L’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics ne sont pas les seules personnes morales de droit public en droit interne. Il existe en effet des personnes morales de droit public « sui generis », dont fait notamment partie la Banque de France, qui n’appartiennent à aucune des catégories susvisées.
La Banque de France a été créée par un arrêté du 28 nivôse an VIII sous la forme d’une société par actions. Une loi du 24 germinal an XI lui a conféré le privilège d’émission des billets, et son statut a été fixé par une loi du 22 avril 1806 et un décret impérial du 16 janvier 1808. L’arrivée au pouvoir du Front populaire n’a pas remis en cause la qualité de personne morale de droit privé de l’institution, alors même qu’une loi du 24 juillet 1936 et un décret du 31 décembre 1936 ont prévu une plus grande intervention de l’Etat dans sa gestion. La Banque de France a finalement été nationalisée par la loi du 2 décembre 1945. Elle demeure une société anonyme, mais l’Etat devient alors son unique actionnaire. En revanche, la loi du 3 janvier 1973 n’a pas repris la qualification de société par actions, la Banque de France étant seulement qualifiée, de manière on ne peut plus énigmatique, « d’institution ». Enfin, la ratification du traité de Maastricht prévoyant la réalisation d’une Union économique et monétaire a conduit à la réforme opérée par une loi du 4 août 1993. Cette loi, qui a ensuite été codifiée par le Code des juridictions financières (V. art. 142-1), est toutefois toujours aussi évasives sur la question de la nature juridique de la Banque de France qui est toujours qualifiée « d’institution dont le capital appartient à l’Etat ».
L’imprécision de la qualification législative pose des difficultés touchant au régime contentieux des activités de cet organisme. En l’espèce, le Tribunal des conflits est saisi, dans le cadre d’une procédure de conflit négatif, pour déterminer le juge compétent pour connaître d’une action en responsabilité. L’activité en cause – les renseignements fournis à partir du fichier central des entreprises – ne relevant pas de l’exercice de prérogatives de puissance publique, le juge devait d’abord s’interroger sur la nature publique ou privée de la Banque de France avant de vérifier qu’elle a bien en charge un service public administratif.
Pour qualifier la Banque de France de personne publique, le Tribunal des conflits se fonde sur différents indices résultant des « dispositions législatives qui la régissent ». Si l’arrêt n’est guère explicite sur ce point, les conclusions de M. Arrighi de Casanova, qui se réfère à la méthode du faisceau d’indices (V. TC 9 décembre 1889, Association syndicale du Canal de Gignac du 9 décembre 1889: Rec. p.731), sont beaucoup plus éclairantes : en raison de son origine, du but en vue duquel l’activité est exercée, de ses rapports avec l’autorité publique et du fait qu’elle soit investie de prérogatives de puissance publique, la Banque de France doit être qualifiée de personne morale de droit public.
C’est également à partir des textes définissant son statut que les activités prises en charge par la Banque de France, dans le cadre de la gestion du fichier bancaire des entreprises, sont qualifiées de service public administratif (V. dans le même sens CE, avis, sect. fin., 9 décembre 1999, EDCE 2000, p. 211). Ces éléments seront précisés par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France c/ Banque de France du 22 mars 2000 qui mentionne des « missions de service public, qui ayant principalement pour objet la mise en œuvre de la politique monétaire, le bon fonctionnement des systèmes de compensation et de paiement et la stabilité du système bancaire, sont pour l’essentiel de nature administrative » (requête numéro 203854, requête numéro 203855, requête numéro 204029 : AJDA 2000, p. 466 ; AJDA 2000, p. 410, note Guyomard et Collin ; Dr. adm. 2000, comm. n° 88).
Toutefois, s’il est acquis, suite à l’arrêt du 16 juin 1997, que la Banque de France est une personne morale de droit public en charge de missions de service public administratif, une interrogation demeurait concernant l’appartenance de cette institution à la catégorie des établissements publics.
Dans ses conclusions, M. Arrighi de Casanova avait estimé qu’à partir du moment où la Banque de France « n’est ni l’Etat ni une collectivité territoriale, il est clair qu’elle ne peut être considérée que comme un établissement public ». Toutefois, le commissaire du gouvernement admettait que cette institution est « un établissement public d’un genre tout à fait spécifique, dans la mesure où (elle) dispose en théorie d’un capital et assure, à côté de ses missions éminemment régaliennes des activités de pure gestion privée ».
On perçoit bien ici qu’entre l’existence d’un « établissement public d’un genre tout à fait spécifique » et la reconnaissance d’une personne publique sui generis il n’y avait qu’un pas qui a été franchi par le Conseil d’Etat à l’occasion de son arrêt Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France c/ Banque de France du 22 mars 2000 (préc. .- V. par ailleurs qualifiant de personnes morales sui generis les groupements d’intérêt public, TC 14 février 2000, requête numéro 03170, GIP habitat et interventions sociales pour les mal-logés et les sans-abris : Rec. p.748 ; AJDA 2000, p.465, chron. Guyomar et Colin ; JCP 2000, II, 10301, note Eveno ; AJFP juillet-août 2001, p.13, comm. Mekhantar ; LPA 4 janvier 2001, note Gégout et 21 juillet 2001, note Demaye ; Rev. trim. dr. com. 2000, p.602, obs. Orsoni). Cette solution a permis de faire exception à la jurisprudence Berkani selon laquelle toute personne non statutaire travaillant pour le compte d’une personne publique gérant un service public administratif est un agent contractuel de droit public (TC 25 mars 1996, requête numéro 03000, Berkani c. CROUS de Lyon Saint-Etienne : Rec. p.535, concl. Martin ; AJDA 1996, p.355, chron. Stahl et Chauvaux ; D. 1996, p.598, note Saint-Jours ; Droit adm. 1996, comm. n°319, obs. J.B.A ; Droit soc. 1996, p.735, obs. Prétot ; JCP G 1996, 22664, note Moudoudou ; RFDA 1996, p.819, concl. Martin). Les juges ont en effet pu estimer que parmi les caractéristiques propres à la Banque de France figure l’application du droit du travail à ses agents, ce qui avait déjà admis dans la jurisprudence antérieure (CE 11 octobre 1989, requête numéro 86578, Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France : Rec. p.186). Il faut enfin relever que toutes les incertitudes relatives au statut de la Banque de France ne sont pas résolues, en raison de la position de la Cour de cassation qui persiste à qualifier cette institution d’établissement public administratif (Cass. 1re civ., 5 février 2002, pourvoi numéro 00-11.588,Banque de France c/ Société Éditions Catherine Audval : Gaz. Pal. 2003, p. 18, concl. Sainte Rose ; JCP G 2002, II, 10088). Cette divergence, qui n’emporte aucune difficulté dans la répartition des compétences, n’a pourtant pas empêché le Conseil d’Etat, de confirmer a plusieurs reprises sa jurisprudence (CE 2 octobre 2002, requête numéro 240818, Banque de France et a. : AJDA 2002, p. 1345 ; RTD com 2003, p. 282, Orsoni ; AJFP, n° 2, 2003, p. 7, obs. Lenica ; AJDA 2002, p. 1345, note Markus ; RFDA 2002, p. 1175, note Terneyre.- CE 21 février 2003, requête numéro 237772, Fédération CFDT des syndicats de banques et sociétés financières : Dr. adm. 2003, comm. 85, G.L.C..- V. également CAA Nantes, 6 mars 2007, requête numéro 05NT01866, Crespin c/ Banque de France ; CAA Paris, 6 février 2007, requête numéro 04PA00492, Leloup c/ Banque de France ; CAA Bordeaux, requête numéro 03BX01004, 27 juin 2006, Brion, c/ Banque de France).