Le 18 décembre 1991, M. Truszkowski a été hospitalisé à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil à la suite d’un infarctus du myocarde rudimentaire. Le 30 décembre 1991, il a subi une intervention chirurgicale de revascularisation par double pontage aorto-coronarien. Au cours de cette intervention, il a été victime d’un arrêt cardiaque prolongé qui a provoqué de graves lésions cérébrales qui l’ont rendu tétraplégique. M. Truszkowski fait un recours devant le Tribunal administratif de Paris pour demander que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, dont relève l’établissement mis en cause, soit condamnée à réparer les conséquences du préjudice qu’il a subi mais celui-ci rejette sa demande. Mme Truszkowski, agissant en qualité d’administrateur légal de son mari, fait appel de cette décision devant le Conseil d’Etat.
Les juges examinent d’abord l’existence d’une responsabilité sans faute fondée sur le risque conformément à la jurisprudence Bianchi (CE Ass. 9 avril 1993, requête numéro 69336, Bianchi ; Rec. p.127, concl. Daël ; RFDA 1993, p.573, concl. Daël ; AJDA 1993, p.344, chron. Maugüé et Touvet ; D. 1994, somm. comm. p. 65, ob. Bon et Terneyre ; JCP 1993,II, 22061, note Moreau ; RDP 1993, p.1099, note Paillet ; Rev. Adm. 1993, p.561, note Fraissex). Ils estiment que le risque d’arrêt cardiaque et de séquelles neurologiques qui s’est réalisé pendant l’intervention de M. Truszkowski n’est pas exceptionnel et qu’il n’est pas de nature à engager la responsabilité sans faute de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Les juges vérifient également que l’intervention, l’anesthésie et la réanimation au moment de l’arrêt cardiaque ont été conduites dans les règles de l’art, pour exclure la responsabilité pour faute. En revanche, cette responsabilité est engagée pour défaut d’information du patient sur les risques qu’il encourrait (I), le préjudice subi résultant d’une perte de chance (II). Il faudra également s’attarder sur le recours ouvert aux Caisses d’assurance maladie pour le remboursement de prestations (III).
I – Le défaut d’information du patient constitue une faute de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris
Jusqu’à la fin des années 1990, les hôpitaux publics n’avaient pas l’obligation d’informer leurs patients des risques ayant un caractère exceptionnel. Ce principe se retrouve aussi bien dans les jurisprudences administrative que judiciaire (CE 9 janvier 1970, requête numéro 73067, Sieur Carteron et confirmée par CE 9 avril 1986, requête numéro 47246, Ciesla : Rec. p. 85 ; CE 1er mars 1989, requête numéro 67461, Gélineau : Rec. p. 657 .- Comp. Cass. civ. 1ère, 23 mai 1973: Bull., civ., I, n° 181, RTD civ., 1974, p. 618, obs. G. Durry). La responsabilité pour faute de l’hôpital ne pouvait être engagée que pour défaut d’information d’un risque courant. Cette jurisprudence n’était toutefois pas applicable en matière de chirurgie plastique et esthétique, puisque l’information devait porter sur tous les risques bénins ou rares pouvant résulter du traitement ou de l’intervention (CE 15 mars 1996, requête numéro 136692, Mlle Durand).
L’évolution en matière d’information du patient a été initiée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 octobre 1998 : « … hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et (il) n’est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement » (Cass. civ., 1ère , 7 octobre 1998, pourvoi numéro 97-10.267, Mme C. c/ Clinique du Parc et autres, Bull., civ., I, n° 291, D. 1999, 145, note S. Porchy confirmé par Cass. civ., 15 juillet 1999, pourvoi numéro 97-20160, D. 1999, p. 393). Les juridictions administratives ont calqué cette évolution, en considérant désormais que les hôpitaux publics ont l’obligation d’informer les usagers de tous les risques graves de décès ou d’invalidité encourus lorsqu’ils se prêtent aux soins qui leur sont proposés et ce même si ces derniers ne se réalisent qu’exceptionnellement (CAA Paris, 9 juin 1998, requête numéro 95PA03660, Guilbot ; CE 5 janvier 2000, requête numéro 198530, Assistance publique-Hôpitaux de Paris et CE 5 janvier 2000, requête numéro 181899, Consorts Telle: Rec. p. 5., concl. Chauvaux ; Dr. adm. 2000, com. 46, note Esper ; RFDA 2000, p. 641, concl. Chauvaux.) Les seules possibilités d’échapper à cette obligation sont l’urgence, qui faisait défaut en l’espèce, (CE 19 mai 1983, requête numéro 33587, M. Moudjahed) ainsi que l’impossibilité ou le refus du patient d’être informé.
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a en quelque sorte opéré une synthèse de ces jurisprudences successives, puisque l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, issu de ce texte, reconnaît à « toute personne » le « droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ».
L’information qui est donnée au patient doit être simple, intelligible et loyale afin que le malade puisse émettre un consentement éclairé. En outre, elle ne doit pas se limiter au seul domaine médical, puisqu’elle concerne également toutes les décisions susceptibles d’être prises par l’hôpital public (sur les conséquences financières du transfert d’un patient dans une unité de long séjour : CE, 11 janvier 1991, requête numéro 93348, Mme Biancale).
