Le principe de libre administration des collectivités territoriales, ainsi que la clause de compétence générale pour les communes et les départements, autorisent la création de services publics facultatifs dans différents domaines, et notamment en matière sociale et en matière de loisirs (CE 20 novembre 1964, Ville de Nanterre : Rec. p. 563 ; AJDA 1964, p. 686, chron. Puybasset et Puissochet ; Rev. adm. 1965, p. 31, note Liet-Veaux. – CE, 26 octobre 1966, Commune de Pantin : Rec. p. 884. – CE Sect. 28 juillet 1995, requête numéro 128838, Commune de Villeneuve d’Ascq : AJDA 1995, p. 834, concl. Schwartz). Toutefois, les délibérations instituant ces services publics sont soumises au contrôle de légalité du préfet, en application de l’article 72 de la constitution, ainsi que, le cas échéant, au contrôle du juge administratif (V. par exemple, Conseil d’Etat, 29 juin 2001, requête numéro 193716, Commune de Mons-en-Baroeul : AJDA 2002, p. 42, note Jegouzo et p. 386, note Roman ; RD sanit. soc. 2002, p. 81, note Ghebali-Bailly.- Cour administrative d’appel de Marseille, 9 novembre 1999, requête numéro 98MA00291, Lalanne ; Cour administrative de Lyon, 29 juin 2001, requête numéro 01LYO0321, Préfet du Cantal).
En particulier, les juges s’assurent que le principe d’égalité a bien été respecté, tant du point de vue des conditions d’accès au service public (V. par exemple CE 13 mai 1994, requête numéro 116549, Commune de Dreux : Rec. p.233 ; AJDA 1994, p.652, obs. Hecquard-Théron ; RFDA 1994, p.711, concl. Daël) que de celui du traitement des usagers. Les arrêts Commune de Gennevilliers et Commune de Nanterre concerne plus précisément la question de la légalité des discriminations tarifaires entre différents catégories d’usagers de services publics destinés aux loisirs, et plus précisément d’un conservatoire de musique et d’un conservatoire de musique et de danse. La délibération contestée prévoyait des tarifs variables en fonction d’un quotient familial calculé à partir des ressources des familles ainsi que du nombre de personnes les composant.
En application de la jurisprudence Denoyez et Chorques des discriminations sont admises entre usagers dans trois cas : lorsque c’est la loi qui les institue, en raison de différences de situations appréciables, ou pour des motifs d’intérêt général (CE Sect. 10 mai 1974, requête numéro 88032, requête numéro 88148, Denoyez et Chorques : Rec. p. 274 ; AJDA 1974, p. 298, chron. Franc et Boyon ; RDP 1974, p. 467, note Waline ; Rev. adm. 1974, p. 440, note Moderne).
A l’époque où ont été rendus les arrêts susvisés, il n’existait pas de texte de loi autorisant les discriminations. L’existence de tarifs différenciés ne pouvait pas non plus être fondée sur la différence de situation appréciable entre plusieurs catégories d’usagers (V. sur cette question, par exemple : CE Sect. 5 octobre 1984, requête numéro 47875, Préfet, Commissaire de la République de l’Ariège : Rec. p. 315, concl. Delon, AJDA 1984, p. 675 ; CAA Lyon, 13 avril 2000, requête numéro 96LYO2472, Commune Saint-Sorlin d’Arves : AJDA 2000, p. 849, concl. Bourrachot ; RGCT n° 17, 2001, p. 826, étude Fiorentino). Il restait donc à déterminer si, en l’espèce, l’intérêt général pouvait justifier l’institution de tels tarifs.
A l’occasion d’un arrêt Centre communal d’action sociale de la Rochelle du 20 janvier 1989, le Conseil d’Etat avait estimé que « l’intérêt général qui s’attache à ce (qu’une) crèche puisse être utilisée par tous les parents … sans distinction selon les disponibilités financières dont dispose chaque foyer » justifie de telles discriminations. Toutefois, une limite était prévue puisque « les tarifs les plus élevés doivent demeurer inférieurs au coût de fonctionnement de la crèche » (V. dans le même sens, CE 6 mai 1996, requête numéro 148042, Gilama .- V. également à propos d’une cantine scolaire : CE 18 mars 1994, requête numéro 140870, Dejonckeere : Rec. tables p. 762 et 838 ; LPA 4 novembre 1994, p. 19, note Haïm .- A propos d’une étude surveillée organisée par une commune : CAA Lyon, 22 octobre 1991, requête numéro 89LY01556, Ville de Privas : Rec. tables p. 758).
Ainsi, l’intérêt général visé par le Conseil d’Etat réside dans la volonté de faciliter l’accès de tous les usagers, y compris les plus démunis, au service public. La condition limitative définie par l’arrêt s’explique de la même façon : il s’agit d’éviter une différenciation trop grande entre les tarifs institués, qui risquerait d’exclure les personnes bénéficiant de revenus hauts et moyens.
Cependant, ce qui avait été autorisé pour les services publics facultatifs à vocation sociale a longtemps était exclu pour les services publics facultatifs de loisirs, et notamment pour les écoles de musique (Conseil d’Etat Sect. 26 avril 1985, requête numéro 41169, Ville de Tarbes : Rec. p.119, concl. Lasserre ; AJDA 1985, p.409, chron. Hubac et Schoettl ; D. 1985, p.592, note Hamon ; RFDA 1985, p.707, concl. Lasserre). En d’autres termes, les juges estimaient qu’aucune nécessité d’intérêt général ne justifiait une différenciation fondée sur les seules différences de ressources entre les usagers.
Les arrêts de Section du 29 décembre 1997, qui avaient été annoncés par l’arrêt Dejonckeere du 18 mars 1994 (préc.), marquent un alignement du régime juridique appliqué aux services publics facultatifs de loisirs sur celui jusqu’alors réservé aux services publics facultatifs à vocation sociale. Dans l’arrêt Commune de Nanterre, par exemple, les juges relèvent qu’il existe un intérêt général qui s’attache à ce qu’un conservatoire de musique et de danse puisse être fréquenté par les élèves qui le souhaitent, sans distinction selon leurs possibilités financières. Par conséquent, dans la mesure également où les droits les plus élevés restent inférieurs au coût par élève du fonctionnement de l’école, le principe d’égalité n’a pas été violé en l’espèce (V. dans le même sens, CAA Nancy, 18 juin 1998, requête numéro 97NC02005, Ville de Charleville-Mézières).
Cette évolution sera ultérieurement confirmée par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions dont l’article 147 prévoit que « Les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif peuvent être fixés en fonction du niveau du revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer. Les droits les plus élevés ainsi fixés ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée. Les taux ainsi fixés ne font pas obstacle à l’égal accès de tous les usagers au service ».