Contexte : Cet arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 10 octobre 2012 porte sur les sanctions applicables en cas de manquement des médecins à leur obligation d’information du patient des risques d’un acte médical. La Cour de cassation ayant récemment évolué dans un sens très favorable à l’indemnisation des victimes (Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13.591 : Bull. civ. 2010, I, n° 128 ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 222, note S. Hocquet-Berg ; JCP G 2010, p. 788, note S. Porchy-Simon ; Gaz. Pal. 16-17 juin 2010, n° 168, p. 9, avis A. Legoux ; D. 2010, p. 1484, obs. I. Gallmeister ; ibid. p. 1522, note P. Sargos ; ibid. 1801, point de vue D. Bert ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton ; RTD civ. 2010, p. 571, obs. P. Jourdain ; RDC 2010, p. 1235, obs. J.-S. Borghetti ; Petites Affiches 18 août 2010, p. 9, note R. Mislawski ; Lexbase hebdo n° 401, (n° A1522EYZ), note Ch. Radé), se posait la question de savoir si le Conseil d’Etat était désormais prêt à admettre, lui aussi, que le non-respect du devoir d’information cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation.
Litige : Le 1er mars 2002, un patient a subi, au sein d’un centre hospitalier régional et universitaire, une intervention chirurgicale rendue nécessaire par la découverte d’une tumeur rectale. Huit jours après l’opération sont apparus un abcès périnéal et une fistule qui ont entraîné des soins durant neuf mois et une nouvelle intervention chirurgicale. Le patient et son épouse ont agi en réparation en invoquant à la fois un manquement de l’hôpital à son obligation d’information du patient sur les risques de complications graves, en particulier une atteinte probable à ses fonctions sexuelles, et une faute médicale portant sur le choix thérapeutique qui s’est avéré inadapté. Par un arrêt confirmatif, la Cour administratif d’appel de Douai a rejeté leur demande.
Solution : L’arrêt du Conseil d’Etat se prononce sur trois points par des motifs d’inégales importances :
• Il a d’abord considéré que la cour administrative d’appel n’avait commis aucune erreur de droit en jugeant, après avoir relevé que l’intervention était impérieusement requise pour extraire la tumeur du patient, que le manquement des médecins à leur obligation d’information n’a fait perdre à l’intéressé aucune chance de refuser l’intervention et d’échapper ainsi à ses conséquences dommageables.
• Ensuite, après avoir relevé « qu’indépendamment de la perte d’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles », le Conseil d’Etat a considéré qu’en l’espèce, la cour n’avait commis aucune erreur de droit en ne déduisant pas de la seule circonstance que son droit d’être informé des risques de l’intervention avait été méconnu, l’existence d’un préjudice lui ouvrant droit à réparation, dans la mesure où l’existence d’un tel préjudice n’a été soutenu devant les juges du fond.
• Le Conseil d’Etat a enfin censuré la cour en lui reprochant d’avoir entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique des faits en retenant que le choix thérapeutique ne présentait pas un caractère fautif, alors qu’il ressortait du rapport d’expertise que les médecins avaient persisté à pratiquer un traitement inadapté, réalisant ainsi un retard thérapeutique.
Analyse : Le Conseil d’Etat adopte une position classique en écartant toute indemnisation au titre de la perte de chance lorsque l’intervention chirurgicale est nécessaire, le défaut d’information n’ayant alors privé le patient d’aucune chance de se soustraire au dommage (V. déjà en ce sens, CE, 24 juill. 2009, M. Ugarte Mendia, n° 305372, non publié).
En revanche, le Conseil d’Etat innove en consacrant l’existence d’un préjudice d’impréparation, manifestement inspiré par la jurisprudence de la Cour de cassation, tout en s’en démarquant à certains égards.
• Comme la Cour de cassation, le Conseil d’Etat admet désormais qu’il existe un préjudice réparable, en cas de manquement au devoir d’informer le patient des risques encourus par un acte médical, autre que la perte de chance de refuser l’intervention. Même si ce préjudice n’est ici qualifié de « moral », il faut sans doute lui reconnaître ce caractère. Il ne substitue pas à la perte de chance, qui conserve un caractère réparable, mais s’ajoute à ce chef de préjudice, dont la réparation est très souvent écartée lorsque, comme en l’espèce, l’intervention était impérieuse pour soigner le malade.
• En revanche, le Conseil retient une conception manifestement plus étroite de ce nouveau chef de préjudice que la Cour de cassation, puisqu’il le cantonne aux « troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ».
Or, les termes de l’arrêt rendu le 3 juin 2010 par la première chambre civile montrent que la Cour de cassation n’entend pas seulement réparer « l’impréparation » à la réalisation d’une complication médicale. En effet, l’omission de toute information contribuant à éclairer le consentement du patient, comme le recours à un traitement hors AMM, est par nature constitutive d’une faute devant donner lieu à réparation (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-18327 : Bull. I, n° ? ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 245, note S. Hocquet-Berg).
En effet, même si certains auteurs le contestent, il ressort clairement des termes du principe énoncé dans l’arrêt de juin 2010 que la réparation est due, indépendamment de la réalisation des risques dissimulés au patient. C’est sans doute les effets démesurés d’une telle règle qui a effrayé le Conseil d’Etat. En admettant la réparation d’un « préjudice d’impréparation », le Conseil d’Etat subordonne nécessairement la responsabilité à la constatation d’un dommage corporel.
Ce faisant, le Conseil d’Etat réduit la portée du droit de toute personne malade à être informée pourtant consacré par l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 applicable au litige. Ce n’est pas seulement un droit destiné à préparer le patient à la réalisation probable d’un risque qui est consacré par la loi. On ne voit pas, d’ailleurs, en quoi le fait d’avoir été préparé à éventuellement subir une « atteinte des fonctions sexuelles » pourrait en amoindrir les conséquences pour le patient. C’est, en réalité, un droit pour consentir, en toute connaissance, à un acte médical qui ne présente aucun caractère inéluctable, quelle qu’en soit la nécessité, dans la mesure où, comme l’énonce l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, « le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix ».