Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 31 octobre 2020 et un bordereau de pièces enregistré le
3 novembre 2020, le préfet de l’Hérault demande au juge des référés d’ordonner, sur le
fondement des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, la
suspension de l’arrêté en date du 31 octobre 2020 par lequel le maire de Béziers a autorisé la
réouverture des commerces non-alimentaires à compter du 31 octobre 2020.
Il soutient qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué dès lors
que :
– le maire était incompétent pour adopter une mesure dérogeant aux restrictions
prescrites par le décret du 29 octobre 2020 ;
– la décision attaquée a été prise en méconnaissance des dispositions de l’article 37 du
décret du 29 octobre 2020 ;
– elle est de nature à susciter des troubles à l’ordre public.
Par un mémoire enregistré le 2 novembre 2020, la commune de Béziers conclut au rejet
de la requête et demande en outre qu’il soit enjoint au préfet de rouvrir en urgence les
commerces et établissements recevant du public « non-essentiels ».
Elle soutient que :
– la requête du préfet est irrecevable en tant, d’une part, qu’elle n’est dirigée que contre
une intention du maire de prendre un arrêté, lequel n’a pas été transmis au contrôle de légalité,
n’a fait l’objet d’aucune mesure de publicité et n’est dès lors pas exécutoire, et, d’autre part, qu’il
n’est pas établi que la demande de suspension est assortie d’une requête en annulation ;
– les moyens soulevés par le préfet de l’Hérault ne sont pas fondés.
Vu :
– le déféré enregistré le 31 octobre 2020, sous le n° 2004889, par lequel le préfet de
l’Hérault demande l’annulation de la décision attaquée ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la santé publique ;
– le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales
nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ;
– le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Charvin, vice-président, pour statuer sur les
demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 3 novembre 2020 :
– le rapport de M. Charvin,
– les observations du préfet de l’Hérault, qui persiste dans ses conclusions, par les
mêmes moyens, fait en outre valoir que sa requête est bien recevable et demande par ailleurs au
tribunal d’enjoindre au maire de Béziers de respecter la décision du tribunal et de lui enjoindre
de faire part aux lecteurs et administrés, sur son compte twitter et sur le site internet de la
commune, de l’état du droit applicable suite à la décision du tribunal, et ce dans le respect de la
liberté d’expression et en prenant soin d’éviter l’expression de tout propos diffamant à l’encontre
tant du corps préfectoral que des magistrats administratifs, sous astreinte de 20 000 euros par
jour pendant 2 jours puis 30 000 euros par jour à compter du troisième jour d’irrespect de la
décision,
– et les observations de M. Ménard, maire de Béziers, qui persiste dans ses écritures.
La clôture de l’instruction a été fixée à l’issue de l’audience.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 31 octobre 2020, le maire de Béziers a autorisé la réouverture
de l’ensemble des commerces non-alimentaires de la ville de Béziers à compter du 31 octobre
2020 à 9 heures. Par la présente requête, le préfet de l’Hérault demande au juge des référés, sur
le fondement des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales,
d’en suspendre l’exécution.
2. Aux termes du 1er alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités
territoriales : « Le représentant de l’Etat dans le département défère au tribunal administratif les
actes mentionnés à l’article L. 2131-2 qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois
suivant leur transmission. ». L’article L. 554-1 du code de justice administrative dispose que :
« Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre
les actes des communes sont régies par le 3ème alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des
collectivités territoriales ci-après reproduit : « Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de
l’Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si
l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant
à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois. » (…) ».
Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Béziers :
3. L’arrêté contesté dans la présente instance comporte la signature du maire de Béziers
et ne constitue ainsi pas, contrairement à ce qui est soutenu en défense, une simple intention de
prendre un arrêté d’ouverture des commerces non alimentaires à Béziers. La circonstance que cet
arrêté n’aurait pas fait l’objet d’une transmission aux services de la préfecture ni n’aurait été
rendu exécutoire n’est pas davantage de nature à le faire regarder comme une décision
inexistante insusceptible de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir. En tout état de cause,
cet arrêté a bien été transmis aux services préfectoraux dans le cadre du contrôle de légalité, ainsi
qu’en atteste l’accusé de réception émis le 31 octobre 2020 sur l’application « Actes ». Par suite,
la fin de non-recevoir opposée à ce titre par la commune de Béziers doit être écartée.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par une requête enregistrée le 31 octobre 2020,
sous le n° 2004889, le préfet de l’Hérault a formé un recours en annulation contre l’arrêté du
maire de Béziers objet du présent référé. Ainsi, la fin de non-recevoir tirée de ce que le préfet ne
peut demander la suspension de l’exécution d’un acte dont il n’a pas préalablement demandé
l’annulation manque en fait et doit être écartée.
