Par une très courte décision du 3 octobre 2012, Ministre de la défense et des anciens combattants (requête numéro 357248), le Conseil d’Etat a levé certains doutes sur les sommes pouvant être réclamées par les services de l’Etat (et par extension nous semble-t-il par toutes les personnes publiques) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Rappelons que l’article L. 761-1 CJA vise les frais non compris dans les dépens, communément appelés « frais irrépétibles », tandis que l’article R. 761-1 CJA vise le remboursement des dépens.
Les dépens sont « les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat ». Font ainsi partie des dépens les frais d’expertise supportés avant l’introduction de l’instance, et qui ont été utiles à la solution du litige.
Les frais irrépétibles sont les dépenses utiles à la solution du litige et supportées après l’introduction de l’instance.
Les parties sont en principe sur un pied d’égalité et les personnes publiques comme les personnes privées ont droit au remboursement des frais irrépétibles, qui seront supportés par la partie perdante.
Cependant, lorsqu’une personne publique ne constitue pas avocat, elle n’a pas en principe droit au remboursement des charges liées à un surcroît de travail de ses services.
C’est en tout cas ce qu’avait affirmé le Conseil d’Etat dans une décision du 3 novembre 1999, Ministre délégué au Budget c/ S., requête numéro 187747 :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel : « Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, aux titres des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’une collectivité publique qui n’a pas eu recours au ministère d’avocat ne saurait présenter une demande au titre de ces dispositions en se bornant à faire état d’un surcroît de travail pour ses services et sans se prévaloir de frais spécifiques exposés par elle en indiquant leur nature ;
Le Conseil d’Etat avait cependant semblé infléchir sa jurisprudence, dans une décision du 30 novembre 2007, Société l’Immobilière Groupe Casino, requête numéro 304825 :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne font pas obstacle à ce que soit mise à la charge de la partie perdante une somme demandée par une personne morale, notamment par l’Etat, au titre des frais exposés dans l’instance et non compris dans les dépens, alors même que cette personne morale n’a pas été représentée par un avocat ; que, par suite, en faisant droit aux conclusions présentées en défense par le directeur des services fiscaux des Bouches-du-Rhône tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, alors même que pour justifier cette demande l’administration, qui n’avait pas été représentée par un avocat, faisait état des coûts supportés par ses services, le tribunal administratif de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit ; qu’ainsi la SOCIETE L’IMMOBILIERE GROUPE CASINO n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement en tant qu’il a mis à sa charge une somme de 500 euros en application de cet article ;
Le professeur Cassia développait les plus vives critiques à l’égard de cette jurisprudence, considérant que « les administrations ont – ou doivent avoir – des services contentieux dont les agents sont rémunérés pour répondre aux exigences des procédures juridictionnelles » (J.-C. Bonichot, P. Cassia, B. Poujade, Les Grands arrêts du contentieux administratif, Dalloz, 2ème édition, 2009, commentaire sous CE, 7 avril 2006, Centre hospitalier régional de Nice, p. 1160).
Cette appréciation, qui se réfère aux services de l’Etat, ne prend pas en compte la situation des petites collectivités territoriales quin’ont aucunement les moyens d’avoir des services contentieux. Bien entendu, dans ce cas, il leur revient de s’entourer de conseils. Mais il est patent (ceci est un autre débat) que le juge administratif est extrêment réticent à accorder, dans un sens comme dans l’autre, des frais irrépétibles d’un montant raisonnable ; ceux-ci, sauf exception, ne couvrent jamais le véritable montant des frais d’avocat.
Quoi qu’il en soit, le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté, établit de manière ferme que :
[…] si une personne publique qui n’a pas eu recours au ministère d’avocat peut néanmoins demander au juge l’application de cet article au titre des frais spécifiques exposés par elle à l’occasion de l’instance, elle ne saurait se borner à faire état d’un surcroît de travail de ses services ; que, par suite, en rejetant les conclusions du ministre de la défense, qui énonçait que ce type de recours représentait une charge réelle pour ses services en termes de temps de travail des agents qui s’y consacrent et, par voie de conséquence, pour les finances publiques, sans faire état précisément des frais que l’Etat aurait exposés pour défendre à l’instance, le juge des référés du tribunal administratif d’Orléans, qui n’a pas entaché son ordonnance d’inexactitude matérielle, n’a pas commis d’erreur de droit ;
Le Conseil d’Etat exclut clairement des « coûts » supportés par les services administratifs la surcharge de travail, ce qui laisse aux personnes publiques la possibilité d’obtenir le remboursement des frais spécifiques liés à l’instance, tels que la production d’un constat d’huissier ou la production de pièces dans des conditions particulières (expertises comptables, relevés topographiques, etc…).