L’arrêt du Conseil d’État italien du 2 février 2012, n° 585, Comune di Viareggio, constitue une intéressante application de la jurisprudence relative à l’extension des principes concurrentiels aux conventions d’occupation du domaine public. En effet, dès son arrêt du 25 janvier 2005, n° 168, le Conseil d’État a considéré que les principes du droit de l’Union imposent de procéder à une mise en concurrence des concessions domaniales. L’arrêt du 2 février 2012 est relatif au domaine public maritime, qui constitue un objet classique de la jurisprudence italienne en matière de concessions domaniales (Cons. St., sect. VI, 25 janvier 2005, n° 168 ; avant, v. TAR Abruzzes, L’Aquila, 13 juin 1995, n° 465. Pour une présentation générale des « biens publics » en droit italien, v. ARSÌ (M.), « I beni pubblici », in Trattato di diritto amministrativo. Diritto amministrativo speciale (Tomo II), a cura di CASSESE (S.), 2e éd., Giuffré, 2003, pp. 1705-1787).
Les solutions posées en cette matière ont été étendues à toutes les concessions domaniales (Par exemple, dans un récent arrêt, le Conseil d’État a considéré l’obligation de mise en concurrence comme applicable à la concession d’un parc de stationnement public : Cons. St., sect. V, 31 mai 2011, n° 3250).
En espèce, il était question de la transmission par voie d’héritage d’une concession relative à un chantier naval. Les héritiers de Monsieur Barsanti prétendaient devenir automatiquement titulaires de la concession, alors que la société Elleyacht avait présenté une demande pour obtenir un titre d’occupation de la même dépendance du domaine public. Par conséquent, la commune de Viareggio avait publié un avis pour mettre en concurrence les deux offres, ce qui a été contesté par les héritiers Barsanti.
Deux dispositions du code de la navigation étaient applicables dans cette affaire. D’une part, l’article 37, qui pose le principe selon lequel, « dans l’hypothèse de plusieurs demandes de concessions, l’autorité compétente choisit le demandeur qui présente les meilleurs garanties de bonne utilisation de la dépendance du domaine public et s’engage à la destiner à une activité qui, selon l’administration, répond au mieux à l’intérêt général ». Le choix du concessionnaire doit être fait à travers un appel d’offres restreint (« licitazione privata »). D’autre part, les héritiers invoquaient l’article 46 du même code, qui contient les règles relatives à la transmission d’une concession. En particulier, en cas de décès du concessionnaire, les héritiers peuvent lui succéder dans la concession, mais doivent manifester leur intérêt à l’administration dans un délai de six mois, à peine de déchéance. Si, pour des raisons relatives à l’aptitude technique ou financière des héritiers, l’administration ne considère pas la transmission comme conforme à l’intérêt du domaine, la concession ne peut pas être leur être attribuée. Le juge exerce sur cette décision un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation et aucune indemnisation n’est prévue, sauf pour la valeur non amortie des ouvrages.
Dans cet arrêt, le Conseil d’État, d’une part, apporte une précision sur l’application de la règle relative à la transmission de la concession aux héritiers et, d’autre part, limite les possibilités d’invoquer une éventuelle méconnaissance des règles de publicité et de contester les critères choisis par l’administration pour l’attribution de la concession.
Le Conseil d’État interprète d’abord les dispositions du code de la navigation relatives à la transmission aux héritiers dans le sens le plus favorable à la bonne utilisation du domaine et au respect des règles concurrentielles. En effet, le Conseil d’État rappelle que la transmission par voie d’héritage de la concession n’est pas automatique, mais qu’elle est subordonnée à un contrôle de la part de l’administration. Ce contrôle ne peut s’exercer que sur les caractéristiques propres des héritiers, pour s’assurer qu’ils soient aptes à gérer la dépendance domaniale. En revanche, il ne saurait être admis, comme le prétendaient les héritiers, que soit déléguée à un tiers l’exploitation de la dépendance domaniale, dans l’hypothèse où les héritiers ne posséderaient pas les caractéristiques techniques et financières exigées par la loi. Cela reviendrait à violer les principes concurrentiels, car l’exploitant du domaine serait choisi sans aucune mise en concurrence. Le Conseil d’État a donc jugé que la délégation de la gestion de la dépendance domaniale à un tiers, qui devrait remplir les conditions prévues par le texte à la place des héritiers, « constituerait une rente au profit des titulaires potentiels de la concession, en absence d’une capacité et d’une volonté réelle d’exercer ce droit d’exploitation ».
Le Conseil d’État se prononce ensuite sur les mesures de publicité nécessaires pour la mise en concurrence des concessions domaniales. En matière de domaine maritime, une disposition réglementaire du code de la navigation (Article 18 du Regolamento al Codice della navigazione) prévoit explicitement que des mesures de publicité (affichage en mairie, publication dans le recueil des actes administratifs du département) doivent être effectuées pour des concessions d’une importance particulière du point de vue des dimensions et de la fonction. En espèce, un concurrent évincé contestait le caractère adéquat de ces mesures. Sans se prononcer sur les caractéristiques de la concession au sens de cette disposition, le Conseil d’État refuse de faire droit à ses prétentions, dès lors que ce concurrent avait pu régulièrement présenter une offre et qu’une éventuelle carence des mesures de publicité n’était pas susceptible de l’avoir lésé : la réalisation de mesures de publicités ultérieures aurait pu avoir comme effet d’augmenter le nombre de candidats, mais elle n’aurait eu aucune conséquence positive directe sur le candidat évincé.
En ce qui concerne les modalités de la mise en concurrence, le Conseil d’État rappelle que son contrôle s’arrête à l’erreur manifeste d’appréciation (« palese irragionevolezza », « abnormità manifesta » ; V. également Cons. St., sect. VI, 30 juillet 2009, n° 4807) et que l’administration bénéficie d’une large liberté pour identifier les conditions d’utilisation du bien les plus conformes à l’intérêt général, tant au stade du choix des critères qu’à celui de l’évaluation des offres. En particulier, le Conseil d’État approuve la commune d’avoir inséré un critère relatif à la limitation du monopole des concessions domaniales de la part du même concessionnaire. En effet, il considère que les collectivités territoriales ont la possibilité de poser des exigences pro-concurrentielles, qui découlent du droit de l’Union et qui constituent des principes généraux dans l’ordre juridique italien.