Saisi d’une demande d’annulation de décisions de sanction de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le Conseil d’Etat a accueilli le moyen tiré de la violation du principe d’impartialité, posé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi celui tiré d’une atteinte aux droits de la défense énoncés à l’article 6 § 3.
À l’occasion de cet arrêt, la Section du contentieux a apporté des précisions sur la portée des obligations procédurales qui s’imposent aux autorités de régulation dans l’exercice de leur pouvoir de sanction.
Les autorités de régulation exerçant un pouvoir de sanction entrent dans le champ de l’article 6 de la Convention EDH, puisqu’elles se prononcent sur le bien-fondé d’accusations en matière pénale. Elles ne peuvent cependant être assimilées complètement à des juridictions, « eu égard à la nature, à la composition et aux attributions des organismes en cause » (formule consacrée par l’arrêt CE Ass., 3 décembre 1999, Didier, requête numéro 207434, rec. p. 399). La nécessité de pouvoir prendre des décisions à l’issue d’une procédure moins contraignante que celle qui s’imposerait devant une juridiction est en effet caractéristique des autorités de régulation, auxquelles des pouvoirs de sanction sont confiés de façon à permettre un contrôle plus éclairé, mais aussi plus souple sur le domaine ou le marché concerné.
Ainsi, les autorités exerçant leur pouvoir de sanction ne sont pas soumises à l‘ensemble des exigences du procès équitable, dès lors que l’exercice d’un recours devant une juridiction permet d’assurer cette garantie d’impartialité à un stade ultérieur de la procédure (CE Sect., 31 mars 1995, Ministre du budget c/ SARL Auto-industrie Méric, requête numéro 164008, rec. p. 154). À la suite du juge civil (Cass. Plén., 5 février 1999, COB c/ Oury, pourvoi n° 97-16440), le juge administratif a toutefois considéré que certaines garanties essentielles du procès équitable devaient être assurées dès le stade de la sanction administrative. Celles-ci sont apparues, au fil de la jurisprudence, comme celles dont la violation compromet le plus gravement le caractère équitable du procès, ou entraînant un déséquilibre initial entre les parties et insusceptible d’être réparé au stade du recours contentieux.
Le Conseil d’Etat arrête, dans la décision M. Parent, une formulation plus précise, en énonçant que s’impose à l’autorité de régulation le respect de l’ensemble des exigences procédurales qui permettent de « garantir, dès l’origine de la procédure, son caractère équitable par le respect de la conduite contradictoire des débats ». Ce critère permet de systématiser les solutions retenues précédemment. L’arrêt M. Parent conforte ainsi le mouvement jurisprudentiel de juridictionnalisation de la procédure de sanction applicable devant les autorités de régulation dans le respect des spécificités de leur action.
L’arrêt M. Parent consacre également l’invocabilité de l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui énonce un certain nombre de garanties nécessaires au respect des droits de la défense, dans le cadre d’un recours contre une décision de sanction prise par une autorité de régulation. Comme le souligne le commissaire du Gouvernement Mattias Guyomar dans ses conclusions, la distinction entre le moyen tiré d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et celui tiré d’une violation de l’article 6 § 3 emporte des conséquences importantes. Si la violation du principe d’impartialité posé à l’article 6 § 1 conduit seulement, en principe, à l’annulation de la délibération de la commission des sanctions de l’AMF, dès lors que ce sont les exigences procédurales devant cette commission qui n’ont pas été respectées, c’est toute la procédure, instruction comprise, qui doit se trouver remise en cause en cas de violation des dispositions de l’article 6 § 3. En effet, une violation des droits de la défense a un caractère transversal et affecte l’égalité entre les parties dès l’origine de la procédure.
Le Conseil d’Etat fait ici une application du critère défini plus haut pour distinguer le champ des obligations invocables dès le stade de la procédure administrative de celles dont la satisfaction peut être différée jusqu’à la saisine du juge. Appartiennent à la première catégorie les garanties dont l’inobservation initiale risquerait de compromettre gravement le caractère équitable du procès. Doivent donc être respectés dès la phase de la procédure de sanction qui se déroule devant l’autorité administrative un certain nombre des exigences liées aux droits de la défense. Ainsi en est-il de l’exigence de communication préalable des griefs posé au a. de l’article 6 § 3, de la règle issue du b. de ce même article qui impose que la personne poursuivie dispose de temps pour se défendre, du c. en tant qu’il lui donne droit de se défendre elle-même ou de recourir à l’assistance d’une personne de son choix, le d. qui garantit l’égalité des droits pour l’audition des témoins et le e. qui prévoit la possibilité d’une assistance gratuite d’un interprète.
À l’inverse, le Conseil d’Etat considère que le droit à l’assistance gratuite d’un avocat pour tout accusé n’ayant pas les moyens de rémunérer un défenseur ne constitue pas une garantie devant s’imposer dès la phase administrative de la procédure de sanction. Le raisonnement du juge se fonde sur le fait que cette garantie demeurerait inhérente et spécifique à la procédure proprement juridictionnelle. Cette exclusion du droit à l’assistance gratuite d’un avocat pour la procédure de sanction se déroulant devant l’autorité administrative a suscité des critiques. La possibilité de bénéficier d’une telle aide à titre gratuit permettrait à l’accusé de faire pleinement valoir ses droits devant une autorité de régulation mettant en œuvre des mécanismes juridiques complexes.