La Cour constitutionnelle italienne est revenue au mois de juillet sur la gestion des services publics locaux, et notamment sur la possibilité de recourir à des sociétés à capitaux entièrement publics bénéficiant de l’exception in house élaborée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE, 18 novembre 1999, Teckal srl c. Comune di Viano, aff. C-107/98 ; Rec. CJCE 1999, I, 8121; BJCP 1999, n° 8, p. 43, concl. Cosmas et obs. Maugüé; D. 1999, p. 276).
La Cour a eu à juger de la conformité à la Constitution d’un texte adopté en août 2011 (Article 4 du décret-loi du 13 août 2011, n° 138, ratifié, avec modifications, par la loi du 14 septembre 2011, n° 148), qui posait des nouvelles restrictions au choix des modalités de gestion des services publics locaux de la part des collectivités territoriales.
Avant d’examiner la décision de la Cour constitutionnelle, il y lieu de rappeler brièvement l’évolution législative en ce domaine.
Au cours des quinze dernières années, le législateur italien est intervenu à plusieurs reprises pour encadrer la gestion des services publics locaux à caractère industriel et commercial (« servizi pubblici di rilevanza economica »), dans le but d’ouvrir ce secteur à la concurrence. Pour parvenir à cet objectif, le législateur a cru nécessaire d’imposer la gestion à travers des sociétés, en interdisant le recours aux établissements publics locaux pour ce type d’activités (Article 35 de la loi du 28 décembre 2001, n° 448, loi de finances pour 2002). En 2008, le législateur a limité la possibilité pour les collectivités territoriales de gérer les services publics à travers des sociétés in house, en posant le principe selon lequel la participation publique dans les sociétés de gestion des services locaux ne pouvait dépasser 40% du capital. Le recours aux sociétés in house était en outre subordonné à des conditions particulières du point de vue économique, géographique et environnemental, sur lesquelles l’autorité de la concurrence devait donner son avis (Article 23-bis du décret-loi du 25 juin 2008, n° 112, ratifié, avec modifications, par la loi du 6 août 2008, n° 133).
Nonobstant la technicité de ces dispositions, un mouvement citoyen s’est engagé pour proposer leur abrogation par voie de référendum, prévu par l’article 75 de la Constitution italienne.
Aux termes de cet article :
« Un référendum populaire est organisé pour délibérer sur l’abrogation, totale ou partielle, d’une loi ou d’un acte ayant valeur législative, lorsque cinq-cent mille électeurs ou cinq conseils régionaux le demandent. (È indetto referendum popolare per deliberare l’abrogazione, totale o parziale, di una legge o di un atto avente valore di legge, quando lo richiedono cinquecentomila elettori o cinque Consigli regionali) ».
La crainte principale portait sur la privatisation du service public de l’eau à la suite de la cession des participations publiques dans les sociétés de gestion des services publics locaux.
En juin 2011, les citoyens italiens ont réagi positivement à cette alerte : la majorité des participants à la consultation référendaire s’est exprimée en faveur de l’abrogation. Cependant, quelques semaines après, le gouvernement a fait voter un texte selon la procédure d’urgence (« decreto legge ») pour introduire à nouveau des dispositions restreignant la possibilité pour les collectivités territoriales de recourir aux sociétés in house pour la gestion des services publics locaux, à l’exception du service public de l’eau.
C’est contre cette dernière intervention du législateur que certaines régions ont soulevé un recours devant la Cour constitutionnelle, qui a conduit à la déclaration d’inconstitutionnalité de la décision du 20 juillet 2012.
Les nouvelles dispositions reprenant en large partie celles qui avaient été abrogées par voie de référendum sont déclarées contraires à la Constitution (I).
La déclaration d’inconstitutionnalité a pour conséquence l’application directe du droit de l’Union dans le domaine de la gestion des services publics locaux (II).
I. L’inconstitutionnalité d’une loi réintroduisant des dispositions abrogées par référendum
La Cour constitutionnelle avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur les conditions dans lesquelles le législateur peut intervenir après l’abrogation d’une loi par voie référendaire, en reconnaissant sa compétence pour censurer les dispositions législatives qui réintroduiraient le texte ainsi abrogé (Cour const., 14 janvier 1997, n° 9). Dans sa décision du 20 juillet 2012, la Cour constitutionnelle affirme qu’elle veille à intégrer les instruments de démocratie directe dans le système de démocratie représentative organisé par la Constitution. Par conséquent, la réintroduction des dispositions abrogées ne saurait être admise en l’absence d’un changement de la situation politique, notamment en cas d’alternance politique, ou d’une évolution des circonstances de fait.
Aucune de ces conditions n’était remplie en l’espèce, car le législateur était intervenu dans la foulée du résultat référendaire. Pour affirmer que les dispositions introduites en août 2011 reprenaient bien celles de 2008, la Cour constitutionnelle a dû examiner leur contenu, mais aussi leur esprit général.
Cet examen a conduit la Cour constitutionnelle à constater que les deux textes allaient dans le sens d’une restriction croissante des possibilités de déroger à l’obligation de mise en concurrence. En particulier, le législateur n’a fait que poser des conditions toujours plus contraignantes pour le recours aux sociétés in house, par exemple en baissant le seuil en sus duquel le recours à ces sociétés était interdit. Les dispositions d’août 2011 devaient donc être déclarées contraires à la Constitution car elles reprenaient les dispositions abrogées par référendum.
Une fois le principe de l’abrogation acquis, il y a lieu d’examiner le droit actuellement applicable à la gestion des services publics locaux
II. L’application directe des principes du droit de l’Union
Dans le passé, la Cour constitutionnelle ne s’était pas montrée opposée à la fixation d’un régime plus restrictif par rapport à celui prévu en droit de l’Union. Lorsqu’elle s’est prononcée sur les dispositions qui ont fait l’objet du référendum, elle a rejeté les recours des régions, qui en contestaient la contrariété au droit de l’Union. En effet, la Cour a considéré que le législateur national peut poser des règles plus strictes, à partir du moment où elles vont dans le sens d’une plus grande ouverture à la concurrence, qui est notamment le but poursuivi par le droit de l’Union. Dans sa décision du 20 juillet 2012, la censure intervient donc exclusivement en raison de la valeur particulière de l’abrogation par voie de référendum.
Les conséquences de l’abrogation des dispositions introduites par le décret-loi du 13 août 2011 ne sont pas précisées par la Cour constitutionnelle dans cette décision, parce qu’elle s’était déjà prononcée sur ce point. Lorsqu’elle a donné son autorisation à l’organisation du référendum sur la loi de 2008 (Cour const., 26 janvier 2011, n° 24), elle a précisé que, en cas d’abrogation, toutes les restrictions relatives aux sociétés à capitaux entièrement publics auraient disparu de l’ordre juridique interne et que la gestion des services publics locaux aurait été soumise directement aux principes du droit de l’Union.
Alors que le gouvernement avait déclaré vouloir combler le « vide juridique » créé par l’abrogation référendaire, la Cour constitutionnelle a confirmé sa position antérieure : en absence de dispositions nationales plus précises, il n’y a aucun « vide juridique », car les principes et les règles de droit de l’Union sur l’articulation entre concurrence et services publics sont directement applicables.
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