Dans l’affaire Truszkowski, le Conseil d’Etat reconnaît la faute de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris car cette dernière n’a pas apporté la preuve de l’information donnée au patient. En effet, l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique dispose que c’est l’hôpital qui doit démontrer que le malade a bien été informé des risques de l’acte envisagé, information qui doit être délivrée au cours d’un entretien individuel (ce principe relatif à la charge de la preuve se retrouvait déjà dans les jurisprudences antérieures : CAA Paris, 9 juin 1998, Guilbot, préc. et CE 5 janvier 2000, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, préc.).
II – L’indemnisation du patient fondée sur la perte de chance
Notons que l’indemnisation du patient pour défaut d’information n’a pas toujours été calculée sur le fondement de la perte de chance. Avant l’arrêt Guilbot (CAA Paris, 9 juin 1998, préc.) les juridictions administratives condamnaient l’hôpital à réparer l’intégralité du préjudice subi (CE 17 février 1988, requête numéro 71974, C.H.R. Nancy).
Puis, les juridictions administratives et judiciaires ont précisé que le préjudice résultant d’un manquement à l’obligation d’informer ne doit pas être confondu avec le préjudice subi par le patient du fait de la réalisation du risque (V. respectivement CE Sect. 5 janvier 2000, Consorts Telle, préc. ; Cass. 1ère civ. 7 février 1990, pourvoi numéro 88-14.797 : Bull. civ. I no 39). En effet, il est possible qu’un malade, même informé des complications susceptibles de survenir à la suite du traitement proposé, n’y renonce pas.
Afin de déterminer la somme allouée à la victime le juge va procéder en deux temps. Il commence par faire une estimation de l’entier dommage subi par la victime (dans notre arrêt, il estime que l’atteinte à l’intégrité physique de M. Truszkowski s’élève à 659 042 euros et que les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et d’agrément se monte à 45 000 euros). Puis, le juge va « évaluer la fraction de ce dommage imputable à la perte de chance en procédant à un rapprochement entre, d’une part, les risques inhérents à l’intervention et, d’autre part, les risques en cas de renoncement à ce traitement » (CE, 5 janvier 2000, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, préc.). On le voit, dans la grande majorité des cas, le préjudice indemnisé pour défaut d’information du patient se limite à une fraction du dommage effectivement subi (CE 27 septembre 2002, requête numéro 211370, Mlle N.). Ce pourcentage correspond à la probabilité qu’avait le malade de refuser les soins constitutifs du dommage, mais il est empreint de la subjectivité du juge et est calculé de façon totalement empirique par ce dernier.
Le juge effectue donc un véritable bilan coûts-avantages afin de déterminer la probabilité qu’avait le patient de refuser les soins à l’origine du dommage s’il avait été mieux informé des risques encourus. Cette probabilité peut-être nulle, et ne donner lieu à aucune indemnisation, si l’on constate que l’évolution prévisible de l’état de santé du patient l’emporte sur les risques encourus.
III – Recours en remboursement des prestations versées par les Caisses de sécurité sociale
L’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale autorise les caisses de sécurité sociale à exercer un recours subrogatoire pour le remboursement des prestations qu’elles ont versées à due concurrence de la part d’indemnité mise à la charge du tiers responsable qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la victime. Le recours de ces caisses portera sur les sommes allouées à la victime en réparation de la perte de chance d’éviter un préjudice corporel (recours défini par CE 5 janvier 2000, Consorts Telle, préc.). Toutefois, les droits des caisses ne peuvent pas s’imputer sur la part d’indemnité allouée au titre du préjudice personnel correspondant aux souffrances physiques ou morales, ainsi qu’au préjudice esthétique et d’agrément subis par le patient victime du dommage (Cass. civ., 1ère, 30 janvier 1966, Bull. civ. I no 56). Dans l’affaire Truszkowski, il est fait application de ce principe puisque le requérant s’est vu reconnaître une indemnité de 197 713 euros au titre de l’atteinte à l’intégrité physique et 13 500 euros pour les autres dommages considéré par le Conseil d’Etat comme l’indemnité allouée au préjudice personnel. Dès lors, le recours des caisses de sécurité sociale s’est exercé sur la totalité des sommes allouées à la victime en réparation de la perte de chance d’éviter un préjudice corporel et non à proportion du pourcentage fixé par le juge à l’issue de son raisonnement sur le calcul de la perte de chance. On le voit, la mise en œuvre des dispositions du code de la sécurité sociale, combinée au mécanisme de la perte de chance conduit à diminuer de manière considérable le montant de l’indemnité allouée à la victime.
Afin d’améliorer la réparation du préjudice subi par les victimes de dommages corporels, le législateur a modifié, par la loi numéro 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007, l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Désormais, pour chaque type de préjudice, la victime est admise en priorité à demander au tiers responsable de l’indemniser, dans la mesure où les prestations de sécurité sociale ne l’ont pas déjà fait. Ainsi, pour un même type de préjudice, le recours des caisses ne peut plus porter que sur le reliquat de l’indemnité mise à la charge du tiers. En outre, la loi continue d’exclure du recours fait par les caisses l’ensemble des « préjudices à caractère personnel ». Le Conseil d’Etat a rendu un avis précisant les conditions de mises en œuvre de ces dispositions (CE, avis, 4 juin 2007, requête numéro 303422, requête numéro 304214, Consorts G.).
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