Article initialement publié dans la revue Droit 21
[Droit 21 – http://www.droit21.com
Date de mise en ligne : 24 décembre 2000
Citation : Alain COURET, « Le rapport Barbier de la Serre sur l’introduction en France d’actions traçantes », Droit
21, 2000, ER 003
Copyright Transactive 2000]
1. L’émission réalisée par ALCATEL à l’automne d’actions traçantes ((BALO 6 octobre 2000)) a attiré l’attention de la communauté financière sur une pratique répandue aux Etats-Unis d’Amérique mais quasiment inconnue des milieux d’affaires européens ((Il en va de même des milieux d’affaires japonais qui connaîtront une première émission initiée par SONY1 : il s’agit des « tracking stocks » ou encore d’actions traçantes, parfois qualifiées d’actions « reflet ». Ces actions suivent les performances d’une activité à l’intérieur d’un groupe. Dans un premier temps, les analyses de ce produit nouveau ont été surtout des présentations orientées par une logique de révélation, sinon par une logique de promotion 2. Le rapport de la COB rendu public à la fin de l’été vient apporter un bémol à des discours parfois très enthousiastes, sans pour autant chercher à décourager la pratique nouvelle. Il a le mérite de mettre l’accent sur les difficultés que doit surmonter la mise en œuvre pratique de ce type d’actions ((Ce rapport contient un exposé sur la pratique des tracking stocks aux Etats-Unis qui a la mérite d’être la seule présentation connue en langue française de cette question, certes développée ailleurs, mais dans des revues américaines.)).
2. Les développements initiaux du rapport apportent réponse à des questions élémentaires concernant ce type d’actions. Quels sont les éléments constitutifs de la traçabilité ? L’octroi d’un dividende corrélé à une activité spécifique dans le groupe est essentiel : ce lien par le dividende s’impose avec évidence, les porteurs bénéficiant des remontées de numéraire de l’activité tracée vers le groupe. Toutefois un tel lien peut apparaître ténu, notamment pour des activités qui dégagent peu de bénéfices. Aussi un lien peut s’établir par la possibilité prévue d’une conversion ou d’une transformation en un titre d’une autre catégorie.
3. Des tracking stocks pour quoi faire ? Le rapport identifie clairement trois types d’objectifs. Il s’agit d’abord d’extérioriser la valeur d’une activité d’un groupe, lorsque cette activité n’est pas suffisamment visible pour les investisseurs. De ce point de vue on peut dire que les tracking stocks réalisent une sorte de scission à périmètre constant. Mais cette scission est purement virtuelle. Dès lors la consolidation fiscale et comptable n’est pas perturbée. De même le coût de la dette de l’entité tracée n’est pas accru puisque le pool d’actifs engagé lors de la négociation d’un emprunt reste celui du groupe ((Géraldine VIAL « Pour ou contre les tracking stocks ? » M and F n° 121 – Novembre 2000 p. 34)). Enfin les divers coûts de structure sont assurés par l’ensemble du groupe, et notamment les coûts de recherche développement ((Géraldine VIAL, op. cit. loc. cit.)). Il s’agit ensuite de disposer d’une monnaie d’acquisition peu dilutive. Il s’agit enfin d’intéresser les équipes dirigeantes en utilisant ces actions comme objet de souscription par le moyen d’options. Si le troisième objectif semble prospectif pour l’instant, les deux premiers étaient clairement affichés dans l’émission ALCATEL.
4. Enfin quels sont les risques les plus évidents attachés à l’émission d’actions traçantes ? Le rapport relève la complexité inhérente au produit, les difficultés liées à la multiplicité des classes d’actionnaires, la gestion des conflits d’intérêt et l’allocation des opportunités stratégiques et des fonds propres entre l’activité tracée et les autres activités, un risque de décote par rapport aux titres de sociétés comparables. Sont également évoquées quelques difficultés comptables que l’on ne saurait reprendre dans ce cadre limité de présentation.
