La Section du contentieux du Conseil d’État précise la portée de la théorie de la connaissance acquise en matière d’opposabilité des délais de recours, à l’aune des exigences posées par les articles 5 et 9 du décret numéro 83-1025 du 28 novembre 1983, concernant les relations entre l’administration et les usagers (JO 3 décembre 1983, p. 3492), codifiées à l’article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, et reprises à l’article R. 421-5 du code de justice administrative. En effet, ces dispositions posent une obligation pour l’administration de mentionner dans la notification des décisions administratives les voies et délais de recours, à peine d’inopposabilité des délais de recours.
Les délais de recours contre une décision commencent à courir soit à compter de sa publication, soit à compter de sa notification à l’intéressé, selon qu’il agisse d’une décision réglementaire ou individuelle. Le juge administratif considère classiquement qu’en l’absence de preuve de la notification des décisions, le délai de recours peut néanmoins commencer à courir à partir du moment où est établie la connaissance acquise, par l’intéressé, de la décision contestée. Une telle connaissance peut notamment se manifester par la présentation d’un recours contentieux (CE, 10 octobre 1990, Ministre chargé des postes et télécommunications c/ Grandone, requête numéro 97692 : rec. t. 916). De même, un recours administratif préalable manifeste la connaissance acquise par l’intéressé de la décision, et l’empêche de se prévaloir des dispositions de l’article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CE, 2 mars 1994, Ville de Saint-Louis c/ Peters, requête numéro 135066 : rec. t. 1105).
Si la suppression de la théorie de la connaissance acquise est souhaitée par la doctrine, l’application mesurée de cette théorie permet de garantir la sécurité juridique en évitant une remise en cause tardive des décisions administratives. La définition de la connaissance acquise a été très largement resserrée, de telle sorte qu’elle n’est plus mise en œuvre que lorsqu’il n’est pas contestable que l’intéressé a véritablement eu connaissance de la décision. Elle est ainsi circonscrite à trois hypothèses. Il s’agit de la connaissance des délibérations des assemblées délibérantes par leurs membres (CE, 4 août 1905, Martin : rec. p. 768 ; CE Sect., 23 décembre 1949, Commune de Pontigné : rec. p. 571), de la connaissance révélée par un recours administratif préalable, ou par un recours contentieux. Ces deux derniers cas ne sont pas destinés à pallier l’absence de notification, mais l’absence de preuve de notification. L’administration ne procède pas systématiquement à une notification avec accusé de réception, ou n’en conserve pas la preuve. L’impossibilité pour l’administration de faire la démonstration de ce qu’elle a effectivement procédé à la notification de l’acte porterait atteinte à la sécurité juridique, en permettant que soient remis en cause des actes juridiques anciens.
Mais cette théorie ne doit pas contrevenir à la bonne application des règles relatives à la mention des voies et délais de recours. La connaissance acquise manifestée par l’exercice d’un recours administratif porte sur la décision mise en cause, mais ne préjuge en rien de la connaissance par l’administré des voies et délais de recours qui lui sont opposables. L’incertitude qui demeure pour un administré quant aux modalités d’exercice des recours contentieux est contraire aux exigences posées par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Les règles applicables en matière de délai de recours doivent, en effet, être claires et ne pas mettre le justiciable dans une situation inéquitable (CEDH, 16 décembre 1992, Geouffre de la Pradelle c/ France, requête numéro 12964/87).
La solution retenue dans la décision Ville de Saint-Louis allant à l’encontre des exigences d’équité et de clarté posées par le décret numéro 83-1025 du 28 novembre 1983, le Conseil d’État a considéré qu’il y avait lieu de revenir partiellement sur cette jurisprudence. Il approfondit donc ici ses exigences pour l’application de la théorie de la connaissance acquise, en considérant que le délai de recours ne commence à courir, du fait de la connaissance acquise manifestée par l’exercice d’un recours, que si la décision en cause contient la mention des voies et délais de recours, ou encore si la décision explicite de rejet du recours administratif a été notifiée et comporte la mention des voies et délais de recours.
Le Conseil d’État revient donc ici partiellement sur la jurisprudence antérieure et ajoute une nouvelle condition à l’application de la théorie de la connaissance acquise, en posant le principe en vertu duquel la connaissance acquise résultant d’un recours administratif ne peut suppléer l’absence de mention des voies et délais de recours. Le recours administratif constitue seulement une preuve de la notification de la décision, et le délai de recours contentieux ne commence à courir que si la décision initiale ou la décision explicite prise après le recours contentieux mentionne les voies et délais de recours.