Sur la demande de suspension :
5. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, introduit par la loi du
23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 : « L’état d’urgence sanitaire
peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (…) en cas de catastrophe sanitaire mettant en
péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. » Aux termes de l’article L. 3131-15,
dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre
peut notamment, aux seules fins de garantir la santé publique : « 1° Réglementer ou interdire la
circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les
conditions de leur usage ; 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des
déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; 3° Ordonner des
mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire
international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ; 4° Ordonner des mesures de
placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout
autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ; 5° Ordonner la fermeture provisoire
et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs
catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant
l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ; 6° Limiter ou interdire les
rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature (…) ». L’article
L. 3131-16 donne compétence au ministre chargé de la santé pour « prescrire, par arrêté motivé,
toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé,
à l’exception des mesures prévues à l’article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe
sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 », ainsi que pour « prescrire toute mesure
individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre en
application des 1° à 9° de l’article L. 3131-15. » Enfin, aux termes de l’article L. 3131-17 :
« Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures
mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ils peuvent habiliter le représentant de l’Etat
territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application
de ces dispositions./ Lorsque les mesures prévues aux 1° à 9° de l’article L. 3131-15 et à
l’article L. 3131-16 doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le
territoire d’un département, les autorités mentionnées aux mêmes articles L. 3131-15 et L. 3131-
16 peuvent habiliter le représentant de l’Etat dans le département à les décider lui-même. Les
décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l’agence régionale de
santé. » Par un décret du 14 octobre 2020, le Président de la République a déclaré l’état
d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire de la République à compter du 17 octobre 2020 à
0 heure. Par un décret du 29 octobre 2020, le Premier ministre a prescrit les mesures générales
nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de cet état d’urgence sanitaire.
6. Il résulte de ces dispositions que le législateur a institué une police spéciale donnant
aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 la compétence pour
édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant
à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment,
d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur
l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation.
7. Aux termes de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : « Le
maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département,
de la police municipale (…) et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs. ». Aux
termes de l’article L. 2122-2 du même code : « La police municipale a pour objet d’assurer le
bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 2° Le
soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes
accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée
publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes
qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité
publique ; 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements
d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux,
cafés, églises et autres lieux publics (…) ; 5° Le soin de prévenir, par des précautions
convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les
fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations,
les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres
accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir
d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer
l’intervention de l’administration supérieure (…) ».
8. Les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales autorisent le
maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale
nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune.
Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la
bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités
compétentes de l’Etat. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur pour édicter les
mesures visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire fait obstacle, pendant la période où elle
trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne des mesures supplémentaires au titre de son
pouvoir de police générale, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales
en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la
cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat.
L’existence de cette police spéciale fait également obstacle à ce que le maire prenne des
mesures, au titre de son pouvoir de police générale, moins restrictives que celles adoptées par les
autorités compétentes de l’Etat.
9. Il résulte des dispositions de l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 que l’accueil
du public dans les établissements relevant de la catégorie M, « magasins de vente, centres
commerciaux », du règlement pris pour l’application de l’article R. 123-12 du code de la
construction et de l’habitation, n’est autorisé, en dehors des livraisons et retraits de commandes,
que pour ceux d’entre eux qui assurent une activité de distribution de biens et services de
première nécessité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par l’arrêté
contesté en tant qu’il autorise, sur l’ensemble de son territoire communal, l’ouverture des
commerces non-alimentaires, est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute
sérieux quant à la légalité de cette décision.
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de suspension de
l’exécution de la décision attaquée doivent être accueillies.
Sur les conclusions présentées en application de l’article L. 911-1 du code de justice
administrative :
11. La présente ordonnance, qui fait droit aux conclusions de la requête du préfet de
l’Hérault tendant à la suspension des effets de l’arrêté du maire de Béziers du 31 octobre 2020,
n’implique aucune mesure d’exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions aux fins
d’injonction présentées sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice
administrative par le préfet de l’Hérault ainsi que, en tout état de cause, celles présentées sur le
même fondement par le maire de Béziers.
O R D O N N E :
Article 1er : L’exécution de l’arrêté du maire de Béziers en date du 31octobre 2020 est suspendue
jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cet arrêté.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Béziers sur le fondement des articles
L. 911-1 et suivants du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de l’Hérault et à la commune de
Béziers.
Fait à Montpellier, le 4 novembre 2020.
Le juge des référés,
J. Charvin
La greffière,
A. Lacaze
La République mande et ordonne au préfet de l’Hérault en ce qui le concerne ou à tous
huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties
privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Montpellier, le 4 novembre 2020,
La greffière,
TA Montpellier, ORD, 4 novembre 2020, requête numéro 2004875
Citer : Revue générale du droit, 'TA Montpellier, ORD, 4 novembre 2020, requête numéro 2004875, ' : Revue générale du droit on line, 2020, numéro 65037 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=65037)
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