réaction immédiate de responsables de la SAFER lors du dépôt de cette demande, telle qu’elle est consignée dans ce constat, ne peut tenir lieu de décision de rejet ; que, si cette demande est restée sans réponse dans le délai d’un mois prévu par l’article 2 du décret du 28 avril 1988, alors applicable, et a ainsi fait naître une décision implicite de rejet, M. A a régulièrement saisi la commission d’accès aux documents administratifs le 25 janvier 2005, soit dans le délai de deux mois ouvert à cet effet ; que la décision confirmant le rejet de la demande de communication, après notification de l’avis de cette commission, est intervenue le 21 juin 2005 ; que la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Dijon, enregistrée le 4 août 2005, a ainsi été introduite dans le délai de recours contentieux contre cette décision et était, dès lors, recevable ; Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision de refus de communication des documents demandés : Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978 : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre, quel que soit le support utilisé pour la saisie, le stockage ou la transmission des informations qui en composent le contenu, les documents élaborés ou détenus par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées de la gestion d’un service public, dans le cadre de leur mission de service public. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions » ; qu’aux termes de l’article 6 de la même loi : « I. Ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte (…)/ – au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ; (…) / II. Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / – dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée et des dossiers personnels, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle ; / – portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / – faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) / III. – Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. (…) » ; Considérant que les pièces administratives et comptables qui retracent les conditions dans lesquelles sont opérées les préemptions et rétrocessions de terres par les SAFER se rattachent directement à l’activité de service public de ces organismes et constituent, par leur nature et par leur objet, des documents administratifs au sens de la loi du 17 juillet 1978 ; Considérant que la SAFER de Bourgogne n’apporte aucun élément de nature à établir que les documents demandés par M. A comporteraient, au-delà de la désignation des personnes concernées par l’opération en cause, des éléments d’information susceptibles de justifier, sur le fondement du II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, qu’ils ne soient pas communiqués à celui-ci ; Considérant que la SAFER de Bourgogne n’apporte aucun élément au soutien de son allégation selon laquelle la communication des documents demandés serait susceptible, en l’état, de porter atteinte au déroulement d’une procédure juridictionnelle en cours ; Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande de M. A présente un caractère abusif ; qu’en particulier, la circonstance, à la supposer établie, que l’intéressé ait déjà eu communication de l’ensemble des documents en cause à l’occasion d’une procédure antérieure devant le juge civil ne saurait, ainsi qu’il a été dit plus haut, conférer à sa demande un tel caractère ; Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la demande présentée devant le tribunal administratif par M. A, que celui-ci est fondé à demander l’annulation de la décision du directeur général délégué de la SAFER de Bourgogne refusant de lui communiquer l’entier dossier se rapportant aux opérations de préemption, d’acquisition et de revente du domaine rural situé au lieudit Margis sur le territoire de la commune de Beaumont-la-Ferrière ; Sur les conclusions à fin d’injonction : Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ; Considérant que la présente décision implique que la SAFER de Bourgogne communique à M. …, dans les conditions prévues par l’article 4 et le III de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, les documents administratifs et comptables relatifs aux opérations de préemption, d’acquisition et de revente du domaine rural situé au lieudit Margis à Beaumontla-Ferrière ; qu’il y a lieu d’enjoindre à la SAFER de Bourgogne de procéder à cette communication dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ; qu’il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ; Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la SAFER de Bourgogne de la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SAFER de Bourgogne le versement à M. A d’une somme de 4 000 euros en application des mêmes dispositions au titre des frais exposés par lui devant le Conseil d’Etat et le tribunal administratif de Dijon et non compris dans les dépens ;
D E C I D E : ————–
Article 1er : Le jugement rendu le 13 avril 2006 par le tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 2 : La décision du directeur général délégué de la SAFER de Bourgogne refusant de communiquer à M. A l’entier dossier se rapportant aux opérations de préemption, d’acquisition et de revente du domaine rural situé au lieudit Margis sur le territoire de la commune de Beaumont-la-Ferrière (Nièvre) est annulée.
Article 3 : Il est ordonné à la SAFER de Bourgogne de communiquer à M. A, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision et dans les conditions prévues par l’article 4 et le III de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, les documents administratifs et comptables relatifs aux opérations de préemption, d’acquisition et de revente du domaine rural situé au lieudit Margis à Beaumont-la-Ferrière.
Article 4 : La SAFER de Bourgogne versera à M. A une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. A devant le tribunal administratif de Dijon et devant le Conseil d’Etat est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de la SAFER de Bourgogne tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Claude A et à la SAFER de Bourgogne. Copie en sera adressée pour information au ministre de l’agriculture et de la pêche.