NB : la présente note flash, publiée le 2 octobre 2015, sera ultérieurement complétée de développements et d’analyse supplémentaires.
Chassez le naturel et il revient au galop. Avec la décision Duvignières l’on pensait qu’avait été abandonnée la pratique consistant à régler le contentieux par une alternative entre irrecevabilité et illégalité. C’est pourtant le schéma proposé par le Conseil d’Etat pour la gestion du contentieux ordinaire de la fonction publique.
Ce contentieux protéiforme est composé pour une part non négligeable (nous disons celà au jugé et d’expérience, ne disposant pas de chiffres exacts au niveau national) des contestations d’affectations ou de modification des taches à accomplir. Or il est rare, sauf lorsque peut être prouvée une sanction déguisée, que l’agent public puisse avoir gain de cause.
C’est déjà le cas des mesures de référé, pour lesquelles l’urgence fait presque systématiquement défaut en raison du maintien de la rémunération et des faibles conséquences (aux yeux du juge) d’un changement d’affectation au sein de la même collectivité.
Jusqu’au 1er janvier 2014, et durant deux années, les litiges individuels avec les agents publics, étrangers à l’entrée et à la sortie du service, étaient jugés à juge unique.
En effet aux termes de l’article R. 222-13 dans sa rédaction issue du décret n°2011-1950 du 23 décembre 2011:
Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne à cette fin et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller ou ayant une ancienneté minimale de deux ans statue en audience publique et après audition du rapporteur public, sous réserve de l’application de l’article R. 732-1-1 :
[…]
2° Sur les litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires ou agents de l’Etat et des autres personnes ou collectivités publiques, ainsi que des agents ou employés de la Banque de France, à l’exception de ceux concernant l’entrée au service, la discipline et la sortie du service ;
Les décisions rendues par le juge unique ne pouvaient pas faire l’objet d’un appel. Aux termes de l’alinéa 2 de l’article R. 811-1 CJA dans sa rédaction issue du décret n°2008-1227 du 27 novembre 2008 :
[…] dans les litiges énumérés aux 1°, 4°, 5°, 6°, 7°, 8° et 9° de l’article R. 222-13, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Il en va de même pour les litiges visés aux 2° et 3° de cet article, sauf pour les recours comportant des conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d’un montant supérieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15. Cette disposition ne fait pas obstacle à l’application des articles R. 533-1 et R. 541-3.
Pour éviter d’être soumis à un juge unique et de perdre par la même occasion la possibilité de faire appel, les agents publics accompagnaient leur recours d’une demande indemnitaire d’un montant supérieur à 10.000 € ce qui avait pour conséquence à la fois d’envoyer l’affaire en formation collégiale et d’ouvrir la possibilité de faire appel.
Les choses ont, on le sait, changé par l’effet du décret n°2013-730 du 13 août 2013. Aux termes du 2° de l’article R. 222-13 CJA désormais, ne sont plus jugés à juge unique que
2° les litiges relatifs à la notation ou à l’évaluation professionnelle des fonctionnaires ou agents publics ainsi qu’aux sanctions disciplinaires prononcées à leur encontre qui ne requièrent pas l’intervention d’un organe disciplinaire collégial ;
Les autres matières relèvent donc d’une formation collégiale. C’est un progrès pour les requérants qui sont jugés par une formation collégiale et peuvent faire appel.
C’était sans compter sur la volonté du Conseil d’Etat qui règle par une décision de section du 25 septembre 2015 un pan entier du contentieux de la fonction publique (Conseil d’Etat, Section, 25 septembre 2015, Mme B. c/ DIRECCTE de Paris, requête numéro 372624, publié au Recueil).
Le Conseil établit dans cette importante décision que :
3. […] les mesures prises à l’égard d’agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours ; qu’il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu’ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n’emportent perte de responsabilités ou de rémunération ; que le recours contre de telles mesures, à moins qu’elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable ;
Il existe donc une alternative entre irrecevabilité et illégalité. Une mesure modifiant l’affectation ou les tâches d’un agent public sera soit une décision ne faisant pas grief et insusceptible de recours, soit un acte administratif illégal (1). La juridiction administrative tirera de cette décision la possibilité de gérer ce contentieux de masse par simple ordonnance reconnaissant une irrecevabilité manifeste de la requête (2).
1. Sur l’alternative entre irrecevabilité et illégalité
L’illégalité de la mesure d’affectation de l’agent ne sera reconnue que s’il s’agit d’une sanction disciplinaire déguisée.
Cette dernière se caractérise par la conjonction d’un élément subjectif constitué par l’intention de l’auteur de l’acte incriminé d’infliger une sanction, de porter atteinte à la situation professionnelle de l’agent et d’un élément objectif relatif aux effets de la mesure (v. en ce sens : concl. Genevois sur CE, sect., 9 juin 1978, Spire : Rec. CE 1978, p. 237). Cette mesure doit ainsi avoir les effets d’une sanction disciplinaire en supprimant ou limitant les droits ou avantages de l’agent.
En ce sens, constitue une sanction disciplinaire déguisée la décision qui porte atteinte à la situation professionnelle de l’agent du fait de la réduction de sa rémunération ou de la privation des attributions correspondant à son grade (par exemple CE, 11 juin 1993, B., n°105576 ; CE, 4 février 1994, F., n°98 233; CE, 15 avril 1996 n°108 819).
En dehors de ces hypothèses, les mesures relatives à l’affectation ou aux tâches des agents publics seront considérées comme des mesures d’ordre intérieur.
Le moins que l’on puisse dire est que cette décision est à contre-courant de l’évolution entamée par les arrêts Hardouin et Marie, complétée par une série ininterrompue de décision réduisant le champ des MOI, qu’il s’agisse des règlements intérieurs des établissements scolaires ou des sanctions disciplinaires en prison.
2. Sur l’intérêt contentieux de la qualification de mesure d’ordre intérieur
Le nouveau champ de reconnaissance des mesures d’ordre intérieur ne nous semble pas cependant répondre à une véritable logique d’ensemble, mais permet d’ouvrir la voie à une gestion contentieuse rapide de la plupart des demandes.
En effet aux termes de l’article Article R222-1 CJA :
Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance :
[…]4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser ou qu’elles n’ont pas été régularisées à l’expiration du délai imparti par une demande en ce sens;
S’il n’est pas possible de rejeter pour irrecevabilité manifeste une requête même manifestement infondée, la possibilité est ouverte lorsque le caractère décisoire de l’acte attaqué est en cause.
Accompagner son recours d’une demande indemnitaire ne permettra pas de sauver le recours comme c’était le cas précédemment, la demande indemnitaire dépendant elle-même de la recevabilité du recours principal, un acte ne faisant pas grief ne pouvant, sauf erreur de notre part, être le fait générateur de la responsabilité administrative pour faute.
En ce sens, constitue une sanction disciplinaire déguisée la décision qui porte atteinte à la situation professionnelle de l’agent du fait de la réduction de sa rémunération ou de la privation des attributions correspondant à son grade (ex : CE, 11 juin 1993, n°105576 « BIDAULT » ; CE, 4 février 1994, n°98 233 « FERRAND », CE, 15 avril 1996 n°108 819).
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