Le Conseil d’État était saisi d’un recours contre une sanction disciplinaire prononcée par l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), autorité publique indépendante créée par la loi numéro 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière (JO 2 août 2003, p. 13220). Celle-ci s’est accompagnée d’une refonte de la procédure disciplinaire applicable aux organismes d’assurance. Pour prononcer la sanction en cause, ici un avertissement public, l’ACAM avait suivi la procédure nouvellement instituée, alors même que les faits constitutifs du manquement à ses obligations d’information par la société requérante étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi de 2003. Se posait la question de savoir si l’application par l’ACAM de cette loi instituant des règles de procédure nouvelles n’était pas entachée d’une rétroactivité illégale. Le Conseil d’État devait également répondre aux griefs, désormais classiques, fondés sur la méconnaissance du droit à un procès équitable par la procédure de sanction devant l’ACAM (Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, article 6).
1°) En principe, les règles nouvelles ont vocation à s’appliquer immédiatement aux situations en cours, à compter de la date de leur entrée en vigueur (CE Ass., 22 janvier 1943, Société artisanale de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de Lyon : rec. p. 14 ; CE Sect., 19 décembre 1980, Revillod et autres, requête numéro 12387 : rec. p. 479). Le principe de l’effet immédiat permet ainsi à la règle nouvelle de faire produire à une situation née sous l’empire du régime antérieur de nouveaux effets pour l’avenir (CE Sect., 9 novembre 1979, Union nationale du commerce de gros en fruits et légumes : rec. p. 404). Toutefois, l’application de la règle nouvelle ne doit pas conduire à méconnaître les exigences attachées au principe général du droit de la non-rétroactivité des actes administratifs (CE Ass., 25 juin 1948, Société du journal l’Aurore : rec. p. 289). La règle nouvelle ne peut atteindre, sans rétroactivité illégale, les situations déjà accomplies dans le passé (CE Sect., 28 janvier 1955, Consorts Robert et Bernard : rec. p. 54 ; CE, 9 février 2001, Société Westco Trading Corporation, requête numéro 214564 : rec. p. 52), à partir du moment où la règle ancienne a épuisé ses effets à leur égard.
Cet ensemble de principes est appliqué de manière différente selon que sont concernées des règles de fond ou, comme en l’espèce, des règles de compétence et de procédure (CE Sect., 11 décembre 1998, Ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice contre Angeli, requête numéro 170717 : rec. p. 461 ; CE, 9 mai 2005, Ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie c/ Commune de Thionville, requête numéro 271038 : rec. t. 724). S’agissant des secondes, le principe est que la règle nouvelle est d’application immédiate aux procédures en cours (CE, 14 mai 1920, Dhoste : rec. p. 471 ; CE Sect., 7 mars 1975, Commune de Bordères-sur-l’Échez, requête numéro 91411 : rec. p. 179). En matière de sanctions administratives, les textes fixant les modalités de poursuite et les formes de la procédure à suivre s’appliquent immédiatement, alors même qu’ils conduisent à réprimer des faits commis avant leur entrée en vigueur. En l’espèce, l’ACAM pouvait mettre en œuvre la procédure nouvellement instituée pour des manquements commis par la société antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 2003 et dès lors que les poursuites ont été engagées postérieurement à elle.
Selon une jurisprudence constante, qui est ici confirmée, les conséquences du principe de l’applicabilité immédiate doivent être combinées avec le principe en vertu duquel la légalité d’une décision administrative doit s’apprécier en fonction des circonstances de droit et de fait existant à la date de son édiction (CE, 20 février 1957, Société pour l’esthétique générale de la France : rec. p. 115 ; CE Sect., 13 décembre 1991, Société Appareils spéciaux échangeurs de température (ASET) et Ministre du budget, requête numéro 65940, requête numéro 66868 : rec. p. 437). Il en ressort que lorsqu’une réglementation nouvelle modifie les règles applicables à une procédure qui n’est pas achevée, comme en l’espèce, elle lui est pleinement applicable. Ainsi, les actes non conformes à la règle nouvelle devront être réitérés (CE Ass., 13 décembre 2006, Madame Lacroix, requête numéro 287845), à l’exception des actes dont elle décide qu’ils ne peuvent être recommencés. Sur ce point, Le Conseil d’État introduit une exception en matière d’édiction de sanctions administratives en limitant l’obligation de réitération aux seuls actes de procédure irrégulièrement accomplis sous l’empire du régime antérieur. Les actes réguliers ne pourront être repris même s’ils ne sont pas conformes à la règle nouvelle. Sur ce point, un parallèle peut être dressé avec les dispositions de l’article L. 112-4 du Code pénal.
2°) Exerçant un pouvoir de sanction, l’ACAM entre bien dans le champ d’application de la notion de tribunal au sens de l’article 6, § 1 de la Conv. EDH, puisqu’elle se prononce sur le bien-fondé d’accusations en matière pénale. Toutefois, elle ne peut être assimilée complètement à une juridiction, eu égard à sa nature, sa composition et aux attributions qui lui ont été conférées (CE Ass., 3 décembre 1999, Didier, requête numéro 207434 : rec. p. 399). Ainsi, elle ne sera pas soumise à l‘ensemble des exigences du procès équitable, dès lors que l’exercice d’un recours devant une juridiction permet d’assurer leur garantie à un stade ultérieur de la procédure (CE Sect., 31 mars 1995, Ministre du budget c/ SARL Auto-industrie Méric, requête numéro 164008 : rec. p. 154). Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de garanties, considérées comme essentielles, doivent être respectées, dans la mesure où elles permettent de garantir, dès l’origine, le caractère équitable de la procédure par le respect de la conduite contradictoire des débats (CE Sect., 27 octobre 2006, M. Parent, requête numéro 276069, requête numéro 277198, requête numéro 277460 : rec. p. 454).
En l’espèce, la participation au délibéré du président de l’ACAM satisfait aux exigences du principe d’impartialité posé à l’article 6, § 1 de la Conv. EDH, compte tenu de ce qu’il ne dispose ni d’attributions différentes de celles que l’autorité pourrait elle-même exercer, ni du pouvoir de décider par lui-même de modifier le champ de sa saisine. De même, les droits de la défense énoncés à l’article 6 § 3 de la Conv. EDH ne sont pas méconnus par la fixation à quinze jours de la durée du délai laissé à la société poursuivie, en application des dispositions de l’article R. 310-18 du code des assurances, pour transmettre ses observations écrites en défense aux griefs notifiés par l’autorité de contrôle, eu égard aux nécessités de la protection des intérêts que celle-ci a pour mission d’assurer.