Un requérant demande l’annulation de l’arrêté interministériel du 15 avril 1999, pris en application de la loi numéro 92-645 du 13 juillet 1992 (JO 14 juillet 1992, p. 9457) et du décret numéro 94-490, 15 juin 1994 (JO 17 juin 1994, p. 8746), qui subordonne à la possession de diplômes français l’exercice de la profession de guide touristique. Cet arrêté ne prévoit pas de système d’équivalence pour les diplômes obtenus dans les autres Etats de la Communauté européenne, en méconnaissance des articles 49 et 50 du traité CE, qui interdisent aux Etats d’instituer des discriminations entre les ressortissants des autres Etats et leurs nationaux pour les activités de service. L’arrêté méconnaît en outre les dispositions de la directive 89/48/CEE du 21 décembre 1988 et de la directive 92/51/CEE du 18 juin 1992, qui imposent aux autorités nationales de prendre les mesures d’application de ce système de reconnaissance des diplômes. L’arrêté, illégal en tant qu’il ne prévoit pas un tel mécanisme de reconnaissance mutuelle, est donc partiellement annulé. Pour retirer à cet acte son caractère illégal, le juge rappelle, par un renvoi dans son dispositif « aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire », les obligations qui pèsent sur l’administration à la suite d’une telle annulation. Véritable guide de l’exécution de la chose jugée, l’arrêt prend ainsi la forme d’une « injonction », qui en l’absence de conclusions en ce sens, sort du champ de la loi numéro 95-125 du 8 février 1995 (JO 9 février 1995, p. 2175), reprise aux articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative.
1°) Le procédé consistant à annuler partiellement une décision administrative permet de maintenir en vigueur l’essentiel de l’acte. Il modifie substantiellement l’office du juge de l’excès de pouvoir, qui, dès lors qu’il va annuler « en tant que », dépasse l’alternative classique entre rejet de la requête et annulation de l’acte attaqué. Une telle possibilité a été reconnue, conditionnée par la divisibilité de l’acte, pour un décret dont certaines dispositions sont entachées d’illégalité (CE Sect., 1er juin 1979, Association défense et promotion des langues de France, requête numéro 06410, requête numéro 06411, requête numéro 06412 : rec. p. 252). L’annulation partielle peut conduire à maintenir l’acte attaqué dans l’ordonnancement juridique, tout en modifiant son champ d’application dans le temps. Ainsi, un arrêté interministériel est modifié en tant qu’il possède un caractère rétroactif (CE, 24 mars 1999, Association nationale des expéditeurs et exportateurs de fruits et légumes, requête numéro 178919, requête numéro 178920).
La palette des pouvoirs du juge est également étendue en matière d’annulation partielle d’actes comportant des omissions. Le juge peut être conduit à prononcer des annulations « en tant que ne pas », c’est-à-dire en tant que la disposition attaquée omet de régler une situation ou ne met pas entièrement en application les dispositions normatives supérieures (dans l’arrêt CE, 11 mai 1998, Melle Aldigé, requête numéro 185049, rec. t. 707). En annulant un silence, le juge modifie nécessairement l’acte, mais sans que ne transparaissent explicitement, dans le dispositif de la décision, les mesures qui s’imposeront à l’administration.
2°) Pour remédier à la discrimination qui résulte de l’absence de mécanisme d’équivalence des diplômes, le Conseil d’Etat a ici, nonobstant l’absence de conclusions lui permettant de faire usage du pouvoir d’injonction dont il a été doté par la loi numéro 95-125 du 8 février 1995, assorti le dispositif de sa décision, d’une obligation d’agir pour l’administration. Celle-ci est double. D’une part, l’administration doit mettre l’acte attaqué en conformité avec les exigences communautaires dans un délai raisonnable. Cette prescription d’adopter les mesures réglementaires nécessaires à l’application de normes supérieures a déjà été utilisée auparavant (CE Sect., 25 juin 2001, Société à objet sportif « Toulouse football club », requête numéro 234363 : rec. p. 281). D’autre part, le juge pose, ce qui est plus novateur, une interdiction pour les autorités nationales, dans l’attente de l’adoption de ces dispositions, de maintenir une barrière à l’accès à la profession de guide, afin de pallier l’illégalité en creux de l’arrêté. Par la suite, le juge a pu soumettre l’administration à des obligations positives afin de remédier temporairement aux effets de l’annulation d’une omission (CE, 5 juin 2002, Choukroun, requête numéro 202667 : rec. p. 198 ; 5 mars 2003, Titran, requête numéro 241325: rec. p. 114).
3°) La jurisprudence relative à l’injonction prétorienne trouve sa limite dans le principe interdisant au juge de l’excès de pouvoir de prononcer des injonctions au principal. Il ne peut donc assortir sa décision de prescriptions, en l’absence de conclusions visant à la mise en œuvre de la loi du 8 février 1995, que lorsque l’annulation « en tant que ne pas » ne laisse comme en l’espèce aucune marge d’appréciation à l’autorité administrative, et que s’impose une mesure d’application ou un dispositif transitoire (CE sect., 25 février 2005, Barbier, requête numéro 253593 : rec. p. 81 ; CE, 4 février 2005, Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateur, requête numéro 258201, requête numéro 264075, requête numéro 268268). En ce qui concerne les injonctions visant à l’adoption de mesures réglementaires dont l’absence entache d’illégalité l’acte attaqué, le juge peut déterminer le contenu des dispositions réglementaires qui devront être adoptées (CE, 28 avril 2003, Fédération française des courtiers d’assurance et de réassurance, requête numéro 233343 : rec. p. 704 et 856) ou laisser à l’administration le choix entre différentes mesures permettant de rétablir la légalité (CE, 27 juillet 2001, Titran, requête numéro 222509 : rec. p. 441).
Si la solution retenue semble guidée par les impératifs du droit communautaire et contribue à la modernisation de l’office du juge, elle pose le problème de son empiètement sur la compétence de l’administrateur. Néanmoins, cette évolution intervient dans un contexte où, tant les pratiques du juge de l’injonction, que les missions attribuées à la Section du Rapport et des Etudes dans l’exécution des décisions de justice (articles L. 931-1 et L. 931-2 du code de justice administrative), ont amené le juge de l’excès de pouvoir à être plus sensible aux conséquences pratiques de ses décisions, voire à les anticiper. Celui-ci, lorsqu’il explicite dans un souci de lisibilité les obligations pour l’administration qui découlent des illégalités censurées par lui, demeure néanmoins dans le champ de son office juridictionnel. Le juge administratif a continué, depuis lors, à élargir la palette des solutions en différant (CE, 27 juillet 2001, Titran, préc.) ou en limitant dans le temps les effets d’une annulation contentieuse (CE, Ass. 11 mai 2004, Association AC !, requête numéro 255886 : rec. p. 197).