5. C’est bien évidemment la deuxième partie du rapport intitulée « l’acclimatation au droit français » qui retient le plus l’attention. Assez singulièrement la forme adoptée est davantage celle des articles universitaires que celle, usuelle, des rapports de la COB. Les auteurs du rapport concentrent leur attention sur trois objections possibles, ou plus exactement sur trois zones de difficultés. La première zone de difficultés est générale et concerne l’ensemble de l’opération ; les deux autres sont plus spécifiquement ciblées autour de la phase de disparition du titre catégoriel par voie de conversion ou de rachat.
6. C’est d’abord le principe d’égalité des actionnaires dont on voit assez vite qu’il n’est pas incompatible avec la pratique des tracking stocks, sous réserve d’une hypothétique clause léonine ou du versement de dividendes fictifs. L’action traçante n’est jamais qu’une action de priorité parfaitement admissible dans notre droit. Là n’est certainement pas l’obstacle, tout au moins dès lors que l’on s’inscrit dans le cadre fixé par l’article 269-1 de la loi du 24 juillet 1966 (art. L. 228-12, n. c. com.) ou dans celui fixé par les articles 269-2 et suivants (art. L. 228-13 et suiv.).
7. Plus essentielle est la question des compétences des assemblées spéciales. En effet la tentation est vive pour les concepteurs de formules d’actions traçantes de prédéterminer dans les statuts des cas de disparition des titres catégoriels en prédéterminant également les modalités de conversion ou de rachat. Au demeurant prévoir l’intervention d’une assemblée spéciale entraîne des coûts considérables et crée une incertitude pour l’émetteur. Les auteurs du rapport relèvent que, au moins en ce qui concerne les ADP, on ne peut écarter totalement un risque pénal tiré de l’article 467-1 de la loi du 24 juillet 1966 (art. L. 245-3, n. c. com.), qui fulmine des peines de prison et d’amende à l’encontre des mandataires sociaux qui auront omis de consulter l’assemblée spéciale, dans les conditions prévues à l’article 269-4 (art. L. 228-15, n. c. com.). Une solution est proposée, au demeurant retenue dans l’émission ALCATEL, qui est le recours à un expert désigné dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du Code civil pour déterminer la valeur de rachat ou de conversion à défaut d’accord de l’assemblée spéciale.
8. Reste la question de savoir si, dès lors que la conversion ou le rachat présentent un caractère forcé et que l’opération s’effectue au seul gré de l’émetteur, l’on n’est pas en présence d’une condition potestative : nul ne peut aujourd’hui écarter une telle contestation.
9. La troisième partie du rapport sur « l’intérêt d’admettre des actions traçantes pour la place de Paris » semble accueillir des développements hétéroclites. Sont en effet d’abord évoquées une série d’exigences requises pour le succès de la formule et qui sont fédérées par l’idée de transparence : le périmètre de l’activité tracée doit être précisé avec soin ; la gestion des conflits d’intérêts entre catégories d’actionnaires doit être anticipée et prévenue ; les intérêts des porteurs d’actions traçantes doivent être pris en compte au sein des organes de direction et d’administration de l’émetteur. Ce dernier point mériterait beaucoup de discussions compte tenu du fait que la collégialité du conseil n’est guère compatible avec des représentations spécifiques pour certains groupes. Enfin le rapport se prononce pour une communication adaptée à l’ensemble des investisseurs.
10. La vertu essentielle du rapport BARBIER de la SERRE est de bien mettre l’accent sur les deux ordres de difficultés attachés aux tracking stocks. Les unes, à caractère juridique, ne sont en aucune manière insurmontables. Les autres, de nature économique, sont plus délicates. Les actions reflet sont-elles véritablement à même de fournir de véritables performances boursières ? L’exemple américain est ambigu ((Cf. Guillaume de CALIGNON « La nécessaire loyauté des actions reflet ». La Tribune des marchés – Vendredi 6 octobre 2000 p. 32)). On ne peut guère tirer de conséquences pour l’instant de l’expérience ALCATEL même si l’introduction des nouvelles actions a donné des résultats décevants. Au demeurant la question de savoir ce qui peut motiver l’investisseur à souscrire ce type de titres ne reçoit guère de réponse, ici comme dans les études précédemment parues ((Cf. Géraldine VIAL, article précité p. 36)).
Au tout d’une trentaine de pages de développement, l’action traçante demeure, au moins pour le non-financier, auréolée de quelques mystères.