La Section du contentieux annule l’arrêté de reconduite à la frontière pris à l’encontre de Mme Cheglali pour méconnaissance des dispositions combinées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des articles 31 et 32 de la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides.
La requérante, de nationalité marocaine, demandait l’annulation de la mesure d’éloignement prise à son encontre en 2003, quelques mois avant que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ne reconnaisse la qualité d’apatride de sa fille mineure.
Est apatride une personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant, et pour laquelle la convention de New York prévoit une protection particulière. En France, c’est à l’OFPRA qu’il appartient de reconnaître la qualité d’apatride, conformément aux dispositions des articles L. 721-1 et L. 721-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les personnes auxquelles l’OFPRA reconnaît cette qualité peuvent utilement se prévaloir des stipulations de l’article 31 de la convention de New York, en vertu duquel un apatride ne peut être expulsé, sauf pour raisons de sécurité nationale ou d’ordre public. L’individu apatride bénéficie par suite de plein droit, sur le fondement du 10° de l’article L. 313-11 du CESEDA, d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Cette protection s’étend sous certaines conditions à ses enfants et conjoint.
Pour l’application de la convention de New York, le Conseil d’Etat considère qu’une personne à qui le titre d’apatride a été délivré par l’OFPRA doit être regardée comme se trouvant régulièrement sur le territoire français. Il en résulte que, exception faite des cas où il serait porté atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public, une personne s’étant vu reconnaître le statut d’apatride ne peut faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière (CE, 22 janvier 1997, Préfet de police de Paris, requête n° 170689, rec. p. 29).
Le premier apport de l’arrêt Mme Cheglali est de reconnaître le caractère rétroactif de la décision de l’OFPRA. Ainsi, la Section du contentieux a jugé que cette décision reconnaissant la qualité d’apatride à l’enfant, même intervenue postérieurement au refus de titre de séjour et à l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière opposé à sa mère, pouvait être invoquée pour demander l’annulation de la mesure d’éloignement. La décision de l’OFPRA reconnaissant la qualité d’apatride possède un caractère recognitif, l’étranger étant réputé acquérir la qualité d’apatride dès l’origine (ici, dès la naissance de l’enfant).
Le second apport réside dans l’interprétation constructive à laquelle se livre le juge des dispositions combinées de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit à la vie familiale, et des articles 31 et 32 de la convention de New York. La spécificité du cas d’espèce présenté ici tient au fait que ce n’est pas l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement qui s’est vu reconnaître le statut d’apatride, mais son enfant mineur.
Classiquement, le juge administratif ne reconnaît pas nécessairement aux enfants un droit au séjour distinct de celui de leurs parents. Il tient compte des éléments de la situation personnelle de l’intéressé (CE, 26 juillet 1991, Préfet de la Moselle c/ Melle Hadad, requête n° 123507, rec. p. 675), et plus particulièrement de la possibilité pour l’enfant de suivre ses parents à l’étranger. Ainsi, il ne considère pas systématiquement qu’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un étranger ayant un enfant né en France porte une atteinte disproportionnée à son droit à la vie familiale (CE, 9 mai 2005, Préfet du Val-de-Marne c/ Mme Diarra, requête n° 260364). Ici le juge aurait pu considérer que rien ne s’opposait à ce que l’enfant accompagne sa mère au Maroc. Il adopte cependant une position différente en cherchant à donner leur plein effet aux dispositions de l’article 31 de la convention de New York. Il fonde par conséquent sa décision sur le principe en vertu duquel un apatride, même mineur, ne doit pas être éloigné du territoire français.
De surcroît, la mesure d’éloignement appliquée à la mère aurait pour conséquence de priver l’enfant apatride de la présence d’un de ses parents, et porterait ainsi une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie familiale. Dans le cas présent, la qualité d’apatride de l’enfant renforce l’importance de l’atteinte portée à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme par la mesure d’éloignement, l’enfant ne pouvant être contraint à suivre ses parents en dehors du territoire français. La solution retenue, qui s’oppose à ce que puisse être éloigné le parent d’un enfant mineur apatride, sous réserve d’une analyse des circonstances d’espèce, permet de donner un plein effet à la protection des droits des mineurs apatrides.
Il est notable que cette position paraît également conforme aux stipulations de l’article 3-1 de la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, qui n’étaient pas invoquées en l’espèce. Le Conseil d’Etat a tiré de cet article l’exigence de ne pas priver un enfant de la possibilité de vivre en présence de ses deux parents, que ce soit sur le territoire français ou à l’étranger, du fait d’une mesure d’éloignement (CE, 12 mai 2003, Préfet de police c/ Mme Swieca, requête n° 236148).